Se brosser les dents ensemble dans la salle de bain de Chloe était devenue une nouvelle habitude qu'elles partageaient ensemble, Beca et elle. La journée avait été mouvementée mais rien n'aurait pu les contrarier au point de zapper ce moment où elles se retrouvaient devant le miroir, la bouche moussante, le visage démaquillé.
Ces derniers temps, elles s'étaient amusées à se faire les pires grimaces dans le miroir. Ce soir était différent. Toutes les deux revivaient sans cesse les évènements qui s'étaient produits plus tôt. Les mains de Beca s'étaient arrêtées de trembler depuis quelques heures déjà mais ça ne l'empêchait pas de rester tétanisée en repensant à l'attaque de Tom. Quand son esprit commençait à s'aventurer sur la possible tournure des évènements si elle avait été seule, elle fermait les yeux pour se concentrer sur autre chose. Lucy, la musique, Chloe, les Bellas. Tout y passait pourvu qu'elle ne voyait plus le visage coléreux de Tom en train de l'agresser.
- Beca, intervint Chloe en lui passant une main dans le dos. Ca va ?
Beca ouvrit brusquement les yeux. Elle ne l'avait pas entendu recracher son dentifrice ou se rincer les dents. Elle était appuyée des deux mains contre le lavabo, la respiration haletante, le cœur rapide. Encore une fois, son esprit s'était égaré. Elle hocha néanmoins la tête distraitement. Chloe soupira. C'était le même rituel depuis que Beca était rentrée mais elle n'avait pas eu l'occasion de lui en parler avant, entourée de leurs amis.
Quand Beca se tourna après s'être essuyée la bouche, elle fut accueillie par deux bras autour de son cou. Elle entoura la taille de Chloe et s'engouffra dans ses cheveux. Le parfum de son shampoing aurait même pu lui faire oublier son propre prénom.
- J'ai tellement eu peur, murmura Chloe contre sa peau.
- Moi aussi. C'est fini maintenant, tenta de rassurer Beca d'une voix rocailleuse.
Chloe serra un peu plus fort ses bras, déposa un baiser derrière l'oreille de la brune.
- Je suis contente que les garçons aient pu te défendre.
- Moi aussi. Je n'aurai pas été foutu de le faire moi-même, râla Beca.
Chloe réagit immédiatement en s'écartant pour prendre le visage de Beca dans ses mains.
- Eh ! Tu n'as pas à te sentir coupable. Seule, tu n'aurais rien pu faire contre lui.
- Je sais. Je n'aurai même pas pu te défendre si j'avais été là.
Beca se détacha de Chloe, le regard bas, déçue d'elle-même. Elle s'en voulait pour Jesse et Luc. Elle s'en voulait pour elle-même. Mais elle s'en voulait encore plus pour ce qui était arrivé à Chloe. Elle voulut sortir de la salle de bain mais Chloe l'en empêcha.
- Ne fais pas ça. Ne t'enferme pas dans ta bulle.
- Je ne m'enferme pas, souffla la brune, les poings et les dents serrés. Je suis dégoûtée qu'il ait pu t'approcher, te toucher. Toi aussi, si tu avais été seule ici, je n'ose même pas imaginer ce qu'il t'aurait fait.
Chloe baissa les yeux, honteuse. Elle n'avait rien à se reprocher, pourtant, sa conscience ne voulait pas la laisser tranquille.
- Je te promets que ça ne voulait rien dire. Il me répugnait mais je n'arrivai pas à l'écarter. C'était comme si j'étais une autre personne. Ca ne m'arrivait pas à moi.
Chloe luttait à expliquer son ressenti. Elle s'en voulait de ne pas avoir repoussé Tom plus rapidement.
- Tu l'as repoussé. Tu as fait ce qu'il fallait, Chlo'. Il n'avait pas le droit de te toucher.
Beca s'approcha à son tour pour poser ses mains autour du cou de Chloe. La rousse releva des yeux brillants sur elle.
- J'ai pris une douche et pourtant, je sens encore ses lèvres et son parfum sur moi.
- Je sais. Viens-là.
Elles n'avaient plus besoin de mots. Seule la présence l'une de l'autre leur permettrait d'occulter ces évènements au moins jusqu'au lendemain.
- Je crois que ça a commencé quand je suis arrivée ici.
- Tu veux dire, quand tu as emménagé à Atlanta ?
Rachel hocha la tête, le visage bas, le regard perdu, les deux mains autour de sa tasse de café. Les deux jeunes femmes avaient entamé cette discussion la veille mais elles étaient tellement épuisées toutes les deux qu'elles avaient préféré attendre. Rachel avait besoin d'une nuit de sommeil pour trouver les réponses aux questions que Quinn lui posait.
- Tu n'aurais pas dû quitter New York, fit Quinn en prenant une bouchée de son bacon.
La brune croisa son regard. Si elle n'avait pas quitté New York ce jour-là, Quinn ne serait peut-être plus vivante à l'heure actuelle.
- Tu avais besoin de moi. J'aurai même dû venir plus tôt.
- Ca n'aurait rien changé et tu le sais.
Rachel souffla, exaspérée. C'était toujours le même procédé avec Quinn. Quand elle commençait à évoquer le sujet, la conversation se refermait comme si Quinn préférait oublier ou nier.
- Tu vois, c'est ça le problème, s'énerva la brune en se levant. Je te dis que c'est de ma faute et toi, tu prends tout pour toi puis tu passes à autre chose !
Quinn se sentit hébétée devant la tournure de la conversation. Elle ne s'attendait pas à cette réaction de la part de Rachel à propos d'un sujet qu'elles avaient abordé aussi souvent. Finalement, Quinn se dit que le problème venait peut-être de là. Elle pensait communiquer suffisamment mais ça n'était peut-être pas assez pour Rachel, au point qu'elle ne se sente pas entendue.
- En quoi mon addiction serait de ta faute ?
- Mais tu l'as dit toi-même ! Tu as commencé pour m'oublier !
La blonde ne s'attendait pas à cela non plus. Oui, elle avait été tenté par la cocaïne pour oublier la souffrance de son amour pour Rachel mais c'était pour un tas d'autres raisons, à commencer par sa dépression et son manque d'estime de soi, qu'elle avait sauté le pas. Par la faute d'Hayden aussi. Quinn comprit enfin que Rachel prenait la responsabilité de son addiction et qu'elle n'en avait jamais parlé.
- Ok, Rachel, assieds-toi, demanda la blonde autoritaire.
- Ne me donne pas d'ordre !
- Rach', ne joues pas à la plus compliquée. Assieds-toi s'il te plait.
Rachel s'exécuta en soufflant par les narines. Elle croisa les bras et se recula sur sa chaise, toujours en peignoir. Elle vit Quinn repousser son assiette et se lever pour aller chercher quelque chose dans son bureau et revenir. Elle lui tendit un journal à couverture noire. Le journal que Beca avait trouvé.
- Beca me l'a rendu la dernière fois. Je voudrais qu'on le lise ensemble.
La brune secoua la tête en poussant le journal. Elle se sentait gênée d'avoir accès aux moindres pensées de Quinn.
- Non, c'est ton journal. Je n'ai pas à le lire.
Quinn la regarda et sourit. Elle prit le journal et l'ouvrit à la première page.
- Très bien. Alors je vais te le lire.
Les marches semblaient interminables et les cartons de plus en plus lourds. Beca se maudissait de ne pas avoir accepté l'aide de son père pour monter les meubles de la chambre de Lucy jusqu'à l'étage. Devant elle, Amy trainait marche par marche la commode emballée dans un long carton qui pesait au moins quinze kilos. Elles finissaient leur quatrième et dernier aller-retour.
- On y est presque, souffla Amy entre ses dents.
Cinq marches plus tard, Beca déposa le sac de jouets neufs sur son lit. En se tournant, elle remarqua le vide qui remplaçait le lit et les affaires d'Amy. Elles avaient d'abord décidé de tout descendre pour faciliter l'emménagement de Lucy.
- Et voilà. Qu'est-ce qu'on déballe en premier ?
- Je pense qu'on devrait commencer par le lit pour voir quelle place il prendra.
Amy acquiesça de la tête et se saisit du carton du lit à barreaux pour le placer au sol au centre de la pièce. L'australienne ouvrit avec minutie l'emballage d'un coup de cutter et éventra le carton. Beca prit la notice pour analyser les premières étapes. La plaie de sa main était maintenant refermée depuis plusieurs jours mais elle n'avait pas encore regagné toute sa force.
- Il faut prendre cette partie, mettre les vis et la fixer à celle-là, pointa la brune.
Amy s'exécutait sans rien dire, ce qui commençait à éveiller les soupçons de Beca mais elle ne commenta pas pour autant l'étrange comportement de son amie.
- Ensuite, il nous restera plus qu'à mettre le matelas et faire son lit.
La blonde hocha une nouvelle fois la tête. Elles terminèrent le montage du lit, installèrent les draps étoilés et admirèrent leur travail.
- On s'en est bien sorties. Elle dormira bien là-dedans, sourit Beca. Merci, Ames !
