Une autre chose que Marco apprit cette nuit là, c'est que plus le temps passait, plus Ace prenait ses aises dans le lit. Il était heureux de le voir suffisamment confiant pour se détendre même dans son sommeil, même si la place se faisait de plus en plus restreinte. Il se réveillait parfois avec un bras jeté en travers de son torse, un pied chaud frôlant les siens ou une tête appuyée contre ses omoplates.
Le côté renfermé d'Ace laissait peu à peu place à une certaine assurance. Cela s'étendait également à son rapprochement avec Izou et Haruta avec qui il entretenait désormais un début de camaraderie facile, bien qu'il se crispait encore autour de tout les autres commandants. Une sacrée amélioration par rapport à ses débuts sur le navire, où il semblait tout le temps prêt à sortir les crocs comme un animal acculé.
Cela n'avait plus rien à voir avec ce jeune homme boudeur qui se frottait les yeux de sommeil en suivant Marco jusqu'à l'infirmerie. Seul le rythme de leurs pas résonnait dans les couloirs vides encore déserts de toute présence. Ace, une trace d'oreiller sur la joue, n'était décidément pas matinal. Pourtant il faisait l'effort de se lever pour l'accompagner.
Ce qui ne l'empêchait pas de traîner des pieds et se plaindre à mi-voix de la cruauté de se lever aussi tôt tout les jours de la semaine.
L'infirmerie était silencieuse bien qu'ils entendaient des sons étouffés venant du bureau privé. Un nombre encourageant d'appareils médicaux avaient été retirés, laissant le corps de Thatch reprendre ses fonctions normales sans aide.
Il dormait toujours à première vue, mais dès qu'ils s'approchèrent du lit, il commença à remuer comme s'il sentait inconsciemment leur présence. Il s'était de nouveau réveillé la veille, bien que Marco était alors trop occupé pour aller le voir à ce moment là. Tous attendaient avec impatience qu'il se remette enfin totalement et livre sa version des faits.
Cependant, à la grande frustration de tous, Thatch souffrait d'une légère amnésie temporaire. Rien qui ne serait pas résolu avec quelques jours de plus et beaucoup de repos supplémentaires, mais ce retard imprévu était un grain de sable gênant dans leurs plans.
Cela reculait la libération d'Ace et laissait à Teach le temps de planifier une contre attaque. Marco ne pouvait pas l'imaginer patienter bien sagement alors que ses jours étaient comptés. Il commençait déjà à agiter les rancunes de l'équipage en amenant d'une main de maître l'opinion publique de son côté. Les rumeurs allaient de bon train sur le navire, les regards de plus en plus sombres aux repas en étaient un signe. De plus en plus réclamaient un jugement envers le traître.
Dommage qu'ils se trompent de cible.
Marco savait qu'Ace craignait un retournement des Barbes Blanches contre lui, mâchoire serrée et gardant son calme malgré la pression des regards. Les commandants se retrouvaient à contrecœur à faire profil bas pour ne pas attirer les soupçons de Teach et le pousser à agir s'il se sentait menacé. Ce n'était pas encore le moment d'agir, tous en étaient conscients.
Les cheveux du cuisinier s'étalaient comme une auréole autour de sa tête, bien loin de l'habituelle coiffure lisse et ordonnée. C'était presque intrusif de le voir ainsi, vêtu d'une blouse d'hôpital plutôt que d'un de ses immuables uniformes de cuisine.
Le phénix étudia un instant les paramètres du scope, notant une légère accélération du rythme cardiaque et de la respiration. Satisfait de ces premiers signes d'éveil, il tendit la main pour toucher celle de son ami. C'est alors que les yeux de ce dernier s'ouvrirent lentement, un peu brumeux. Les deux autres retinrent leur souffle quand il cilla plusieurs fois, confus :
-Marco ? C'est l'heure de faire le déjeuner ?
Sa voix était lourde, chaque mot comme traîné de force hors de ses cordes vocales. Une conséquence de n'avoir pas été utilisée pendant longtemps et de son réveil.
Le blond rit doucement et pressa sa main, repoussant la boule d'émotion de voir son ami de nouveau assez conscient pour lui parler. Il savait pourtant que son état s'améliorait de jour en jour, définitivement tiré d'affaire, mais une petite voix pessimiste lui chuchotait à l'oreille les pires scénarios. Le constater de ses propres yeux le rassurait à un point dépassant les mots.
