Précédemment...

Après avoir accepté la proposition de Karkaroff de régler leur mésentente par un duel arbitré par une étudiante de Durmstrang en violant le couvre-feu, Harry et Draco se font surprendre par Severus et écopent d'une retenue au milieu de la nuit. Dans la même nuit, et alors qu'il rentre à la Tour Gryffondor, Harry croise de nouveau l'Auror Maugrey qui lui apprend que Severus Snape était un Mangemort, ce qui ne manquera pas d'occasionner un cauchemar affreusement réaliste impliquant... Pettigrow.

Nous voici réunis pour un nouveau chapitre, avec la deuxième tâche tant attendue !

Enjoy and... review ;)

Et bonnes vacances à tous !


Le Serment à la nuit : Chapitre XXVII

Le Lac Noir


« Quel sale temps pour une baignade dans le lac, n'est-ce pas les amis ? Pour notre plus grand plaisir égoïste, il faut bien se l'avouer... ».

Severus ne retint pas un soupir irrité, tandis qu'une nouvelle rafale de vent s'abattait sur les eaux métalliques du lac, faisant grincer les trois énormes structures de bois et d'acier que constituaient les gradins.

Une tempête se préparait, et ne lui disait rien qui vaille.

Verpey avait à peine commencé son discours d'ouverture, que sa façon d'étirer les mots avec la bonne humeur typique d'un vulgaire commentateur de match de Quidditch commençait déjà à lui taper sur les nerfs.

Une épaule contre une poutre bardée de métal, sa cape en laine croisée sur le torse, il sentit la plateforme trembler malgré les pieux profondément ancrés dans la vase du lac.

Ses robes noires claquèrent autour de lui les quelques secondes que dura le coup de semonce, s'attirant les regards alarmés de proches premières années. A en juger la fine couche de glace blanchie qui s'était formée à la surface, près des berges, il était clair qu'une période de grands froids s'annonçait et que d'ici quelques jours, le lac tout entier serait gelé. Pour autant, la météo n'avait pas dissuadé tout le château de se déplacer un dimanche matin de février pour assister à la deuxième tâche du Tournoi des Trois Sorciers.

Indifférent à l'agitation impatiente des tribunes que couvrait à peine le hurlement incessant du vent, Severus avait rivé ses yeux sombres sur le garçon pour lequel il retardait son chemin vers les gradins officiels que l'on disait chauffés, et qui venait de se présenter, hors d'haleine, sur le pont inférieur.

A croire que le Survivant ne pouvait s'empêcher de se faire remarquer en arrivant à la dernière seconde...

Abandonnant sa poutre, il arpenta la cohue surexcitée du pont, lorsqu'il fut bousculé par un élève qui avait eu l'excellente idée de courir avec une boisson chaude entre les mains.

« M. Crivey ! » le tança Severus, l'arôme subtil d'un café corsé adouci à grands renforts de lait imprégnant sa cape d'hiver. Le Gryffondor aux cheveux d'un blond vénitien décoiffés par le vent regardait, mortifié, le contenu d'une immense tasse de café achever de se répandre par terre. « Encore à courir par monts et par vaux pour immortaliser vos précieux clichés, n'est-ce pas ? ».

« Désolé, professeur Snape » murmura le garçon du bout des lèvres, beaucoup moins enjoué, à présent.

« Avez-vous la moindre idée de l'inestimable valeur de cette cape ? » s'enquit lentement Severus en prenant une voix aussi doucereuse que le sifflement du vent qui fouettait les drapeaux colorés accrochés aux gradins. « Il s'agit d'une cape en laine tissée de Quintaped. Mais savez-vous seulement ce qu'est un Quintaped ? ».

Son visage poupin emmitouflé dans une écharpe rouge et or, le garçon ouvrit grand les yeux, secouant la tête. Severus se pencha vers lui, reprenant le ton de velours qu'il affectionnait tant pour terrifier les élèves.

« Le Quintaped est une abominable créature fantastique, s'il en est. Le Quintaped, M. Crivey, est un animal carnivore grand consommateur de viande fraîche et si possible humaine, classé parmi les plus dangereux par le Ministère de la Magie, si dangereux que le Ministère a rendu incartable l'île où il vit avec ses congénères, afin que personne ne soit suffisamment téméraire pour s'y aventurer. Personne exceptés quelques tailleurs de bon goût qui réussissent, sans qu'on ne sache vraiment par quel procédé hasardeux, à se procurer de leur laine, au prix d'énormes dangers comme vous pouvez l'imaginer. Croyez-vous que ces hommes et ces femmes talentueux s'amusent à prendre de tels risques pour qu'un jeune empoté les salisse imprudemment ? ».

La frayeur qu'il avait eu le plaisir de lire dans les yeux clairs du garçon se mua hélas en une admiration non feinte, et il s'exclama :

« Waouh, la chance ! J'aimerais tellement en rencontrer un ! ».

« Loin s'en faut, M. Crivey » contra Severus, l'œil mauvais. « J'ai bien peur qu'une créature comme le Quintaped soit la dernière chose que vous voyiez dans votre vie. Vingt points en moins pour Gryffondor pour avoir bousculé un professeur et lui avoir délibérément renversé du café dessus ».

Il aurait tout aussi bien pu accorder vingt points à Gryffondor, pour l'effet que ça eu.

« Vous croyez qu'ils acceptent des journalistes sur cette fameuse île incartable ? Elle s'appelle comment ? ».

« Oubliez tout de suite cette idée saugrenue, vous ne survivriez pas une minute avant de terminer déchiqueté puis dévoré » siffla Severus, lançant un simple sort de propreté qui vint à bout du café, ce qui passa totalement inaperçu pour l'agaçant Gryffondor, et non sans avoir au préalable vérifié que ce dernier ne s'était pas brûlé.

« Mais ces tailleurs, ils ont bien réussi à y aller, non ? » le harcela Crivey en venant tourner autour de lui à la manière d'une guêpe tandis qu'il cherchait Potter du regard. « A votre avis, comment est-ce qu'ils ont fait ? Vous croyez qu'ils ont utilisé des appâts pour les attirer et les capturer ? ».

« Si on vous propose un jour d'y mettre les pieds, refusez immédiatement, il se pourrait bien que vous soyez en réalité l'appât ».

« Génial ! Quel stratagème complètement fou ! ».

Severus allait lui assener une réplique cinglante lorsque ses yeux inquisiteurs tombèrent sur Potter, remarquant avec contrariété que Fol Œil avait abordé le garçon et était désormais en train de lui tapoter amicalement l'épaule. Ayant suivi son regard empli de mépris, Crivey lança d'une voix rêveuse :

« Vous êtes venu soutenir Harry vous aussi ? C'est mon champion préféré ! Bien sûr, j'aime aussi les autres champions, mais lui ce n'est pas pareil ! ».

« Étonnant » commenta durement Severus.

S'il répugnait à s'approcher de Potter en présence de Maugrey, ce n'était pas le cas de l'infernal Colin Crivey qui joua des coudes jusqu'à se glisser auprès de son camarade.

Dégainant son sempiternel appareil photo de sous son manteau, il prit un cliché non-sollicité de l'Auror, et l'expression qui passa soudain sur le visage criblé était brute de sauvagerie, presque animale.

L'éclair haineux disparut aussi vite qu'il y avait flashé, si bien que Severus n'y prêta pas plus d'attention que ça. Maugrey n'était pas connu pour être excessivement tendre, après tout.

Plus rembruni que jamais, Maugrey grommela quelque remontrance à l'adresse de Crivey qui mit prudemment son appareil photo hors de portée de canne, puis s'en alla en claudiquant, s'assurant de bousculer au passage un membre du Ministère de la Magie en uniforme violet sombre qui ouvrit la bouche pour l'invectiver avant de la refermer aussitôt, n'osant se frotter à la légende du bureau des Aurors.

Severus croisa par mégarde le regard de Crivey, qui de méfiant se mua en un enthousiasme prodigieusement agaçant.

« Professeur Snape ! Vous venez prendre une photo avec nous ? ».

A contrecœur, tout en admettant qu'il en devait bien une à Crivey pour avoir fait fuir l'Auror, Severus les rejoignit, prenant grand soin de se composer une expression de profond ennui sur le visage.

A l'instar des autres champions qui se préparaient à plonger dans l'eau glaciale depuis les pontons humides, Potter se frictionnait les mains, en tenue de sport sous son manteau, short noir sur sweat-shirt aux couleurs de Gryffondor.

Le regard vert passa brièvement sur lui sans s'y arrêter vraiment, et Severus contint son irritation.

Cela faisait deux semaines, depuis qu'il avait attrapé le garçon hors de son dortoir à une heure indue, qu'ils n'avaient pas eu l'occasion de se reparler, hormis en cours où il se bornait la plupart du temps à lui jeter à la dérobée des regards méfiants.

Entre Potter et l'air mi-exaspéré mi-hautain de Malfoy qui ne digérait pas d'avoir été attrapé, Merlin en soit témoin, il allait finir par leur inculquer le respect du règlement ! Qu'avaient-ils cru ? Qu'ils pouvaient organiser un duel singulier puis se payer sa tête en le promenant dans la moitié du château ?

Il avait finalement délégué les retenues des comparses d'un soir au Baron Sanglant, et la seule présence dissuasive du fantôme meurtrier avait suffi à ce qu'ils exécutent leur besogne, à savoir récurer les cachots dans lesquels se déroulaient les expériences de préparations de potions, sans la moindre rébellion.

Il allait finir par engager le Baron à plein temps pour superviser les retenues, vu son efficacité.

« Une seule photo M. Crivey, et vous disparaissez. Est-ce bien clair ? » menaça-t-il le photographe en herbe qui avait réitéré sa proposition pas moins de dix fois en l'espace d'une minute.

« Aussi clair que de l'eau de roche, Professeur ! ».

Severus s'empara d'autorité de l'appareil, ignorant une pulsion destructrice qui le suppliait de le broyer entre ses mains, et immortalisa le duo de Gryffondors. Si le Survivant, qui semblait partagé entre l'embarras et le souhait malgré tout de faire plaisir à Crivey, consentit à lever les yeux vers l'objectif avec une ébauche de sourire, le plus jeune rayonnait de bonheur, entourant les épaules de son champion adoré comme dans une accolade fraternelle.

Pathétique, vraiment.

« Hors de ma vue, à présent » ordonna le Maître des Potions en lui rendant l'appareil et en lui faisant signe de déguerpir.

« Cool ! Merci Professeur, j'ai hâte de la faire développer et de vous la montrer ! ».

« C'est cela... ».

« J'ai entendu une journaliste de la Gazette du Sorcier dire que les champions vont devoir rester une heure sous l'eau pour rechercher un trésor » enchaîna Crivey, véritable moulin à paroles ambulant. « Tu crois qu'il y a une cité engloutie et perdue comme celle de l'Atlantide qui se cache au fond du lac, Harry ? Tu penses que je peux te prêter mon ancien appareil photo ? J'ai demandé au professeur Flitwick de vérifier que le sortilège d'imperméabilité que je lui ai lancé fonctionne bien, tu serais d'accord pour prendre quelques photos une fois que tu seras là-dessous ? ».

« Ce n'est probablement pas une bonne idée » hésita Potter en inspectant l'appareil photo vintage et compact que venait de lui remettre son camarade. « Je risque de le perdre quelque part dans les profondeurs du lac ».

« Voilà qui serait vraiment dommage » persifla Severus. Crivey ne s'en laissa pas démonter.

« Tiens, j'ai pensé à ramener un cordon pour que tu le mettes autour du cou, comme ça tu es sûr de le garder avec toi. Harry s'il te plaît, si tu pouvais juste prendre quelques photos pour me montrer à quoi ressemble le lac ! ».