- Tu vas me manquer, Capitaine Bad Ass
- On sera toujours dans la même maison, Amy.
- Oui mais là j'étais plus proche de toi. C'était comme être l'enfant préféré d'un des parents, j'avais l'impression d'avoir un coup d'avance sur ce que vous prépariez avec Chloe pour les entraînements. Maintenant, je retourne au même niveau que les autres mortels.
Beca se tourna vers son amie et remarqua les yeux brillants de la blonde. Amy était réputée pour en faire toujours trop mais, à ce moment-là, elle semblait sincère. Beca leva les yeux au ciel mais s'avança néanmoins vers la blonde pour la prendre dans ses bras. Chloe les retrouva enlacées deux minutes plus tard.
- Oh, j'interromps quelque chose ?
- Hum, non, juste un adieu pas vraiment pour toujours, expliqua Amy en passant l'index sous son œil, faussement émue.
Beca s'approcha de Chloe en secouant la tête pour lui dire de ne pas s'en faire et de laisser tomber ce sujet-là. Elle remarqua le panier de linge propre que Chloe venait de déposer sur le lit.
- Tu as su monter ça seule ?
- J'ai pris mon temps, fit la rousse d'un clin d'œil. Tout est propre, il n'y a plus qu'à ranger.
Chloe fit le tour de la chambre du regard et s'aperçut très vite que la commode n'était pas montée.
- Vous voulez de l'aide pour le reste ?
- Oh, non, tu ne vas quand même pas monter des meubles dans ton état…
- Moi, je vous laisse, j'ai un groupe entier de danseurs de salsa à impressionner, interrompit Amy qui s'éclipsait d'un dernier salut.
Chloe et Beca la regardèrent se dépêcher de descendre les escaliers. Elles avaient une théorie sur le fait qu'Amy faisait tout son possible pour les laisser seules dès qu'elle en avait l'occasion mais rien n'était encore avéré.
- Alors on la monte, cette commode ?
Beca vit le sourire de Chloe et elle lui sourit à son tour, contrainte. Elle voyait bien à son air que Chloe avait bien entendu sa remarque tout à l'heure mais qu'elle comptait l'aider malgré tout. Elles déballèrent les planches de bois compressé et s'attaquèrent au montage. Chloe lisait les instructions, assise au sol, et Beca assemblait les pièces.
- Non, pas cette taille de vis, l'autre, la plus petite, indiqua Chloe.
La brune échangea la vis qu'elle tenait contre une autre et reprit le vissage.
- Le lit rend vraiment bien comme ça, contre la fenêtre, commenta Chloe.
- Oui, reste à voir si elle fera ses nuits une fois ici.
- Je suis sûre que tu t'inquiètes pour rien. Elle va retrouver sa maman, elle sera enfin là où elle doit être. Ca ne peut que bien se passer.
Beca s'arrêta pour lui sourire. Comme toujours, Chloe, en éternelle optimiste, savait déjouer les mauvaises pensées des autres de quelques mots réconfortants. La musicienne se rappela aussi qu'elle devait discuter d'un sujet important avec la rousse et ce moment lui paraissait idéal pour le faire.
- D'ailleurs, il faudrait que je te parle, commença la brune sans trop savoir par quoi d'autre commencer.
Chloe leva le nez des instructions pour ouvrir de grands yeux sur Beca. Le ton qu'avait employé la jeune mère lui indiquait qu'une discussion sérieuse allait suivre et elle n'était pas sûre de vouloir en connaître la teneur. Malgré tout, elle se résigna à écouter, la curiosité plus forte que ses doutes.
- Oui, dis-moi. De quoi tu veux me parler ?
Beca, un genou à terre, posa son tournevis et se tourna complétement vers Chloe, appuyée sur ses mains.
- Quand Lucy arrivera, elle dormira ici et je, euh… Ce que je veux dire, c'est qu'il te sera peut-être plus facile de dormir sans moi. Non, je veux dire, il faudrait qu'on parle de ce qu'on fera, nous deux, quand elle sera là. Enfin, non, on ne fera rien ! Enfin, si ! Rah !
Prise de nervosité, Beca tournait autour du pot, se mélangeait les pinceaux, parlait sans filtre. Elle bégayait et ne savait plus comment aborder le sujet sans dire des choses qui pouvaient être mal interprétées. Chloe fronça les sourcils. Elle n'avait pas compris un traite mot de ce que la brune venait de dire. Aucune information n'en ressortait réellement. Elle nota quand même la peur et l'anxiété de sa petite-amie et son visage s'attendrit. Elle se pencha pour poser sa main sur le genou de Beca.
- Becs, qu'est-ce que tu essaies de me dire ? De quoi as-tu peur ?
- Je…
La brune soupira un bon coup et s'agenouilla complétement devant Chloe.
- On dort tous les soirs ensemble, dans ta chambre ou ici. Quand Lucy sera là, on ne pourra plus le faire.
Les sourcils de Chloe se froncèrent à nouveau.
- Bien sûr que si. Je ne comprends pas ce que tu veux dire. On aura qu'à dormir ici si tu veux être près d'elle.
- Non, tu ne pourras pas dormir ici. Elle va te réveiller, t'empêcher de dormir et tu as les cours, les entraînements, tu ne peux pas manquer de sommeil comme ça, s'emballa la brune en se levant.
Chloe comprenait petit à petit ce que Beca lui disait. Elle avait peur que Lucy devienne une contrainte.
- Ca ne change rien, je dormirai dans ma chambre de temps en temps s'il le faut, rassura la rousse en regardant Beca faire les cents pas frénétiquement.
- Oui, mais on se verra moins et…
- Ok, tu veux bien t'assoir, s'il te plait. Je n'arrive plus à te suivre.
Beca obéit à contre cœur en s'asseyant lourdement devant elle, les bras croisés. Chloe sourit en voyant son air contrarié et lui prit une main difficilement.
- Ca ne va pas m'empêcher d'être avec toi, lui souffla-t-elle.
Beca releva la tête, les pupilles pleines d'espoir.
- Lucy fait partie de toi. Je te l'ai dit, je n'ai aucun problème avec le fait que tu passes du temps avec ta fille, c'est normal. Si on rencontre des difficultés, on verra ça le moment venu.
La brune serra les doigts dans sa main sans rien dire. Elle remarquait seulement maintenant comme ces phalanges et cette douceur semblaient être faites uniquement pour elle.
- Tu me promets d'en parler si ça devient problématique ?
- Evidemment, répondit Chloe sans hésiter.
Elle attira Beca à elle et elles s'embrassèrent du bout des lèvres à cause de la distance qui les séparait. Ca les fit rire. Sans concertation, elles reprirent leur tâche initiale. Il fallait finir le montage de la commode si elles ne voulaient pas être en retard aux répétitions des Bellas une heure plus tard.
Cela devait bien faire deux heures qu'elles étaient assises à la table de la cuisine. Quinn arrivait aux dernières pages de son journal. Rachel pleurait silencieusement sans interrompre la lecture. Le récit qu'elle écoutait était tranchant. Au plus Quinn lisait impassiblement, au plus Rachel se sentait coupable de tout ce que la blonde avait pu ressentir sans qu'elle n'en soit consciente. La peur, le manque de confiance en soi, l'impression de ne pas être importante. Rachel souffrait pour cette personne qu'elle découvrait dans le journal. Pour cette femme qu'elle aimait mais qu'elle avait passé tant de temps à fuir.
- Voilà. Ca, c'était avant la désintoxe. Avant que tu n'arrives. Le avant-Rachel de ma vie que j'aurai préféré ne jamais vivre.
Rachel plongea son visage dans ses mains, prise de sanglots. Elle savait pourquoi le journal s'arrêtait là. Elle connaissait les évènements qui avaient suivi dans la vie de Quinn. Certaines images la hantaient encore. Quinn se leva pour faire le tour de la table et la prendre dans ses bras.
- Je ne t'ai pas lu tout ça pour te rendre encore plus triste. Je voulais te montrer que mes problèmes ne se résument pas qu'à toi, lui murmura la blonde à l'oreille.
La brune releva la tête, les lignes de ses larmes encore visibles.
- Tu as commencé à cause de moi.
Quinn s'accroupit et lui prit le visage pour planter son regard dans le sien.
- Non, j'ai commencé à cause d'Hayden. Mais aussi parce que j'étais dépressive bien avant de tomber amoureuse de toi. Tu étais ma plus grande préoccupation à ce moment-là mais tu n'es pas la cause de mon mal-être. Mon père, ma famille, Beth, l'école, la popularité et tout ce que je t'ai fait subir. Tu peux encore ajouter des tas de raisons. Mais Rach', tu n'es pas celle qui m'a fait commencé la cocaïne.
- Si j'avais compris mes sentiments pour toi avant, tu n'aurais jamais commencé alors.
Quinn soupira puis se releva. Elle passa une main sur sa nuque. La tension s'accentuait et elle savait trop bien qu'une migraine se préparait.
- Tu m'as sauvé d'une overdose. Tu n'aurais pas pu arriver à un meilleur moment.