-Pas cette fois ; tu dois d'abord te remettre de ta blessure avant de retourner aux fourneaux.
Thatch lui sourit, trouvant en lui la force de plaisanter :
-C'est comme des vacances. J'devrais rester un peu plus longtemps.
Marco ne résista pas à ébouriffer les cheveux de son frère, s'attirant un grognement protestataire ludique.
-T'y es resté bien trop longtemps déjà yoi. Ta division s'ennuie sans toi.
-Bourreau du travail, se plaignit-il.
Il essaya de se redresser mais le mouvement douloureux le fit grimacer. Et ses muscles devaient encore manquer de force. Marco s'approcha immédiatement pour l'aider, prudent dans ses gestes. Il réajusta les coussins dans son dos pour le soutenir. Le regard du blessé se posa sur un point en retrait de la pièce et son visage s'illumina.
-Oooh même Acey vient me rendre visite !
Inévitablement, ses yeux glissèrent sur les bras du jeune homme jusqu'à se poser sur des poignets liés par des menottes. Ses sourcils se froncèrent, et Ace remua sur ses pieds comme s'il ne voulait rien de plus que reculer. Il y eut une pause.
-Marco. Pourquoi... ? commença lentement Thatch comme s'il n'arrivait pas à saisir ce qu'il voyait.
Le phénix soupira doucement, n'ayant pas prévu d'explication. Il aurait dû. Bien sûr que Thatch s'en rendrait compte et voudrait savoir. Il décida de répondre par une autre question.
-De quoi te souviens-tu, la nuit où tu as été blessé ?
Le froncement perplexe s'approfondit mais le cuisinier répondit :
-C'était... Ce soir là où il y avait une fête n'est-ce pas ? On rentrait d'une excursion approvisionnement, je crois... J'y avais même trouvé un fruit du démon.
Marco hocha la tête, confirmant les faits. Jusque là, tout était exact. Encouragé, Thatch continua.
-J'étais resté éveillé, pour finir de ranger, comme toujours après les fêtes, tu sais ? 'plus tranquille comme ça. Je crois que j'ai voulu sortir à un moment. Et après...
Les deux autres se penchèrent inconsciemment en avant, suspendus à chacun de ses mots alors qu'il creusait plus profondément dans ses souvenirs, espérant un éclair d'illumination. Mais l'homme finit par fermer les yeux et secouer la tête, l'air déçu de lui même.
-Je ne me souviens plus. Je me suis réveillé ici et on m'a dit que j'avais été poignardé dans le torse.
Marco lui tapota l'épaule, en maigre réconfort.
-C'est bon Thatch yoi, ça finira par te revenir.
Mais l'amnésique se tourna vers lui, la frustration inscrite dans ses traits. Il fit un geste de la main vers le jeune homme qui se tassa légèrement sur lui même.
-Non c'est PAS bon. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé et j'ai l'impression que ça a quelque chose à voir avec Ace soudainement menotté ! Comme s'il était coupable !
Il avait dit cette dernière phrase avec une absolue incrédulité, comme s'il trouvait cette possibilité inenvisageable et que tout ceux qui y croyaient n'étaient que des imbéciles. Marco n'aurait pas dû sous-estimer la perspicacité de son ami. Depuis le début, il appréciait Ace. Même lorsque le jeune capitaine tentait de vaincre Oyaji chaque jour, repoussant agressivement toute tentative de se rapprocher, Thatch n'avait jamais laissé tombé. Jour après jour, il continuait d'essayer de le connaître, de passer cette façade fermée et épineuse. Peut-être même avait-il réussi. Son frère n'allait pas renoncer, même face aux accusations de la version officielle.
-Thatch... essaya doucement Marco.
-Peu importe ce qu'il s'est passé, je suis sûr qu'il y a une erreur, je sais qu'Ace n'aurait jamais attaqué ! s'exclama le cuisinier sans l'écouter.
Il dut faire une pause dans son plaidoyer, appuyant sa main sur son torse blessé avec une grimace. La force de son plaidoyer faisait pression sur ses poumons encore faibles. Mais sa clameur avait fini par attirer l'attention de l'infirmière Becky qui était de service. Elle s'approcha vivement, le visage mécontent et ses tresses rouges vif flottant dans son dos.
