Quand Marco et Ace sortirent sur le pont, une vingtaine de pirates matinaux se regroupaient déjà, profitant des conditions idéales pour leur concours de pêche hebdomadaire. Il faisait un temps parfait pour attraper des poissons et monstres marins. Et bien évidemment, celui qui attrapait la prise la plus impressionnante -et comestible- gagnait.
À l'origine, il s'agissait d'une corvée pour renflouer un peu le garde-manger du bateau, mais beaucoup y avaient suffisamment prit goût pour en faire un évènement festif.
Comme souvent, Vista servait d'arbitre grâce à ses grandes connaissance en ichtyologie. Il lissait sa longue moustache en vérifiant de temps en temps dans son encyclopédie une nouvelle espèce étrange.
Uzaki, son assistant habituel, était chargé de consigner le nombre et l'importance des proies de chaque pirate.
Un requin-crocodile particulièrement féroce fut projeté hors de l'eau et atterrit à quelques centimètres de Marco, claquant des dents. Le phénix l'assomma d'un coup de pied blasé.
-Désolé commandant ! s'exclama Endemo en courant récupérer sa prise échappée.
-Je vois que tes coupures vont mieux, répondit le phénix à l'un de ses patients les plus réguliers.
Ce dernier se frotta la tête avec un sourire embarrassé, l'assurant qu'il allait bien mieux, avant de récupérer le requin et retourner auprès du groupe. Heureusement, tout le monde était bien trop concentré sur la pêche pour prêter attention au prisonnier plus que quelques regards méfiants.
Ace regarda le concours d'un air oscillant entre intéressé et amusé. Alors le commandant lui expliqua discrètement le fonctionnement et le système d'attribution des points.
Marco continua sa tournée habituelle du bateau, regrettant un instant de ne pas pouvoir prendre sa forme de phénix pour voir depuis le ciel comme il le faisait souvent. Ace s'arrêta brusquement, s'attirant un regard surpris de Marco. Le jeune capitaine montra d'un geste discret de la tête un point en hauteur.
À califourchon sur l'un des espars du mât, Haruta s'affairait, la langue entre les dents et se battant contre un cordage coincé dans une poulie. Le blond supposa qu'il l'avait abîmé pendant ses acrobaties et qu'il le réparait vite avant que Fossa ne le remarque. Et bien, il ferait mieux de se dépêcher, pensa Marco après un regard vers le soleil. Il ferma les yeux en secouant la tête dans un geste clair de "prétendons n'avoir rien vu" à Ace qui acquiesça. L'ignorance volontaire était bien souvent la meilleure option pour être tranquille sur ce bateau.
La huitième division était de corvée de nettoyage cette semaine. Sous la supervision de Namur, ils frottaient leurs serpillères sur le sol en jetant des regards mauvais vers l'agitation désordonnée du concours de pêche. Achever les prises avait tendance à être sanglant. Deux des nettoyeurs (Bacilus et Karkos, il aurait dû s'en douter) commencèrent à se quereller puis s'affronter à coup de manche de leurs serpillères, ruinant une partie du travail. Marco préféra de nouveau ignorer le problème et le laisser à leur commandant de division. Bref rien qui ne sortait de l'ordinaire.
Il resta dehors jusqu'à ce que Fossa sorte, lève les yeux et interpelle Haruta. Le plus petit sursauta brutalement, pris sur le fait, et manqua de tomber en se raccrochant à la corde qu'il tripotait. Miraculeusement, le mouvement réussit à la décoincer de la poulie juste à temps.
-Fo~chaaaan ! Tu m'as surpris ! s'exclama Haruta avec un énorme sourire comme à chaque fois qu'il essayait de feindre l'innocence.
-Pourquoi es-tu là haut ? demanda suspicieusemment l'autre commandant.
-Je... Me promenais ! Sortir prendre l'air, bien sûr !
Le Diable Vert enroula ses jambes autour de la barre horizontale du mât et se laissa glisser sur le côté jusqu'à avoir la tête en bas, les bras croisés. Fossa le regarda, imperturbable à ses pitreries.
-Prendre l'air à 20 mètres de haut ?
-Il est plus pur ici ! Tu sais, loin des produits chimiques de nettoyage !
Fossa pencha pensivement la tête comme si Haruta avait soulevé un argument de taille. Marco échangea avec Ace un regard dubitatif. Et dire qu'ils étaient censé être l'élite des pirates du navire. Une exclamation monta du concours de pêche, signalant la capture d'un monstre marin particulièrement impressionnant. Marco décida finalement de battre en retraite. C'était plus prudent
L'après-midi ne fut pas bien différent de la veille pour Marco. Il devait encore organiser des rapports, signer des demandes et trouver des solutions aux divers problèmes. Des problèmes comme la carte ratée de leur trajet avec un énorme problème de calcul de l'échelle, ce qui rendait toutes les mesures fausses et nécessitait donc d'être refaite. Honnêtement, lorsque Marco s'en rendit compte, il siffla de frustration entre ses dents serrées avant de poser la carte un peu plus brutalement que prévu sur un coin de son bureau pour s'en occuper plus tard. Beaucoup plus tard. Peut-être même le confier à quelqu'un d'autre.
