Maintenant au courant des détails concernant la relation entre Damien et Grin, je suis persuadé que ma théorie concernant le sortilège est la bonne. L'ex de mon client ne doit pas avoir beaucoup de neurones en état de marche. Damien est un homme bien, je pense qu'il prendra soin de son petit ami.

L'heure du rendez-vous approche, et toujours pas de Rapace à l'horizon. S'il continue comme ça, Potter arrivera avant lui.

- Monsieur Malfoy, Rapace n'arrivera que dans dix minutes.

Je me corrige : c'est certain, Potter arrivera avant lui. Je remercie mon employé et prends le temps d'écouter la musique qui passe actuellement dans mon club. Pour patienter, je ferme les yeux et apprécie d'entendre un solo de batterie énergique, comme je les aime.

- Bonsoir.

J'ouvre les yeux à l'entente de sa voix, et lorsque ceux-ci tombent dans les siens, je comprends directement que l'ambiance pesante, mais plaisante de nos premiers rendez-vous est de retour.

- Bonsoir Harry.

Prononcer son prénom me perturbe encore, j'ai du mal à prendre l'habitude. Mais j'avais apprécié sa proposition de nous appeler par nos prénoms, de nous donner du respect. Chose qu'on ne se donnait pas à l'époque du « Potter ».

Sa tenue semble neuve, il est beaucoup plus soigné que d'habitude. Pourtant, j'ai déjà remarqué qu'il fait des efforts lorsqu'il vient au Bag'lette.

Les secondes passent sans que je ne prenne la parole, sans qu'il ne cherche à faire avancer le temps. Puis, au bout d'une minute peut-être, il décide de venir s'asseoir de lui-même, sans attendre que je lui propose. Il emplit l'espace, comme s'il était certain d'avoir sa place ici, dans mon bureau. A-t-il tort ? Il est incontestablement le client dont je suis le plus proche émotionnellement parlant.

Nos sentiments sont remplis de façon négative, mais plus le temps passe, ici, dans mon club, plus nos émotions semblent se bousculer. La haine avait laissé place à l'indifférence, puis à la reconnaissance mutuelle. Maintenant, après deux séances et de multiples rencontres, nos regards changent, deviennent plus doux, plus protecteurs, plus autre chose.

Je ne m'étais pas fait de réflexion jusqu'à aujourd'hui, comme si mon cerveau niait la différence. J'avais admis la taquinerie, le plaisir coupable de nos moments, la tournure agréable de nos séances. J'avais acquis sans comprendre, sans admettre que peut-être… Peut-être que le Gryffondor et moi, on commence à s'entendre au-delà d'une guerre, et au-delà d'une thérapie.

Finalement, aucun de nous ne parle, on attend Rapace, on se regarde. De temps à autre, il se tourne vers la porte et je vois sa jambe se soulever au rythme de la musique.

J'ai le sentiment qu'il y a un changement trop rapide entre la dernière fois et ce soir, mais j'ai l'impression de le regarder pour la première fois de ma vie, et ce que je découvre m'inquiète. J'ai mis du temps à réussir à me stabiliser, à me trouver une raison de continuer. Je suis devenu plus fort, moins peureux, moins égoïste, moins beaucoup de choses, mais je reste extrêmement fier, je reste le Draco Malfoy qui aime l'argent, le confort du luxe, la sécurité du pouvoir et l'attrait de la haute séduction.

Finalement, après une quinzaine de minutes de réflexion, j'entends Rapace arriver.

- Bonsoir, je suis désolé d'être en retard à notre rendez-vous monsieur Malfoy. Monsieur Potter, bonsoir.

- Nous en parlerons plus tard, mais ne t'en fait pas, j'avais été prévenu. Tu peux t'asseoir, nous allons commencer.

Mon client lui répond brièvement, le regardant quelques secondes avec curiosité avant de ramener son attention à moi.

- Rapace est un de mes employés, il se charge des souhaits tout comme moi. C'est lui qui s'est occupé de Grin. Je pense avoir des réponses à t'offrir, Harry.

Il hoche la tête, et Rapace tente de cacher sa surprise. Surprise qu'il n'aurait pas eue s'il était arrivé en temps et en heure.

- Rapace, il s'avère qu'une histoire lie nos deux clients, c'est pour ça que je voulais que tu sois là. Je vais dire à quelles conclusions j'en suis arrivé et tu pourras me dire si c'est plausible ou non. Je me suis beaucoup aidé de tes rapports de séances.

- Très bien.

Je vois du coin de l'œil qu'Harry est nerveux, il appréhende ce que je vais lui dire, s'attendant peut-être à une nouvelle particularité à rajouter à son CV.

- La dernière fois que Grin a couché avec McLort correspond à la période où Harry a eu son problème.

- Le rêve… Tu peux le dire.

Je hoche la tête pour signifier que j'ai compris et m'empresse de donner plus de détails.

- De plus, il s'avère que McLort travaille pour monsieur Diggory… En tant qu'assistant. Leur maison est proche du Terrier et s'il s'est permis de coucher à domicile, c'est que le propriétaire des lieux n'était pas là. On peut supposer qu'un sort mal formulé va s'accrocher à la personne qu'il va trouver dans les environs, qui ne sont pas très fournis. C'est de la pure théorie, mais si on estime que les Lovegood n'étaient pas là non plus, et en prenant en considération le fait que mon client n'a aucune chance dans la vie pour ce genre de choses… Le sortilège aurait ignoré tous les Weasley et Granger pour tomber sur Harry. Surtout si sa chambre a une fenêtre, et qu'elle était ouverte. Jusque-là, c'est bancal, mais le rapport précise que Grin a expliqué qu'ils avaient eu un problème de lit. Ils ont donc voulu le reformer, en utilisant la formule « Trameta cubile ». Sauf que le lit était toujours cassé, ce qui ne les a finalement pas empêchés de faire leur affaire. Ce qui est risible, c'est que dans le rapport, ce n'est pas « Trameta cubile » qui est écrit, mais « Tradenta somnius ». Les deux sorts se ressemblent au début, et parlent du même endroit, mais ça n'a pas du tout le même effet.