-Commandant Marco. Le commandant Thatch n'est pas assez rétabli pour donner sa version des faits ni être confronté à son agresseur.
Elle jeta un coup d'œil énervé vers Ace comme s'il était personnellement responsable des cris. Tous se tendirent imperceptiblement, sur la défensive. Le regard de Thatch papillonna entre eux trois puis se fixa finalement sur l'autre commandant.
-Marco, s'il te plaît...
Le cuisinier le suppliait doucement, ses mains se resserrant sur le drap blanc. Son expression ouverte et affligée lui demandait de lui faire confiance, de le croire.
-Je sais Thatch, d'accord ? Je sais.
Ce fut tout ce qu'il put dire avec l'infirmière juste à côté, essayant de faire passer le reste à travers un minuscule hochement de tête et son regard. Entre eux se forma une compréhension mutuelle à la limite de la télépathie, affinée par des années d'amitié à combattre côte à côte. Thatch sût instinctivement qu'il se passait quelque chose d'important dont il n'avait pas toutes les clés. Après une brève hésitation, il hocha la tête à son tour, lui offrant silencieusement sa confiance pour gérer la situation.
Le blond se détourna et lissa les plis froissés du drap, rompant le contact avant de dire :
-Remets toi vite et ne t'inquiètes pas trop. Je pense qu'Izou passera bientôt, il n'a presque pas quitté ton chevet.
L'accord silencieux et la mention du geisha suffirent à apaiser les dernières réticences du cuisinier. Après un dernier au revoir, Marco et son prisonnier sortirent sous les yeux scrutateurs de Becky.
Ace s'assit sur le bastingage, laissant pendre ses pieds dans le vide. Il sentit Marco se rapprocher subtilement dans son dos, assez proche pour le rattraper s'il glissait.
Une vague un peu plus grosse que les autres s'écrasa sur la coque dans un jet d'écume. Il en sentait presque le sel sur ses lèvres gercées.
Malgré l'approche de l'île estivale de Vorthale, le ciel était plutôt gris, le soleil cédant sa place aux nuages bien que peu menaçants. Le vent tiède se levait, ébouriffant les cheveux d'Ace en mèches désordonnées qui dansaient parfois devant son visage jusqu'à ce qu'il les rejette d'un geste de la main.
Le réveil de Thatch et qu'il le croie innocent sans hésitation le mettait de bonne humeur, au point de fredonner une vieille chanson de son enfance apprise de Magra, alors que son regard se perdait vers le large.
Ses talons battaient en rythme contre le bois alors qu'il chantonnait le refrain :
-"Bande de bandits, bâtons brandis
Effrayants ennemis, effarant les esprits
Revenus des enfers, sous la lune solitaire
Sortis souiller vos terres, hanter vos nuits d'hiver"
Plus ils s'approchaient de l'île, plus ils croisaient de navires marchands et même un ou deux bateaux pirates reconnaissables à leur pavillons noirs et blancs et leurs grands détours pour éviter les Barbe Blanche.
Il sourit en voyant les manœuvres d'esquive. L'équipage du Yonko était mondialement redouté, laissant sa réputation les précéder. Très peu osaient les défier. Pour s'y être confronté bien plus que de raison, Ace comprenait que Barbe blanche méritait son surnom d'homme le plus fort du monde. Peut-être, effectivement, que quelques mois supplémentaires d'entraînement ne feraient pas de mal. Au moins jusqu'à ce qu'il soit assez fort pour au moins vaincre tous les commandants. Dont Marco.
Le jeune capitaine soupira, toujours indécis. Sa situation sur le bateau s'était déjà beaucoup améliorée depuis que les commandants connaissaient la vérité. Mais il ne pouvait pas prévoir la réaction du reste de l'équipage lorsque tout sera révélé. Croiront-il à un complot très élaboré ? Car pour l'instant, ils avalaient sans hésiter les mensonges perfides de Teach.
Ace voulait ignorer les regards durs et les chuchotements accusateurs qui le suivait partout hors de la chambre sécurisée de Marco. Il le faisait, vraiment. Mais c'était de plus en plus difficile de voir la sale tête du traître, calomniant dans son dos sans répercussions. Honnêtement s'il était autorisé à le frapper, juste un peu, il se sentirait beaucoup mieux.