Rachel la toisa du regard immédiatement. Jamais elles n'avaient reparlé de ce qu'il s'était passé. Jamais Quinn n'avait prononcé ces mots devant elle. La brune lui en voulut presque de la simplicité avec laquelle Quinn évoquait le sujet. La blonde avait des soupçons sur les difficultés de Rachel à discuter de son overdose et elle vit tout de suite qu'elle avait frappé juste.
- Je vois, c'est de ça dont il est question. Je me suis toujours dit que tu évitais le sujet pour ne pas me froisser. En fait, c'est toi qui ne supporte pas d'en parler.
La brune secouait la tête, alarmée. Elle ne voulait pas en parler. C'était passé. Elles n'avaient pas besoin de ressortir tout ce qui les avait traumatisé ce soir-là.
- On doit en parler, Rachel, insista Quinn en lui prenant les mains.
Les larmes de Rachel refaisaient surface aux coins de ses yeux. Quinn la serrait dans ses bras pour la rassurer.
- Je ne veux pas en parler. Je ne veux pas. C'est trop dur.
- Il faut que ça sorte. Tu gardes ça depuis trop longtemps.
- Non, s'il te plait, suppliait la brune.
- Tu te sentiras mieux après.
- Non, je ne veux pas repenser à ce qu'il t'a fait !
Quinn arrêta de maintenir Rachel en place et la laissa se lever. La brune marchait frénétiquement sur le carrelage de la cuisine.
- En quoi me rappeler ce qu'il s'est passé me ferait me sentir mieux ?!
Quinn comprit qu'elle devait laisser la tempête passer alors elle se rassit à table.
- Ce n'est pas en enfouissant les évènements au fond de toi qu'ils disparaitront.
Rachel n'en revenait pas. Quinn parlait comme un psychologue. Elle avait fait un énorme travail en à peine un an sur tout ce qu'il s'était passé dans son enfance jusqu'à son overdose. Elle continuait de consulter d'ailleurs parce que le chemin était encore long. Rachel ne comprenait pas comment elle avait pu accepté ce qui lui était arrivé aussi facilement alors qu'elle-même n'arrivait pas à l'oublier.
- C'est facile pour toi ! Tu ne te souviens de rien !
- Tu as raison. J'étais inconsciente. Je n'ai que des bribes de souvenirs et ce que Santana m'a raconté. Pourtant, elle n'était pas là non plus. Tu n'as jamais voulu me dire ce que tu avais vu.
Le ton calme et réfléchi de Quinn commençait à irriter Rachel. Comment cela pouvait-il être aussi simple pour elle ?
- Arrête d'être si calme ! Comment tu fais pour ne pas t'énerver !
Quinn la regardait continuer ses va et viens devant les plaques de cuisson. Elle la quitta des yeux pour regarder ses mains. Elles tremblaient. Ce n'était pas si aisé pour elle. Mais elle avait accepté le plus gros. Elle se leva pour s'appuyer contre le plan de travail en face de Rachel.
- En cure, ils nous demandent de raconter tous les jours notre histoire pour qu'on se l'approprie et qu'on n'en ait pas honte, expliqua la blonde d'un ton absent. Ca n'en devient pas facile pour autant.
Rachel s'arrêta pour enfin ouvrir son regard sur la personne qu'était Quinn à cet instant. La blonde avait les yeux larmoyants et vides, les cheveux en bataille, des cernes sous les yeux et la mine triste. Elle se triturait les doigts comme elle le faisait quand elles étaient au lycée, signe d'anxiété. Rachel se frotta le front. Non, ce n'était pas facile pour Quinn non plus. La brune s'appuya à son tour sur la colonne qui portait le réfrigérateur et le four.
- C'est vrai, pardon. C'est toi qui l'a vécu. Tu dois te sentir plus mal que moi.
- Ce n'est pas une compétition. Je crois que je comprends seulement maintenant l'impact que ça a eu sur toi. Tu l'as vécu aussi. Tu as le droit d'être mal et d'en parler.
La brune secouait la tête, têtue. Quinn soupira. Elle connaissait le caractère de Rachel mais elle n'était pas habituée à devoir demander pour que Rachel exprime ses sentiments.
- Très bien, je vais commencer alors. Je sais que tu penses me faire du mal si tu en parles. Il faut que tu comprennes que ça m'en fera moins que tu ne le penses. Je n'ai pas de mal à en parler. C'est douloureux mais nécessaire et j'aimerai que tu comprennes que je ne suis pas seulement la personne que tu as sauvé. Je suis celle qui partage ta vie. Tu dois pouvoir te confier à moi et ne pas te sentir juger. J'ai compris beaucoup de choses et je ne suis plus la personne que tu as ramassé ce soir-là. Je peux maintenant être la femme dont tu as besoin quand ça devient difficile, Rach'. Il faut juste que tu essaies.
Rachel avala sa salive et ouvrit la bouche puis la referma. Plusieurs fois, jusqu'à ce qu'elle décide par quoi elle voulait commencer.
- J'ai peur que tu replonges si je te parle de mes problèmes.
Quinn encaissa. Elle savait comme Rachel la protégeait depuis des mois. Elle la voyait vérifier ses pupilles et son haleine quand elle semblait agiter. Elle posait des questions particulières, par exemple quand elle trouvait la présence d'une carte bancaire sur une table, isolée. La rechûte était une possibilité, Quinn en avait conscience mais elle était fière de ne pas y avoir céder jusqu'ici.
- Je sais que tu as peur. J'ai peur de te dire quand j'en ai envie ou quand je suis stressée parce que je sais que ça t'inquiète, confia Quinn, honteuse d'avouer qu'elle pensait à se droguer parfois.
Rachel ouvrit la bouche, surprise, mais se retient de commenter. Elle se trouvait idiote d'avoir pensé que Quinn ne s'en était pas rendue compte.
- J'ai peur aussi de te confier tout ce qui peut amener à une rechute parce que je ne veux pas te décevoir. Je l'ai déjà trop fait.
- N'importe quoi.
Rachel n'avait pas pu se retenir cette fois et elle avait traversé les quelques mètres qui les séparaient pour se planter devant elle.
- Je suis fière de toi pour ce que tu as accompli et tu le sais.
Quinn gardait les yeux baissés, pensive. Elle semblait partie dans un autre monde.
- Quinn ? Tu le sais, pas vrai ?
La blonde leva enfin sur Rachel ses yeux emplis de doute et la brune comprit qu'elle était toujours cette jeune femme peu sûre d'elle.
- Je sais que je ne suis pas fautive et que tu m'as pardonné mais je n'arrive pas à arrêter de m'en vouloir pour ce que tu as vu ce soir-là. J'aimerai pouvoir te faire oublier la personne que tu as vu parce que ce n'était pas moi.
Rachel s'approcha pour poser ses mains sur les épaules de Quinn et caresser sa peau du bout des pouces.
- Ca n'a pas changé l'image que j'ai de toi.
- Parfois, je me sens encore sale, comme quand tu m'as ramassé là-bas.
La brune l'observait sans savoir quoi répondre. Ses pensées lui polluaient l'esprit. Elle revoyait Quinn inconsciente, la bouche ouverte, du vomi plein le visage. Quinn, nue et tuméfiée, les sous-vêtements en bas des jambes, du sang sur les cuisses.
- Je n'ai jamais eu aussi peur de te perdre que ce soir-là, confia Rachel, le regard habité.
Elle entendait la musique assourdissante. Elle voyait les volutes de fumée qui s'échappaient des bouches. Elle sentait l'odeur d'urine et d'excréments qui entourait Quinn quand elle l'avait retrouvé dans les toilettes de la sororité où elle devait célébrer un anniversaire. Elle entendait Hayden lui dire que Quinn allait bien, qu'il fallait patienter, qu'elle allait se réveiller. Que ce n'était que deux ou trois pilules.
- J'ai frappé Hayden.
- Je sais. Elle me l'a dit. Elle est venue me voir en cure pour me convaincre de partir.
Rachel releva la tête qu'elle avait posé sur la poitrine de Quinn pour s'insurger.
- Quelle salope !
- Du calme. Elle n'a pas réussi. Je ne serai pas là sinon.
- Elle ne voulait pas appeler les pompiers. Elle me disait que tu faisais juste un bad trip et qu'elle t'avait laissé passer du bon temps.
La petite brune s'étrangla sur ses derniers mots. Quinn n'avait pas passé un bon moment. Elle s'était retrouvée entre les mains d'un sale type qui avait profité de son état. Rachel inspira profondément.
- Il t'a…
Quinn resserra son emprise par anticipation. Elle regardait Rachel droit dans les yeux, sans crainte ni appréhension. Elle devait le prononcer pour s'en libérer.
- Tu peux le dire. Ce n'est pas un problème, lui assura-t-elle.
Les larmes refirent surface dans les yeux chocolats de Rachel. Elle les ferma, inspira une dernière fois.
- Il t'a violé.
- Il m'a violé, oui. Et ce n'est pas de ta faute. Ni de la mienne.
Rachel s'effondra dans les bras de sa petite-amie. Elles pleurèrent ensemble et chaque larme parut refermer un peu plus leur blessure commune.
