Ce chapitre est juste une transition. Je n'avais rien d'autre à dire sur cette partie-là de leur vie... Mais je reviens vite, promis, avec la suite - et le début de la relation de Tristan et Yseult. Hâte d'y être !
— Je pars demain, lui annonça Tristan un soir.
Cette nouvelle l'assomma.
— Où donc ?
— Je pars, Yseult. Peu importe le lieu. Tu ne me reverras probablement jamais.
Tristan la regarda dans les yeux.
— Tu aurais dû te douter que ce moment arriverait.
Yseult pouvait sentir ses poumons se resserrer. Qu'allait-elle devenir, sans Tristan avec qui s'asseoir à table le midi ou s'entraîner sans avoir peur qu'il ne la ménage parce qu'elle était une fille ? Sans Tristan pour la soutenir quand on la pointait du doigt en désignant ses tatouages et en les désignant comme étant la marque des démons ?
Sa seule présence était réconfortante. Quand il ne plongeait pas dans une profonde mélancolie qui prenait aux tripes tous ceux qui s'approchaient de lui.
— Pourquoi toi ? chuchota-t-elle, les larmes aux yeux.
S'il partait, elle n'aurait plus de nouvelles de lui. Il pourrait très bien mourir dans un fort perdu entre deux pauvres collines en Bretagne, et elle n'en saurait rien.
— Ils veulent perfectionner certaines de mes capacités.
Elle ne l'avait jamais entendu tenir une conversation aussi complète. Il devait être particulièrement bouleversé, pour se confier ainsi.
Elle retint les larmes qui pointaient sous ses paupières. Elle se devait d'être forte. C'était pour lui que ça allait être le plus difficile - il allait quitter les dernières personnes qui le retenaient un tant soit peu à sa terre natale, il allait devoir supporter les ordres des romains et s'y plier (elle ne doutait pas que ce serait le plus difficile pour lui) et il ne pourrait compter que sur lui-même là-bas.
Yseult ne doutait pas que sans le soutien des autres jeunes Sarmates, elle se serait effondrée depuis longtemps. Même si elle n'était pas particulièrement intégrée, ils se serraient les coudes, unis dans une même galère. Elle ne pouvait s'imaginer ce qu'il allait traverser.
— Reste en vie, demanda-t-elle la voix tremblante.
Lorsqu'elle se réveilla le lendemain matin, sa paillasse était vierge de toute trace de sa présence. Elle laissa ses larmes couler.
Les réactions de ses autres camarades étaient mitigées. Certains s'en réjouissaient, et ne faisaient rien pour le cacher. D'autres prenaient la situation avec bonhomie - on ne discutait pas les décisions de Rome.
Le départ de Tristan lui rappela cruellement la solitude qu'elle connaissait au fort.
Même si Arthur essayait d'être gentil - se proposant pour être son partenaire à l'entraînement, ou les invitant à se placer à côté d'eux au réfectoire, elle se sentait dériver peu à peu. Elle ne se sentait plus concernée par rien, et les semaines suivantes se passèrent dans un flou constant. Elle n'avait plus de repères, plus d'envies, plus la rage de se battre.
Elle ne s'était jamais douté que Tristan était aussi important pour elle. Elle ne s'était pas aperçu qu'il avait pris une place particulière dans son cœur - celle d'un frère, peut-être.
Elle regrettait de ne pas s'en être aperçue avant son départ.
Il était peut-être trop tard.
— Il n'en vaut pas la peine, ricana un matin Bors en la voyant regarder une pomme avec nostalgie.
Elle la lui envoya à la figure. Et partit avant de voir le choc s'inscrire sur son visage.
Yseult y réfléchit. Représentait-elle pour lui un dixième de ce qu'il était pour lui ? C'était Tristan, après tout.
Les seuls moments où elle se sentait vivre étaient ceux qu'elle passait au combat.
Elle voulait leur montrer, à tous, ce qu'elle était capable de faire. Les défier. Gagner.
Elle ne se réveillait plus que pour ces moments. Chaque instants de libre qu'ils avaient - ils devenaient de plus en plus nombreux, devenant peu à peu aussi accomplis qu'on pouvait l'espérer - elle le dépensait sur le terrain d'entraînement. Pouvoir frapper, encore et encore. Elle s'imaginait que les mannequins s'entraînement représentaient les Romains qui lui avaient pris Tristan. Ou les imbéciles qui lui servaient de compagnons. Plus ils grandissaient, moins ils avaient de jugeote, semblait-il.
Elle ne se rendit pas tout de suite compte que son comportement destructeur l'avait encore plus éloigné de ses camarades.
Bien que les efforts physiques des dernières années lui aient été bénéfiques, et qu'elle parvenait maintenant à défier la plupart des Sarmates, ceux-ci devenaient peu à peu des hommes.