Teach avait beau être un traître, mais au moins, au travail, il était assez bon. Il avait pris l'habitude de superviser l'équipe de cartographie et n'aurait pas laissé passer ce genre d'erreur d'amateur. Les meilleurs navigateurs du Moby étaient partis pour diverses missions et ne voulaient pas de la responsabilité d'une division. Ils avaient besoin d'un chef compétant. Marco lui même avait envisagé de s'occuper du groupe. Mais sa charge de travail menaçait déjà assez souvent de le submerger. Il délaissait déjà parfois sa division et son travail de médecin quand trop d'imprévus lui tombaient soudainement dessus. Mieux valait ne pas y penser pour l'instant.
Alors qu'il attrapait d'autres documents, il remarqua qu'Ace s'était silencieusement approché du bureau et analysait la carte bâclée avec un air proche du dégoût. Le jeune homme attrapa le papier entre deux doigts, le toisant comme s'il s'agissait d'une nouvelle espèce exotique particulièrement visqueuse. Quelque chose cliqua dans la tête de Marco et il se souvient des cartes et crayons retrouvés sous le matelas du prisonnier. Et ce jour où il l'avait intercepté en train de rôder la nuit, alors que le lendemain certains carnets des météorologues avaient été retrouvés annotés par une main mystérieuse. Ses lèvres s'étirèrent en un léger sourire. Il aurait dû le comprendre plus tôt.
-Ils sont... Vraiment mauvais, commenta diplomatiquement Ace.
Marco s'appuya un peu plus profondément contre le dossier de sa chaise. Peut-être qu'il avait enfin une solution contre la dégradation de l'équipe de navigation. Il n'avait plus qu'à tester sa théorie.
-Penses-tu que tu serais capable de rectifier ça ? tenta-il en laissant une pointe de défi dans sa voix.
Ace lui sourit effrontément, confiant et déterminé. Cela ne ressemblait pas à de l'arrogance mal placée ; c'était là l'air assuré de quelqu'un qui connaissait réellement ses propres capacités.
-Avec le bon matériel je peux quasiment tout faire.
Et Marco le cru. Ses doigts tapotèrent la table avec une nonchalance feinte.
-J'aimerais bien voir ça.
Le commandant lui tendit de quoi écrire, un compas, une règle et le journal de bord où étaient consignées les informations de navigation brutes. Ace hésita en acceptant ce dernier. Il se voyait confier une base de données extrêmement importante pour un navire.
-Tu es vraiment sûr que c'est une bonne idée ? Je reste un ennemi d'un équipage adversaire.
-Tu n'avais pas autant de réserves quand tu es rentré par effraction dans la salle de navigation, le taquina le blond.
Son commentaire fit mouche. Un soupçon de rouge assombrit les joues de son prisonnier sournois, prit sur le fait. Marco était très satisfait d'avoir raison.
-Pour ma défense la porte était ouverte...
Le phénix ne put retenir un rire.
-Quel prisonnier pirate exemplaire vous faites, Mr Portgas !
Le dit pirate retenait son propre rire vu la façon dont il se mordit la lèvre inférieure alors que ses yeux se plissaient, pétillants d'amusement. Marco lui confia un peu trop vivement le journal. Ace alla s'avachir sur le lit pour étudier les annotations sur le cap, la vitesse et la position géographique, vérifiant si c'était correct. Au moins, le relevé des données était très strictement tenu à jour, donc ce fut rapide. Alors le navigateur s'attela au calcul du trajet sur la dernière semaine.
Le voyant plongé dans le travail, son observateur arracha son regard pour retourner à ses papiers, jetant néanmoins de petits coups d'œil de temps en temps. Marco secoua la tête en lisant le rapport haché d'Haruta, et les tâches d'encre là où le stylo avait été laissé trop longtemps sans bouger. Il pouvait deviner sans mal les instants où son ami avait été distrait dans son écriture.
Ce n'était pas inhabituel, bien que cela rendait toujours le second perplexe. Le petit commandant pouvait rester des heures concentré sur l'interception de communications de la marine. Mais pour tout ce qu'il trouvait ennuyant comme rédiger un rapport, sa durée d'attention ne dépassait pas les quelques secondes. N'importe quoi pouvait le distraire comme un insecte entrant dans son bureau, un nuage de forme bizarre ou l'odeur de nourriture venant des cuisines. Parfois même en se perdant simplement dans ses propres pensées.