David Mitchell se dépêchait d'accrocher la guirlande qui venait de tomber du plafond. Le ruban adhésif n'avait pas tenu. C'était la dernière touche avant que Beca n'arrive. Toutes les Bellas étaient réunis chez lui, en plus de quelques garçons de l'équipe de Jesse, pour célébrer le premier anniversaire de Lucy.
Beca ignorait ce qui se tramait. Elle avait donné rendez-vous à Maria chez son père parce qu'il voulait passer du temps avec sa petite fille et elle pensait que c'était le bon endroit pour célébrer l'anniversaire de Lucy en petit comité. Elle ne se doutait pas qu'ils avaient tous prévu un anniversaire surprise. Elle arriva en même temps que Maria et toutes les deux passèrent la porte d'entrée en discutant. Quand elle se tourna pour franchir le seuil de la salle à manger, Beca fut accueillie par un « Surprise » tonitruant et une musique entraînante. Dans son landau, Lucy se mit à pleurer. Beca se précipita pour la libérer de ses attaches et la réconforter.
- Mais qu'est-ce que vous faites tous là ?
- On s'est dit que Lucy méritait une vraie fête, répondit Amy.
- Avec toute sa famille, ajouta David en sortant de la cuisine.
Beca en eut les larmes aux yeux. Elle enleva sa veste puis s'attaqua à la doudoune de Lucy. Chloe s'avança immédiatement pour l'aider sous les yeux de David qui s'étonna joyeusement de l'investissement de la jeune femme.
- Salut, toi, sourit Beca en s'approchant pour l'embrasser.
- Coucou, répondit Chloe en l'embrassant du bout des lèvres.
Chloe jeta un regard gêné au père de Beca. Elle n'avait pas encore l'habitude d'être démonstrative devant les personnes qu'elle connaissait moins. Elle ne voulait pas manquer de respect à David. Beca avait suivi son regard mais ne dit rien. Elle tenterait d'aborder le sujet plus tard. Lucy tendit les mains à Chloe qui rigola et la prit dans ses bras. Elle les dirigea vers chacun de leurs amis pour que Lucy salue tout le monde.
- Elle a l'air de bien s'entendre avec Chloe, fit David en posant une main sur l'épaule de sa fille.
- Un peu trop. Parfois, je me demande si elle ne la préfère pas à moi.
- Ne vous en faites pas, Beca. Lucy casse les oreilles à qui veut l'entendre avec ses « Mama, Mama, Mama », intervint Maria.
Le sourire de Beca s'effaça quand son père lui donna un coup de coude.
- En parlant de ça, tu as appelé ta mère ?
Beca leva les yeux au ciel. Elle n'avait plus appelé sa mère depuis plusieurs mois sans vraie raison. Sa mère ne s'était pas montrée très heureuse à l'idée que Beca continue sa grossesse. La jeune femme l'avait ensuite tenu à l'écart quand elle avait été séparée de Lucy puis placée en hôpital psychiatrique. Depuis sa première année à l'université, elle avait tenu ses distances, prétextant avoir trop de choses à faire.
- Je vais l'appeler tout à l'heure.
- Je te fais confiance. Je vais servir à boire.
Beca acquiesça. Ses parents ne s'entendaient pas pour beaucoup de choses mais quand il s'agissait de leur fille, ils savaient mettre leur rancœur de côté.
Santana revenait tout juste de la machine à café quand le téléphone de son bureau sonna. Elle se précipita pour répondre, renversant un peu de son gobelet sur son dossier.
- Merde, râla-t-elle, une main sur le combiné. Maître Lopez, j'écoute ?
- Bonjour, je suis Maître Fletcher, votre adversaire dans l'affaire Mitchell-Dickson.
La brune se raidit aussitôt. Que lui voulait-il ?
- Que me vaut cet appel, Maître ?
- Je voulais vous demander gentiment de vous retirer de l'affaire. Les preuves que nous avons sont compromettantes pour votre cliente.
- Compromettantes ? Voyez-vous ça.
- Ca pourrait nuire à sa réputation, ruiner ses chances même de continuer ses études si elle retourne en aile psychiatrique.
Santana éclata de rire. Elle reconnaissait parfaitement le procédé du genre d'avocat qui craignait la perte de son dossier devant le tribunal.
- Je pense que vous avez surtout peur que le juge voit à travers les manigances de vos clients.
- Je ne vois pas de quoi vous parlez.
L'homme gardait son air hautain et ses phrases faussement posées.
- Vous savez très bien de quoi je parle. Malheureusement pour vous, je ne suis pas quelqu'un de facilement impressionnable. Vous perdez votre temps, je le crains.
Le responsable de Santana entra dans son bureau avec une pile de documents dans les mains. Quand il l'entendit, il lui fit signe de mettre en haut-parleur.
- Vous êtes la seule à perdre votre temps avec un cas comme celui des Mitchell. Mes clients sont puissants, ils peuvent négocier. Votre prix sera le leur.
- Je vous remercie mais mon sens moral ne s'achète pas.
- Vous êtes bien sûre de vous, Maître. Si vous ne voulez pas que votre cliente ne soit surprise des squelettes qu'on révèlera le jour j, vous devriez repenser à ma proposition. Vous ne voudriez pas qu'un malencontreux accident ne lui arrive.
- Maître Fletcher, j'ai confiance en ma cliente. A la teneur de votre appel, je comprends que vous n'avez pas de temps à perdre dans ce cas pour aller chercher d'autres squelettes à déterrer. Je vous laisse donc à vos fouilles. Nous nous reverrons devant le juge.
Santana raccrocha sans laisser le temps à son adversaire de répondre. Ce n'était pas le premier à tenter de détruire la motivation de Santana à défendre l'un de ses dossiers. Au contraire, elle était prête à en découdre. Elle croisa le regard de son responsable. Ils se sourirent.
- Les micros sont toujours actifs sur ton téléphone ?
- Evidemment.
- Parfait. Ils sont cuits.
Jesse observait Beca ranger les assiettes à dessert vides pendant que son père jouait avec Lucy. Chloe était assise à côté de lui sur le canapé, assistant au même spectacle. Certaines des Bellas étaient déjà reparties. Ashley avait un cours de photographie, Jessica de poterie. Amy devait rejoindre son petit-copain du moment. Les autres filles s'étaient éclipsées pour laisser Beca profiter de Lucy avec son père. Seuls Chloe et les Troublemakers étaient restés pour le moment.
- C'est cool que David ait organisé cette petite fête. Il a l'air vraiment sympa. Il n'a même pas sourcillé quand Beca t'a embrassé.
Chloe jeta un regard alarmé à Jesse. Le garçon avait tendance à évoquer les sujets qui dérangeaient les gens.
- C'est vrai, franchement. Quand je le croisai avec Beca, il était tout le temps froid, il me foutait la trouille. Mais avec toi, ça a l'air de passer.
La panique commençait à monter à l'intérieur de Chloe. Sa poitrine se contractait. David semblait accepter leur relation mais ses parents n'accepteraient jamais. Et quand était-il de la mère de Beca ? Chloe se leva d'un bond pour attraper Beca par le poignet et la traîner sur la terrasse où personne ne pouvait entendre leur discussion.
- Chlo', ça va pas ? Il fait super froid !
La petite brune s'encercla de ses bras. Sa voix créait de la buée devant elle. L'hiver était là, le froid du mois d'octobre était piquant.
- Mes parents sont homophobes, annonça la rousse paniquée.
- Oui, ça, je le sais.
- Non, tu ne comprends pas. Comment on fera ? Pour nous ? Ils n'acceptent pas.
- Pourquoi ? Ils sont au courant ? Tu leur as parlé ?
Chloe releva des pupilles affolées. Bien sûr, Beca n'était pas censée savoir que les parents de Chloe connaissaient ses sentiments pour elle avant même que la brune n'en soit avertie.
- En fait, l'été dernier, quand je leur ai rendu visite…
- Quand vous vous êtes disputés ?
- Oui, ça. Et bien, c'est parce que je leur ai dit que j'étais amoureuse de toi.
Beca fronça les sourcils. Comment ça ? Les parents de Chloe savaient. Les paroles de Madame Beale à l'hôpital prenaient soudainement tout leur sens.
- Je comprends mieux pourquoi ta mère m'a dit que je t'avais corrompu.
- Elle t'a dit ça ? Quand ?
- A l'hôpital. Ce n'est pas important. S'ils t'aiment, ils accepteront.
- Ils m'ont déjà abandonné, Beca. Quand je leur ai dit que je ne me remettrai pas avec Tom, ils étaient furieux. Ils voulaient savoir pourquoi. Ils insistaient alors j'ai fini par leur dire que j'étais amoureuse d'une fille. Que j'étais amoureuse de toi.
Beca restait bouche bée. Elle était partagée entre sa colère pour les parents de Chloe et son émerveillement pour les derniers mots de Chloe.
- Tu es amoureuse de moi ?
Chloe rigola. Beca venait seulement de s'en rendre compte. Elle hocha timidement la tête et lui déposa un baiser sur la joue.
- Je suis dingue de toi depuis le tout début.