« Si tu comptes les vendre à des gens comme Rita Skeeter, c'est hors de question » dit fermement Potter, une étincelle suspicieuse dans le regard. « Ni même à quiconque d'autre d'ailleurs, je ne suis pas un reporter aventurier à la solde de ces rapaces ! »

« Jamais de la vie ! Ce sera exclusivement pour mon usage personnel, promis ! » l'implora Crivey, ses yeux aigue-marine scintillant d'espoir. « Pour le faire fonctionner, il faut enlever le cache, puis bien cadrer et enfin appuyer sur le... ».

« Colin, je sais comment utiliser un appareil photo ! » l'interrompit Potter. « Je te rappelle qu'avant d'arriver à Poudlard j'ai été élevé par des Moldus ».

« Oh désolé, j'oublie toujours que le sorcier qui a vaincu Tu-Sais-Qui et qui a été le plus jeune Attrapeur depuis un siècle a vécu dans une famille Moldue comme la mienne ! ».

« Moi aussi j'aimerais l'oublier » marmonna Potter, et ce ne fut pas perdu pour Severus. « Et je n'ai pas vaincu Lord Voldemort ! ».

« Alors tu acceptes ? » demanda Crivey dans une supplique, ses mains jointes comme pour une prière. « Tu veux bien prendre quelques chouettes photos ? ».

« Oui » céda finalement le Survivant en mettant l'appareil photo autour de sa poitrine, plissant les yeux sous la forte bourrasque qui venait de faire claquer la plupart des capes et écharpes du ponton. « Maintenant retourne... ».

« Super ! Merci Harry ! ».

Sautant en l'air, il se jeta sur un Potter visiblement dépassé par la situation dans une étreinte chaleureuse avant de se retourner vers Severus, un sourire jusqu'aux oreilles. Il s'appliqua à prendre son regard le plus noir aux fins de prévenir toute agression qu'il pourrait être tenté de reproduire sur lui, mais l'énervant gamin aux cheveux ébouriffés se fendit d'un survolté :

« A tout à l'heure Professeur ! A plus tard, Harry ! Je suis sûr que tu vas être incroyable ! ».

« Merci, Colin » soupira Potter de lassitude, ses mots se perdant sous la voix amplifiée et énergique de Verpey qui envahissait les tribunes.

Vu la façon dont il se tenait, le dos trop droit pour que cela passe pour naturel, le visage résolument fermé et les sourcils rapprochés, il était clair qu'il aurait préféré être n'importe où ailleurs plutôt qu'ici.

« Alors M. Potter » fit Severus à voix basse, profitant du peu de temps qu'il lui restait avant le coup d'envoi de l'épreuve, temps précieux que lui avait volé Crivey. « Avez-vous trouvé un moyen de rester sous l'eau une heure sans avoir recours à des bouteilles d'oxygène ? ».

Question purement rhétorique. Flitwick lui avait confié, à l'occasion d'un café partagé entre deux corrections de copies, que le garçon était venu le trouver pour lui demander de juger de l'exécution de son sortilège de Têtenbulle.

Que le garçon soit allé voir Flitwick plutôt que lui, au demeurant, l'avait pas mal contrarié.

Sur ses gardes, Harry plissa les yeux. Qu'un Serpentard pur jus comme Snape connaisse l'existence des bouteilles de plongée était pour le moins déconcertant…

« Oui » répondit-il, laconique.

Après des heures et des heures de recherches à la bibliothèque, il ne devait en réalité sa découverte du Têtenbulle qu'à Fred et George, mis au courant par Ron, et qui lui avaient expliqué que le sortilège était couramment pratiqué en cours de Potions pour se protéger des vapeurs toxiques, et plus personnellement pour tester leurs créations dangereuses à l'abri des regards... Harry n'avait jamais trouvé le courage nécessaire de s'immerger dans le lac glacé pour tester le Têtenbulle, limitant ses essais sous la douche, et il espérait que le sort tiendrait pendant une heure et résisterait à la pression de l'eau et aux autres obstacles qu'il s'attendait à trouver là-dessous.

Mais ça, c'était oublier trop vite la drôle de plante grisâtre et visqueuse que Dobby avait tenu à lui donner tout à l'heure, au réveil…

Il espérait que cette Branchiflore était bien ce que l'elfe avait juré que c'était : un moyen de respirer sous l'eau sans avoir besoin de jeter un Têtenbulle. Du moment que ça ne le transformait pas en mollusque à vie...

Le chahut qui régnait sur les gradins n'atténuait en rien la sensation de se trouver dans une bulle isolée, à des kilomètres de la réalité.

Avoir trouvé le moyen de tenir une heure sous l'eau sans remonter à l'air libre n'avait pas résolu un problème de taille : sa peur panique des profondeurs insondables. Exécuter quelques brasses dans la salle de bain des Préfets chauffée et lumineuse était une chose, plonger dans des eaux sombres et inconnues du Lac Noir en était une autre.

Son cœur se remit à battre péniblement à ses tempes. Il n'en avait pas dormi de la nuit. Il en avait presque la nausée.

Enfant, la natation n'était pas exactement sa tasse de thé.

Les Dursley avaient bien été obligés de le laisser apprendre à nager lors des sorties scolaires à la piscine. S'il savait faire le minimum comme la brasse et un peu de crawl, les tentatives répétées de Dudley et ses amis pour lui mettre la tête sous l'eau ou essayer de le noyer au fond du bassin avaient fait naître en lui une certaine méfiance de l'eau.

Des eaux profondes, plus exactement. Le lac était aussi magnifique qu'intimidant, il n'osait songer à ce que cachaient les eaux noires et tranquilles, leur noirceur reflétait une profondeur vertigineuse qui lui donnait envie de vomir.

Ça ne lui avait pas posé problème lors de sa première année quand il avait dû le traverser en barque pour se rendre au château à la cérémonie du Choixpeau. Ni quand il le survolait en balai, toujours à une hauteur respectable, au cas où il perdrait le contrôle de sa monture. Et lorsqu'il faisait beau, c'était un vrai plaisir de se balader au bord de l'eau bleue et calme. Mais l'idée de sombrer dans les abîmes troubles du lac était terrifiante.

Même s'il savait à peu près nager... Enfin, à supposer qu'il ait le temps de nager et que le Calamar n'entortille pas un tentacule autour de sa cheville pour l'emmener au fond de sa caverne sous-marine.

A sa connaissance cela dit, le Calamar n'était pas agressif.

Enfin, pour qui restait à bonne distance.

« … et une fois sous l'eau, ne vous laissez pas disperser lors de votre recherche » lui parvint la voix jusqu'alors lointaine de Snape. « L'environnement inhospitalier du lac est fait pour perturber la concentration des candidats et laisser leur imagination et leur peur prendre le dessus sur leur sang-froid. Ne perdez pas de vue votre objectif et restez sur vos gardes, les sorts que je vous avais conseillés pour la première tâche sont aussi efficaces sous l'eau que sur la terre ferme et devraient faire fuir à peu près n'importe qui. Quant au parcours, il devrait être un minimum balisé par les organisateurs du Tournoi. Il est impossible d'explorer le lac en une heure, une décennie ne suffirait pas ».

« Me voilà rassuré » ironisa Harry en regardant les remous tourbillonner autour des pieux de la structure soutenant les gradins.. « Le Calamar géant n'a plus qu'à bien se tenir ».

« Je gage que le jury aura pris soin de s'assurer que le Calamar géant soit occupé près d'une rive éloignée du lac, vous n'en verrez pas l'ombre d'un tentacule ».

Machinalement, Harry distingua à la périphérie de son champ de vision la silhouette trapue de Maugrey qui s'appuyait sur sa canne et paraissait l'observer depuis les escaliers qui menaient vers les ponts supérieurs.

Il ne fallait surtout pas s'aventurer dans les forêts d'algues qui ondulaient au fond du lac et qui représentaient des caches de choix pour les prédateurs, venait de lui conseiller l'Auror, ce qui n'avait en rien apaisé son angoisse.

Harry reporta son attention sur Snape qui ne l'avait pas lâché du regard et, une fois de plus, il prit de plein fouet les mots de Fol Œil.

Severus Snape est un ancien Mangemort.

Il serra les poings tandis qu'il détournait son regard du visage renfrogné du Professeur.

Un Mangemort... Combien de fois ce mot craché avec tout le dédain qu'il méritait était-il revenu hanter ses pensées ces derniers jours, planant au-dessus de lui comme un tabou ?

Mangemort. Mangemort.

Un capuchon noir et un masque en argent aux orbes vide sortis tout droit de son imagination se superposèrent sur le visage pâle et anguleux du Professeur et il se recula, son estomac se contractant.

Le sentiment de trahison enflait déjà dans sa poitrine et ce n'était pas le moment de se déconcentrer.

Détournant le regard du Serpentard, il salua du menton Diggory qui sautillait sur place pour s'échauffer, à quelques mètres de lui, encouragé son père, soutien infaillible. Fleur et Krum étaient quant à eux entourés de leur garde-rapprochée, leur directeur et leur directrice, leurs conseillers et leurs mentors.

Le poids de la solitude, à cet instant, paraissait s'ajouter à celui des gradins bondés au-dessus de lui.

Tu n'es pas tout à fait seul non plus, lui rappela sa voix intérieure, moqueuse.

Oui, il supposait qu'on pouvait dire qu'il avait Snape avec lui, s'amusa-t-il amèrement. Un Mangemort.

Il sortit de sa poche la Branchiflore pour se préparer psychologiquement à devoir manger cette horreur. Une main encercla aussitôt son poignet et il se retrouva devant le visage soudain furieux du Professeur :

« Où avez-vous eu cela, Potter ? » siffla-t-il, ses yeux lançant des éclairs.

« On me l'a donnée ! » protesta Harry, stupéfait. « Qu'est-ce qui vous prend ? ».

« Il me prend que ceci m'appartient ! Où avez-vous volé cette Branchiflore ? ».

Harry se redressa, piqué au vif, mais Snape l'arrêta d'une main, avisant les quelques personnes qui s'affairaient sans faire attention à eux.

Que Snape ne s'inquiète pas, il ne risquait pas d'avoir un quelconque soutien familial ici.

« Assurdiato. Bien, nous pouvons parler sans crainte d'être entendus. Maintenant, vous allez me dire où vous avez volé cette Branchiflore ».

« Je ne l'ai pas volée ! On me l'a donnée ! ».

« Ne mentez pas Potter, ne mentez pas ! Il n'y a qu'un seul endroit dans ce château où trouver de la Branchiflore, et c'est dans ma réserve personnelle de mon bureau, cette même réserve personnelle qui a été clandestinement visitée la nuit où vous et votre petit camarade Malfoy vous êtes mis en tête de vous affronter en duel ».

Merlin, que le garçon allait prendre le savon de sa vie, fulmina Severus en s'écartant des proches badauds, par mesure de sécurité. L'Assurdiato devrait suffire pour la minute qui restait avant que ne soit sifflé le début de l'épreuve mais…

« C'est une coïncidence ! » se défendit Potter à voix basse en se dégageant de sa prise. « Quelqu'un m'a donné la Branchiflore ce matin, juste avant que j'arrive ! ».

« Quel heureux hasard ! Par quelqu'un, vous voulez dire complice, je présume ? » siffla Severus. « Votre duel avec Malfoy n'était-il qu'un coup monté pour détourner mon attention tandis qu'un troisième larron s'introduisait dans ma réserve ? Ce ne serait pas la première fois, n'est-ce pas ? Peau de serpent du Cap, corne de bicorne en poudre, des ingrédients subtilisés il y a deux ans. Vous croyez que je n'avais pas compris ce que vous maniganciez avec vos petits camarades en me volant des ingrédients entrant notamment dans la composition du Polynectar ? ».