Après des années, Marco pouvait reconnaître chaque commandant à son écriture. Il passait souvent de l'italique précise et élégante de Vista, aux rapports de Fossa souvent maculés de cendre de son cigare, jusqu'aux les diatribes enflammées de Rakuyu sur divers problèmes. Blamenco, gaucher, laissait accidentellement une trace de main frottant sur l'encre pas encore sèche, alors qu'Atamos ne pouvait pas écrire à cause du manque de matériel adapté à sa taille de géant. Il demandait à Mizune de sa division de rédiger les rapports à sa place dans une calligraphie concise.
Une équipe composée d'Izo, Fossa, Curiel et plus rarement divers autres, notaient leurs idées aléatoires dans les marges pour ne plus jamais les retrouver ensuite, ou des recettes ( Thatch bien sûr, et c'était souvent illisible, écrit en pattes de mouche pour ne pas être lu). Tandis que d'autres ajoutaient des dizaines de post-scriptums, ce à quoi Speed Jiru était le recordman avec pas moins de trente-sept dans un seul rapport.
Et après on se demandait POURQUOI diable Marco passait tant de temps sur ces maudits papiers. À bien y réfléchir il préférait encore les jolis poèmes giffonnés de Joz ou les sempiternels dessins de poissons de Vista.
Les rapports de la deuxième division étaient quant à eux un patchwork collaboratif de divers membres en l'absence de véritable commandant. Bien que Teach s'occupait officieusement d'une grande partie de la centralisation des travaux jusqu'ici.
Rappelé à son objectif secondaire, il jeta un regard vers Ace qui avait finalement migré hors du lit. Il s'était trouvé une place sur le plancher lisse pour pouvoir reporter ses nouvelles mesures sur la carte. À plat ventre par terre, il reliait studieusement les coordonnées pour laisser apparaître le trajet. Cela prit deux bonnes heures. Même si Marco était à peu près certain qu'il mettait volontairement plus de temps que strictement nécessaire pour feuilleter le journal de bord.
Rassemblant ses outils sur le sol d'un geste bien entraîné, Ace finit par se relever en tendant sa toute nouvelle œuvre au commandant. Ce dernier la regarda d'un œil expert sans que le jeune homme ne s'inquiète. Il faisait ça depuis des années, cartographiant son île natale et la mer, notant l'emplacement des récifs et créant même parfois de fausses cartes au trésor pour guider Luffy dans un jeu de recherche. Cela allait sans dire que son frère était très mauvais à cela. Ace espérait qu'il aurait le bon sens de monter sur un navire marchand pour quitter leur île natale plutôt que de sauter dans une barque et prendre le large en laissant les courants le guider.
D'une manière où d'une autre, la cartographie le faisait se sentir plus proche de Sabo. Une façon de perpétuer sa mémoire. C'était sa spécialité alors qu'Ace, lui, préférait la météorologie. Il se rappelait les heures passées tous deux à même le sol de leur cabane, à tracer les frontières de pays inconnus d'un livre volé. Et ces soirs doux où, chuchotant pour ne pas réveiller leur petit frère, le blond lui expliquait le fonctionnement d'un astrolabe. C'était des moments précieux désormais teintés de mélancolie.
Ace les chérissait.
Le phénix observait avec soin les finitions de la carte. Le capitaine des Spades se risqua à penser qu'il avait l'air satisfait du résultat. Une partie de lui, celle là même qui désirait plus que tout être reconnue, se lissa au regard approbateur. Avant d'y penser à deux fois, il prit la parole :
-Hé Marco, si tu as d'autres trucs de carte comme ça... Je veux dire, comme j'ai pas grand chose à faire et que sinon je m'ennuie...
Ace hésita, ne sachant pas comment finir sa phrase sans sembler présomptueux. Ce n'était peut-être pas une si bonne idée finalement. Même en ayant brièvement eu accès au journal de bord, cela ne voulait pas dire qu'il pourrait exiger plus. Marco posa sérieusement ses yeux bleu délavés vers lui comme s'il essayait de trouver des raisons cachées à sa demande.
-Tu veux que je te laisse faire des cartes ?
-...Peu importe, oublie ça si c'est trop risqué. Je ne fais même pas partie de cet équipage, renonça Ace en haussant les épaules d'indifférence simulée.
Le visage du blond s'adoucit alors qu'un léger sourire relevait le coin de ses lèvres.
-A vrai dire ça m'arrangerait beaucoup... Et puis que pourrais-tu faire dans le pire des cas ? Dériver le bateau d'un mille ou deux ? le taquina le blond.