Beca sourit jusqu'aux oreilles. C'était la première fois que quelqu'un lui révélait des sentiments aussi forts et qu'elle le croyait. Elle attira Chloe par la manche de son pull pour l'embrasser doucement au début. Quand elle voulut approfondir, Chloe s'écarta.
- On est chez ton père.
- Il est à l'intérieur.
- Ca me gène qu'il puisse nous voir, répondit la rousse timidement.
- Ca ne te gène pas devant les filles pourtant.
- Parce que je sais qu'elles ne me jugent pas.
- Mon père ne te jugera pas non plus, tu sais.
- Le mien si.
Le visage renfrogné de Chloe indiquait à Beca qu'elle était vraiment contrariée. Beca ne savait pas vraiment comment l'aider à dépasser cette crainte. Elle lui prit le menton du bout des doigts.
- S'ils n'acceptent pas, tu seras assez forte pour affronter ce que tu auras à affronter. Et je serai là.
Chloe lui sourit mais elle avait encore du mal à la croire.
Beca appuya sur le numéro du contact qu'elle avait sélectionné et plaça son téléphone portable contre son oreille. Trois sonneries plus tard, une voix rocailleuse l'accueillit.
- Rebecca, tu te souviens de mon numéro ?
- Bonjour, maman.
Les origines italiennes de Vittoria Conti, de son nom de jeune fille, transparaissaient non seulement dans son prénom mais aussi dans son caractère dur et inflexible. Beca en avait hérité, en plus de son sarcasme, de ses longs cheveux bruns et de son amour pour la musique.
- Ca fait trois mois, Rebecca. Et tu ne peux même pas dire que tu étais prise avec les cours, ton père m'a dit que tu es restée cloitrée dans ta chambre tout l'été.
- C'est pas vrai ! Je suis beaucoup sortie avec Chloe quand elle est revenue de Floride !
- Ah donc c'est Chloe qui t'empêchait d'appeler ta mère ?
- Non, je…
- Tu ne lui as pas encore dit, je parie. Il faut que tu lui dises, Rebecca ! Ou elle te passera sous le nez !
- Maman ! Arrête de m'appeler comme ça !
- C'est ton prénom, comment voudrais-tu que je t'appelle ?
- Tout le monde m'appelle Beca, même Papa.
- Je t'ai donné le prénom de ma mère pour que tu en sois fière, pas pour l'écorcher !
Beca soupira bruyamment. C'était toujours ainsi quand elle appelait sa mère. Vittoria ne lui laissait jamais l'occasion d'en placer une. Heureusement, elle avait assez discuté avec son ex-mari pour comprendre que Beca avait besoin de son espace et de pouvoir prendre des décisions seule.
- Bon, d'accord, excuse-moi, chérie. Comment s'est passée ta rentrée jusqu'ici ? Comment vont les Bellas ? Et Lucy ? Je veux tout savoir.
Alors Beca lui raconta son début d'année, allongée sur son lit, les jambes pendantes. L'emménagement dans la villa, la découverte du journal, les premières retrouvailles avec Lucy, l'accident de Chloe, la rencontre avec Quinn et Rachel, les professeurs ennuyeux, les entraînements des Bellas, les émissions nocturnes à la radio… Tout y passa. Elle expliqua comme elle se sentait mieux depuis qu'elle avait tout expliqué aux Bellas. Elle avoua son début de relation avec Chloe timidement. Vittoria explosa de joie.
- Enfin ! Je t'avais dit qu'elle avait le béguin pour toi ! Quand je l'ai vu te sauter dans les bras à la fin de votre compétition, j'ai compris tout de suite ! Comment elle a réagi pour Lucy ? Est-ce qu'elle l'a rencontré ?
- Oui, euh… Lucy a rencontré toutes les Bellas, mais Chloe était la première. Elles se sont immédiatement entendues. Lucy lui a même tendu les bras.
La mère de Beca s'attendrit à l'image qu'elle visualisait. Beca était toujours réticente à l'idée d'évoquer sa fille avec sa mère. Vittoria n'avait pas été sa plus grande supportrice lorsqu'elle avait appris sa grossesse.
- Ton père m'a envoyé des photos. J'espère que tu ne lui en voudras pas. Cette petite puce est tellement mignonne qu'elle séduirait n'importe qui.
Un silence accueillit la déclaration de Vittoria. Beca n'avait pas encore l'habitude d'entendre sa mère parler de Lucy positivement. Une année entière s'était écoulée et pourtant, Beca conservait la culpabilité d'avoir déçu ses parents et d'avoir abandonné un enfant auprès d'un homme aussi abjecte que son ex-copain.
- Merci, c'est un amour, vraiment, répondit Beca, brièvement.
- Elle te ressemble beaucoup.
- Elle a nos cheveux, oui.
- David m'a raconté qu'elle était timide comme tu l'étais à cet âge-là.
- Elle est très réservée, acquiesça Beca.
- La pomme ne tombe jamais loin du pommier…
Beca laissa la phrase de sa mère retomber sans y répondre. Elle espérait pouvoir changer de sujet mais ne savait pas quelle autre partie de sa vie abordée sans que cela ne soit tout aussi gênant.
- Je t'ai envoyé un colis pour Lucy. Ca devrait arriver chez ton père d'ici peu.
- Oh, c'est… Gentil, merci beaucoup, bredouilla Beca.
Vittoria soupira au bout du fil, exactement comme sa fille l'avait fait une demi-heure plus tôt.
- Ecoute, ma chérie, je sais que je ne me suis pas montrée très présente pour toi cette dernière année-
- Non, ce n'est pas de ta faute, l'interrompit la jeune femme. J'ai gardé tout le monde à l'écart.
La mère huma dans le combiné, attendant la suite.
- Je crois que je me sentais encore coupable d'avoir eu un enfant aussi jeune. De l'avoir eu avec ce… Avec cet…
- Rebecca, chérie, tu n'as pas à te sentir coupable. Je me suis montrée très en colère quand tu nous l'as annoncé parce que j'espérais moins de difficultés pour toi, dans ta vie. Mais ça ne veut pas dire que Lucy est une erreur.
La voix douce de Vittoria, tellement rare, fit briller les yeux de la jeune femme. Elle ne s'était pas rendue compte comme elle avait eu besoin d'entendre ces mots-là.
- Je suis désolée de vous avoir déçue, lâcha-t-elle en s'étranglant dans son sanglot.
- Oh, mio amore…
Vittoria n'attendit pas que sa fille ait l'occasion de se cacher derrière son humour habituel pour continuer.
- Tu ne m'as pas déçu. Tu t'es battue pour Lucy avant même qu'elle ne soit née. Tu aurais dû te voir, quand tu m'as dit que tu voulais la garder. J'avais peur pour toi mais j'ai su tout de suite qu'on ne te ferait pas changer d'avis. Tu as continué de te battre pour elle et regarde, maintenant, tu me montres comme j'avais tord. Tu es une très bonne maman, ma chérie. Cette petite fille a de la chance et je suis fière de voir comme tu te bats pour la récupérer.
Beca reniflait bruyamment. Elle se pencha un instant pour attraper un mouchoir. Comme elle détestait se retrouver dans cet état.
- J'ai eu un bon exemple, répondit finalement Beca, modestement.
Sa mère rit au téléphone parce qu'elle savait à quoi Beca faisait référence. Lors du divorce, plutôt en mauvais termes, de ses parents, Beca pouvait choisir de vivre avec l'un ou l'autre mais Vittoria n'a laissé de choix à personne. Les collègues de David parlaient encore parfois du scandale que son ex-femme avait provoqué à l'université quand elle était allée le rencontrer pour lui expliquer avec de grands mots et de grands gestes à quel point il ne méritait pas sa fille et qu'elle resterait vivre avec sa mère. Son père étant plus distant et plus souvent absent, Beca avait de toute façon choisi de vivre avec Vittoria et elle avait pu voir chaque jour sa mère se démener pour qu'elles ne manquent de rien. La vie d'une mère célibataire professeure de musique était semée d'embûches et parfois compliquée à organiser mais Vittoria avait tout fait pour que Beca ait une bonne éducation, de quoi se vêtir comme elle le voulait, à manger dans son assiette, et des cours particuliers de piano quand elle y avait montré un intérêt. Beca ne vantait jamais ses mérites, mais si vous lui demandiez qui elle admirait le plus, elle aurait probablement évoqué sa mère.
- Dans combien de temps tu passes devant le juge ?
- Dans un petit mois, maintenant. J'ai commencé à monter les meubles de sa chambre.
- Oh, ça doit être quelque chose ! Tu te fais aider, au moins ?
Beca roula des yeux. Tout le monde connaissait sa maladresse. Elle se blessait régulièrement, renversait des verres, faisait tomber des assiettes en faisant la vaisselle. Les accidents faisaient partie intégrante de sa vie.
- Oui, maman. Amy m'a aidé à monter les cartons et Chloe m'aide comme elle peut. Jesse est passé pour fixer les barres à rideaux. Papa avait dit qu'il le ferait mais Jesse s'est proposé.