« Je n'avais pas personnellement volé ces ingrédients ! ».

Un éclat victorieux passa dans les yeux sombres du Professeur devant cet aveu indirect.

« Cela vous rend complice du coupable à l'époque, il n'y a pas de différence pour moi ! » tonna Snape. Son sort fonctionnait à merveille, personne ne leur prêta attention quand il haussa le ton. « Je vous préviens Potter, si vous vous êtes rendu auteur ou complice, de quelque façon que ce soit, de l'entrée par effraction dans mon bureau puis du vol d'ingrédients ce soir-là en marge de vos chamailleries avec Malfoy, je vous conseille de me l'avouer immédiatement car je serai beaucoup moins clément si je venais à le découvrir ultérieurement ».

« Je ne suis pas un voleur ! » s'insurgea Harry. « Je suis allé au duel avec Malfoy puis on s'est séparés, et je suis allé dans la salle de bain des Préfets pour résoudre l'énigme de la deuxième tâche. Je n'ai pas mis un pied dans votre bureau ! ».

« Le Baron Sanglant m'a dit qu'il vous avait laissé aux soins du professeur Maugrey après votre retenue » poursuivit Snape comme s'il ne l'avait pas entendu. « Qu'a fait Maugrey ? Est-ce qu'il vous a raccompagné jusqu'à la Tour Gryffondor ou laissé divaguer dans les couloirs ? ».

« Vous ne me croyez pas » réalisa Harry avec colère, et une teinte de tristesse.

C'était Dobby qui avait probablement volé la Branchiflore lui-même, mais l'elfe aurait de sérieux ennuis avec Dumbledore s'il s'avisait de le dénoncer. Pire, d'aucuns pourraient penser que lui, Harry, avait expressément demandé à l'elfe d'aller lui chercher la Branchiflore dans la réserve personnelle de Snape…

« Répondez-moi. Qu'a fait Maugrey ? ».

« Il m'a raccompagné lui-même ! Je n'étais pas en état de faire quoi que ce soit d'autre que dormir, après votre retenue ! ».

« Alors vous avez un complice » accusa Snape, la mâchoire serrée. « C'est pour ça que vous m'évitez et ne me regardez pas dans les yeux, pour masquer le vol de la Branchiflore ».

« Il me l'a dit ! Le professeur Maugrey, il me l'a dit » assena Harry, excédé de se faire traiter de menteur et de voleur.

Au changement de ton et à l'expression de peur et de défiance qu'il y avait soudain sur le visage du garçon, Severus sut que la conversation venait de basculer. Qu'avait dit ce fouineur d'Auror au Gryffondor ? Il lui mettait le grappin dessus dès qu'il avait le dos tourné, qui sait quelles médisances il racontait au garçon...

« Vous.. » hésita Harry en croisant le regard empli de défi et de méfiance du Professeur, s'apprêtant à délivrer la sentence.

Vous êtes un Mangemort.

Il était en colère oui, il se sentait presque trahi, même.

Mais… était-il prêt à gâcher ce qu'il commençait à construire avec le Professeur ?

Vraiment, il était regrettable que Snape ait choisi ce moment d'hésitation pour le provoquer…

« Que vous a dit l'éminent Auror Maugrey, Potter ? Il vous a donné carte blanche pour dévaliser ma réserve ? Il vous a félicité pour votre plan génial ? Vous a dit à quel point vous étiez ingénieux, aussi ingénieux que votre père quand il s'agissait de violer le règlement ? Vous ne pouvez pas vous en empêcher, n'est-ce pas Potter, de vous pavaner dans… ».

Il y avait un tel ressentiment dans le ton du Professeur que Harry sentit un voile rouge lui passer devant les yeux.

De un, il était clair que l'homme le croyait effectivement capable d'avoir fomenté tout un stratagème pour pénétrer dans sa réserve personnelle, et c'était on ne peut plus vexant.

De deux, que venait faire James dans cette histoire ?

« Il m'a dit, il m'a dit que vous êtes un Mangemort » assena-t-il tout bas, sans refréner l'amertume qui bouillonnait en lui depuis deux semaines.

Snape parut comme frappé par la foudre et recula.

Bien fait, il l'avait cherché.

Pendant quelques secondes, les yeux d'obsidienne reflétèrent un maelstrom d'émotions qui effraya Harry, puis le visage du Professeur devint aussi lisse que du marbre.

L'Occlumancie ! comprit soudain Harry. L'Occlumancie lui permettait de cacher ses émotions et de se la jouer ténébreux...

Snape le toisa avec un évident dégoût, et soudain ce fut comme si tout était redevenu comme avant.

« Bien sûr… Le célèbre Survivant qui sait tout mieux que tout le monde… ».

Harry refusa de se laisser impressionner par la fureur qui brillait dans les yeux noirs :

« J'ai cru comprendre que d'après le professeur Maugrey, c'était apparemment d'ordre public ».

L'expression meurtrière qu'il y eut soudain sur le visage du Professeur le terrifia autant qu'elle le peina.

« M. Potter, la deuxième tâche est imminente » leur parvint une voix, brisant leur bulle personnelle, évitant à Severus de proférer des paroles assassines. « Vous devez vous préparer à plonger ».

Harry se détourna, heureux d'entrevoir une porte de sortie, et reconnut le bras droit de Croupton, Mme Henriet, une brune au visage doux qui serrait autour d'elle une élégante cape d'hiver pourpre. Elle dut remarquer qu'elle venait d'interrompre une discussion tendue car elle leur offrit un sourire désolé.

« M. Verpey est sur le point de lancer le décompte, tous les champions doivent sauter dans l'eau au même moment ».

« Nous n'en avons pas fini avec cette discussion, mon garçon ».

La menace qu'il y avait dans la voix glaciale du Professeur était claire, et Harry dut lutter pour continuer à lui tourner le dos.

On ne tournait pas le dos à un Serpentard.

Encore moins à un Mangemort.

Mais il refusait d'affronter Snape et il s'obligea à faire le vide dans sa tête, pour ne penser qu'à la deuxième tâche.

Il sentait la présence du Professeur, juste dans son dos, son regard impénétrable sur sa nuque, et pour une fois fut reconnaissant à Verpey d'égrener le décompte de sa voix excessivement tonitruante. Il retira son blouson, serrant les dents et raidissant les bras lorsque le vent le fouetta sans pitié. Plonger là-dedans allait être un véritable cauchemar…

Il avait tout gâché, il était là le véritable cauchemar.

Pourquoi...

« … Dix !... neuf !... huit !... » scandait la foule avide.

Il prit une grande inspiration pour se donner le courage dont il avait grand besoin et fourra la Branchiflore dans sa bouche, avec la sensation répugnante de mâcher des lombrics mentholés. Si jamais Dobby s'était trompé... Après cette entrevue désastreuse, il y avait intérêt à ce que la Branchiflore montre son utilité...

Et puis, Ron comptait sur lui pour le délivrer des profondeurs du lac, se répéta-t-il tandis qu'il avalait, morceau par morceau, l'abominable texture.

Et il n'avait pas le droit d'abandonner Ron.

Sa mission était de le retrouver et de le ramener. Dans un peu plus d'une heure, si tout se passait bien, il aurait les mains autour d'une tasse de chocolat chaud, une épaisse couverture sur le dos, en train de commenter avec plus ou moins de mauvaise foi les notes du jury avec Hermione et Ron.

Ou en train de se morfondre sur Snape.

Tout allait bien se passer.

« … Zéro ! Et c'est partiiiiii ! » beugla Verpey avec tellement de force que Harry grimaça de déplaisir.

Il fit la seule chose que lui commandaient ses poumons réclamant brusquement de l'air et se jeta tête la première dans l'eau glaciale du lac, lui faisant oublier qu'il était supposé avoir quelques menues réticences.

Deux brasses et un souffle de vie régénérateur plus tard, la brûlure disparut aussi vite qu'elle était arrivée, et il réalisa qu'en plus du calme bienvenu qui régnait sous l'eau, la température était des plus agréable.

De plus, les quelques mètres de profondeurs sous ses pieds par ailleurs palmés ne lui semblaient pas aussi effrayants qu'il l'avait tant redouté…

Il tourna plusieurs fois sur lui-même, le temps de s'accoutumer à ce nouveau corps et à cette vision d'une clarté sans égal, et aperçut plus loin les silhouettes de ses concurrents s'éloigner rapidement des pontons.

Le compte à rebours avait commencé.

A l'air libre, sur la plateforme qui paraissait trembler sous les applaudissements du public, Severus fulminait.

Faisant volte-face, manquant d'emprisonner Crivey dans ses capes tourbillonnantes, il se dirigea vers les escaliers et grimpa quatre à quatre les marches en fer grinçantes qui menaient jusqu'aux plus hauts gradins de la tour, houspillant ceux qui avaient le malheur de ne pas s'écarter assez vite de son chemin.

« Croissant ou pain au chocolat ? » l'agressa-t-on au sortir des escaliers.

Il s'apprêtait à envoyer paître la jeune femme tirée à quatre épingles qui tenait un chariot rempli de boissons chaudes et de victuailles pour le petit-déjeuner, réfugiée sous un auvent, quand il se ravisa. Avoir quelque chose à mettre en pièces stabiliserait son humeur en attendant le retour de Potter.

« Un pain aux raisins fera l'affaire » cingla-t-il. Elle s'exécuta, le sourire toujours aux lèvres quoique légèrement flétri.

« Quel vent à décorner un Grapcorne ! » lui parvint une voix à l'accent français à couper au couteau. « Professeur Dumbledore, le climat en Écosse est d'un tel désastreux ! ».

Mme Maxime, une main sur son démesuré chapeau à plumes, l'autre sur sa robe portefeuille, n'appréciait visiblement pas d'être exposée aux rafales de l'hiver.

Une élégante cape de voyage d'un mauve sombre sur les épaules, sa barbe argentée à peine ébouriffée par on ne savait quel sortilège mystérieux, Dumbledore concéda poliment que la position du château dans les Highlands le soumettait à quelques intempéries, avant de l'inviter à se mettre à l'abri à l'intérieur, non sans se demander si Beauxbâtons était, par hasard, épargnée par les rigoureuses tempêtes hivernales qui s'abattaient sur les Pyrénées.

Dumbledore intercepta ensuite le regard ombrageux de Severus et l'invita à les rejoindre, ce qu'il déclina dans un mouvement d'humeur.

Se frayant un chemin dans la cohue indisciplinée, Severus arpenta le belvédère et attrapa à deux mains la rambarde qui sécurisait le pont supérieur, donnant l'impression aux proches spectateurs qu'il allait passer une jambe par-dessus et prendre son envol à la faveur d'une bourrasque.

Ce qu'il aurait fait en d'autres circonstances.

Le froid mordant du métal sous ses paumes lui permit de canaliser sa colère, cependant qu'il fixait la surface grise du lac, avec l'espoir que d'ici, Potter pouvait sentir son regard noir.

L'impossible Gryffondor ne perdait rien pour attendre, il n'allait pas laisser passer le vol de sa Branchiflore sans broncher.

Ensuite, il irait s'occuper de Fol Œil et il lui…

« Ah, vous êtes là ! ».

« Je vous préviens, Crivey » gronda Severus sans même se donner la peine de se retourner « Avisez-vous de me photographier sans mon consentement, et je vous garantie que je n'aurai aucun scrupule à vous précipiter droit dans la gueule béante du Calamar géant via un sort de catapultage ».

L'irritant garçon se glissa à ses côtés, un sourire candide jouant sur les lèvres.

« Trop bien ! J'ai toujours rêvé d'être avalé par un gros mammifère marin ! ».