Même s'il ne fut pas sûr d'y arriver, Ace essaya de masquer son soulagement et l'excitation à l'acceptation implicite.
-Hé, la navigation c'est extrêmement important ! Je pourrais vous guider droit dans un iceberg, ou un récif, ou une tempête ! prétendit s'offusquer le jeune capitaine.
-Avec tes amis à bord ? Et quelqu'un le remarquera probablement, ils ne sont pas si mauvais que ça.
Le logia renifla d'un air incrédule, transmettant clairement sa pensée quand à la nullité de l'équipe de navigation. Après une seconde de réflexion, Marco grimaça un accord muet en retour avant de se résigner :
-Peut-être qu'il leur faudrait une petite remise à niveau...
-Une semaine sans leurs instruments sur une île déserte, l'une de l'archipel d'Oryctérope par exemple, proposa Ace.
-Pourquoi cet archipel en particulier ?
Marco se frotta le menton, l'air plus intéressé qu'inquiet quand le jeune homme sourit sadiquement, levant un doigt.
-De violentes intempéries imprévisibles. Un relief très escarpé qui rend difficile la cartographie ; et les autres îles sont assez proches pour les faire naviguer de l'une à l'autre sur une barque, expliqua-t-il en levant un nouveau doigt à chaque argument.
Un sifflement de respect craintif s'éleva du blond. La plupart des marins et pirates évitaient l'archipel, à l'exception des îles du nord-est habitées de Saigai et Cap-Couroux. C'était l'un des lieux où le temps changeait le plus rapidement, situé entre une île hivernale et une estivale dont le heurt des vents provoquait des giboulées et typhons soudains, avec des courants marins très instables agrémentés des vagues scélérates. Sans compter la barrière de corail et les bancs de sable semi-immergés selon les marées. Petite miséricorde, il n'y avait pas de monstres marins : même eux fuyaient les lieux.
Rien de mieux pour former des navigateurs sur le terrain. Bien sûr, ils avaient besoin d'être supervisés, histoire qu'ils ne meurent pas d'une stupide erreur d'estimation. Même Ace aurait besoin d'un soutien solide pour encadrer une telle escouade d'apprentis. Peut-être que Banshee trouverait ça suffisamment divertissant pour l'accompagner.
-Tu ferais un commandant de division terrifiant, nota Marco.
Le capitaine se raidit soudain, se sentant sur la défensive d'avoir imaginé, rien qu'un instant, se retrouve à former le groupe.
-Heureusement que je ne compte pas en devenir un alors.
Avec une seconde de retard, il força un sourire pour essayer de contrebalancer son ton un peu plus sec que nécessaire. Si Marco releva sa tension, il ne fit aucune remarque, se contentant de fredonner en tournant le verso d'un de ses papiers. La conversation se termina là.
Le dîner fut un peu plus mouvementé que le précédent. Encore une fois, Ace se retrouva assis à la table des commandants qui semblaient presque s'habituer à sa présence. D'une manière où d'une autre, deux querelleurs au fond de la salle commencèrent une bataille de nourriture qui s'étendit rapidement à tout le réfectoire. Heureusement, ils évitaient globalement de viser vers les commandants. Globalement était le mot.
Une côtelette d'agneau errante frappa la manche du kimono impeccable d'Izo, laissant une traînée sanglante sur le tissu rose pâle. Une veine battit sur sa tempe. Ses mains claquèrent violement la table de bois mais le son se fondit dans le brouhaha. Alors, dans un calme terrifiant, il dégaina un des pistolets attachés à son obi et tira dans le plafond. Tout le monde se figea au fracas, se tournant vers lui. Un frisson collectif parcourut la salle en remarquant enfin le danger. Blamenco, qui était également le charpentier de l'équipage, gémit en fixant les planches explosées par la balle mais n'osa rien dire.
-Bien... Vous avez tous exactement trois secondes pour vous calmer, si vous ne voulez pas que Curiel soit votre cuisinier personnel pendant une semaine, dit-il d'une voix basse et cruelle.
Haruta posa lentement sa cuillère-catapulte-à-choux-de-Bruxelles, pâlissant. Les belligérants se rassirent sagement dans une quiétude absolue, les moins courageux sortant enfin hors de la table sous laquelle ils s'étaient cachés durant l'affrontement.
-Arrête de m'utiliser pour menacer l'équipage ! Et puis mes brochettes n'étaient pas si mal, osa protester Curiel.
Tout le monde l'entendit dans le silence complet de la salle et lui lança un regard de platitude absolue. Joz lui tapota sympathiquement l'épaule dans un geste de réconfort mais refusa de le bercer d'illusion :
-Désolé mec mais tu avais quand même mis le feu à l'intérieur d'une poêle pour les faire griller au dessus. Thatch a failli en faire une syncope.