Elle se retrouva brutalement à devoir lever les yeux pour croiser leur regard. Ou elle-même le détournait quand après un entraînement, ils ôtaient leur chemise. Ils faisaient des folies capillaires à tour de rôle : Arthur coupa ses cheveux, Gauvain les laissa pousser. Bors se les rasa complètement (au cours des jours suivants, elle le surprit plusieurs fois à caresser son crâne chauve, un air de regret sur le visage). Lancelot essaya de se les lisser (il abandonna quand il remarqua que le nombre de filles qui s'intéressaient à lui baissa drastiquement suite à cette décision. Yseult trouva son attitude ridicule).
Elle avait hâte de grandir à son tour, pour espérer les égaler un jour. Ses compétences et ses affinités avec Tristan l'avait éloignés d'eux, maintenant que ces problèmes étaient en quelque sorte résolus, les centimètres qu'ils avaient pris instauraient une nouvelle distance entre eux.
Elle se prit à envier les femmes du fort. Elle avait fini par remarquer que son corps ne se développait pas comme le leur. Elle le poussait trop pour cela. Pour eux, elle n'était qu'une enfant, et elle n'avait sans doute pas plus de valeur à leurs yeux que n'en avait Galahad.
Sauf Arthur, mais Arthur s'arrangeait pour s'entendre avec tous, et passer du temps avec chacun. Il ferait un bon commandant, elle en était persuadée. Il ne s'était jamais déclaré supérieur à eux, malgré la destiné qui l'attendait. Il avait souffert à leurs côtés, perdu des compagnons comme eux, et ne souhaitait profiter d'aucun traitement de faveur.
En plus des missions de reconnaissance, le centurion Crassus décida qu'ils étaient prêts à les accompagner lors des missions de plus grande envergure - le plus souvent, il d'agissait d'assurer le bon déroulement du déchargement d'un bateau au port le plus proche ou d'accompagner certains Romains qui avaient décidé de s'établir en territoire breton jusqu'à leur nouvelle demeure.
Cette nouvelle donna lieu une petite fête improvisée, puisqu'on leur remis pour l'occasion leurs armes fétiches, celles qu'ils avaient ramené de Sarmatie avec eux. Bien sûr, c'était sous condition d'en faire bon usage et de ne pas l'utiliser sur les habitants du fort - Bors soupira de déception lorsque Crassus les en informa.
Depuis qu'elle avait la possibilité de garder en permanence le cimeterre de son père sur elle, elle se sentait presque en sécurité. Et malgré les recommandations de Crassus, quelques règlements de compte virent le jour entre les jeunes Sarmates. Il ne s'agissait plus de s'entraîner ou de jouer, mais de sauvegarder son honneur - et de gagner. Ils voulaient se mesurer les uns aux autres, montrer qu'ils étaient des hommes, et Yseult maudit cette fierté masculine qui semblait les habiter - à l'exception de quelques-uns - Arthur en tête. Il gagna son respect pour cela.
S'ils avaient déjà perdu des camarades lors de simples entraînements, ces duels improvisés se firent sanglants et sans pitié. Frères contre frères. On lui demandait de réparer les dégâts qui pouvaient l'être pour que les Romains ne se doutent de rien, et son petit stock d'herbes baissait à vue d'oeil. Certains tentaient d'y mettre un terme ou arbitraient ces duels, et peu à peu, leur fréquence diminua.
Comme s'ils avaient besoin de cela, en plus des dangers extérieurs.
Yseult s'était rapidement aperçue que les Pictes leur donnait le plus de fil à retordre : ils vivaient dans les forêts et attaquaient chaque convoi qui passaient à proximité.
Les décès des Sarmates étaient de leur dû.
Pourtant, elle n'arrivait pas à leur en vouloir. Ils étaient victimes de Rome, eux aussi. Ils devraient chercher à s'entraider - pas à s'entretuer. Sauf que pour l'instant, ils étaient Rome. Et que le mauvais caractère de ses frères les faisaient s'entretuer entre eux. Un beau gâchis. A ce rythme, aucun ne rentrerait en Sarmatie.
Jamais sa route n'avait eu à croiser ce peuple particulier, et elle s'en félicitait.
Certains de ses camarades avaient réussi à leur survivre, mais, comme Dagonnet le leur avait déclaré en revenant, le regard hanté :
— Rien ne peut vous y préparer. Il faut le vivre.
Pires que les Pictes étaient les Saxons. Yseult entendait les rumeurs qui circulaient. Une fois, ils avaient même accueilli une horde de marchands tremblants qui avaient traversé les restes d'un village attaqué par ces barbares. Leur récit lui avait donnée des sueurs froides.
Heureusement que le mur, beaucoup plus au Nord, les protégeait de ces attaques, et que de nombreux forts se dressaient en avant du leur.
Pourtant, de temps en temps, elle ne pouvait s'empêcher où était Tristan. S'il était encore en vie. S'il était en sécurité.