Severus ferma les yeux, serrant la barrière jusqu'à s'en faire blanchir les jointures.

Par Morgane, que la prochaine heure allait être longue


Harry dépassa une allée de troncs d'arbres d'aspect fantomatique, vitrifiés depuis des siècles, avant de slalomer entre des bosquets de plantes et de petits rochers où foisonnaient poissons et autres espèces lacustres.

Il repéra une balise nimbée de bleu qui flottait entre deux eaux.

Bien, il était sur la bonne voie.

En fin de compte, l'exploration sous-marine du Lac Noir se révélait être plus exaltante qu'il ne l'avait pensé…

Ses nageoires et branchies lui permettaient de se mouvoir et de respirer sous l'eau aussi facilement que s'il avait été une dans son habitat naturel, avec une fluidité qui lui rappelait la sensation de voler.

Il s'était vite accoutumé à l'environnement plein de vie du lac, et avait même eu le temps de tirer des clichés pour Colin, immortalisant aussi bien les bancs de poissons curieux qui venaient nager près de lui, que les prairies d'herbes aquatiques et autres végétations luxuriantes.

Et, pour l'instant, rien de ce qu'il n'avait découvert ici ne lui paraissait véritablement justifier la quasi-nuit blanche passée à paniquer sur cette deuxième tâche sur laquelle il avait focalisé toutes ses appréhensions...

Lorsqu'un vaste canyon s'ouvrit abruptement devant lui, il plongea à la verticale aussi naturellement que s'il était né pour ça, plus attiré par les profondeurs qu'il n'aurait dû l'être, bien conscient que les propriétés de la Branchiflore inhibaient toute sensation de peur ou de vertige.

Les eaux profondes n'étaient pas moins poissonneuses qu'en surface, réalisa-t-il en photographiant un poisson-chat aux yeux globuleux et aux lèvres comiquement épaisses, toutefois il percevait clairement le changement d'atmosphère.

Il n'était pas seul.

De temps à autre, des silhouettes l'épiaient de derrière un rocher envahi par les algues et décampaient quand il s'approchait.

Les êtres de l'eau… Leur territoire.

Il vérifia par réflexe que sa baguette était toujours dans son sweat. Encore faudrait-il savoir s'en servir avec ses doigts palmés, certes… mais il ne pensait pas que les êtres de l'eau représentent un danger immédiat, du moment qu'il ne les confrontait pas directement, ce qui n'était pas dans ses plans.

Au cours des vingt minutes qui suivirent, il eut cependant maille à partir avec pas moins de cinq Strangulots qu'il dut chasser à coups de Lashlabask frénétiques, mais le professeur Lupin l'avait bien formé l'an dernier dans les épreuves marécageuses organisées dans sa salle de cours, et il n'eut pas trop de difficulté à s'en débarrasser.

Harry nageait depuis un moment déjà au-dessus de longues étendues noires parsemées de cheminées sifflantes qui laissaient échapper des spirales de bulles, lorsqu'il entendit un cri perçant depuis la forêt de plantes aquatiques géantes qui ondulait à quelques mètres de lui. Il cessa aussitôt de nager, resserrant sa prise sur sa baguette qu'il n'avait pas rangée depuis la dernière embuscade de Strangulots, et fixa, plus agacé qu'inquiet, le mur végétal et sombre qui se dressait devant lui.

« Quoi, encore ? Il y a quelqu'un ? ».

Le son de sa voix, déformé par la bulle d'air qu'il produisit, lui parvint comme s'il était dans une grotte.

Il crut de nouveau percevoir du mouvement derrière les rangées de lianes, comme si quelqu'un luttait là-dedans, et sans qu'il ne se l'explique, il en eut la chair de poule.

Ce n'était presque rien...

Ce n'était presque rien et pourtant, Branchiflore ou pas, c'était comme si son instinct d'être humain semi-amphibie le suppliait de mettre le plus de distance possible entre lui et cette drôle de forêt.

« Qui… qui est là ? » s'enquit-il derechef, sans savoir si la chose cachée derrière avait perçu sa présence. Pas des Strangulots, il en était sûr.

L'avertissement de Maugrey sur les forêts aquatiques, repères de prédateurs, lui revint en tête et il battit en retraite dans le sens inverse, refusant d'attendre que le Calamar géant n'en surgisse pour le dévorer sans autre forme de procès.

Par chance, il ne se passa pas longtemps avant qu'il n'entende l'écho du chant des sirènes et il se laissa guider par la mélopée, galvanisé par la certitude qu'il n'était désormais plus très loin de là où était retenu prisonnier Ron.

Rapidement, et à son plus grand soulagement, un village niché dans une prairie d'herbes aquatiques se dessina devant ses yeux, et il devint l'attraction principale des êtres de l'eau qui, sans doute avertis de la présence des champions dans les parages, ne tentèrent pas de l'approcher de trop près.

Il dépassa une nouvelle balise bleue accrochée à une habitation en pierre recouverte de mousse, ce qui lui confirma qu'il n'était pas en train de violer un quelconque traité d'interdiction du territoire entre sorciers et tribus de créatures magiques, et il gagna la place du village, où il trouva effectivement ce qu'il cherchait.

Son sang ne fit qu'un tour lorsqu'il aperçut son ami, pâle comme la mort, solidement maintenu à la statue grossière et démesurée d'un être de l'eau.

« Ron ! ».

Si les êtres de l'eau le laissèrent libérer Ron, ils se montrèrent pour le moins récalcitrants quand, après avoir assisté à la libération de Cho et Hermione, Harry se mit en tête de couper les liens qui retenaient une fillette aux cheveux d'or.

Celui qui semblait être le chef du village, un triton au collier en dents de requin, était véritablement furieux.

Ça lui était bien égal.

Enfin, du moins, aussi égal que le lui permettait la situation étant donné que pas moins d'une douzaine de tridents étaient désormais pointés sur lui. Il renvoya un regard tout aussi furieux au chef du village pour lui faire comprendre qu'il était hors de question d'abandonner Ron et la fillette.

Un peu plus loin, un Strangulot tenu en laisse par un être armé d'un bâton grognait et claquait des dents dans sa direction, tel un chien enragé.

« Elle vient avec moi ! » exigea une nouvelle fois Harry. « Stupefix ! ».

Le Strangulot hargneux s'évanouit aussitôt, sa tête cornue rebondissant sur sa poitrine.

A peine impressionné, le chef du village le fusilla du regard et pointa sur lui un doigt accusateur :

« Pour la dernière fois, tu prends ton prisonnier uniquement et tu laisses la jeune fille ici ».

« S'il vous plaît… le temps est pratiquement écoulé ! Fleur n'est toujours pas arrivée pour venir la chercher, elle va mourir si je la laisse ici ! » supplia Harry. Ces gens ne comprenaient-ils donc pas ?

Il commençait sérieusement à paniquer.

S'il ne parvenait pas à remonter à la surface avant que l'heure fatidique soit achevée, leurs chances de s'en sortir étaient minces…

La foule amassée sur la place publique paraissait en tout cas trouver la situation hilarante, et riait de bon cœur.

« Le règlement interdit à un candidat de ramener un autre prisonnier que le sien » répliqua le triton, têtu comme une mule.

« Je me fiche du règlement ! Je vous dis que si elle reste ici toute seule, elle va se noyer ! » s'écria Harry en brandissant sa baguette de manière frénétique. « Si vous ne reculez pas, je n'hésiterai pas à me battre ! ».

Si le triton n'en démordait pas, ses soldats semblaient toutefois assez concernés par sa baguette qui produisait de petites étincelles.

Il allait leur lancer un Bombarda… il allait…

Il répugnait un peu à blesser des gens qui n'avaient pas l'air si méchants au fond, mais la vie de la fillette était en jeu. Il n'allait pas lui laisser arriver quelque chose au nom d'un règlement idiot.

Harry leva sa baguette, déterminé à sortir ses deux prisonniers de là en visant dans un premier temps un amas d'algues flottantes plutôt que les êtres de l'eau, en guise d'avertissement, mais la formule mourut sur ses lèvres quand un son grave se fit entendre, comme le chant d'une baleine, une vibration légère qui traversa l'assemblée, et qu'il ressentit jusqu'au bout de ses doigts palmés, tel un avertissement venu des profondeurs.

La foule cessa de babiller à qui mieux-mieux, et un vent de nervosité se répandit dans les rangs des êtres de l'eau.

La plupart avaient leurs oreilles pointues redressées, et se regardaient les uns les autres, murmurant dans leur drôle de langue.

Harry baissa sa baguette, ses oreilles bourdonnant.

Il y avait quelque chose ici qui ne devrait pas y être, et son sixième sens branchiflorien s'empressait bien de le lui faire savoir.

Il n'aima pas ce qu'il lut dans les yeux mordorés du triton devant lui. Raison de plus pour ficher le camp d'ici !

« S'il vous plaît… » insista-t-il, un air implorant sur le visage.

Il y eut brusquement un hennissement rageur quelque part à proximité du village, ce qui n'avait pas de sens car il ne voyait pas ce que ferait un cheval sous l'eau, et ce fut la panique générale.

Les êtres de l'eau poussèrent des hurlements terrifiés et disparurent sans demander leur reste, filant dans les huttes en pierre qui leur servait d'habitat.

Seul le triton et sa garde rapprochée restèrent en place, la mâchoire crispée, comme déchiré entre l'envie impérieuse de défendre les siens, et son instinct de survie qui lui ordonnait d'aller se cacher sur-le-champ.

« Ne traîne pas et remonte à la surface » capitula-t-il finalement en abaissant sa lance.

Un signe de tête plus tard, ses soldats se dispersaient dans des tourbillons d'eau, faisant tanguer Harry.

Le triton ne chercha pas à le retenir lorsqu'il donna un coup de pied au fond du lac pour prendre de l'élan, Ron dans un bras et la fillette dans l'autre.

Battant ses pieds palmés à un rythme soutenu, il survola les maisons aux toits agrémentés de fleurs aquatiques et entourées de jardins bucoliques. Il atteignit rapidement la bordure du village, dépassa un champ de légumes colorés puis franchit l'épais muret en pierres qui signalait la fin des habitations.

A peine Harry s'était-il éloigné qu'il aperçut, haut au-dessus de lui, une forme sombre et massive faire des cercles.

Une baleine ? Une orque ? Quoi qu'il en soit, l'animal effrayait les êtres de l'eau, et il préférait encore ne pas découvrir pourquoi.

Changeant d'itinéraire, il bifurqua vers un gigantesque dolmen reposant au fond du lac, sur lequel étaient gravés d'étranges symboles qui rappelaient la langue inconnue qui était écrite sur le parchemin servant d'indice pour la deuxième tâche. Un lieu de rituel, sans doute...

« Attention ! » hurla quelqu'un tandis qu'il contournait le cairn.

Il identifia la voix rocailleuse du triton avant même de l'avoir vu - l'avait-il suivi ? - et on le poussa dans le dos, le projetant si brutalement sur le sol sablonneux qu'il en perdit ses prisonniers.

Des cris panique mêlés de colère sur fond de lutte suivirent, et un nuage de sable tourbillonna autour de lui. Harry ferma d'instinct les paupières, mais il sentit le sable lui emplir la bouche et les branchies, et se retrouva à tousser ses poumons.

« Accio Ron ! » crachota-t-il hasardeusement, ne réussissant qu'à soulever un nuage de poussière.

L'occasion de découvrir que le sortilège d'Attraction ne fonctionnait pas sur les gens, réalisa-t-il avec frayeur. Ils étaient en train de s'entraîner au sortilège en cours d'Enchantements, Flitwick avait dû leur en toucher un mot entre deux batailles de coussins...

