Doug crut défaillir en regardant Evan flirter avec l'inconnu et l'embrasser.

Il le vit se pencher et sourire au petit garçon handicapé, et ébouriffer ses cheveux. Il avait l'air de l'aimer profondément. Il remarqua aussi que l'homme caressait la cuisse d'Evan dès que l'enfant regardait ailleurs.

C'était dégoutant !

Et Evan, le mari de Doug, se laissait faire. Il aimait ça. L'encourageait même. Il trompait son mari avec sa nouvelle famille, comme si Doug et leur mariage n'avaient jamais existé !

Comme pouvait-il lui faire ça ?

Ça le rendait fou de voir Evan se comporter comme ça avec un inconnu. Il n'avait pas le droit de faire ça. S'il n'y avait eu qu'eux deux, il y serait allé mais ils semblaient être en famille et Doug savait que les témoins allaient appeler la police. Il ne voulait pas risquer d'être mis en prison, pas alors que les corps des Buckley devaient avoir été retrouvés.

Il n'avait plus vraiment d'avance.

Evan riait parfaitement insouciant du tumulte qui se jouait en lui. Il se faisait passer pour un autre, pour ce Buck Carter, et déjeunait avec sa nouvelle famille, oubliant qu'il était déjà marié.

Tout ça n'est pas réel, songea Doug. Ce n'est qu'un rêve. Un cauchemar.

Il sursauta lorsqu'il entendit de sa place l'éclat de rire d'Evan. Il aimait ce son autant qu'il le détestait. Il avait l'irrépressible envie de sortir son arme et de tous les abattre mais il ne pouvait pas.

Ce n'était pas comme ça qu'il pourrait reconquérir son mari.

Ses pensées ricochaient dans tous les sens comme des boules de flipper. Evan mentait, le trompait, complotait. Il s'était enfui pour se trouver un amant. Il parlait et riait dans son dos, murmurait des paroles salaces à l'homme à la peau mate, pendant qu'il lui malaxait les fesses, et il haletait de plus en plus. Il jouait les célibataires, ignorait tous les sacrifices que Doug avait faits pour lui, de même qu'il devait gratter le sang de ses chaussures, que Noah se moquait de lui avec Beverly en sirotant du mauvais whisky... et qu'il y avait des mouches qui bourdonnaient au-dessus des hamburgers parce qu'il avait pris la fuite, et qu'il avait dû se rendre seul au barbecue, et qu'il ne pouvait pas dire à son capitaine qu'il n'était pas un gars de l'équipe comme les autres.

Il était meilleur.

Et pendant ce temps-là, Evan se promenait dans une fête foraine, et mangeait au restaurant avec sa nouvelle famille, ses cheveux blonds trop courts mais d'une beauté saisissante, sans la moindre pensée pour son mari. Il l'avait oublié, tout comme son mariage, afin de pouvoir mener sa vie avec l'homme à la peau mate, lui tapoter la poitrine et l'embrasser avec cette expression rêveuse sur le visage. Heureux, serein, dépourvu de la moindre inquiétude. Il devait sans doute fredonner sous la douche, alors que Doug pleurait toutes les larmes de son corps et se rappelait le parfum qu'il lui avait offert à Noël. Mais ça ne gênait pas cet égoïste qui pensait pouvoir jeter son mariage à la poubelle comme une boîte de pizza vide.

Il se leva et s'orienta vers les toilettes lorsqu'il vit Maddie Buckley y aller.

C'était un pari risqué car si Evan avait montré une photo de lui à sa sœur, il serait grillé mais il était presque certain qu'il n'avait pas touché aux photos en partant et ça laissait un goût amer sur la langue de Doug.

Il fit rouler l'alliance d'Evan en même temps que la sienne autour de son doigt.

Il fit mine de ne pas l'avoir vu lorsqu'il se cogna contre son épaule. Elle sursauta et s'excusa avec un grand et magnifique sourire, le même que celui d'Evan et il s'excusa également.

– Est-ce qu'on se connait ? demanda-t-il.

– Je ne crois pas..., commença-t-elle incertaine.

– Vous êtes sûr ? Attendez si je sais, tu es Maddie. Maddie Buckley, n'est-ce pas ?

– Je suis confuse, admit-elle surprise.

– Peter, lâcha-t-il pour lui rafraichir la mémoire. Peter Griffith de l'université de médecine à Boston.

– Oh mon dieu, lâcha-t-elle. Peter Griffith ? Mais c'est si inattendu de te croiser ici.

