Petit mot de l'auteure : texte écrit pour la nuit du FoF sur le thème "Pot" (même si il arrive dans longtemps et vite fait, c'est bien lui qui m'a donné toute l'idée de ce long truc)


Anna Bates étaient une horrible mère.

S'il l'avait entendu dire cela, son époux aurait levé les yeux au ciel avant de vivement protester. Il lui aurait rappelé tous les efforts qu'elle faisait pour Johnny, la façon dont elle arrivait à mener de front son emploi à Downton Abbey tout en donnant tant d'attention à leur fils. Anna n'aurait pas cherché à le contredire. Même s'il était orgueilleux de se vanter, elle devait bien admettre être plutôt fière de la façon dont elle veillait sur Johnny.

Non, si elle se considérait comme une horrible mère, c'était pour une toute autre raison que sa relation avec son fils.

C'était parce qu'elle se sentait délaissée.

Pendant toute sa grossesse, tout le monde avait été aux petits soins avec elle. Les Crawley avaient veillés à ne pas la surcharger de travail, Madame Patmore lui gardait la meilleure partie du repas, les autres domestiques n'hésitaient pas à l'aider. Madame Hughes et Monsieur Carson se montraient plus prévenants que d'ordinaire. De manière générale, malgré la fatigue intense que représentait l'exploit de faire grandir un enfant dans son ventre, elle avait pu se reposer comme jamais. Mais depuis que Johnny était né, c'était une toute autre histoires. Certes, toute la maisonnée s'enquerrait de l'état du bébé, mais plus jamais du sien. Et ça... c'était horrible, non ? Son fils avait frôlé la mort. Sans l'intervention de lady Mary, elle n'aurait jamais connu le plaisir de lui sourire, de le tenir dans ses bras, de le cajoler. Alors comment pouvait-elle décemment se plaindre de la fatigue qu'il représentait ? Comment pouvait-elle regretter l'attention qu'elle avait perdu quand toute la sienne devrait lui être consacrée ? Elle savait ces pensées coupables et pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de les laisser tourner dans son esprit.

Tout était en effet si difficile depuis la naissance de Johnny. Monsieur Carson et Madame Hughes avaient beau la pousser à rentrer plus tôt chez elle, elle n'en était pas moins épuisée puisque sa journée ne s'arrêtait pas. Elle n'enlevait son uniforme de domestique que pour mieux enfiler celui de mère dévouée. De plus, si John continuait de se montrer toujours aussi merveilleusement attentionné, tout l'intérêt qu'elle avait suscité se retrouvait maintenant reporté sur son bébé.

Alors oui, Anna Bates était une horrible mère. Parce que ce soir là, deux mois après la naissance de Johnny, elle réalisait qu'elle était jalouse de lui. Et ça... c'était affreux, non ? Une mère n'était-elle pas sensée s'oublier ? Ce fut avec ses pensées en tête qu'elle rangea son tablier. En s'aperçut après quelques secondes qu'elle le repliait plus lentement que d'habitude. Ce fait la figea d'effroi. Avait-elle à ce point si peu envie de retrouver son fils ? Mais quel genre de monstre était-elle ?

Sans qu'elle puisse se contrôler, elle laissa échapper une larme, puis une autre.

Pleurer lui fit du bien – une minute tout du moins. Car très rapidement, elle entendit un bruit. Elle n'eut le temps que d'essuyer ses yeux qu'elle discerna la figure de Thomas. Son désespoir fut alors à son comble. Pourquoi de toutes les personnes de cette maison, elle devait être surprise par Barrow ? Il allait à coup sûr se servir de sa faiblesse...

Pourtant, aucun rire, aucune raillerie, aucune moue méprisante ne s'installa sur son visage. À la place, il vint s'asseoir près d'elle, l'air... gêné, sans chercher à relever les pleurs. C'était bien la première fois qu'elle le voyait ainsi.

- Je vous cherchais, dit-il un peu brusquement. Madame Hughes m'a dit que étiez là.

- Qu'est-ce que vous me voulez ?

Anna n'avait pas prévu d'être aussi sèche. Mais la crise de larme n'avait fait qu'augmenter sa fatigue et Thomas ne l'avait guère habitué aux conversations sympathiques.

- Je voulais vous donner ça.

Se disant, il avait posé un sac en papier devant elle. Interdite, Anna le prit. Quand elle l'ouvrit, elle tomba sur un pot de confiture à la fraise.

- J'avais des courses à faire cet après-midi. J'ai vu le pot, j'ai pensé à vous. Durant toute la grossesse, vous aviez des fringales de fraises. Je me suis dit que vous ne seriez pas contre un peu de confiture. Après tout, ce n'est pas parce que vous avez expulsé le morpion que toutes les envies ont disparues avec.

Dans le passé, Anna aurait pu croire que le pot était agrémenté de poison. Thomas l'avait en effet habituée aux traquenards, tout désireux qu'il était de la faire renvoyer. Mais depuis leurs débuts à Donwton, leur relation avait évolué. Elle ne pouvait dire qu'ils étaient amis, la plupart du temps il se montrait tout juste cordial avec elle, mais... elle pouvait dire qu'elle lui faisait confiance. C'est pourquoi elle le cru quand il lui tendit le présent.

Et ce fut aussi pourquoi elle refondit en larmes.

Si elle n'était pas aussi inquiète et triste, elle aurait pu rire de la tête que fit Thomas en la voyant pleurer devant lui. Toutefois, elle se contenta de balbutier les maux qui l'étouffaient depuis deux mois maintenant.

À la fin de son récit, Thomas ne la prit pas dans ses bras. Il ne posa même pas la main sur son épaule en signe de réconfort. Néanmoins, il lui remonta quand même le moral de la plus belle des manières.

- Vous n'êtes pas une horrible mère, Anna, murmura-t-il. Être fatiguée est une chose normale. Vouloir du temps pour vous est une chose normale. Vous sentir délaissée est une chose normale. Vous... vous êtes peut-être devenue mère, mais vous restez vous. Une personne qui a ses propres besoins. Alors si je peux faire quelque chose...

Encore une fois, Anna n'aurait jamais cru que Thomas Barrow puisse un jour prononcer de tels mots. Tout comme elle n'aurait jamais cru se tourner un jour vers lui, une reconnaissance infinie dans les yeux.

- Est-ce que... est-ce que vous pourriez peut-être... garder Johnny ?

Elle ne put que comprendre la surprise que ressentit Thomas. Elle, lui confier son enfant ? C'était fou. Et pourtant, en prononçant ses mots, elle n'avait eu aucun doute. Depuis le temps, elle connaissait suffisamment Thomas pour savoir combien il adorait les enfants. Elle savait aussi que jamais oh grand jamais il n'en blesserait un, quand bien même il en haïrait les parents. Toutefois, elle savait que sa demande était osée. Ce fut pour cela qu'elle s'empressa de préciser :

- Oh, pas souvent, seulement une soirée par mois, je...

- J'en serai ravi, la coupa alors Thomas. Si Bates est d'accord, bien évidemment.

L'émotion qui l'étreignit fut trop forte pour qu'elle arrive à le remercier. Sachant son aversion pour le contact humain, elle se contenta de lui sourire, avec toute la gratitude qu'elle avait à offrir. Et quand il lui sourit en retour, elle songea que malgré tout ce qui s'était passé entre eux, elle avait peut-être trouvé un ami en la présence de Thomas Barrow.