Il savait pertinemment que le phénix avait changé ses habitudes pour le protéger des commérages incessants. Il restait plus que d'habitude en intérieur pour lire ou travailler. Ils sortaient surtout les matins où les pirates profitaient du calme, peu enclins à créer un scandale ; et à l'heure des repas pour faire acte de présence comme attendu d'un commandant.
Cependant, tout le monde était un peu plus agité à l'approche de Vorthale, impatients d'apercevoir l'île.
Mis au courant de l'escale prochaine, les membres présents bourdonnaient d'excitation réprimée. De temps en temps, l'un d'eux se perchait sur la figure de proue, les yeux fixés sur la ligne d'horizon. Même si la mer avait leur cœur, ils n'en appréciaient pas moins de pouvoir enfin poser le pied sur la terre ferme.
Ace ferma les yeux, essayant d'estimer la force du vent que les poussait vers leur destination. Il se remémora rapidement la carte vue la veille :
-Je pense qu'on devrait atteindre Vorthale demain matin, dit-il distraitement.
Marco s'accouda à ses côtés, scrutant l'immensité de l'océan. D'ici ce soir, ils apercevront sûrement les premières mouettes voltiger dans les airs à la recherche de poissons.
-L'équipage va être ravi yoi. On y restera pendant quelques temps.
-Ça fait trop longtemps que j'ai pas touché terre, soupira Ace. Je suppose que je ne pourrai pas débarquer ?
Le blond se tourna à moitié vers lui, un petit sourire jouant sur ses lèvres.
-Et bien peut être pas le premier jour, mais j'aurai quelques affaires à régler sur l'île. Je suppose qu'il n'y a aucun problème à ce que mon prisonnier m'accompagne.
Le plus jeune s'illumina. Il avait vraiment hâte. Même devoir garder Marco à ses côtés durant l'escale n'était guère un problème. Au contraire, il avait appris à apprécier la présence relaxante de son gardien. Il n'essayait plus de le contrôler ou d'être condescendant comme le sont souvent les pirates de cinquante fois son expérience. Sinon Ace se serait fait un plaisir d'être le pire prisonnier possible. Il n'était pas comme ces stupides marines qui acceptaient les ordres sans réfléchir. Quiconque exigeait son obéissance allait avoir une sacré surprise ; et une mauvaise.
-Peut-être même que Thatch aura retrouvé la mémoire et je serai libre, espéra Ace avec optimisme.
Cependant, malgré son ton léger, tout deux savaient que la nouvelle de la trahison de Teach allait causer énormément de répercussions. Il était là depuis si longtemps, combattant et mangeant à leurs côtés il y a de ça des décennies. Bien sûr, ce sera un choc. Ils se turent, pensifs.
-Que feras-tu une fois innocenté ? finit par demander Marco.
Son cadet haussa les épaules, incertain. Quelques jours auparavant sa réponse aurait été claire : reprendre les Spades et partir du Moby sans un regard en arrière. Mais maintenant, alors que la possibilité se faisait de plus en plus concrète, il hésitait.
-Et bien je devrais... Peut-être que...
Il souffla, agacé de son indécision, de ne pas trouver les mots juste, avant d'avouer :
-Je ne sais pas vraiment.
Il s'employa à rester concentré sur la mer pour ne pas voir la réaction du commandant. Mais il pouvait sentir son regard perçant sur lui. Une fois de plus, il regretta l'absence de son chapeau pour atténuer un peu cette impression d'être aussi transparent que du verre. Dur et coupant, fragile et cristallin. Maintenant, Marco le voyait vraiment, après des semaines à poser son regard sur un pâle reflet déformé avant de le détourner, aveuglé par l'ardent soleil qui s'y réverbérait.
-Tu devrait peut-être en parler à Oyaji, proposa son aîné.
Le jeune capitaine entama un geste de refus mais se stoppa. Le battement nerveux de ses pieds contre la coque s'accéléra.
-Peut-être que je devrais, finit-il par s'avouer.
Il le savait, la pensée allait le tarauder jusqu'à ce qu'il cède à l'impulsion. Il avait besoin de savoir, de comprendre ce que l'autre capitaine espérait avec cette proposition.
-Et bien, il est souvent libre en fin d'après midi... Évite juste d'essayer de le tuer yoi, conseilla Marco avec une touche d'amusement.
Ace grogna ce qui pouvait aussi bien être un accord qu'un refus, et le sujet en resta là.