Le nom de leur ami toujours dans le coma jeta un froid tendu dans la salle, bien qu'involontairement. Plusieurs yeux vacillèrent vers Ace qui les ignora. Sentant la tension et voulant repartir sur un sujet moins sensible, Joz continua :
-Et ne parlons pas de ta ratatouille qui était...
-Ignoble, grogna Rakuyu qui semblait sur le point de vomir juste au souvenir.
-J'aurais plutôt dit créative.
-Mettre du lait de jument dans une ratatouille c'est pas de la créativité, c'est un empoisonnement avec préméditation ! accusa Haruta en le pointant du doigt, menton relevé comme le faisait la corsaire Boa Hancock dans ses moments les plus dramatiques.
Quelques pirates sifflèrent au mime. De ce que Ace avait entendu, Haruta était très bon au jeu "devinez l'imitation", systématiquement pris dans les premiers et son équipe gagnait la plupart du temps. Au moins cela suffit à faire oublier les désastres culinaires de Curiel.
Ace chercha discrètement ses Spades du regard mais ne les trouva pas. Il semblerait que malgré une relative liberté en journée, ils mangeaient dans leur dortoir à part. Sûrement une méthode des Barbe Blanche pour éviter des contacts indésirables entre eux et Ace. Il en fut un peu déçu mais se consola en les imaginant planifier une autre opération "chaos sur le Moby Dick". Pas sûr que ce soit au goût de Marco.
Ce dernier était très loin d'être un gros dormeur, remarqua le prisonnier le lendemain matin. À l'aube, le commandant lisait dans le lit, déjà réveillé. Il s'était pourtant couché bien après le capitaine des Spades. Son livre pourtant commencé tard la veille en était au dernier quart. Il ne le posa pas lorsque Ace commença à remuer en sortant de son sommeil.
-Tu dors combien d'heures par nuit ? bâilla-t-il un peu jaloux.
Marco lui jeta un bref regard par dessus ses lunettes de lecture, un sourire narquois aux lèvres.
-Je peux techniquement survivre des semaines sans dormir. Mais je deviens moins réactif, alors pour le confort j'essaie d'avoir au moins cinq heures.
Ace afficha un visage incrédule, sentant la fatigue toujours gravée dans ses propres traits. C'était injuste. Il remonta la couverture jusqu'à son nez pour ne pas que le commandant voie sa moue.
-Privilège d'être un phénix yoi, lui apprit-il avec un clin d'œil.
-Ne pas avoir besoin de dormir et en plus pouvoir se transformer en oiseau de feu super méga cool pour voler...
-Tu as oublié "soigner les blessures" et "être immortel", ajouta sans pitié le blond.
-... c'est totalement exagéré comme pouvoir.
Et vraiment incroyable. À vrai dire Ace en était très curieux. Il ne tint que quelques secondes avant de repousser la couverture de son visage et s'assoir pour demander :
-Comment ça fonctionne ? Je veux dire, quand tu es blessé. Ça peut te soigner de n'importe quoi ? Même si c'est grave ? Et mortel ?
En se rendant compte de sa propre fascination excitée, Ace se frotta les cheveux, penaud. Le phénix ferma enfin son livre à ses questions, accordant toute son attention pour y répondre. Il avait l'air plus amusé qu'ennuyé par l'interrogatoire.
-Ma forme phénix complète agit globalement comme un type logia, les attaques physiques passent au travers. Si j'ai des blessures faites par haki ou sur ma forme humaine, mon feu régénérateur les referme immédiatement.
- La régénération peut soigner quelque chose d'encore plus grave ? Et ça fait mal ?
Marco se frotta le bras dans un tic inconscient, fonçant une seconde les sourcils.
-J'ai quelques fois eu l'honneur douteux de me faire couper l'aile ou la jambe. Et la douleur... ça dépend. La plupart du temps, je suis soigné avant que le cerveau n'ait le temps de réaliser. Surtout en combat avec l'adrénaline.
Marco se plia à répondre à quelques questions de plus avant d'en poser en retour sur le feu d'Ace. Cela allait de la température maximale et minimale qu'il pouvait atteindre, jusqu'à quelque point c'était malléable. Si son feu pouvait être solide et frapper, projeter des attaque ou être utilisé en propulseur pour faire voler Ace. Le logia finit par détailler certaines techniques qu'il avait de toute façon déjà montrées. À la demande du blond, il fit sortir une flamme de sa paume.
-Je n'ai jamais rencontré d'autres utilisateurs de feu yoi... puis-je toucher ?
