Menace

Simbaï était ligotée sur la chaise où ils l'avaient assise, pieds et poings liés en sus. Elle aurait pu facilement se libérer, gelant et brisant les cordes. L'orage seul la retenait réellement captive. Il fallait être une Source afin d'opposer aux éléments déchaînés un fluide suffisamment puissant pour s'en faire respecter. Ses geôliers venaient de constater la disparition d'Ahito et Micro-Ice. Un silence de mort régnait dessous les hurlements du vent. Selon eux, le goal avait perdu l'esprit et s'était enfui avec le corps de l'ancien milieu. Il s'en était allé mourir de froid, bientôt enterré par les neiges. Si cette hypothèse devait se vérifier, la mission de la guérisseuse serait accomplie malgré le drame collatéral. Elle les avait toutefois entendus évoquer l'état de la chambre et Simbaï savait que ce n'était pas là l'œuvre de l'orage. Les capacités de régénération de Micro-Ice avaient dû reprendre le dessus, il avait légèrement perdu le contrôle de son Souffle et ne s'était pas attardé. Ahito l'avait simplement suivi.

Une part de la guérisseuse ne pouvait s'empêcher d'être soulagée. Après un échec aussi cuisant, on confierait la suite des opérations à quelqu'un d'autre. Elle avait agi devant témoins, sans résultat par-dessus le marché. Nul parmi ses collègues n'aurait laissé passer cette occasion en or, mais il lui faudrait tout de même rendre des comptes au Cercle. Simbaï serait livrée aux autorités, ses collègues ne se mêlant de l'affaire que pour blâmer officiellement un acte inadmissible et la chasser du conseil. Tout ceci à condition que l'accusation soit prise au sérieux car, en vérité, pourquoi la police croirait-elle un mot de cette histoire sans cadavre à autopsier, alors que l'ancien milieu ne présenterait même pas la moindre cicatrice ? Des flots de sang coagulé, voilà tout ce qui prouverait qu'il s'était passé quelque chose, mais quoi ? Les enquêteurs seraient incapables de reconstituer les événements, de certifier quoi que ce soit. Il y aurait les empreintes de la guérisseuse sur le manche du poignard, et le sang de Micro-Ice sur la lame. Ce serait sa parole contre celle de six personnes, dont la victime. A supposer que la Source se blesse volontairement afin de faire étalage de ses talents de régénération, les autorités s'apercevraient très vite que l'ancien milieu n'était plus lui-même, n'ayant plus que faire de la Loi et usant de ses fluides à sa guise. La police s'inquiéterait, se tournerait vers le Cercle qui acquiescerait. Oui, Micro-Ice était dangereux. Et le dérapage de l'accusée commencerait à revêtir le manteau de la légitimité. Peut-être Simbaï passerait-elle quelques semaines ou mois en prison, mais on finirait par excuser son geste.

A moins que les Akilliens, plutôt que de prendre peur, ne montrent quelque sympathie à l'égard de la Source, que l'opinion publique ne vienne peser dans la balance. Cet homme, ce vieillard qui la surveillait avec l'envie aussi claire que féroce de lui briser les os, était un exemple frappant de l'attraction que pouvaient produire les facultés hallucinantes de l'ancien milieu. Sa sentence s'était bornée à quelques mots.

-Vous avez égorgé un gosse qui n'faisait que faire pousser des fleurs. Si la Justice n'prend pas votre tête, je m'en chargerai.