Étrangers

Le garçon fut accueilli par des cris puis un tumulte de chevrotements précipités ponctués d'acclamations. Par des voix étranglées, des timbres déformés par l'émotion. Les échos fusaient, puissants et contradictoires. Du soulagement par-ci, et même une véritable joie par-là. Un bonheur inespéré. Une saveur de miracle. Cependant l'incompréhension l'emportait largement, avec elle l'horreur et une colère grandissante, sur fond d'un intolérable sentiment d'injustice. Sans le toucher ni en avoir conscience, ces gens le rouaient de coups. Mais ce qui l'accablait par-dessus tout, c'était cet incommensurable chagrin. Il ne se souvenait d'aucun d'eux et tous en souffraient, trois particulièrement. Son inconnu, un rouquin furieux et une pauvre femme livide.

Le fugitif ne les écouta pas se disputer, tenter de s'expliquer la situation. Comprendre ce qui se passait, découvrir ce que ces gens savaient de lui, de son agresseur, ne pouvait que lui être bénéfique. Il n'en eut toutefois sur le moment pas la force. Vaincu par l'assaut de leurs échos, il se détourna d'eux et tituba sur quelques pas avant d'appuyer une main contre le mur. La pauvre femme réagit alors, séparant rudement son inconnu d'un jeune homme qui lui ressemblait et le poussant ensuite vers le garçon.

-Ouvre-lui une chambre ! Ordonna-t-elle. Lavez-vous, changez-vous ! Nous parlerons après !

Il y en eut pour protester, mais elle les tint en respect par un regard si noir qu'ils furent un instant réduits au silence et accusèrent un mouvement de recul. Son inconnu hésita une seconde mais dut trouver plus simple d'obéir. Enfin débarrassé de ses vêtements et lavé du sang qui le couvrait, le fugitif se tint longuement sous un jet d'eau dont la température aurait ébouillanté n'importe qui d'autre. Prendre ses distances d'avec le chaos d'échos n'avait pas suffi à dissiper sa nausée. Tête basse, yeux clos, les bras refermés autour du torse, il avait toutes les peines à se remettre de ces émotions qui ne lui appartenaient pas. La petite salle de bain était saturée de vapeur lorsqu'on vint toquer à la porte. Le garçon identifia aussitôt les échos de son inconnu.

-J'apporte des vêtements propres..., en fit la voix étouffée. Ils seront trop grands mais... Je les pose sur le lit et-...

-Attends, l'interrompit le fugitif en se redressant. Je sors.