Lorsque Stiles et Derek sortirent de la chambre en fin de matinée, l'humain avait enfilé un foulard. S'il s'était senti à l'aise d'exposer le tatouage ornant son cou dans l'intimité du lit, il n'en était pas de même une fois sorti de son cocon de douceur. Stiles faisait confiance à Magnus, mais… Il n'était pas à l'aise, pas encore. Puis avec Derek, il ne savait pas ce qu'il lui prenait. A ses côtés, tout lui paraissait simple. Qu'est-ce qui l'avait convaincu ? Il ne saurait le dire. La douceur de ses gestes, peut-être. Sa détente avec lui n'était pas immuable, cependant… Il s'en contentait volontiers. Ça lui faisait des nœuds au cerveau en moins.
Et il savait, à la manière dont Derek lui tenait la main, qu'il ne comptait pas le lâcher. Pas tout de suite en tout cas. C'était difficile de s'en convaincre, certes. Cependant, Stiles n'était pas stupide et restait plus ou moins lucide : l'ancien alpha n'était pas du genre à faire semblant. S'il prenait une décision, s'il choisissait d'agir d'une certaine manière, c'était toujours en son âme et conscience. L'honnêteté était l'un des piliers de sa personnalité. En cela, l'hyperactif pouvait se fier à lui. Dans le cas où Derek aurait voulu le laisser en découvrant à quel point il était détruit, il l'aurait fait sans attendre. Il n'aurait pas été trop brusque – il n'était pas un monstre –, mais il n'aurait pas hésité, fait espérer Stiles d'une quelconque manière. Alors s'il était là, encore là, c'est qu'il devait bien vouloir de lui, au final. Ou du moins, qu'il ne comptait pas l'abandonner comme ça.
A cette pensée, Stiles ne sourit pas, mais son cœur se réchauffa.
Et Derek, toute son attention focalisée sur lui, nota silencieusement la bonification de ses émotions. La moindre amélioration lui faisait du bien. Il savait que rien n'était gagné et que tout pouvait s'effondrer d'une minute à l'autre, mais chaque progrès potentiel de Stiles, quel que soit son niveau, gorgeait son cœur d'espoir.
Sans se lâcher la main, les deux jeunes hommes se dirigèrent vers la cuisine. Stiles avait faim – il avait entendu son ventre gargouiller. Pour sa part, Derek ne pouvait pas en dire de même. Se savoir chez un presque étranger le tendait et éteignait toute sensation de faim. Il allait manger, comme il le faisait depuis qu'il était ici, mais sans envie. Hors de chez lui, il ne se sentait jamais complètement tranquille, complètement à l'aise. Il était clair qu'il ne ferait pas l'effort de rester pour n'importe qui. Il pensa au manoir, s'imagina prendre soin de l'hyperactif entre les quatre murs de la maison familiale déjà bien rénovée. Ça non plus, il ne le ferait pour n'importe qui. Même pas pour certains membres de la meute. Stiles était spécial et pour son cœur, ce simple fait suffisait à justifier bon nombre des exceptions qu'il pourrait faire dans sa vie. Pour l'instant, en tout cas. Il fallait juste qu'il parte avant de craquer ce qui, heureusement, prendrait un peu de temps. Derek pouvait tenir un moment dans un endroit où il n'était pas à l'aise, il fallait juste que la durée de ce séjour ne soit pas démesurée.
Dans la cuisine, ils trouvèrent un Magnus radieux, comme à son habitude, en train de faire léviter quelques aliments. Si Stiles ne sourit pas, Derek vit aisément ses yeux se remplir d'étincelles. Ses épaules se décrispèrent légèrement. Chaque fois qu'il le voyait se détendre renforçait l'idée chez Derek que ça allait marcher. Que Stiles guérirait. Il resserra légèrement ses doigts sur les siens. Pour son plus grand bonheur, l'hyperactif ne chercha pas à les retirer. Mieux : il fit de même. Derek aurait pourtant cru qu'il aurait besoin de se retenir ou qu'il se montrerait réservé quant à leur relation devant Magnus, mais fort heureusement, ce ne fut pas le cas. Au moins, ces enfoirés – qu'il retrouverait un jour – ne l'avaient pas complètement brisé.
Et encore, il n'imaginait pas la manière dont Stiles l'était, ni même dans quel état Magnus et son compagnon l'avaient trouvé. Comment il avait tremblé. Comment il avait craint le contact. Comment le traumatisme avait au départ transformé ses mots en souffles, en murmures à peine audibles.