– J'ai eu un colloque cette semaine et je voulais faire un peu de tourisme avant de repartir et de retrouver ma femme, mentit-il. Et toi, quoi de neuf ? Raconte ! T'es infirmière ?

– Je l'ai été, admit-elle. Mais aujourd'hui je travaille au centre d'appel d'urgence de la ville.

– Wouah, quel changement de cap !

– Ce n'est pas vraiment différent de ce que je faisais avant, s'amusa-t-elle. Le vomi et le sang en moins.

– Vu sous cet angle, admit-il.

– Tu sais, lâcha-t-elle soudain. J'ai toujours cru que c'était ton coloc qui s'appelait Peter.

– Oh, c'est... curieux. Mais tu n'es pas restée longtemps non plus. Tu as eu un problème dans ta famille, un frère malade, je crois.

– Oh... ouais.

– Désolé, je suis indiscret, s'excusa-t-il.

– Pas de mal, le rassura-t-elle. Vraiment. Et puis, mon frère va mieux.

– Heureux de l'apprendre, lui sourit-il. Je vais te laisser mais je suis heureux de t'avoir revu Maddie.

– Moi aussi Peter, lui répondit-elle.

Doug disparu rapidement et retourna se cacher à sa table.

Il vit Maddie retourner s'installer à la sienne et continua de les observer pendant tout le repas. Puis, l'homme le plus âgé et sa femme allèrent payer et Doug enfonça sa casquette sur sa tête quand ils s'arrêtèrent près de lui.

– Tu vas devoir leur dire Athena, lâcha l'homme. Ce sont leurs parents, et même si je déteste ce qu'ils leurs ont fait traverser, ils ont le droit de savoir qu'ils sont morts.

– Buck va paniquer, affirma la femme. Il a souri toute la journée, je ne veux pas tout gâcher en lui apprenant la mort de ses enfoirés de géniteurs.

– Il va bien falloir lui dire. Et à Maddie aussi.

– Je le ferai, promit-elle.

– Il y a autre chose ?

– Je ne sais pas. Tout semble trop... bizarre. J'ai un mauvais pressentiment, comme si cette histoire cachait quelque chose de plus gros qu'une explosion au gaz accidentelle.

– Quand dois-tu avoir les résultats de l'autopsie ?

– Ce soir.

– D'accord, souffla Bobby. Attendons ce soir mais ensuite il faudra leur dire.

– D'accord.

L'homme déposa ses lèvres sur celles de la femme et ils retournèrent à la table.

Tous se levèrent et Doug serra les poings. Evan était entouré d'une nouvelle famille protectrice certes mais surtout d'au moins un policier et c'était une très mauvaise nouvelle pour lui. Mais il avait appris qu'il avait encore un peu d'avance finalement car si la mort des Buckley avait été découverte, ce n'était pour le moment qu'un accident. Il disposait alors encore de quelques heures pour convaincre son mari de rentrer avec lui à la maison.

Ils quittèrent le restaurant suivi par Doug qui restait à une distance raisonnable pour ne pas se faire repérer. Ils restèrent encore une bonne heure avant de se séparer et retourner vers leurs voitures respectives.

Doug s'arrêta subitement.

Il pantelait, se sentait défaillir. En faisant monter le chiot dans la voiture, le profil d'Evan avait surgi en pleine lumière et il le trouva plus magnifique que jamais. À ses yeux, il évoquait toujours une fleur délicate, sublime et raffinée, et il se rappela l'avoir sauvé d'un passage à tabac par des voyous, le soir de leur rencontre. Il lui disait alors qu'il se sentait en sécurité grâce à lui...

Mais tout ça n'avait pas suffi pour le retenir au domicile conjugal.

L'homme à la peau mate ferma la porte après avoir installé son fils sur la banquette arrière et déposa un baiser sur les lèvres d'Evan avant de lui tendre les clés. Evan les accepta avec un immense sourire et se dirigea vers le siège du conducteur.

Doug était abasourdi.

Evan savait conduire, il conduisait alors qui le lui avait formellement interdit. Doug savait que s'il laissait cette liberté à son mari il aurait alors plus de facilités à le fuir. Alors, il avait toujours refusé prétextant qu'il pouvait l'emmener où il le désirait.

Et maintenant, son mari lui échappait encore.

Doug en était malade. Il se sentait blessé, trahi. Sa fureur aida toutefois ses idées à s'éclaircir et il réalisa qu'il restait sur place, alors que les autres s'éloignaient. Buck avait mis son clignotant et quittait le parking. Sa voiture était garée à quelques mètres de là et il tourna les talons se mettant à courir.

Il s'engouffra dans sa voiture et fit rugir le moteur de rage.