Ace déglutit et hocha la tête avec hésitation. Marco rapprocha sa main, le bout de ses doigts s'illuminant à son tour d'une flamme bleue veinée d'or. Elles semblaient s'attirer mutuellement. Le phénix les laissa planer l'une et l'autre à quelques millimètres sans se toucher. Puis il s'avança encore et leurs mains se frôlèrent.
Immédiatement, leurs feux se fondirent l'un dans l'autre, se tirant et renforçant mutuellement. Dessous, il sentait vibrer cette connexion unique entre leurs pouvoirs. Il en avait presque la chair de poule. Il bourdonnait de cette intensité si intime et fusionnelle, à la limite d'être intrusive. Ace fut soudain beaucoup trop conscients qu'il était toujours dans le même lit à quelques centimètres l'un de l'autre. Il recula et rompit le contact en premier.
La main de Marco se contracta comme s'il s'empêchait d'accompagner le mouvement pour continuer le toucher mais elle retourna sagement se poser sur la couverture. Ace lissa un plis du drap pour cacher son trouble.
-Ils est tard on devrait se lever, finit-il par dire.
Cela aurait été plus convaincant si ce n'était pas l'aurore. Mais le commandant acquiesça. Autant en profiter pour effectuer son tour du bateau matinal.
La douzième division s'entraînait sous la direction d'Haruta qui les avait réveillés à l'aube. Ils s'envoyaient plusieurs ballon lestés à coup de pieds, avec de superbes reprises en plein vol pour les empêcher de toucher le sol. Apparemment il s'agissait d'un jeu de coordination et de coopération. Leur commandant ajouta un nouveau ballon, bien qu'il y en ait déjà assez pour mettre à mal les pirates.
Les autres matinaux de l'équipage prenait bien soin de rester à l'écart, préférant trainer loin du centre du pont, à l'arrière vers la poupe. Un groupe assis sur la tête de la figure de proue regardait le spectacle, commentant entre eux les actions les plus impressionnantes ou criant des encouragements.
Marco tira légèrement la manche d'Ace pour lui indiquer de le suivre et de largement contourner les jongleurs. Il connaissait suffisamment les risque de se prendre une balle dans la face, bien qu'il ne l'ai jamais expérimenté de lui même, merci bien. Ils allèrent se poster près du garde-corps.
-Chaque commandant entraîne sa division comme il veut ? finit par demander doucement Ace, les yeux suivant une magnifique retournée acrobatique d'un pirate inconnu.
Marco acquiesça.
-À peu près, oui. Chacun a ses spécificités. La division d'Haruta a un style très indépendant, mobile et imprévisible. Ce sont des électrons libres, envoyés par exemple pour saboter les moyens de communication. D'autres divisions au contraire sont beaucoup plus structurées comme pour les formations défensives de Joz.
-Les autres divisions ont quelles spécialités ? s'intéressa Ace
Alors le phénix commença à lui détailler à voix basse les rôles de l'équipe d'infiltration et récolte d'information d'Izou, des épéistes de Vista et de sa propre division d'assaut. Le jeune homme écouta attentivement, faisant parfois quelques des fredonnements d'accord ou posant des questions supplémentaires. Pour un navire aussi grand que le Moby Dick, les divisions permettaient de recréer artificiellement des petits groupes spécialisés, plus intimes et soudés.
-Désolé, ça doit être ennuyeux à écouter, finit par conclure Marco.
Il semblait un peu embarrassé après s'être rendu compte qu'il parlait depuis des dizaines de minutes avec passion de sa famille. Ace le rassura immédiatement :
-Pas du tout, c'est moi qui ai posé toutes ces questions ! Et c'est intéressant de voir comment ça se passe pour un équipage aussi grand.
-Comment fonctionne ton équipage ? finit par demander à son tour Marco.
Les Spades, contrairement aux Barbes Blanches, n'étaient qu'une vingtaine. Tous se connaissaient assez pour s'harmoniser ensemble comme les instruments d'un orchestre pendant les combats. D'un coup d'œil ou d'un mot, ils comprenaient quoi faire, tantôt couvrir les arrières, avancer en soutient et tantôt battre en retraite. Chacun avait sa place, connaissant parfaitement leurs rôles. Ils n'étaient pas devenus l'un des meilleurs équipages de rookies pour rien.
Cela fonctionnait aussi bien parce qu'ils n'étaient pas nombreux et se battaient côte à côte depuis des dizaines de mois pour les plus anciens.
-Tu as vraiment des nakamas loyaux, tu sais ? sourit Marco dès qu'Ace eut expliqué l'ambiance de son propre navire. La première fois que tu as affronté Oyaji, on a tous été surpris quand ils ont refusé de t'abandonner pour se battre à tes côtés. Je comprends mieux pourquoi.