Disons que l'hyperactif allait mieux, mais qu'il lui restait un long chemin à parcourir.
- Tu… Tu as bonne mine, fit Stiles d'un ton qui se voulait assuré, mais qui laissait toujours entrevoir une certaine fêlure.
Une fêlure à laquelle Derek n'arrivait toujours pas à s'habituer.
- Qui n'a pas bonne mine lorsqu'il va voir l'être aimé ? Rétorqua le sorcier, souriant.
Stiles ne réagit pas tout de suite. A vrai dire, il se passa quelques secondes durant lesquelles un air perdu s'inscrivit sur son visage avant qu'il ne se tende soudainement. Parce qu'il avait fait le lien avec ses souvenirs.
Il devint blanc comme un linge.
- Stiles ? l'appela aussitôt Derek tout en posant doucement sa main libre sur son épaule.
L'hyperactif, au lieu de répondre, ferma les yeux, se concentra. Les rouvrit. Il luttait contre l'angoisse qui l'assaillait, celle qui l'avait déjà mis à terre lorsqu'il avait vu Alec pour la première fois. De son côté, Magnus ne se départit pas de son sourire, qui s'était pourtant affadi et s'approcha, jusqu'à poser sa main sur son autre épaule.
- Il ne va pas venir ici, joli cœur. C'est moi qui vais aller le voir, tu m'entends ?
Cette fois seulement, Stiles se détendit.
Légèrement.
Il fit un pas pour se rapprocher un peu plus de Derek, qui n'avait toujours pas lâché sa main et se retenait comme un dingue de les questionner tous les deux, Magnus et lui. Parce qu'il ne savait pas de qui ils parlaient et que si cette personne tendait Stiles… Cela voulait dire qu'elle avait quelque chose à voir avec son état actuel.
Si tel était le cas, qu'importe qu'il s'agisse de l'amour de Magnus, qu'il connaissait à peine.
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- Du peu que je sais, il s'appelle Alec.
Derek se demanda s'il s'habituerait un jour à une telle fragilité dans sa voix, car chacun des mots que prononçait Stiles était… D'une fébrilité folle. Et encore, il y avait du progrès, car ladite voix prenait un peu plus d'espace sonore qu'au départ. Peut-être parce que Magnus était parti ou que Stiles se sentait tout simplement graduellement plus à l'aise au fur et à mesure que le temps passait. Une constante dans son comportement que Derek trouvait rassurante ? Il ne rechignait pas devant les contacts. Au contraire, il les réclamait. Là encore, Stiles était contre Derek, son bras puissant passé autour de lui. Et ça lui allait. Cette confiance qu'il lui témoignait était fascinante et détonnait au milieu de toutes ses difficultés à ne pas trembler lorsqu'il devait faire autre chose ou simplement se séparer de lui.
- Il t'a fait du mal ?
Derek devait avouer que cette situation, loin d'être confortable, l'obligeait à apprendre à garder son sang-froid – en tout cas, à un niveau plus élevé que jamais. Il était bon de se contrôler, même si la chose était difficile. En temps normal, il aurait grogné, se serait montré des plus agressifs en posant cette question et Stiles, s'il allait bien, aurait compris que cette agressivité n'était pas dirigée contre lui. Mais dans son état, Derek ne pouvait pas faire comme d'habitude, si s'exprimer comme il l'aurait aimé, sans filtre. Si Stiles faisait montre de lents progrès, ceux-ci étaient d'une fragilité indéniable. L'hyperactif sortait péniblement du gouffre dans lequel on l'avait précipité, et se trouvait maintenant à devoir gravir périlleusement une pente des plus glissantes.
Stiles secoua doucement la tête.
- Non, mais des gens comme lui, oui. Enfin je veux dire… Attends.
L'hyperactif se redressa, se décolla à contrecœur de ce loup dont il adorait la chaleur rassurante – loup qui devait combattre son envie de déguerpir de cet appartement pour retrouver le sien, pour lui. Juste pour lui.
Stiles retira lentement son foulard, encore. Il avait peur, toujours peur, mais il la contrôlait plus ou moins… Pour l'instant. Avec Derek, il voulait juste… Essayer. Pas forcément pour tenter de le garder près de lui, mais au moins pour pouvoir se dire qu'il pouvait y arriver. Honnêtement, il commençait sérieusement à faire confiance à Magnus car leur vécu était similaire, cependant… Magnus n'était pas Derek, et il le connaissait depuis bien moins longtemps que lui. D'un autre côté, il avait tout de même l'idée en tête que Derek ne pouvait pas être avec quelqu'un de faible. C'était un raisonnement stupide et quelque peu toxique, mais Stiles y pensait. Ils flirtaient sérieusement depuis un moment, alors… Il ne voulait pas perdre ce qu'il avait si durement grapillé juste parce que… Parce qu'on l'avait brisé. De manière plus générale, Stiles tenait également à tout simplement essayer de s'en sortir.