« Ron ! » s'égosilla-t-il en pure perte, sa visibilité réduite par les yeux plissés. « Où est-ce que tu es ?! ».

Si par malheur il s'avisait de perdre Ron dans le lac, Arthur et Molly ne le lui pardonneraient jamais.

Enfin, le nuage de sable se dissipa et il repéra son ami allongé sur le dolmen.

La façon dont il se tenait, bras en croix et yeux fermés, sur le dos, comme un sacrifié innocent offert à un dieu cruel sur un autel, lui glaça le sang. Il se dépêcha de le descendre de là puis s'en alla intercepter la petite fille qui dérivait mollement près de ce qui était apparemment un champ de salades.

Ce ne fut qu'ensuite qu'il osa un regard aux alentours.

Pour qui se prenait le triton à l'agresser dans son dos, au juste ?!

Il comprit que ce n'était pas du triton que venait le danger en apercevant, à une trentaine de mètres au-dessus de lui, plusieurs êtres de l'eau armés de lances qui tenaient à l'écart une créature dont l'apparence qui lui coupa un instant la respiration.

Il n'avait pas eu la berlue en entendant des hennissements, il y a quelques minutes !

Car l'animal qui s'écharpait avec le triton et ses soldats était bien un monstrueux cheval marin, aussi massif et puissant que les chevaux ailés de Beauxbâtons. Ses gigantesques pattes avant tenaient à distance les armes qui se dressaient devant lui, tandis que la queue de rorqual qui faisait visiblement office de pattes arrières fouettait l'eau avec violence. Ses naseaux semblaient cracher de la fumée et sa crinière d'ébène, comme le reste de son corps musculeux, flottait tout autour de lui tel un voile funeste.

Définitivement pas un gentil poney de prairie...

Il fallait regagner la surface, et vite.

Avec une bonne dose de motivation supplémentaire, Harry reprit son chemin en direction d'une dune de sable au-delà de laquelle s'étendaient des plaines vallonnées, ne tardant pas à sentir une déplaisante langue d'eau froide lui chatouiller les jambes, tandis que le courant se faisait plus fort.

« STOP ! » l'arrêta net une voix dans son dos.

En lieu et place du cheval-démon qu'il s'apprêtait à confronter, une sirène d'aspect féroce aux yeux jaunes et à la chevelure semblable à un nid d'anguilles fonçait vers lui à la vitesse de l'éclair, visiblement remontée, armée d'un trident similaire à celui du triton. Il eut un mouvement de recul, un Expelliarmus déjà sur les lèvres, mais la sirène pointa du doigt quelque chose derrière lui :

« Stop ! Ne va pas plus loin, ne va surtout pas dans la fosse ! ».

« Qu… quoi ? ».

« La fosse ! Elle est extrêmement dangereuse ! ».

Que baragouinait-elle ? Le relief sablonneux un peu plus loin, semblait parfaitement inoffensif !

« Viens ! » lui ordonna la sirène.

Sans lui laisser le choix, et il n'aurait de toute façon pas été en mesure de protester face à la force prodigieuse de la créature, elle lui attrapa le bras et le tira en arrière, jusqu'à ce que la température de l'eau redevienne agréable et que le courant diminue en intensité. Elle le hissa ensuite à la verticale pour lui faire prendre un peu de hauteur, de sorte qu'il puisse voir ce qu'il y avait juste de l'autre côté de la dune.

Il faillit tomber dans les pommes en découvrant ce qu'il avait manqué survoler.

Parce que le versant caché de la dune plongeait à pic dans une fosse large d'une vingtaine de mètres, si profonde que l'on n'y distinguait qu'une obscurité béante, bouche vorace prête à engloutir quiconque se baladerait un peu trop près du bord.

Le gouffre était énorme et lui évoqua un canyon sans fin, une fosse sous-marine s'étendant et se perdant dans les nappes brumeuses du lac. De l'autre côté, la prairie verdoyante reprenait ses droits, comme si un séisme cataclysmique s'était produit ici en des temps reculés et avait défiguré le paysage. Malgré les effets de la Branchiflore, il sentit son ventre se nouer d'angoisse à la seule vue de cette faille, s'imaginant couler des jours et des jours jusqu'à atteindre les entrailles de la Terre.

Les jambes coupées, Harry balbutia un remerciement du bout des lèvres, ce que balaya la sirène d'un revers de la main, où s'entrechoquèrent une série de bracelets couleur ocre.

« Nous sommes chargés de nous assurer du bon déroulement de la tâche. Le garçon aux cheveux de cuivre a bien failli se retrouver emporté par le courant tout à l'heure, je l'ai rattrapé in extremis alors qu'il passait au-dessus du gouffre. Quel pur inconscient ! Même celui à la tête de requin a eu assez de jugeote pour ne pas s'en approcher. Nous autres habitants du lac connaissons depuis des générations l'existence de cette faille, et ceux qui s'y sont aventurés n'en sont jamais revenus. Nous interdisons à nos enfants dès leur plus jeune âge de s'en approcher ou de la survoler de trop près. Nous préférons la contourner ».

N'ayant pas précisé s'ils étaient revenus morts, Harry en déduisit qu'ils n'en étaient pas revenus tout court.

« Dumbledore nous aurait tués s'il vous était arrivé quelque chose ».

« Je suis sûr que non » voulut la rassurer Harry.

Elle émit un grognement désabusé qui le mit mal à l'aise.

« Je dois remonter, l'heure est bientôt écoulée et il faut que je ramène Ron et... ».

« Non, ne remonte surtout pas à la surface ! La… chose en a après les candidats et aurait tôt fait de te rattraper avant que les organisateurs ne viennent te chercher en bateau, nous sommes trop loin des gradins ».

« Mais… ».

« Tu vois ce gros rocher là-bas ? Il y a une arche à mi-hauteur, elle mène jusqu'à la terre ferme. Tu y seras plus en sécurité qu'en remontant directement à la surface. C'est tout droit, tout en haut des escaliers, à côté de la statue du dragon ! ».

Et avant que Harry ait pu chercher à en savoir davantage, la sirène avait disparu, sa puissante queue de poisson la propulsant vers la scène de combat. Elle harangua le cheval avec un cri de guerre rageur, et esquiva de justesse un coup de sabot.

Harry n'en était pas sûr vu la distance, mais il lui sembla que le cheval avait les yeux couleur flammes.

Priant pour que la créature soit assez occupée à turlupiner les êtres de l'eau pour songer à lui prêter attention, il commença une lente ascension vers la gigantesque formation rocheuse, toute proche, freiné par le poids de Ron et de la petite fille aux cheveux d'argent dans ses bras. Il repéra vite une arche qui se nichait dans les aspérité de la paroi, dont les fondations en pierre étaient construites à même la roche.

Un hennissement de rage suivi de cris de douleurs lui firent craindre le pire et il s'efforça d'ignorer les crispations musculaires qui commençait à lui faire mal aux bras.

Le cœur battant, il nagea le plus rapidement possible en direction de l'arche à demi effondrée, refusant de penser à ce qui arriverait si les êtres de l'eau ne parvenaient pas à repousser la créature.

Lentement mais sûrement, il franchit enfin la voûte ébréchée qui lui révéla de part et d'autre un dédale de couloirs, comme ceux d'une abbaye ancienne, vestige du passé, tombée dans l'oubli.

Au même moment, il ressentit au bout de ses doigts et au niveau de ses branchies un picotement désagréable, cependant que sa vitesse de croisière, déjà peu élevée, ralentissait encore.

Les effets de la Branchiflore s'estompaient !

L'heure était écoulée...

« Oh non... pas ça, pas maintenant… Têtenbulle ! » s'exclama-t-il, complètement paniqué à l'idée de se retrouver piégé sous l'eau.

Il ne maîtrisait pas du tout les informulés, et s'il ne pouvait plus produire d'air en jetant un sort, il était condamné à se noyer ! Heureusement, la pression des profondeurs n'avait pas altéré le sort et une bulle de la taille d'un casque de scaphandre se forma au bout de sa baguette pour venir se positionner sur sa tête, lui permettant de continuer à respirer normalement, avec ses poumons cette fois.

Dans le même temps, l'eau atrocement froide du lac se rappela à son bon souvenir et lui transperça les os et il se lança aussitôt un sort de réchauffement qui atténua un peu la sensation de brûlure. Ce n'était pas d'une grande aide, l'eau restait glaciale, mais au moins ses bras et ses jambes n'en seraient pas paralysés.

Harry réalisa à quel point ses membres palmés lui avaient facilité la tâche tandis qu'il emportait lentement, trop lentement, ses prisonniers vers ce qu'il espérait être un endroit sûr.

Il n'eut pas besoin de lancer un Lumos, la lumière naturellement verte du lac lui éclairant suffisamment le passage pour qu'il se repère.

Un large et interminable escalier en pierre se dressait devant lui, et il eut l'impression de mettre un temps infini à atteindre la dernière marche, les poumons en feu, les muscles douloureux d'efforts et les omoplates cisaillées de tiraillements aigus. L'eau était si froide qu'il devait renouveler le sort de chaleur, visiblement pas adapté au milieu aquatique.

La statue colossale d'un dragon endormi sur ses énormes pattes dotées de griffes l'accueillit tout en haut et il ne prit pas la peine de s'accorder une pause ou d'admirer la sculpture ni même le décor environnant. Il y avait ici trois issues possibles : à droite, deux couloirs qui plongeaient vers les ténèbres, et à sa gauche, un couloir baigné de la lumière naturelle du lac. Ce fut sans hésitation qu'il se dirigea vers celui-ci, manquant de cogner Ron contre le mur.

« Allez... je dois sortir d'ici... » expira-t-il difficilement, le sang bourdonnant dans ses oreilles.

La sirène ne s'était pas trompée puisque presque aussitôt, et à son plus grand soulagement, il jaillit à l'air libre.

Dans un ultime effort, il hissa ses prisonniers sur le rebord glissant et jonché d'algues de ce qui était une cellule exiguë mais haute de plafond, qu'une meurtrière inaccessible éclairait d'un faisceau rectangulaire. A bout de force, Harry annula le Têtenbulle et accueillit avec soulagement l'air frais aux senteurs d'algues qui caressait son visage.

Ses compagnons d'infortunes se réveillèrent au même moment en crachotant, dégoulinants et transis de froid.

Visiblement terrorisée, la petite fille aux cheveux blonds argentés et qui ne devait pas avoir plus de huit ans, regardait de ses grands yeux les murs humides et sombres de leur cellule. Elle avait l'air d'être sur le point de fondre en larmes.

« Ça va ? Ne t'inquiètes pas, tu es en sécurité » lâcha Harry dans un souffle tout en pressant le bras de Ron pour s'assurer que son ami allait bien. « On va sortir d'ici, d'accord ? ».

Baguette en main, il lui lança un sort de chaleur qu'il réitéra sur Ron, avant de reposer sa tête sur le rebord, épuisé. Ses bras et ses jambes étaient comme du coton et il n'avait même plus l'envie de se traîner hors de l'eau... seule la perspective de savoir que quelque chose rôdait dans le lac lui donna un dernier sursaut d'énergie et il s'appuya sur ses bras tremblants d'effort pour rouler sur le sol en pierre de la cellule.

Ron se précipita aussitôt.

« Harry ? ». Il le retourna sur le dos, projetant des gouttelettes glacées sur son visage. « Harry, ça va, mon vieux ? ».

« Désolé, je ne connais pas la formule pour le sort de séchage » fit Harry en claquant des dents.

Il dut s'y reprendre à trois reprises pour réussir à formuler correctement le sort sur lui-même. A défaut d'être secs, ils n'auraient pas trop froid les prochaines minutes.