Ils croisèrent étonnamment souvent Teach ce jour-ci. C'était surprenant à quel point le traître semblait soudain être partout. Tantôt dehors parlant avec la deuxième division, tantôt seul au détour d'un couloir, ou entouré de ses acolytes, ou encore pendant les repas, dardant ses yeux sombres sur Ace. Ce dernier mentirait s'il prétendait en être parfaitement à l'aise. Il essaya cependant de le masquer.
Heureusement, les Spades en faisaient leur mission personnelle maintenant qu'il ne pouvaient plus saboter impunément le Moby Dick. Un avertissement silencieux dans leur posture, ils avaient pris l'habitude de se mettre entre leur capitaine et tout regard hostile. Quand un type aux cheveux violets particulièrement vindicatif se retrouva à se gratter frénétiquement, Ace ne put retenir un sourire.
Saber sifflota un peu trop fort, et Pinnacle rompit un instant son air innocent pour faire un clin d'œil. Même s'ils ne pouvaient pas s'approcher et interagir avec lui, ils le protégeaient toujours à leur manière.
Il se rendit cependant compte qu'une étonnante majorité de Barbes Blanches restait en dehors de cette vendetta contre Ace. Ils semblaient s'en remettre à leurs commandants pour gérer l'affaire et ne n'impliquaient pas dans les chuchotements vindicatifs. Il avait même vu quelques uns de cette faction neutre discuter avec les Spades. Leur capitaine se demanda distraitement si ces derniers avaient joué un rôle dans cette absence de haine. Ils s'étaient fait quelques amis depuis leur arrivée ici...
Cela n'était cependant pas très bien reçu par les adeptes de Teach qui fronçaient le sourcils vers leurs camarades. Il espérait que cette séparation de l'équipage tant redoutée par Marco n'allait pas se produire à cause de ça.
Avec toute cette effervescence, Ace ne pouvait se détendre complètement qu'une fois hors de vue, de retour dans la chambre du commandant. Il se laissait tomber sur le parquet au milieu de cartes et d'informations de plus en plus sensibles. Crayon en main, il en oubliait les problèmes qui n'étaient pas des calculs de trajectoire ou des analyses de graphiques.
L'après-midi était bien entamé quand l'énergie nerveuse d'Ace devint trop intense pour être ignorée. C'était comme de l'électricité statique parcourant ses jambes en un odieux picotement. Il se releva, faisant quelques exercices de musculation pour se dépenser. Mais il savait que ce n'était rien qui pouvait se régler avec des pompes et des abdos. Marco resta silencieux, le laissant faire. Finalement le capitaine se décida.
-D'accord, il faut que je parle à Barbe Blanche.
Il ne savait même pas ce qu'il voulait dire, mais il espérait que cette discussion éclaircirait ses idées. Heureusement, Marco accepta de l'y emmener immédiatement. À vrai dire, il aurait fini par trop y réfléchir et hésiter sinon.
Après un trajet en silence, le commandant s'arrêta sur le pas de la porte pour leur laisser de l'intimité. Le commandant proposa de l'accompagner, et même si Ace voulait accepter l'offre de soutien, il secoua la tête. Il y allait en tant que capitaine, il ne pouvait pas se cacher derrière le phénix.
Alors le jeune homme carra les épaules, releva la tête avec plus de confiance qu'il n'en ressentait et entra.
Barbe Blanche, toujours dans sa gigantesque chaise, semblait content mais peu surpris de sa visite. Le plus jeune résista vaillamment à l'envie de se renfrogner à l'idée d'être prévisible.
-Ace, c'est un plaisir de te voir, dit-il de sa voix grave.
-Je suis venu... Étudier ta proposition, commença rapidement Ace de peur de perdre sa fausse assurance.
-Celle de rejoindre mon équipage ? demanda le vieil homme une étincelle dans les yeux.
Ace fronça le nez à la formulation et croisa les bras.
-Oui... Non.. Pas vraiment. Je n'ai pas encore pris ma décision, surtout sans en avoir parlé aux Spades. Mais ça serait plus comme rejoindre temporairement. Quelques mois tout au plus.
Il retint son souffle, s'attendant presque à ce que sa proposition soit instantanément rejetée. Barbe Blanche sourit.
-Et bien mon garçon, comme je l'ai déjà dit, je te dois une dette. Voguer quelques temps de plus ensemble est assez raisonnable.