- Je vois, très bien. Et donc, avec Chloe, comment ça se passe ? demanda Vittoria innocemment.
- Bien. Enfin, je pense. Non, franchement, ça va.
- Tu n'as pas l'air très sûre. Elle n'accepte pas Lucy ?
- Si ! Trop bien même ! Je ne l'ai pas encore eu longtemps, mais quand Lucy est avec nous, elle reste collée à moi. Sauf quand il y a Chloe. C'est la seule qui réussit à la prendre dans ses bras.
- Ah ! Si ça, ce n'est pas un signe ! Mais si tout va bien avec Lucy, quel est le problème ?
Beca hésita un instant. Elle avait encore du mal à organiser ses pensées à propos de Chloe et de tout ce qui entourait le comportement de ses parents.
- Chloe est merveilleuse, maman, choisit-elle de dire finalement. Elle a tellement été blessée et malgré tout, elle reste souriante. Ses parents lui en ont fait baver. Ils ne sont même pas restés à l'hôpital, tu te rends compte !
- Oui, c'est aberrant, commenta Vittoria.
- Si j'avais subi les mêmes opérations qu'elle, jamais tu ne serais partie sans que je ne sois réveillée !
Vittoria pouffa au téléphone.
- Je serai même restée pour te voir avaler chacune des pilules que les médecins t'auraient prescrites parce que, têtue comme tu es, tu aurais tout arrêté après deux jours !
- Exactement, se révolta Beca sans sourciller. Mais au lieu de ça, ils sont partis après qu'on leur ait dit que leur fille ne se réveillerait peut-être pas, qu'elle avait arrêté son traitement pour l'insuffisance rénale, et qu'elle pourrait avoir des séquelles à vie si elle se réveillait. Quel genre de parents fait ça ?!
- Des égoïstes.
- Et tu sais pas le pire ? Ils lui ont coupé les vivres depuis cet été donc elle doit se débrouiller pour payer les frais de scolarité, son traitement, les soins, sa voiture qui est démolie, et j'en passe !
- C'est affreux. Ce sont vraiment des gens immoraux.
- Des enfoirés, oui !
- Rebecca, tempéra la mère. Ca ne me regarde pas mais, pourquoi ont-ils décidé de tout arrêter, comme ça ?
Beca souffla dans le téléphone et s'assit pour rassembler ses idées. Finalement, sa mère pourrait peut-être la conseiller sur comment aider Chloe.
- Cet été, elle leur a dit qu'elle m'aimait, annonça-t-elle d'une petite voix.
- Ah, je vois.
Un silence pesant traversa la ligne téléphonique. L'annonce était grave et ce qu'elle sous-entendait était évident.
- Je ne sais pas comment l'aider à traverser tout ça. Elle est terrifiée et a du mal à se confier. Elle garde tout pour elle.
- Ca me rappelle quelqu'un.
- Merci maman…
- Plus sérieusement, je ne peux pas parler à la place des parents de Chloe. Ils ont sûrement leurs raisons, ou un gros manque d'ouverture d'esprit, mais pour moi, comme tu es mon enfant et que je t'aime, rien ne pourrait rompre ça. Mon amour sera toujours plus fort que tout. Et j'ai du mal à concevoir qu'on puisse abandonner son enfant comme ils le font.
- Je sais que j'ai eu de la chance que vous réagissiez, Papa et toi, comme vous l'avez fait. J'oublie souvent que ce n'est pas comme ça pour tout le monde. Ils lui ont fait tellement de mal, maman. Elle ne mérite pas ça.
- Je sais, chérie. Personne ne le mérite.
Mère et fille accusèrent le coup en silence. Beca jouait avec les cordons de son sweat et pensait à toutes les fois où les yeux de Chloe reflétaient une peur d'être seule, ces derniers temps. Elle en rêvait la nuit, parfois.
- J'aimerai qu'elle comprenne qu'on est toutes autour d'elle et qu'elle n'a plus besoin de se cacher.
- Tu sais, la meilleure personne qui peut savoir ce qu'on veut entendre dans ces moments-là, c'est toi. Tu es la seule à savoir ce que tu aurais voulu qu'on te dise quand tu t'es retrouvée dans la même situation, il y a deux ans.
Beca arrêta tout mouvement. Sa mère avait raison. Deux ans auparavant, quand elle était encore au lycée, son ex petit-ami, le père de Lucy, avait révélé sa bisexualité à toute l'école. Avant même qu'elle en soit sûre ou qu'elle puisse en parler à ses parents. Heureusement, ils avaient été très ouverts et compréhensifs mais ça aurait pu prendre un tournant complètement différent pour elle. Beca s'était imaginée tellement de fois le scénario de l'annonce qu'elle aurait dû faire si elle en avait eu l'occasion. Elle avait imaginé les réactions de ses parents. Sa mère parfois en larmes, parfois totalement ouverte à la discussion. Son père fermé ou, au contraire, accueillant et réconfortant. Elle se rappelait trop bien la peur qui l'avait paralysé quand la vérité avait été distribuée dans toute l'école. La même peur qu'elle avait pu lire dans les yeux de Chloe. Celle d'avoir été mise à nue. Celle d'être abandonnée pour ce que l'on est au plus profond de soi.
- Maman, tu es géniale. Je crois que je sais quoi faire !
- Pas de souci, chérie, quand tu veux pour une autre psychanalyse, c'était gratuit.
- Très drôle, je m'étouffe de rire.
Vittoria ricana malgré tout au bout du fil. Elle était heureuse d'avoir enfin pu discuter avec sa fille de réels sujets qui la contrariaient.
- Je vais devoir te laisser, mio cuero. Un élève va arriver pour un cours particuliers.
- D'accord, on se voit au tribunal ?
- Oui, mais j'espère avoir de tes nouvelles avant ça !
- Oui, maman, c'est promis. Je ferai des efforts.
- Parfait ! Embrasse toutes les filles pour moi, et Chloe, et Lucy. Mais pas ton père.
Beca roula des yeux. Comme si ça lui avait traversé l'esprit.
- Je leur dirai.
- A plus tard, ma chérie.
La jeune femme raccrocha et observa son téléphone portable un temps. Elles étaient restées longtemps au téléphone mais ça en valait la peine. Le cœur gonflé des paroles de sa mère, Beca descendit les escaliers d'un pas assuré. Elle avait une mission à accomplir et elle avait besoin des Bellas pour ça.
Quand Quinn rentra du restaurant en fin de journée, elle trouva Rachel au téléphone.
- Oui, vendredi à quinze heures, c'est parfait. Merci beaucoup, bonne fin de journée.
- Qui c'était ?
La blonde déposa ses clés dans le bol prévu à cet effet et enleva ses chaussures avant que Rachel n'ait le temps de lui dire. Elle eut le temps d'arriver au canapé avant que Rachel ne se décide à répondre.
- J'espère que tu ne m'en voudras pas de ne pas t'avoir attendue. J'ai pris rendez-vous chez le Docteur Watson. Pour nous deux. C'est une femme, précisa-t-elle.
En fin de matinée, avant que Quinn ne parte pour le restaurant, elles avaient décidé de commencer une thérapie ensemble. Leur relation était déjà bien compliquée avant les traumatismes qu'elles ont eu à affronter alors remettre tout en ordre ne leur ferait pas de mal. Quinn pensait qu'elles en avaient besoin si elles voulaient continuer l'aventure ensemble et Rachel était d'accord. Elle voulait se battre pour leur relation. Elle ne voulait plus fuir.
- Je pensais que tu aurais eu peur de le faire seule mais je suis contente que tu l'aies fait, lui répondit la blonde.
- Tu ne m'en veux pas ?
- Pas du tout, confirma Quinn en l'embrassant tendrement.
La blonde s'assit au bout du canapé et Rachel vint se blottir contre elle immédiatement. Chaque minute passait loin l'une de l'autre était devenue très dure depuis la veille. Elles avaient besoin de contact avec la seule personne qui pouvait comprendre ce que l'autre ressentait.
- Je ne pensais pas que tu te déciderais aussi vite.
- Je ne voulais pas attendre. J'aurai trop réfléchi et ça envenime la chose. C'est inutile. On doit commencer à se reconstruire.
Le silence retomba entre elles. Quinn pensait qu'elle était fière de Rachel avant cela. Elle était fière quand elle la voyait sur scène. Quand elle faisait lever des centaines de personnes pour l'applaudir. Elle était encore plus fière d'elle à présent et elle ne pensait pas cela possible.
- Je suis fière de toi. Et je t'aime.
Rachel lui répondit en l'embrassant langoureusement. Quinn fondit sous ses lèvres.
Les couloirs de l'université lui manquaient. Chloe ne pensait pas ressentir cela un jour mais c'était la vérité. Elle restait la plupart du temps dans sa chambre à attendre que Beca revienne des cours ou qu'Aubrey prenne de ses nouvelles. Retrouver les odeurs de papier recyclé, des murs vieux comme le monde et le bruit des salles de classe pleines lui remontaient un peu le moral. Elle reconnaissait avoir du mal à avancer dans les longues lignes droites du bâtiment. Heureusement, elle ne venait qu'une fois par semaine récupérer ses cours et déposer les différentes dissertations qu'elle devait rendre.