« C'est mieux que rien, ne t'en fais pas. Tu as l'air au bout du rouleau, reprends ton souffle » répondit Ron, la mine alerte malgré l'air décontracté qu'il s'efforçait de se composer pour ne pas effrayer la fillette. « Est-ce que tu sais où on est, par hasard ? C'est normal s'il n'y a pas de porte ? ».

« Quoi ? » Harry se redressa comme un ressort, ses muscles endoloris lui arrachant une grimace de douleur. « Comment ça, il n'y a pas de porte ? ».

Avec horreur, il s'aperçut que Ron disait vrai. Hormis la meurtrière creusée dans le mur, la seule issue de sortie consistait en une fosse elle aussi inondée, à savoir des escaliers qui plongeaient droit vers l'obscurité et l'inconnu.

« Mais... mais... » bégaya-t-il, perdu, son cerveau analysant la situation à toute vitesse. « Ron, ta baguette ! Tu as ta baguette ? ».

S'agenouillant près du tunnel inondé par lequel ils étaient arrivés et où filtrait la lumière naturelle et verdâtre du lac, il brandit sa baguette devant lui, aux aguets et le cœur battant. L'eau était claire, et il verrait si quelqu'un s'était mis en tête de les suivre. Quelqu'un... ou devait-il dire, quelque chose...

« Bordel de... ! » Ron ravala de justesse son juron. « J'y crois pas ! Dumbledore me l'a prise ! ».

« Dumbledore ? » répéta Harry sans comprendre. « Pourquoi est-ce que Dumbledore aurait pris ta baguette ? ».

« Il nous a convoqués dans son bureau hier soir avec Hermione pendant que tu étais à la Bibliothèque, c'est McGonagall qui est venue nous chercher directement. Il nous a tous endormis, avec Cho Chang et... » il esquissa un sourire qui se voulait rassurant et demanda gentiment à la petite fille : « Comment est-ce que tu t'appelles, toi ? ».

« Gabrielle » répondit-elle d'une voix apeurée. « Je... je suis la sœur de Fleur ».

« Gabrielle, on va aller retrouver tes parents qui nous attendent sur les gradins, d'accord ? ».

Allant s'agenouiller au bord de l'eau, Ron murmura entre ses dents :

« Pourquoi est-ce que tu as ramené la sœur d'une concurrente, au juste ? C'était à Fleur de la récupérer elle-même, non ? ».

« Les choses ne se sont pas déroulées aussi facilement que tu l'imagines ou que Dumbledore a pu te le présenter, Ron. Fleur n'était pas là, Krum et Diggory étaient déjà repartis. Qu'est-ce que j'étais supposé faire ? La laisser se noyer ? ».

« Tu n'es pas sérieux » fit Ron en secouant la tête avec incrédulité. « Harry, tu n'as quand même pas vraiment cru que Dumbledore allait nous laisser nous noyer si nos champions ne parvenaient pas à nous trouver et nous libérer au bout d'une heure ? Le sort d'endormissement qu'il nous a lancés était spécialement prévu pour se rompre au moment où on atteindrait la surface ! ».

« C'est toujours facile à dire après coup ! » s'énerva Harry, bien conscient qu'à présent qu'il l'avait énoncé à voix haute, il était évident que Ron avait raison... « Comme si j'avais demandé à devoir plonger dans le lac ! ».

« D'accord, d'accord » concéda Ron en levant les mains en guise d'apaisement. « Merci de m'avoir sauvé les miches dans les temps. Et maintenant, tu peux me dire ce que tu fabriques à surveiller l'eau comme ça, parce que je ne te cache pas que tu me fais un peu flipper ».

Tentant de maîtriser l'exaspération qui grondait en lui contre sa propre naïveté, Harry baissa la voix :

« Quelque chose dans le lac a attaqué les êtres de l'eau, je vérifie simplement que ça ne nous a pas suivi ».

« Tu as vu ce que c'était ? ».

« On aurait dit un cheval noir avec des nageoires, aussi gros que les chevaux ailés de Beauxbâtons » fit Harry en fronçant les sourcils. « Comme une sorte d'hippocampe géant ».

Ron parut réfléchir un court instant, et Harry crut soudain voir passer un éclair de compréhension mêlé de terreur dans son regard.

« Tu es sûr que ça ne fait pas partie de la tâche ? ».

« Je ne sais pas, mais tu aurais dû les voir, complètement terrorisés... ».

« Bon, on n'a qu'à regarder par la fenêtre, ça nous donnera déjà une idée d'où on est pour alerter les secours » décréta Ron, les épaules tendues par la nervosité.

Sous l'œil inquiet de Gabrielle, Harry endossa le rôle de courte-échelle et laissa Ron lui grimper maladroitement dessus pour accéder à l'ouverture étroite qui éclairait la pièce, s'aidant des anfractuosités dans la pierre pour se stabiliser. La meurtrière pouvait à peine laisser passer une épaule, excluant toute possibilité de sortir par là, et Harry essayait de ne pas penser au fait qu'il lui faudrait possiblement replonger dans le lac pour s'extirper d'ici.

« Je vois de l'herbe, des sapins et... ah ! Je reconnais les montagnes qui entourent une partie du parc de Poudlard ! Mais vu leur orientation, on ne doit pas être au château... Je dirais que tu nous as amené sur une des îles du lac. Par contre, je ne vois pas les gradins d'ici ».

Bloquant son bras dans la meurtrière, Ron se contorsionna un peu plus pour essayer d'en apercevoir davantage, et Harry serra les dents en contractant les muscles de ses jambes.

« Envoie le signal de détresse pour indiquer notre position » fit-il en lui passant sa baguette.

« Vu la configuration des lieux, je ne suis pas sûr que les fusées soient visibles depuis notre position » hésita Ron. « Mais j'imagine que ça ne coûte rien d'essayer. Periculum ! ».

Le feu d'artifice rouge qui fusa de la baguette et éclata au-dessus d'eux redonna un peu d'espoir à Harry.

Au même moment, trois petites boules de poils noires et furtives descendirent en piqué du plafond et poussèrent des piaillement aigus, effrayant et déséquilibrant Ron qui poussa un cri de surprise et s'écroula de tout son poids sur Harry. Les deux garçons s'effondrèrent de tout leur long sur le sol rugueux de la cellule en envoyant rouler quelques galets qui décrivirent des cercles dans l'eau.

« C'est quoi ça, encore ?! » beugla Ron.

« Ce sont des chauve-souris, Ron, de fichues chauve-souris ! Tu étais vraiment obligé de me tomber dessus ?! ».

Les trois minuscules chauve-souris voletèrent un instant sous le plafond, avant d'aller se percher sur une grosse poutre poussiéreuse, le plus loin possible de la lumière. Terrifiée, Gabrielle s'était réfugiée dans un coin de la cellule, les yeux rivés vers les petites créatures.

« Désolé » grimaça Ron, qui avait au moins l'air sincère. « Tu sais combien j'ai horreur de tout ce qui se rapproche physiquement des araignées. Des trucs noirs et poilus, ça me rappelle de mauvais souvenirs ».

« Depuis quand est-ce que les araignées volent, au juste ? » gronda Harry en frottant sa joue éraflée et son genou douloureux qui avait tapé une dalle dans la chute. Il s'approcha de la fillette aux cheveux d'argent et lui tendit une main amicale. « Tu n'as rien à craindre, ce sont juste des chauve-souris qui dormaient et qui ont eu peur de nous. Elles ne nous veulent aucun mal ».

S'agissant de la chose qui avait attaqué les êtres de l'eau en revanche, rien n'était moins sûr.

Et il n'avait aucune envie d'attendre tranquillement de savoir si la créature chevaline allait les débusquer ici sans crier gare.

« Tu es sûr de ce que tu as vu dans le lac ? » s'enquit Ron. « Un gros cheval noir énervé avec des nageoires ? ».

La petite sœur de Fleur laissa échapper un hoquet de peur, ses mains tremblantes encadrant ses joues pâles.

« Bien joué, Ron ! » soupira Harry, non sans cacher son inquiétude.

L'appréhension qu'il lisait dans les yeux clairs de son ami depuis plusieurs minutes n'était pas pour le rassurer, pas davantage que la manière peu naturelle dont il se tordait les mains, comme pour y focaliser son stress.

« Tu sais ce que c'est » assena-t-il, et ce n'était pas une question.

« Je n'ai pas vu, j'étais endormi je te le rappelle ! Mais... c'était peut-être... enfin, tout de même, je sais que c'est le Tournoi des Trois Sorciers mais les organisateurs n'auraient quand même pas pris le risque de faire venir un... ».

« De faire venir quoi, Ron ? Un quoi ?! » exigea Harry, dont le cœur se mit à battre péniblement.

« C'était peut-être un Kelpie » dit finalement le roux dans un murmure. « Mon père me racontait des histoires quand j'étais petit, mais j'ai toujours pensé que ce n'étaient rien que des légendes d'Écosse ».

« Un Kelpie ? ».

« Il y a longtemps que je n'ai plus besoin qu'on me raconte des histoires pour m'aider à m'endormir, alors la seule chose dont je me souviens à peu près c'est que les Kelpies vivent dans l'eau et sont des créatures très dangereuses, mais je ne saurais pas te dire pourquoi. Je ne vais pas attendre qu'il surgisse ici, surtout que Dumbledore a eu la bonne idée de me confisquer ma baguette ».

Tous trois s'étaient remis à trembler de froid et Harry renouvela les sortilèges de chaleur. La sensation sur sa peau était à peine tiède et ne les sauverait pas de l'hypothermie s'ils n'étaient pas rapidement secourus, et il se frictionna les bras pour générer un peu de chaleur corporelle. Il jeta un nouveau regard en direction de la fosse inondée, craignant que le vacarme qu'ils faisaient n'attire la créature. Parce qu'il ne savait pas ce qu'ils feraient si jamais elle surgissait sans crier gare, enfin ce qu'il ferait, étant donné qu'il était le seul à posséder une baguette.

« Quelqu'un va devoir nager là-dedans en éclaireur pour aller voir où mène cet escalier » déclara finalement Ron après avoir examiné les marches inondées qui plongeaient dans les ténèbres. « Tu te sens de le faire ? ».

Harry sentit son estomac avoir un soubresaut. « Pas le choix ».

Ron lui adressa un regard grave.

Il avait été témoin ces derniers jours de la peur insidieuse qui écrasait son ami à l'idée de se hasarder à effectuer ne serait-ce que quelques brasses dans une eau hostile et profonde. Ron avait grandi à la campagne où il passait le plus clair de ses étés à sauter avec sa fratrie du haut des rochers dans le lac bleu voisin du Terrier, il ne craignait ni spécialement les grandes profondeurs ni la perspective de jouer à celui qui resterait le plus longtemps sous l'eau sans respirer. La seule idée qu'il ait pu craindre de se noyer était risible… un peu arrogant comme façon de penser, il supposait, mais c'était aussi la vérité. Harry, en revanche…

Et s'ils avaient le prétendu Kelpie aux trousses, il fallait être le plus rapide possible.

« Je peux y aller, si tu veux » proposa-t-il.

Harry le jaugea avec étonnement, ses épaules se relâchant imperceptiblement.

« Tu es sûr ? C'est à moi de faire l'épreuve et de nous sortir de là, je ne veux pas que tu aies des ennuis parce que… ».

« Personne n'aura d'ennuis car je suis presque sûr que ça ne fait pas partie de l'épreuve » le coupa Ron. « Je suis bien plus à l'aise sous l'eau que toi et meilleur nageur, sans vouloir t'offenser ».

« Je n'ai jamais été très familier avec l'eau » acquiesça Harry avec hésitation. « Quand la Branchiflore a cessé de faire effet tout à l'heure, j'ai bien cru que j'allais me noyer. Mais c'est quand même un risque… et s'il t'arrive quelque chose ? ».