Le compliment inattendu fit rougir brutalement le capitaine. Par reflex, il porta une main à ses cheveux, regrettant une fois de plus de ne plus avoir son chapeau pour masquer une partie de sa gêne. Il balbutia :
-Ce... Ce n'est pas...
Marco prétexta ne pas avoir entendu la tentative de réfutation, continuant :
-Et même maintenant, ils font tout leur possible pour te faire sortir d'ici, en risquant de se mettre l'un des équipages les plus puissants du monde à dos.
Le capitaine ne put trouver aucun contre argument. Pas quand Marco le lui disait ainsi, doucement comme un secret, et le regard douloureux d'honnêteté.
-Ils sont stupides, parvint à dire Ace malgré une boule dans la gorge
Mais il ne put cacher l'affection dans sa voix. Il ne savait pas ce qu'il avait fait pour mériter une telle fidélité. Les Spades s'étaient pourtant fait quelques amis depuis leur arrivée sur le Moby. Ils pourraient si facilement s'intégrer même maintenant. Renoncer à leur ancien équipage pour rejoindre celui d'un empereur. Mais sans hésiter, ils rangeaient du côté de leur capitaine. Du côté d'Ace. Même s'ils devaient pour cela défier quelqu'un de bien trop fort pour eux, ils voulaient qu'il vive. Loyauté absolue. Comme Luffy, refusant de trahir l'emplacement du trésor de ses frères même après la torture de Porchemy.
Ace se tourna vers la mer, croisant ses bras sur le garde-corps. Ses fausses menottes cliquèrent sur le bois. Il baissa la tête vers les vagues qui se divisaient de chaque côté du navire en éclaboussures écumeuses. Sans un mot, Marco s'accouda à ses côtés.
Haruta finit par accorder une pause à sa division et rejoignit le duo pensif. L'attention du blond était concentrée sur le ciel parfois traversé de fins nuages cotonneux, un air nostalgique sur le visage.
-Tu veux aller voler, Marco ? Je peux "garder" Ace si c'est ce qui te retient, lui assura Haruta avec une tape sur l'épaule.
Quelque chose sembla s'animer dans les yeux du second de l'équipage. Après un bref regard vers Ace pour confirmer que cela ne le dérangeait pas, il ne lui en fallut pas plus pour accepter vivement. Son cadet recula au brusque tourbillonnement de flammes alors que le phénix prenait son envol avec empressement. Haruta se moqua.
-Il passerait sa vie dans le ciel s'il pouvait... Tu devrais le voir les jours où une tempête l'empêche de voler ; il passe son temps à soupirer dès qu'il regarde par la fenêtre !
L'oiseau de feu descendit en piqué et les frôla, ayant apparemment entendu la diffamation de son ami. Ace se retint de rire. Il avait du mal à imaginer le commandant souvent si sérieux s'attrister du mauvais temps.
-Je le comprend, ça doit être incroyable d'être aussi libre...
Ils le regardèrent faire quelque pointes de vitesse dans l'azur. Puis Haruta se tourna vers le prisonnier qu'il gardait.
-Ace, en tant que commandant de la division de communication et renseignements, je dois te demander.
Le jeune homme se figea au ton solennel, s'attendant à une question difficile.
-Ton équipage est silencieux depuis plus de deux heures déjà. Que sont-ils en train de manigancer ? gémi le commandant en perdant immédiatement son air sérieux.
Le coin des lèvres d'Ace se releva et il pencha la tête, un doigt sur le menton :
-Ça dépend, ils agissent bizarrement ?
-Plus tôt, ils traînaient à côté des canons et ils ont essayé plusieurs fois d'"emprunter" les armes à feu. Surtout la brune de ton équipage.
-Armes à feu seulement ? vérifia Ace.
Au hochement de tête d'Haruta, une pointe de malice traversa le visage du capitaine.
-Je dirais, probablement quelque chose qui implique des explosifs alors.
-Encore ?! pleurnicha Haruta. On les a pourtant déjà empêché d'entrer huit fois dans l'armurerie.
-Il faudrait peut-être vérifier la quantité de poudre noire des canons et des armes, avoua Ace.
Il se sentit un peu coupable de dévoiler un plan possible à leurs ennemis, mais faire exploser le bateau n'était pas une bonne idée. Il valait mieux éviter de créer encore plus de tensions entre les Barbes Blanches et les Spades. Une partie de lui s'inquiétait des représailles possible de l'équipage ennemi. Ses amis avaient encore une relative liberté car ils n'avaient pas encore représenté un réel danger pour le bateau. Mais cela pouvait changer s'ils tiraient trop sur la corde.
Et c'était hors de question, pensa-t-il en regardant Marco piquer vers l'océan et attraper un poisson au vol. C'était plus sage d'envoyer Haruta vérifier les armes avant que quelque chose de regrettable n'arrive. Le Diable Vert semblait penser la même chose, l'air réfléchi.