Je n'ai pas besoin de finir, Rapace est un très bon sorcier et au vu de son sourire, il va compléter mes paroles avec exactitude.

- Tradenta somnius c'est un sort qui transmet ce qu'on voit à une personne endormie, qui le voit sous forme de rêve. Mais Trameta cubile répare un lit. Il s'est trompé de sort à ce point ? Au vu de ce que m'a dit Grin sur lui, ça ne m'étonnerait pas.

Harry est silencieux et son regard me brûle la peau. Je ne sais pas s'il veut me tuer ou me sauter dessus, mais un tel regard n'a que deux significations.

- Tu peux développer ? Est-ce que ma théorie peut vraiment expliquer la chose ?

- Je pense que oui. Sincèrement, le personnage doit avoir un sentiment de confiance absolue en soi, il est clairement narcissique. Par conséquent, jamais il ne remettrait en cause ses actions, ni ses capacités. Dans le feu de l'action, il a pu se tromper, et sans se préoccuper de la réussite du sort. Monsieur Potter a du juste jouer de malchance sur ce coup-là. Par contre, je ne peux confirmer la présence de mon client chez les Diggory, il ne m'a rien dit à ce sujet.

Malgré le fait que nous partageons le même avis sur la situation, mon client ne pipe toujours pas mot. J'en déduis naturellement que ça ne va pas et que je ne peux rien faire pour lui avec Rapace dans la pièce. Il a accompli sa part du marché, je le convoquerai dans les prochains jours pour faire le point, il est sous secret professionnel en attendant. La priorité, c'est que je m'occupe de Harry, et que je mette cette histoire de rêve aux oubliettes. Il a déjà bien assez de casseroles pour qu'une broutille le travaille et lui provoque des crises.

- Merci. Si tu veux bien, j'aimerais rester seul avec mon client. Je t'envoie un hibou pour qu'on fasse un point sur aujourd'hui dans les prochains jours.

- Pas de soucis, ravis d'avoir pu vous aider. Bonne soirée.

Avec la discrétion que je lui connais, et qui m'a poussé à l'engager parmi tous les très bons sorciers qui avaient postulé, il sort et je me retrouve face à la tempête à peine contenue devant moi.

- Depuis tout ce temps, c'était un accident ?

Sa question est désabusée, son regard est fuyant et ses joues sont rouges, comme s'il se souvenait de quelque chose en particulier.

- J'en suis persuadé.

- Tout ça, toute cette culpabilité, cette incertitude, tout ce qui est venu juste après le rêve, après avoir apprécié ce que j'ai entendu, par Merlin. Ils ne m'attiraient même pas. Ils existent. J'ai eu la poisse.

Je reste assis et l'écoute patiemment en guettant ses réactions et quand je vois ses épaules trembler, je sais qu'il va certainement craquer. Il doit penser qu'il pleure beaucoup depuis qu'il est mon client, qu'il est particulièrement faible.

Mais moi, je suis ravi de le voir être assez en confiance pour tomber devant moi, pour me laisser l'amener vers une guérison, vers des réponses. Le but étant de rouvrir les plaies pour mieux les refermer, pour que les trous béants et les traumatismes deviennent des cicatrices correctement cicatrisées.

À la première larme, qu'il essuie d'un mouvement de bras plein de colère, je suis déjà debout. Lorsque la deuxième coule et qu'il l'essuie avec moins de force que la première, je suis derrière son siège. La troisième qu'il laisse tomber par terre touche le sol en même temps que moi, qui suis maintenant à genoux. Et enfin, lorsque la tempête se déchaîne, mes bras l'entourent et le maintiennent avec force, le laissant se débattre à sa guise. Jusqu'à ce que plusieurs minutes plus tard, épuisé, il se laisse glisser du siège pour finir dans la même position que moi. Lui accordant la permission du regard, je le laisse mettre sa tête sur mon épaule, et mon étreinte devient plus douce pour le laisser redescendre sur terre, pour que sa conscience revienne.

Harry Potter vient de faire un deuxième grand pas dans sa guérison.

Après le plaisir de la dernière séance, nous venons de refermer une de ces plaies les plus récentes, et ce ensemble. Elle pouvait paraître à peine profonde, face à la guerre, aux morts, à son adolescence gâchée. Mais toute personne traumatisée sait que ce genre de toute petite blessure cache des craintes immenses, formant comme des murs tout autour. Sa peur d'être à nouveau un être spécial, d'avoir de nouveau quelqu'un dans sa tête, de ne plus être maître de son esprit, de ses ressentis.

Parfois, il faut accepter d'être faible pour se rendre compte d'à quel point on est fort. À ce jeu-là, il est la forteresse et les remparts qui vont avec. Il a accompli tellement sans se laisser tomber.

Définitivement, Harry va guérir. Il fait des progrès de géants à chaque séance.

Je ne sais pas trop pourquoi, mais j'ai hâte de le voir avancer avec moi.