« J'y vais si tu me prêtes ta baguette, ne serait-ce que pour m'éclairer. Dès que je trouve la sortie, je reviens vous chercher et on se tire d'ici : si ce que je pense est vrai, alors cet escalier doit être relié au donjon que j'ai vu. Je te parie que ça devait être une cellule à l'époque où ce n'était pas inondé, il y a forcément un moyen de ressortir sans passer par le lac. Je serai aussi rapide que possible, de toute façon je ne pourrai pas rester en apnée éternellement ».

« Tu ne seras pas obligé de retenir ta respiration » fit Harry avant de lui jeter un Têtenbulle qui entoura aussitôt la tête de Ron. Il lui remit ensuite sa baguette, non sans une certaine appréhension, tant l'outil était intimement lié à son sorcier.

Allez, ce n'était que l'histoire de quelques minutes…

« Bizarre comme impression, on se croirait dans un bocal à poissons ».

« Sois prudent, et essaye de… ».

« De revenir avant que le Kelpie ne vous dévore ? » acheva Ron d'un ton mi-sinistre mi-ironique. « Je ferai du mieux que je peux. Lumos ! ».

Harry le regarda descendre les marches inondées sans pouvoir réprimer un frisson d'angoisse.

Ron frémit au moment de s'immerger jusqu'aux épaules : l'eau était si froide qu'elle atténuait grandement les effets du sortilège de réchauffement. Cependant il ne protesta pas et, un air déterminé sur le visage, se coula sous la surface en un mouvement leste du bras, la lumière tremblotante de la baguette achevant de s'éloigner peu à peu jusqu'à disparaître totalement.

« Le cheval noir, il va venir ici ? » demanda la voix ténue de la fillette aux cheveux argentés, qui s'était timidement rapprochée de lui pendant la manœuvre.

« J'espère que non » soupira Harry en surveillant l'autre entrée, côté lac, de la cellule.

Il s'efforçait de ne pas penser à ce qu'il ferait si d'énormes sabots noirs s'avisaient de jaillir de l'eau.

Par chance, il ne se passa pas plus de cinq minutes avant que Ron ne reparaisse, un sourire triomphant aux lèvres, leur confirmant qu'il y avait bel et bien une sortie de l'autre côté de l'escalier.

« Je passerai en premier avec le Lumos pour nous guider, ensuite Gabrielle au milieu, et Harry tu suivras juste derrière. On se tiendra la main pour ne pas se perdre, d'accord ? ».

« Comment ça, ne pas se perdre ? ».

« J'ai mis un peu de temps à trouver le chemin du premier coup, il y a plusieurs intersections là-dessous ».

« Tu veux dire qu'on va plonger dans un labyrinthe noyé ? » résuma Harry entre ses dents, son estomac bondissant à cette idée. « Comment est-ce qu'on fera si jamais tu ne retrouves pas ton chemin ? ».

« On ne se perdra pas » assura Ron d'un ton catégorique. « C'est facile, il suffit de suivre le chemin principal. Tant qu'on ne se lâche pas la main les uns les autres, personne ne sera oublié. Cet endroit semble abandonné depuis des siècles et je n'ai croisé que quelques poissons inoffensifs, tout va bien se passer ».

« Je ne veux pas y aller » décréta la voix fluette de Gabrielle avec appréhension.

Toute menue dans sa robe fine en soie bleue, elle fixait les escaliers inondés, ses bras entourant son ventre.

« Moi non plus je ne veux pas y aller mais nous n'avons pas le choix, c'est le chemin le plus sûr et le plus rapide pour sortir de cet endroit et rejoindre tes parents. Il ne t'arrivera rien, Ron est excellent nageur et nous serons tous les deux juste à côté de toi. Le Tournoi des Trois Sorciers n'est rien d'autre qu'un grand jeu, et il est important de finir un jeu ».

« C'est comme à la mer ? ».

« C'est exactement pareil » mentit Harry.

Étant donné que la seule fois de sa vie où il avait vu la mer remontait à Noël quand Snape l'avait amené avec lui à Godric's Hollow, et qu'il n'y avait jamais ne serait-ce que trempé un orteil… Mais il était essentiel que la fillette consente à suivre Ron sans paniquer.

« Tu nous fais confiance ? ».

Gabrielle le jaugea de ses yeux qu'elle avait semblables à ceux de son aînée, avant d'acquiescer et de rétorquer avec une décontraction de façade :

« D'accord, je veux bien vous suivre ».

Hochant la tête pour l'encourager, Harry s'assura qu'elle serait protégée du froid puis lança les Têtenbulles.

« Tout va bien ? Tu vas voir, ce sort va te permettre de respirer sous l'eau comme si tu étais à l'air libre, comme les dauphins ».

« Il y a des dauphins ici ? » s'éclaira la fillette, des étoiles dans les yeux, tandis que Ron lui prenait la main pour descendre les marches.

« Plus tard, les discussions sur les dauphins, les paillettes et autres licornes » se moqua-t-il.

Ils en étaient arrivés à mi-cuisses dans les escaliers inondés et noirs comme les ténèbres, lorsque Harry, pris d'un brusque mauvais pressentiment, lança un dernier regard du côté du tunnel rempli d'eau verdâtre qui menait jusqu'au lac.

Son cœur sauta dans sa poitrine et il retint un cri d'horreur, bloquant sa respiration comme par réflexe, cependant qu'il fixait avec terreur les naseaux noirs et les oreilles dressées du cheval démoniaque qui affleuraient à la surface, le toisant de ses yeux ocres et mauvais. Il devinait, déformée par la réflexion de l'eau, la masse sombre et monstrueuse de son corps.

« Ron » dit-il d'une voix étranglée en tâtonnant derrière lui jusqu'à trouver l'épaule de son ami.

« Qu'est-ce qu'il… ».

Pétrifié, Ron devint aussi pâle que s'il faisant face à la Mort elle-même tandis que Gabrielle poussait un hurlement strident qui leur vrilla les tympans.

« On bouge ! » réagit Harry en poussant Ron et Gabrielle dans les escaliers.

A l'instant où il plongeait à leur suite dans l'eau glaciale qui lui rappela que son précédent sort de chaleur s'était dissipé, il distingua du coin de l'œil une forme massive et musculeuse surgir du tunnel, dispersant des vagues dans la cellule.

Le cœur battant la chamade, il nagea aussi vite qu'il le put, pendant que lui parvenait le son étouffé des sabots qui s'entrechoquaient sur le sol pierreux.

La panique et l'adrénaline lui firent oublier le sentiment de claustrophobie, et il songea que c'était finalement une bonne chose que le couloir qui prolongeait les escaliers soit assez étroit pour ne pas pouvoir laisser passer la carrure de la chose qui était sur leurs talons.

Seulement, Ron nageait vite.

Trop vite pour qu'il ait seulement le temps d'attraper la main de Gabrielle pour ne pas se perdre, et de toute façon il n'était pas prêt à courir le risque de ralentir la fillette et de l'emmener avec lui dans les tréfonds obscurs des sous-sols noyés.

Le Lumos vacillant diminua brusquement en intensité et Harry sentit son cœur se figer d'effroi une demi-seconde avant de comprendre que ce n'était que le passage qui faisait un coude. S'appuyant contre un mur pour prendre de l'élan, il ne résista pas à la curiosité malsaine de jeter un œil derrière lui.

Si le Kelpie ne semblait pas les suivre, il n'était pour autant pas question de prendre son temps.

Il reprit sa nage effrénée, s'aidant des parois sombres et glissantes des murs, refusant de tourner la tête lorsqu'il dépassait des intersections aussi noires qu'un puits sans fonds, refusant de laisser son imagination y représenter des montres marins ou pire, les tentacules caoutchouteux du Calamar géant.

Plus loin devant lui, Ron et Gabrielle atteignirent d'autres escaliers et il donna un dernier coup de collier jusqu'à émerger de l'eau et grimper les marches qui menaient à une pièce à peine plus grande que la cellule qu'ils venaient de quitter.

Ron s'acharnait déjà sur la grille rouillée en fer forgé qui se découpait dans le mur d'en face et donnait sur un couloir qui ne devait pas être bien loin de la lumière du jour et donc, de la liberté, mais les Alohomora déterminés qu'il lançait demeuraient sans effet sur la serrure vétuste.

« Essaye, Harry ! Peut-être qu'elle n'obéit qu'à son maître ! ».

Une baguette avait beau être loyale envers son propriétaire au point de parfois se montrer récalcitrante avec un autre sorcier, voire complètement muette, Harry faillit lui rétorquer que si sa baguette lui obéissait pour un Lumos, elle n'aurait pas dû faire de difficulté pour un Alohomora basique, mais la situation était urgente et s'il subsistait un espoir qu'il puisse déverrouiller la porte en lieu et place de Ron en tant que détenteur légitime, il fallait s'y accrocher.

Hélas, à l'instar de son ami, aucun déclic ne se produisit.

Avaient-ils subitement oublié comment exécuter un enchantement de niveau première année ?

« Pourquoi est-ce que ça ne s'ouvre pas ? » enragea Ron.

« Diffindo ! » enchaîna Harry, sans succès, avant de donner un coup de pied dans la serrure. « Diffindo ! Allez, ouvre-toi, bon sang ! ».

Les sortilèges de Découpe ne lui furent pas davantage utiles, et il renonça quand l'un d'eux ricocha pour aller s'écraser contre un mur, réduisant une algue en fumée. Ce n'était pas le moment de se blesser bêtement quand, à tout moment, un cheval-démon pouvait venir les anéantir.

Si seulement il avait eu le couteau magique que Sirius lui avait offert à Noël… mais non, il coulait des jours heureux bien dissimulé sous son matelas.

« Bombarda ! » lança Harry, et une boule de feu de la taille d'un Souaffle jaillit de sa baguette jusqu'à lécher la serrure. Gabrielle laissa échapper une exclamation apeurée mêlée d'admiration.

Ce n'était probablement pas prudent d'utiliser ce sort compte tenu du risque réel de mettre le feu aux alentours, mais ils ne pouvaient plus se permettre de prendre des précautions. Un autre Bombarda acheva de faire ployer la serrure qui fondit et se désagrégea sous les coup répétés et violents que les Gryffondors donnaient en prenant soin de ne pas se brûler, jusqu'à ce que la grille cède et ploie sur ses gonds.

D'une joie sauvage, ils disloquèrent la porte dans un vacarme de ferraille avant de quitter la cellule et de s'élancer dans le couloir adjacent, tenant chacun la petite fille par une main.

Ils n'eurent qu'à faire quelques pas avant de fouler l'épaisse couche de neige du terrain en pente douce qui descendait jusqu'au lac, à une cinquantaine de mètres de l'édifice.

« Le Kelpie nous a suivi ? » lança Ron en coiffant en arrière ses cheveux trempés. Une algue brune s'était accrochée à sa manche, et il la jeta sur Harry qui l'esquiva adroitement. « Je crois me souvenir qu'ils ne vivent que dans l'eau ».

« Je ne vois rien, il devait être trop gros pour se faufiler dans le passage. Je n'ai jamais nagé aussi vite de toute ma vie, j'ai failli vous perdre ! ».

« Tu t'es débrouillé comme un chef ».

Transi de froid, Harry balaya du regard le paysage autour d'eux.

Ils étaient bel et bien sur un îlot du lac essentiellement peuplée de sapins, et avec au milieu le donjon duquel ils venaient de s'échapper.