Une partie d'Ace se détendit. Mais ce n'était pas tout ce qu'il avait à dire. Le plus difficile était encore à venir.
-J'aurais quelques exigences de plus à ce propos. Mais avant ça, je dois parler d'autre chose d'important.
Sachant ce qu'il prévoyait de dire, il contrôla sa respiration, espérant un peu naïvement que cela calmerait l'emballement soudain de son cœur.
Le vieil homme se pencha en avant, attentif au ton soudain solennel. C'était le moment. Un instant, le logia ne put trouver ses mots, la peur née de l'habitude lui criant de ne pas révéler son plus sombre secret. Ça n'apporterait que des problèmes. Barbe Blanche n'avait pas besoin de le savoir, cela mettait Ace en danger.
Mais ensuite il se souvint de la partie de poker avec les commandants et de tout ce qu'il y avait appris. De la dette du Yonko pour avoir sauvé Thatch. De toute les informations de navigation de plus en plus sensibles que Macro lui confiait. Leurs trajectoires, leurs alliés, les cachettes et îles sûres, et certains de leurs secrets.
Cynique, il se rassura en se disant que dans le pire des cas, il avait suffisamment de matériel de chantage pouvait assurer ses arrières. S'il tombait, il s'arrangerait pour les entraîner avec lui.
Ce fut suffisant pour repousser les terrifiantes possibilités juste le temps de lâcher :
-Je suis le descendant de Gol.D Roger.
Immédiatement, la peur revint frapper bien plus fort comme une vengeance, regrettant déjà ses mots. Comme toutes ces fois dans les bars à provoquer les poivrots avec la simple possibilité d'une progéniture du roi des pirate. A espérer entendre dans leurs paroles une raison, un droit d'exister qui ne venait jamais. Mais c'était bien plus grave, désormais il ne se cachait plus derrière une hypothèse, un "et si" protecteur auquel les réponses le brisaient chaque fois un peu plus. Si son existence était révélée au monde...
Il s'était attendu à toutes sortes de réaction, mais l'homme pencha juste la tête, perplexe.
-Vraiment ?
-Je ne mens pas ! s'énerva Ace à fleur de peau en sentant sa parole remise en question. Je dois bien lui ressembler un peu, non ?
Il serra fermement ses poings pour que leur léger tremblement s'arrête. Le géant leva les mains en signe d'apaisement.
-Je suis juste surpris, je ne pensais pas qu'il aurait un fils. À vrai dire, tu ne lui ressemble pas tellement. Peut-être les mêmes cheveux.
Ace cligna des yeux, hébété à l'affirmation. Après des années à se comparer à son géniteur, c'était... Étrange d'en parler avec quelqu'un qui avait réellement connu Roger. Quelqu'un qui pouvait voir leurs différences.
Il bougea sur ses pieds, instable, et se sentit obligé de préciser :
-Ma mère s'appelait Portags D Rouge.
Cette fois Barbe Blanche se gratta le menton, observateur alors qu'il étudiait Ace. Ce dernier croisa de nouveau les bras et soutint son regard, le défiant de l'accuser de mentir.
Ce que le yonko y vit le fit rire.
-Gurararara, la petite Blackjack ? M'étonne beaucoup moins, avec les tâches de rousseur. Et le tempérament fougueux aussi, ajouta-t-il avec un clin d'œil.
-Et ce n'est pas un problème ? s'exclama Ace incrédule.
-Il n'y a pas de mal à ressembler à sa mère, dit Barbe Blanche un peu confus de son exclamation.
Ace roula des yeux, exaspéré qu'il manque le point pourtant évident. De devoir expliquer un fait si simple. Il tordit machinalement entre ses doigts la chaîne froide qui reliait ses mains.
-Pour Roger. J'avais entendu dire que vous deux étiez ennemis.
-Adversaires et rivaux, mais souvent plus amis qu'ennemis, le rassura le yonko. Roger n'était pas un mauvais gars, mes fils qui l'ont connu peuvent le confirmer. Certains ont pleuré à l'annonce de son décès. Et puis...
Il se pencha sur sa chaise avec un grincement. Son ton se fit sérieux alors que son regard capturait celui d'Ace.
-Un enfant n'est jamais responsable des actes de ses parents. Chacun est libre de suivre sa propre voie, et je ne refuserai pas quelqu'un dans ma famille à cause de ses origines.