Chloe revenait justement du bureau de son professeur de littérature russe où elle avait récupéré ses devoirs. La gymnastique entre ses livres et ses béquilles était complexe. Tellement complexe qu'elle finit par s'étaler au sol dans un juron coloré.
- Chloe, tu vas bien ?
Le professeur David Mitchell, le père de Beca, venait de la voir tomber au beau milieu du couloir presque désert.
- Oui, oui, j'ai glissé.
David l'aida à se relever en la tenant par les coudes. Il ramassa ses béquilles pour lui tendre.
- Tu es venue seule ?
- Oui, mais Stacie m'attend dans la voiture sur le parking.
Il acquiesça en ramassant les trois livres qui étaient toujours au sol.
- Je vais te raccompagner dans ce cas. Tu n'avais plus rien à récupérer ?
- Non, tout est là.
Chloe ne refusa pas son aide mais elle craignait un long silence. A vrai dire, elle ne savait pas comment discuter avec le père de Beca. David commença la discussion pour elle.
- C'est remarquable comme tu guéris vite. Quand pourras-tu enlever cette attelle ?
- Quand ma rééducation sera assez forte pour que je sache marcher sans attelle. Les éducateurs du centre sont confiants.
Ils avançaient doucement, au rythme de Chloe et la jeune femme en était reconnaissante. Quand elle devait faire de longues marches, elle prenait ses béquilles mais la tâche était plus hardie qu'on aurait pu l'imaginer. Des ampoules lui décorées les mains et elle était souvent essoufflée mais ça avait le mérite de la garder en forme.
- J'ai aucun doute là-dessus. Et comment t'en sors-tu avec les cours ? Pas trop dur de suivre à distance ?
- Je lutte parfois sur quelques sujets alors je fais beaucoup de recherches. Beca m'aide à réviser aussi pour ne pas perdre la main.
David sourit tendrement au prénom de sa fille. Il se doutait depuis longtemps que ces deux-là cachaient plus qu'une amitié mais il avait préféré laisser sa fille faire son propre bout de chemin.
- Elle tient beaucoup à toi, constata le père de Beca.
- Je tiens beaucoup à elle aussi.
Les joues rouges de Chloe trahirent comme elle n'avouait pas cela facilement mais c'était le père de Beca. Si elle ne pouvait pas le rassurer en exprimant ses sentiments envers sa fille, elle ne pourrait le dire à personne.
- Tu sais, sa mère et moi, nous nous sommes mariés beaucoup trop tôt. Je l'aimais, bien sûr, et j'aime Beca de tout mon cœur. Au fil du temps, notre amour s'est terni parce qu'on a arrêté de faire des efforts. Quand j'ai rencontré Sheila, je me suis trouvé bêtement amoureux d'une femme qui n'était pas la mienne. J'aurai dû mieux gérer la situation mais ce qui est fait est fait. Beca en a souffert. J'espère que tu en as conscience et que tu ne la feras pas souffrir à ton tour.
Chloe gardait le visage fermé. Elle regardait du coin de l'œil la mine de David s'assombrir au fur et à mesure qu'il donnait son discours de papa protecteur. Il aimait Beca, assez pour paraître vieux jeu et assurer ses arrières. Rien que pour cela, elle apprécia David un peu plus.
- Je suis émerveillée par Beca depuis que je l'ai rencontré. Je sais qu'elle fera de grandes choses et j'ai de la chance de l'avoir dans ma vie, pas l'inverse. Je peux vous promettre que je serai la première en colère contre moi-même si je lui faisais le moindre mal.
- Je suis content de l'entendre. Je t'ai vu avec Lucy, elle t'aime beaucoup. Et tu sembles l'apprécier aussi.
- C'est une petite fille adorable, affirma Chloe. Je ne m'attendais pas à ça quand Beca m'a dit qu'elle avait quelque chose d'important à me dire. Je sais qu'elle sera une très bonne maman une fois qu'elle pourra s'occuper de Lucy à temps plein.
David sourit largement. Chloe marquait tous les bons points.
- Tu sais, elle sera de moins en moins libre quand Lucy habitera avec vous.
Chloe hocha de la tête en faisant un pas de plus avec ses béquilles.
- Ca l'inquiète beaucoup. J'essaie de la rassurer comme je peux. Lucy fait partie d'elle. Jamais je ne me mettrais entre Beca et sa fille. Et les Bellas non plus. On est toutes présentes pour les aider du mieux qu'on le peut.
- Et dire qu'elle ne voulait pas se faire d'amis quand elle est arrivée ici.
- Elle ne pouvait pas nous résister bien longtemps, plaisanta Chloe.
Ils rirent ensemble et Chloe fut soulagée de voir la voiture de Stacie garée à l'endroit où elle l'avait laissé. David lui ouvrit la portière et salua Stacie.
- Bonjour, Monsieur Mitchell !
- Bonjour Stacie ! Et voilà tes livres.
Il déposa les livres de Chloe sur ses genoux puis referma la portière.
- Soyez prudentes sur la route, conseilla sa voix étouffée.
Les filles lui firent signes à travers la vitre et démarrèrent pour la maison des Bellas.
- Tu peux respirer, maintenant, ricana Stacie.
Chloe lui tapa le bras gentiment pour lui dire de se taire.
- C'était gênant, râla la rousse sous les gloussements de son amie.
Stacie augmenta le volume de la radio et elles se mirent à chanter en harmonie avec Dua Lipa. Chloe se demandait si elle devait faire part à Beca de la discussion qu'elle venait d'avoir avec son père.
C'était le grand soir pour Flo. La petite nouvelle du groupe devait faire ses preuves. Depuis son arrivée, les filles s'étaient acharnées pour qu'elle leur cuisine la paëlla dont elle leur avait tant parlé. La jeune femme, d'origine mexicaine, tenait la recette de sa grand-mère qui elle-même la tenait de plus vieux qu'elle encore. Ce soir-là, elles s'étaient enfin toutes accordées pour participer à la dégustation du plat familial de Flo. Aubrey était même venue passer la soirée à la villa pour en profiter aussi.
Dans une ambiance joviale, elles se retrouvaient toutes dans la cuisine. Jessica et Ashley prenaient des notes sur un carnet à chaque ingrédient ajouté. Chloe était postée sur un tabouret, un verre de vin blanc à la main, occupée à regarder comment Flo préparer le plat pour retenir un maximum d'informations. Elle comptait bien apprendre à le préparer aussi. Beca était à côté d'elle, sur son ordinateur, à assembler une courte playlist pour la durée du repas. Cynthia Rose et Stacie collectaient la vaisselle pour mettre la table dans la salle à manger. Amy se faisait taper sur les doigts par la cuillère en bois de Flo parce qu'elle venait de voler un morceau de crevette. Lily était absente mais personne ne doutait qu'elle réapparaitrait au moment de passer à table.
Quand elles se dirigèrent toutes dans la salle à manger, Chloe sur ses béquilles, Flo et Stacie avec les deux plats de paëlla, la sonnette de la porte d'entrée retentit. Toutes se regardèrent tour à tour. Qui pouvait bien leur rendre visite ? Elles n'attendaient personne.
- Je vais ouvrir, annonça Ashley.
Sans s'éterniser, les jeunes femmes s'installèrent à table sans penser qu'elles seraient dérangées longtemps. Les assiettes commençaient à se remplir quand Ashley entra dans la pièce, suivies par deux autres personnes.
- Chloe, regarde qui est là, fit-elle d'un sourire forcé et d'une voix faussement joyeuse.
Chloe, qui venait de piquer un premier fruit de mer, s'arrêta net quand elle découvrit ses parents, droits comme des I sous l'arcade de la salle à manger. Elle ouvrit de grands yeux affolés, les dirigea sur Beca, la bouche grande ouverte. Que faisaient-ils ici ?
- Papa, maman ? Qu'est-ce que…
- Chloe, tu pourrais nous saluer quand même, interrompit Lilian Beale.
La jeune femme se leva précipitamment et marcha jusqu'à ses parents sans ses béquilles. Lilian souffla en signe d'impatience. Chloe les embrassa sur chaque joue puis se recula.
- Vous auriez dû me prévenir de votre visite, j'aurai anticipé en conséquence.
Les mots de Chloe étaient articulés. Elle se tenait droite et fermée. Beca reconnaissait enfin l'influence qu'avait eu l'éducation de ses parents sur elle. Toutes les Bellas restaient silencieuses et aucune n'osait bouger. La pièce s'était refroidie depuis l'arrivée des Beale. Aucune d'entre elles n'avaient apprécié le manque de soutien des parents de Chloe.
- Nous ne sommes en ville que pour deux jours. Tu sais quelle date nous approchons. Nous serons repartis avant, informa Edward Beale d'un petit sourire qui se voulait charmant.
Chloe hocha la tête. Elle aurait presque espéré qu'ils restent plus longtemps. Une partie d'elle pensait qu'il y avait encore de l'espoir, qu'ils pouvaient réparer leur relation.