Ainsi, la marque apparut à nouveau et Derek la fixa d'un air indéchiffrable – selon Stiles. Les rares fois où il la lui avait montrée, c'était ce qu'il s'était dit. Qu'il n'arrivait pas à traduire son regard en mots. Impossible pour lui de savoir ce qu'il pensait, d'avoir une idée de son ressenti à cette vue.
- Il a… Beaucoup de tatouages de ce style. Je ne sais pas ce qu'ils signifient, mais ils en ont. Tous. Alec, lui… Il ne m'a rien fait. J'ai juste peur de lui, parce que… Il a ces tatouages. Et ceux qui m'ont fait ça en ont aussi. Alors le voir, lui… Ça me fait penser à eux, et… J'ai du mal à faire la différence entre ceux qui m'ont… Fait cette marque, et les autres.
Stiles avait failli dire autre chose, prononcer un mot qui résumerait parfaitement ce qui lui était arrivé. Mais c'était dur… Parce que trop direct. Plus généralement, il ne savait pas s'il avait le droit de considérer ce qu'il avait vécu comme de la torture. C'en était, mais… Pouvait-on appeler cela de cette manière ? C'était bête, cependant Stiles avait peur de se tromper. Peur qu'on le juge s'il utilisait mal ce mot. Qu'on lui dise qu'il exagère. Derek, lui, avait bel et bien été torturé. A plusieurs reprises. Et ce simple fait influençait l'hyperactif. Et si le loup-garou ne considérait pas sa nuit d'horreur comme de la torture ? Et si, pour lui, la douleur atroce qu'il avait ressentie n'était due qu'au fait… Qu'il était un humain d'une faiblesse affligeante ? Quoi qu'il en soit, Stiles ne regardait plus le visage de Derek, n'essayait pas de décrypter ses différentes expressions. Il était ailleurs, dans ces semi-confessions qu'il avait besoin de faire. Des espèces de confessions décousues, comme lui.
- Alec a essayé de me rassurer. Il m'a dit que ces gens avaient été virés et qu'ils ne pourraient plus me faire de mal. Il m'a dit que je ne méritais pas ce qui m'était arrivé, j'ai juste été… Là au mauvais endroit, au mauvais moment.
A nouveau, il s'était lové contre Derek, dont la présence était aussi rassurante que stimulante. Avec lui, il arrivait à parler… Un peu. A maîtriser à peu près bien sa voix, à se dire qu'il pouvait commencer à lui expliquer. Parce qu'il se doutait bien que Derek n'avait pas l'habitude de le voir comme ça, dans cet état… Et il ne devait sans doute pas comprendre, pas complètement. Alors, dans un sens, il leur rendait service à tous les deux, en essayant.
- Ces tatouages, ils… Ils appellent ça des runes.
Ce mot, Derek le connaissait. Pour autant, pour lui, c'était autre chose. Certaines espèces surnaturelles devaient avoir leurs versions du mot « rune ». En tout cas, il ne connaissait pas cette forme-là de runes. Il savait juste qu'il détestait celle que Stiles avait sur sa peau. C'était instinctif. Il la trouvait morbide dans sa forme, son graphisme. Elle lui faisait froid dans le dos, alors dans un sens… Il était heureux que Stiles se presse à nouveau contre lui. Ainsi, son tatouage n'était pas visible sous cet angle. Mais il adorait aussi cette position parce qu'il aimait sentit son corps si près du sien – mais ça, c'était un autre sujet. Et alors qu'il pensait que Stiles allait s'arrêter là – il entendait son cœur battre à vive allure –, l'hyperactif prit son courage à deux mains pour sortir quelque chose de fort. Qui voulait tout dire, sans qu'il ait à prononcer les autres mots qu'il retenait en lui.
- Magnus m'a dit le nom de celle que j'ai, articula le châtain de sa voix toujours aussi peu assurée.
Derek se crispa, sentant qu'il n'allait pas aimer la suite… Et il avait raison.
Un murmure s'éleva soudain. Un murmure qui le hanterait des jours et des nuits durant.
- C'est une rune d'agonie.