C'était une acceptation totale d'Ace en tant que personne, pour ce qu'il était. Quelque chose se brisa en lui en entendant ces paroles tellement espérées et pourtant terrifiantes. Il serra et desserra plusieurs fois ses poings dans une tentative de réguler ses vives émotions. Ses épaules tremblaient légèrement.
Mais rien ne put atténuer le picotement dans ses yeux et sa poitrine. Barbe Blanche lui laissa un moment pour se ressaisir, l'air peiné de ne pouvoir rien faire de plus.
-J'y penserai, réussit à articuler Ace après s'être raclé la gorge.
Le vieil homme sourit et se redressa, tapant joyeusement dans ses mains et dissipant l'embarras plus jeune.
-Bien ! Ce détail réglé, il me semble que tu avais d'autres exigences pour ton futur séjour parmi nous ? demanda-t-il d'un ton entendu.
Ace fut soulagé du changement de sujet. Un peu plus sûr de lui, il trouva l'énergie de sourire, légèrement narquois.
-Je n'ai pas encore accepté. D'abord, les femmes de mon équipage sont des combattantes. Pas des infirmières ni des secrétaires ni quoi que ce soit d'autre. J'espère qu'elles seront traitées en tant que tel.
Barbe Blanche hocha studieusement la tête, l'air amusé. Tout se passait étonnamment bien pour l'instant. Prenant le signe encourageant, Ace leva un autre doigt avant de continuer :
-J'apprécierais que les Spades ne soient pas séparés sur d'autres bateaux de la flotte à des lieues de là. Et que leurs familles puissent être protégées si besoin tant qu'ils vivent ici, ajouta-t-il après réflexion.
-Ça va de soi, acquiesça le yonko.
-Je veux pouvoir quitter l'équipage dès que je le décide et repartir avec mon équipage, s'ils souhaitent me suivre. Et de même pour eux, qu'il puissent être libres de s'en aller n'importe quand ou de rester.
Il leva de nouveaux doigts au fur et à mesure de ses demandes. Il ne voulait pas bloquer ses amis avec lui dans cet accord. Mais Barbe Blanche fronça les sourcils avec une première objection. Ace se raidit, s'attendant à un refus pur et dur. Il était prêt à devoir batailler pour cela. Personne ne sera de nouveau retenu contre son gré. Mais encore une fois, il fut surpris par les paroles du Yonko :
-Je demande à être prévenu au minimum trois jours avant, et ne pas partir au milieu d'une mission. Pour des soucis d'organisation, j'espère que tu comprendras.
Le jeune homme y réfléchit quelques secondes avant de hocher la tête. Il ne prévoyait pas de faire faux bond au milieu d'une bataille mais il comprenait le besoin d'assurance. Il pouvait certainement imaginer Marco être agacé de ne pas avoir été prévenu assez tôt du départ.
-Ça semble raisonnable.
-Autre chose ? demanda Barbe Blanche.
Ace essaya de penser à des demandes supplémentaires mais rien ne lui vint à l'esprit. Alors il secoua la tête, laissant tomber ses doigts. L'autre homme rit de nouveau.
-Tu es un jeune homme bien désintéressé.
Le logia lui jeta un regard perplexe car il avait en fait demandé beaucoup plus de choses qu'il n'oserait en temps normal. La moustache du capitaine frémit d'amusement alors qu'il expliquait :
-Et bien, tes demandes concernent surtout ton équipage. Tu n'as pas une seule seconde pensé à les utiliser pour obtenir des privilèges personnels.
Son cadet s'agita, gêné au compliment. Comme une seconde peau, sa façade renfrognée se remis en place d'elle même, couvrant l'ouverture qu'il avait laissé.
-Tch. Des privilèges ne vaudraient rien s'ils ne sont pas mérités, affirma-t-il en relevant le menton. Bien que si, par hasard, je pouvais travailler avec le département de navigation, je ne dirais pas non.
Il le dit seulement à moitié sérieux mais Barbe Blanche hocha la tête, les yeux pétillants.
-J'ai cru entendre que tu étais plutôt bon à ça, Marco m'en voudrait si je gâchais ton talent.