-J'ai encore une question de la plus haute importance.
Ace inclina sa tête en signe de curiosité.
-Es-tu célibatai.. ?
La fin de son mot fut coupée quand il dut esquiver un poisson qui tomba du ciel, le visant clairement. Une seconde plus tard, un Marco semi-humain était posé sur la balustrade, ses grandes ailes s'étendant à la place de ses bras.
-Haruta, dois-je te rappeler ce qu'il s'est passé la dernière fois que tu as voulu jouer l'entremetteur et pourquoi on te l'a interdit avec un vote unanime ?
Le commandant gonfla ses joues dans un air vexé, bras croisés.
-Je ne pouvais pas savoir que c'était son frère !
Marco secoua sa tête avec désespoir, ses ailes disparaissant dans un fascinant éclat bleuté.
-Ils ont le même nom de famille sur leur fiche de primes. Ils nous l'ont dit plusieurs fois. Et même, ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau parce qu'ils sont JUMEAUX.
-... N'importe qui aurait pu se tromper...
-Tu es le commandant de division de renseignements Haruta c'est ton boulot de ne pas te tromper. Quoi qu'il en soit pour les manigances amoureuses, je préfère encore laisser Izou s'en occuper.
Il grimaça en prononçant la dernière phrase comme s'il avait mordu dans un citron. Apparemment ce n'était pas non plus son option de prédilection.
-Tu ne disait pas ça la dernière fois, renifla le petit commandant.
Marco grinça fort des dents.
-À mon humble avis ni l'un ni l'autre ne devrait s'occuper des relations de qui que ce soit. Plus jamais. Sous aucun prétexte.
Avant qu'Haruta, indigné, ne puisse répliquer, un gars frisé de l'équipage s'approcha, avec l'air de préférer être n'importe où ailleurs. Immédiatement Marco lui lança un regard pointu, reconnaissant un homme de sa division.
-Commandant... Vous allez être en colère..
-Non je ne vais pas l'être, dit Marco avec un sourire soudainement bien trop poli pour être autre chose qu'une mise en garde subtile.
-Je crois que Marco est dans le déni, chuchota rapidement Haruta à l'oreille d'Ace.
Le membre d'équipage eut l'air soulagé, ne captant pas les signaux d'alarme.
-Et bien... Il semblerait que j'ai perdu les clés de l'armurerie, et cette nuit quelqu'un y a volé de la poudre...
Haruta échangea un regard de connivence avec Ace, tout deux devinant sans mal les coupables dont ils parlaient quelques instants plus tôt. C'était évident. Le sourire de Marco se fit un bord encore plus tranchant, au point où même le pirate inconscient commença à le remarquer et se tortilla, mal à l'aise.
-Donc tu as perdu les clés au minimum depuis hier sans m'en faire un rapport, Kushio ?
-Je... Je pensais que j'allais les retrouver...
D'accord, Marco pouvait en effet être un peu effrayant, surtout quand la sécurité de l'équipage était mise en danger. Il ne fallait pas oublier qu'il était le second du bateau pour une bonne raison. À vrai dire cet air dangereux lui allait plutôt bien. Haruta sauva la pauvre recrue en posant une main sur l'épaule de Marco.
-Je m'en occupe, c'est bon.
Haruta congédia le pirate terrifié d'un geste alors que Marco soupirait en se pinçant l'arrête du nez, imaginant probablement déjà la paperasse et les problèmes s'ils ne retrouvaient pas la poudre rapidement. Ace tergiversa un instant et finit par proposer :
-Je vais parler à Deuce, mon second. Si je leur dit ce qu'il se passe, ils arrêterons leurs manigances.
Les commandants échangèrent un regard, communiquant sans mots. Ils durent parvenir à une sorte d'accord car Haruta hocha la tête.
-Je l'enverrai dans la chambre de Marco dans quelques minutes. C'est bien le type masqué aux cheveux bleus, c'est ça ?
Ace acquiesça et Haruta détala, concentré sur sa nouvelle mission. Prisonnier et geôlier retournèrent dans l'intimité de la chambre. Dans un geste devenu habitué, le phénix libéra rapidement les poignets d'Ace de leurs fausses menottes. Ils allaient révéler la vérité au Spade, alors autant mettre Deuce en confiance dès le début.
Heureusement, ils n'eurent pas à attendre longtemps avant d'entendre toquer à la porte.
NDA : Merci d'avoir lu ! C'était un chapitre de transition un peu plus détendu que d'habitude, mais les commandants étaient amusants à écrire.
Et les retrouvailles avec Deuce seront dans le prochain chapitre ! Les choses vont commencer à s'accélérer maintenant que Teach est réveillé.