Le donjon n'était pas très haut et sa pierre grisâtre était parsemée de lierre sauvage grimpant, tandis qu'au sol, entre les buissons épars et les herbes hautes, se découvraient les vestiges anciens des fondations de ce qui avait jadis dû être un manoir respectable. Entre les sapins, il distingua une petite tour ronde isolée qui était vraisemblablement la première cellule dans laquelle ils avaient échoué. Hormis ce détail, l'endroit paraissait être des plus paisibles.

« Allons voir où sont les gradins » proposa Harry avant d'éternuer. Le sort de réchauffement était à peine efficace, et à voir Ron et Gabrielle qui grelottaient, il était à prévoir que Mme Pomfresh allait les accueillir à grands renforts de regards énervés et de fioles de Pimentine.

Il avisa la surface métallique et peu amicale du lac, et frissonna. Branchiflore ou pas, il n'était pas mécontent d'être en sécurité, de retour sur la terre ferme.

L'île était si petite que les trois structures imposantes des gradins furent bientôt en vue, minuscules, tout au fond de la baie, et plus loin encore se dessinait la silhouette familière et rassurante du château.

Les mains en visière sur son front, Ron maugréa :

« Non mais je rêve, tu vois les secours arriver, toi ? Je parie qu'ils doivent être trop occupés à se bâfrer de pains au chocolat et de tasses de chocolat chaud au buffet du petit-déjeuner pour prêter attention aux champions en détresse. On compte pour du beurre, c'est ça ? ».

« Maintenant que tu en parles, j'ai une faim de loup-garou ! » s'exclama Harry qui sentit son ventre crier famine. S'il avait été trop angoissé au réveil pour avaler quoi que ce soit, à présent que l'épreuve était terminée il salivait déjà à l'idée de s'installer devant un brunch alléchant.

« Moi aussi, j'ai super faim ! » renchérit Gabrielle, que le grand air avait ragaillardi.

« Tu as été super courageuse » la félicita Ron. « A ta place à ton âge, j'aurais sans doute pleuré comme un gros bébé ».

La fillette lui adressa un sourire reconnaissant et se jeta sur lui pour l'enlacer de ses bras fins, avant d'en faire de même avec Harry, qui se rappela au même moment, tandis qu'il lui rendait une étreinte maladroite, de l'existence de sa sœur. Fleur avait-elle abandonné l'épreuve ? Il avait du mal à penser qu'elle aurait aussi facilement laissé sa cadette se morfondre au fond du lac, soit elle s'était perdue soit elle avait été attaquée par quelque chose…

Une sensation de malaise se répandit dans sa poitrine, et il fut heureux que Ron enchaîne :

« A mon avis, ton Periculum s'est perdu entre les sapins et n'est pas monté assez haut… On aura sûrement plus de succès en essayant d'ici ».

Harry s'engagea sur une petite digue naturelle formant une mini crique et constituée de galets glissants, pour relancer un Periculum depuis un espace dégagé. Le personnel préposé à la sécurité n'avait désormais plus aucune excuse pour ne pas venir les récupérer !

Il observa pensivement les fusées qui se désagrégeaient et achevaient de se noyer dans l'eau.

Une part de lui était déçue de ne pas avoir ramené Ron aux gradins dans le temps imparti. Cédric avait dû revenir le premier, auréolé de gloire… Cédric, le vrai champion de Poudlard, songea-t-il avec une pointe de dépit. Et une autre part de lui était soulagée que la deuxième tâche soit enfin terminée et qu'il n'ait pas à se faire un sang d'encre avant le jour de la troisième tâche qui aurait lieu en juin, et plus particulièrement, soulagée de s'en être sorti indemne. Restait à savoir si le Kelpie faisait partie de la surprise des organisateurs du Tournoi… Après les Vouivres de la première tâche, ils n'étaient plus à ça près…

Soupirant, il se retourna pour rejoindre la berge, et se figea net.

Ron…

Ron et Gabrielle avaient disparu.

Il fouilla fébrilement du regard la rive, ses yeux glissants sur les sapins serrés qui bordaient le rivage. Ils n'avaient pas pu se volatiliser ! Ils étaient juste derrière lui ! Il s'était à peine éloigné. Ils n'avaient tout simplement pas pu…

Ils s'étaient juste écartés pour explorer l'île en attendant les secours, c'est tout.

Ron avait dit…

Ron avait dit que le Kelpie vivait dans l'eau. Donc impossible qu'il ait pu grimper sur la terre ferme, n'est-ce pas ? A fortiori avec des palmes en guise de pattes arrières…

Courant à moitié sur les rochers verglacés et menaçant à tout moment de se rompre le cou sur une arête, il regagna la rive et bondit par-dessus la rangée de roseaux qui lui barraient le chemin.

La vision des corps inertes dans la neige était si choquante qu'elle lui coupa le souffle et le fit s'effondrer à genoux.

« Ron… » murmura-t-il, sentant ses mains devenir moites et sa vue se brouiller, cependant que le sang lui montait brutalement aux tempes.

Il se voyait déjà annoncer aux Weasley… Il voyait déjà les journaux…

« Ron ! » hurla-t-il pour reprendre ses esprits. « Gabrielle ! ».

Ils n'étaient pas mort évidemment, car à bien y regarder de plus près, ils clignaient leurs yeux grands ouverts en direction du ciel comme s'ils étaient soumis aux effets d'un Petrificus Totalus.

Sauf que Harry n'avait ni vu ni entendu personne jeter de sorts.

Ce qui voulait donc dire…

« Ils sont vivants » s'éleva une voix enrouée, presque enjôleuse.

Interdit, il ouvrit des yeux ronds comme des billes en découvrant une femme qui se tenait debout entre les roseaux, comme si elle y avait toujours été. A la seule différence qu'il ne l'avait pas entendue arriver...

La première pensée qui lui vint à l'esprit fut qu'elle ressemblait à une Vélane, bien qu'elle n'ait ni les cheveux blonds retombant en cascade comme Fleur ni la peau dorée et scintillante. Elle était grande et d'une rare beauté avec ses traits fins et quasi aristocratiques, la peau aussi pâle que si elle n'avait pas vu le soleil depuis des années, des yeux gris hypnotiques qui pourtant le mirent instantanément mal à l'aise sans qu'il ne sache pourquoi, et ses longs cheveux noirs entremêlés d'herbes paraissaient si soyeux qu'il eut l'envie improbable de les toucher pour vérifier s'ils avaient la texture de la soie.

Ses seuls vêtements, par ailleurs légers pour la saison, semblaient êtres faits d'un alliage de plantes aquatiques nouées entre elles, et ses pieds étaient nus, mais elle ne paraissait pas être le moins du monde gênée par les températures.

Vélane ou pas, cela ne l'empêcha pas de pointer sa baguette vers elle à la seconde où il la vit.

« Qu'est-ce que vous leur avez fait ? » accusa-t-il d'une voix qu'il espérait calme, mais où perçait un accent d'hystérie.

« Ils sont simplement évanouis, les effets du venin se dissiperont bientôt ».

« Le venin ?! Où est-il… ?! ».

« Où est quoi ? » demanda doucement la femme, l'observant jeter des regards inquiets autour d'eux.

« Le serpent ! Où est le serpent ?! » cracha Harry. Il jeta des regards autour d'eux, prêt à faire face à il ne savait quel reptile aux crocs luisant de venin. S'il y avait eu un Basilic, il l'aurait vu, non ? Repenser à sa confrontation avec le Roi des Serpents faillit lui donner le vertige. « Où est-ce qu'il est ? »

« Il n'y a pas de serpent, j'en ai bien peur » répondit-elle, les sourcils froncés. « Du reste, les serpents n'aiment ni l'hiver ni la neige ».

« Mais vous avez parlé de… ».

Harry s'interrompit, pointant sa baguette en direction des arbres tous proches.

« Le Kelpie ! Ça doit être le Kelpie, il était juste derrière nous il y a quelques minutes, on aurait dit un monstre ! Il a dû les attaquer et les empoisonner pendant que j'avais le dos tourné ! Et il a sûrement attaqué Fleur dans le lac car elle n'est jamais venue libérer sa sœur ! Vous avez une baguette ? ».

« Pour combien de temps est-ce qu'ils en ont ? Les juges ? ».

Harry la dévisagea sans comprendre. Visiblement, elle attendait comme lui que les secours arrivent. Faisait-elle partie du décorum orchestré pour le tournoi ? Peut-être représentante des êtres de l'eau dont la mission consistait à rapporter au jury le déroulé des faits sous l'eau, ce qui expliquait ses pieds nus et les plantes en guise de vêtements. Mais n'expliquait pas, en revanche, son apparence définitivement humaine. A moins que les sirènes et les tritons se transforment en êtres humains au contact de l'air libre ?

« Ça devrait être l'affaire de quelques minutes, je suppose » répondit-il alors qu'elle esquissait un pas tranquille en avant. « Vous faîtes partie de l'organisation de la deuxième tâche ? ».

Il y avait quelque chose qui n'allait pas avec elle et qui le dérangeait, presque inconsciemment, mais quoi ? Avant qu'il ait pu l'observer de plus près, une silhouette jaillit d'entre les sapins, et il releva sa baguette.

« Fleur ! » s'exclama-t-il avec soulagement.

La championne de Beauxbâtons avait triste mine avec ses vêtements bleu ciel sales et déchirés qui lui donnaient des allures de guerrière ingénue, ses longs cheveux blonds emmêlés et ses éraflures sur le visage. Harry remarqua qu'elle tenait son bras replié contre sa poitrine.

Ses yeux s'agrandirent de peur lorsqu'elle les aperçus, et elle leva sa baguette contre eux en retour.

« Éloigne-toi de lui ! » siffla la jeune femme, une expression dure se superposant sur son visage exténué.

« Fleur, tu dois venir m'aider à les réveiller ! Gabrielle et Ron se sont évanouis, je crois que... ».

« Ne reste pas à côté d'elle ! » cria Fleur avant de réaliser ce qu'il venait de dire. « Gabrielle ? Gabrielle ! ».

Elle poussa un cri à mi-chemin entre détresse et colère, et quand elle aperçut derrière Harry le corps inerte de sa sœur, se précipita dans la neige cependant qu'elle les attaquait d'un sort brutal.

« Protego ! » s'écria Harry par réflexe, et un beau bouclier se positionna devant lui. Il n'en fut pas peu fier, et songea que Snape aurait approuvé sa première réussite, avant de se rappeler avec tristesse qu'il n'avait pas à se soucier de l'avis d'un Mangemort.

Le bouclier fut assez inutile en tout cas, car Fleur visait la femme à côté de lui. Elle esquiva prestement le sort qui alla réduire des fougères en cendre.

« Déjà réveillée ? » soupira-t-elle. « Coriace ».

Son pas de côté l'avait encore rapprochée de Harry.

Ses yeux... réalisa-t-il avec horreur, obéissant à un instinct de survie qui le fit se jeter en arrière et rompre son bouclier, manquant de s'étaler dans la neige.

Ses pupilles n'avaient rien d'humain et étaient verticales, et il eut la conviction qu'elle n'avait rien d'une sirène métamorphosée sur la terre ferme.

« C'est elle le cheval ! » hurla Fleur simultanément en enchaînant les sorts.

Malheureusement pour Harry, ses réflexes n'égalaient pas ceux surhumains de la femme... de la créature qui évitait les sorts comme si elle effectuait une petite danse. Ses doigts qui étaient devenus de courtes griffes acérées s'élancèrent vers lui et il sentit un léger pincement dans sa nuque, comme la piqûre d'une abeille.

L'instant d'après, la femme enlaçait Fleur comme si elle avait transplané sous leurs yeux, et le cri de protestation de la championne s'éteignit net pendant que Harry basculait en arrière dans le manteau blanc de la neige, les membres étrangement engourdis.

La vision suivante fut celle du ciel lactescent où s'envolait une nuée d'oiseaux effrayés.