Le Spade ricana. Il avait suffisamment entendu le commandant se plaindre de son manque de météorologues et cartographes. Sûrement soutiendrait-il totalement sa candidature s'il avait ainsi moins de paperasse. Le yonko sourit, ayant probablement les mêmes pensées. Ace s'était inconsciemment détendu au fil de la discussion, la tension de la pièce s'apaisant alors qu'ils négociaient. Cela avait duré plus longtemps que prévu. S'en rendant compte, il recula d'un demi pas, jetant un coup d'œil vers la porte qui ne fut pas manqué.
-Bien, je vais te laisser en discuter avec tes Spades. Quand vous aurez pris votre décision, j'espère tes conseils pour les répartir dans les divisions selon leurs compétences, conclut le vieil homme.
Le prisonnier hocha la tête, reconnaissant la fin de l'entretien. Et juste avant de partir, se tourna une dernière fois vers le géant avant de s'incliner légèrement avec la politesse formelle apprise de Makino.
-Merci de m'avoir accordé de ton temps.
-Quand tu veux, fils ! répondit joyeusement son aîné.
Et pour une fois, les traits d'Ace s'adoucirent à l'appellation. Peut-être qu'il pourrait s'y s'habituer. Une fois qu'il aura pris sa décision, et seulement pendant quelques temps, du moins.
Marco ne lui posa aucune question à sa sortie, et il en fut soulagé. La discussion avec le géant s'était bien mieux déroulée qu'espéré, mais cela le laissait vidé.
Il accueillit comme une bénédiction de pouvoir s'écrouler sur le lit chaud et confortable du phénix, empruntant sans réfléchir un livre à la couverture vaguement intéressante dans son étagère. Il voulait quelque chose pour s'occuper l'esprit. Et bien "À corps et cœur perdus" ferait probablement très bien l'affaire.
Son colocataire renifla en lisant le titre, mais ne dit rien.
Ace comprit après quelques chapitres qu'il s'agissait d'un court roman d'amour centré sur un médecin, avec pour particularité de contenir des descriptions de blessures et de traitement très (trop) détaillés. C'était un mélange un peu déroutant.
Pas du tout le genre de lecture qu'il imaginait que Marco apprécierait. Il lui jeta un regard par dessus les pages après un passage particulièrement sentimental. Le blond le remarqua et ressentit le besoin de se justifier d'un ton guindé.
-L'auteur est un médecin renommé yoi, il y a disséminé beaucoup de ses connaissances...
Avant de pouvoir s'en empêcher, Ace pouffa de rire.
Il le regretta quelques dizaines de pages plus tard, lorsqu'il se retrouva plongé dans les méandres de l'intrigue amoureuse. Marco essaya de réprimer son sourire en le voyant aussi investi, mais ce ne fut pas très efficace. Il reçu un regard furibond pour sa moquerie.
Ace termina néanmoins de parcourir les dernières pages avant de refermer l'ouvrage. Il se jura de vérifier le résumé de chaque histoire présente sur l'étagère de Marco. Ses lectures en disait beaucoup sur ses goûts, et ça l'intriguait. Il pourrait même y trouver du matériel de chantage sur un des pirates les plus célèbre et craint du nouveau monde.
Le dîner ne fut pas bien différent des autres jours. Il se retrouva encore encadré par Izou et Haruta sans pouvoir leurs parler en public. Mais maintenant tout les autres commandants discutaient beaucoup plus librement autour de lui. C'était assez déroutant maintenant qu'ils perdaient leurs attitudes méfiantes. Quand Ace les écoutait, ils ajoutaient volontiers quelques éléments de contexte à leurs anecdotes dans un geste étonnamment attentionné.
Et de l'autre côté de la table, le jeune homme était plus conscient que jamais du regard de Barbe Blanche. Leur dernière discussion lui revenait à l'esprit et il se demandait s'il avait avait fait le bon choix. Est-ce que les commandant en avaient été informés ? Qu'en penseraient-ils, qu'en penserait Marco ? Pour l'instant, il n'avait pas posé de questions sur leur entrevue. Et sans l'avis des Spades, rien n'était définitif.
Perdu dans ses pensés, il en oubliait presque la sombre menace de Teach, assis deux tables plus loin...
NDA: Il reste deux chapitres avant la fin de cette histoire ! Thatch est réveillé mais ça ne pouvait évidemment pas être aussi facile... Ace négocie avec Barbe Blanche et ne rejoindra pas exactement comme dans le canon ! Je change un peu mais ça m'avait l'air plus cohérent compte tenu de la situation et de sa personnalité