- Vous n'avez qu'à vous joindre à nous, fit Aubrey soudainement.
Tous les regards de la pièce se tournèrent sur elle. Elle affichait un sourire confiant mais ses yeux montraient la compassion qu'elle éprouvait pour son amie. Chloe lui fit un bref signe de tête. Aubrey avait raison, c'était la chose à faire pour que ses parents la laissent tranquille.
- Oui, on va se serrer. Vous avez déjà mangé ?
Cynthia Rose et Stacie se levèrent pour récupérer deux chaises supplémentaires dans la cuisine.
- Ton langage, jeune fille, châtia Madame Beale qui préférait les phrases grammaticalement bien construites. Nous n'avons pas encore soupé, effectivement.
- Pardon, souffla Chloe.
Elle regarda ses parents s'asseoir, son père timidement, sa mère franchement, entre Jessica et Aubrey. Satisfaite de la place qu'ils s'étaient trouvés, Chloe retourna en claudiquant jusqu'à sa place auprès de Beca, en bout de table. Quand elle s'approcha de sa chaise, la brune se leva pour l'aider.
- Non, je te remercie, l'arrêta Chloe sèchement d'une main. Je peux le faire seule.
Elle vit la trahison et la tristesse sur le visage stoïque de Beca et sentit un noeud se formait immédiatement au creux de son estomac.
- Eh bien. Qu'est-ce donc que cela ?
Madame Beale avait désigné l'énorme plat de paëlla au centre de la table d'une moue dégoûtée.
- De la paëlla, Madame, expliqua Ashley. Puis-je vous servir ?
- Volontier, répondit Lilian d'un air qui indiquait tout le contraire.
Leurs assiettes pleines, toutes attendirent que les parents de Chloe aient plongé leurs fourchettes dans leurs nourritures pour commencer à manger.
- Ce genre de plats étrangers n'était pas aussi commun avant. Nous perdons nos bonnes coutumes, commenta Lilian. N'est-ce pas, Edward ?
L'homme, qui avait déjà englouti une bonne partie de son assiette, approuva à contre cœur et posa doucement sa fourchette sur le côté pour accorder le discours de sa femme à ses actions. Il ne toucherait plus à son assiette ensuite.
- C'est super bon, Flo, complimenta Cynthia Rose qui se moquait bien de l'opinion des parents de Chloe.
La mère de Chloe la toisa du regard puis remercia Aubrey d'un sourire parce qu'elle venait de lui servir du vin. La blonde connaissait bien les parents de Chloe. Ils ressemblaient aux siens. Traditionnels, stricts, blancs et riches. Ils étaient hautains et orgueilleux. Aubrey savait comment s'adapter à ce genre de sphère. Elle était née dedans.
- Monsieur et Madame Beale, j'espère que vous avez fait bon voyage.
Edward allait répondre mais sa femme déposa sa main sur son poignet pour l'interrompre.
- A vrai dire, l'avion était insupportable. Nous avons été sous-classés par erreur. Une mère de race noire n'arrivait pas à calmer sa progéniture. C'était terrible. Le petit insolent a braillé tout le trajet.
La pièce s'arrêta un instant de respirer. La remarque raciste ne passa pas inaperçue. Chloe serra sa serviette de toutes ses forces. Elle lança un regard désolé à Cynthia Rose qui lui fit un clin d'œil. Elle savait que Chloe n'y pouvait rien.
- Nous n'avons pas trouvé de chambre d'hôtel de libre, non plus, continua Lilian, imperturbable. Nous espérions pouvoir être accueillis ici mais vous semblez être en plein déménagement aux vues du désordre dans l'entrée.
Son air pincé dérangea Chloe. Sa mère faisait référence aux cartons vides laissés dans l'entrée. C'étaient les restes d'emballages de la chambre de Lucy.
- Non, en fait, c'est Lucy qui emménage, expliqua Amy, la bouche pleine.
Chloe ouvrit de gros yeux. Elle l'aurait supplié de ne pas faire la moindre erreur ce soir-là si elle avait pu prévoir. Mais Amy restait Amy et c'était la pure vérité. Lucy venait habiter avec elles et elle en était fière. Elle n'avait pas à s'en cacher.
- Qui est Lucy ?
Lilian s'était tournée vers Chloe parce qu'elle attendait des comptes de la part de sa fille. Chloe déposa sa main sur celle de Beca, qui leva un sourcil en regardant leurs mains jointes. Ecœurée du comportement de Chloe, la brune retira sa main mais le geste n'avait malgré tout pas échappé à Lilian Beale. La rousse jeta un regard blessée à sa petite-amie. Elles règleraient cela plus tard.
- Lucy est la fille de Beca.
La brune en question la regarda, étonnée. Elle ne pensait pas Chloe capable de dire la vérité à ses parents. Pour une fois, l'émotion qui traversa les Beale semblait sincère. Le père s'étouffa avec son vin. La mère, contrariée, s'essuya la bouche de sa serviette en tissu, comme pour se donner du temps avant une grande conversation.
- Ton père et moi sommes ici pour t'annoncer une chose importante.
Lilian laissa le silence compresser toute la pièce. Elle prit une gorgée de vin blanc, se ressuya la bouche.
- Tu te marieras avec Tom, l'été prochain. Nous avons déjà rédigé une première esquisse du contrat de mariage avec le notaire.
- Quoi ?!
C'était Aubrey qui avait réagi. Etonnamment, personne ne se tourna vers elle. Toutes regardaient Chloe. Elles s'attendaient à une réaction de sa part mais rien ne vint. La jeune femme gardait la tête baissée. Seuls ses doigts s'affairaient à frictionner sa serviette.
- Vous ne pouvez pas faire ça, s'indigna Beca à sa place.
- Vous n'avez pas votre mot à dire, répondit Lilian. La comédie a assez duré, Chloe, tu vas retourner sur le droit chemin. Tom est honnête et c'est un beau jeune homme, plein d'ambition. Vous ferez de beaux enfants et non des bâtards hors mariage, cracha-t-elle. Penses à ton frère. Il serait déçu de te voir gâcher ta vie avec cette clique de…
- Non.
Elle l'avait dit doucement. Elle l'avait dit sans bouger. Mais elle l'avait dit. Chloe avait dit non à sa mère. Beca n'était pas sûre d'avoir entendu. Pourtant, Lilian s'était arrêtée dans sa litanie d'insultes déguisées alors elle avait dû l'entendre aussi.
- Enfin, Chloe, ressaisis-toi ! Tu ne peux pas passer ta vie avec cette fille. Ce n'est pas naturel ! Pour jouer les mamans ? Tu vaux mieux que ça. Ton frère n'aurait pas voulu ça.
- J'ai dit non !
- Nous en rediscuterons, chérie, ne t'en fais pas, tenta Edward en voyant la tension qui s'accumulait chez sa fille.
- Tout est déjà discuté. Chloe va quitter ce groupe de dégénérées et rentrer à la maison pour épouser Tom. Le mariage sera fantastique, tu verras. Je sais déjà quel traiteur nous choisirons. Les enfants des Milton ont fait appel à lui et c'était succulent ! Sans parler des fleurs…
Chloe l'interrompit d'un grand coup sur la table. Les corps avaient sursauté. Un verre s'était renversé mais personne ne s'en préoccupait. Chloe était debout, les deux mains encore là où elle avait frappé, les oreilles bourdonnantes, le visage rouge. Elle posa sur sa mère un regard enflammé et la désigna d'un doigt accusateur.
- Mon frère serait surtout déçu de voir ce que vous êtes devenus. Vous n'avez aucun droit. Aucun, cria-t-elle. De débarquer ici et de critiquer ma vraie famille, mes amies, dans leurs propres maisons. Beca et les Bellas se sont occupées de moi quand vous n'étiez même pas là. J'ai eu un accident qui aurait pu me tuer et vous n'étiez même pas présents ! Je suis heureuse avec elles. Et je suis heureuse avec Beca. Je les aime toutes et ce sera toujours plus que l'amour falsifié en billets que vous pourriez m'offrir !
Le père de Chloe allait intervenir pour s'expliquer, probablement, mais elle l'interrompit d'une main.
- Vous n'êtes pas les bienvenus ici. Je veux que vous partiez. Maintenant. Et ne revenez plus.
Elle s'assit avec lassitude sur sa chaise, épuisée par son accès de colère. Ses parents hésitèrent, penauds. Ils ne savaient plus où se mettre. Sa mère semblait bouillonnait de rage.
- Comment oses-tu, commença Lilian.
- Maintenant dehors, articula Chloe plus vite qu'elle.
La femme se trouva collée contre son siège, épouvantée. Son mari se leva et la saisit par le bras. Ils prirent leurs manteaux et leurs esprits étriqués et s'enfuirent de la maison qui les avait humilié. La porte claqua et plus personne n'osa bouger, toutes choquées de la scène qui venait de se jouer.
- Woah, c'était sexy, commenta Amy en première.
Chloe éclata de rire et toutes suivirent. Elle sentit la main de Beca se joindre à la sienne. Elles partagèrent un sourire complice. Elle était sûre d'avoir fait ce qu'il fallait, à présent.
