FEYRA
Feyra s'était levée aux aurores. Elle termina de nouer ses cheveux en une queue de cheval haute avant de jeter un regard vers son lit. Kenneth y dormait toujours, sa poitrine se soulevant à un rythme lent et régulier. Il était sorti de l'infirmerie quelques jours plus tôt et s'acclimatait tout doucement à son nouvel environnement.
À pas de loup, sans faire de bruit, elle se dirigea vers la porte de sa chambre. Elle l'ouvrit, et tomba nez à nez avec Sirius qui, la main levée, s'apprêtait à toquer. Il haussa un sourcil interrogateur à son attention, la surprise se lisant sur son visage. Il n'avait pas l'habitude de la voir aussi matinale, normalement, il devait tambouriner un moment avant d'entendre la jeune femme grommeler des insultes de l'autre côté du battant.
« Déjà debout ? Tu es tombée du lit ou quoi ? » la railla-t-il.
Elle leva les yeux au ciel, puis referma soigneusement la porte derrière elle.
« Kenneth est sorti de l'infirmerie, il dort ici maintenant. Je ne voulais pas que tu le réveilles. »
Un rictus releva le coin des lèvres du gardien.
« Tant mieux. On aura plus de temps pour s'entraîner comme ça. »
Ils s'entraînaient au combat au corps-à-corps depuis plusieurs heures. Le soleil qui brillait haut dans le ciel leur chauffait la nuque. Feyra passa une main sur son visage, À force des entraînement en extérieur, de légères taches de rousseur était apparues sur son nez et le haut de ses joues. Elle fléchit les genoux et Sirius secoua la tête d'un air désapprobateur.
« Tu es raide comme un piquet. Ce n'est pas comme ça que tu arriveras à me toucher. Et fais attention à tes placements. »
Elle se repositionna correctement et frappa de nouveau, mais Sirius évita sans grand mal son coup.
« Je pensais que, pour quelqu'un qui est capable de faire apparaître des flammes dans ses mains, le combat au corps-à-corps serait un véritable jeu d'enfant pour toi. Je ne te cache pas que je suis un peu déçu. »
Elle serra des dents.
« Tu l'as dit toi-même, je peux faire apparaître des flammes et tout brûler sur mon passage. Je n'ai pas besoin d'apprendre à me battre ou à manier une épée pour faire ployer les gens devant moi.
_ Tu crois ça ? son sourire s'élargit. Tu sembles oublier qu'il existe des moyens de neutraliser tes pouvoirs. Imagine un instant que tu te retrouves en mauvaise posture avec, de nouveau, tes bracelets au poignet ? Tu ne serais pas sans défense. Tu pourrais te battre. Et il n'a pas marqué que tu es une inferni sur ton front. Tes adversaires n'en seront rien, à moins que tu ne serves de tes pouvoirs. Tu pourrais les prendre par surprise, leur infliger de graves brûlures en les frappant au visage par exemple. »
Il se redressa.
« D'ailleurs, qu'est-ce que tu es capable de faire exactement ? Comment se matérialise ton pouvoir ?
_ Pourquoi ça t'intéresse ? son ton s'était fait plus sec qu'elle ne l'aurait voulu.
_ Je n'ai jamais rencontré d'inferni avant toi. Et je ne t'ai jamais vu faire usage de tes pouvoirs non plus. »
La jeune femme retint un soupir, elle ne se servait jamais de ses pouvoirs en public. La garde ne le lui avait pas interdit - mis à part Lance dans le cadre de ses entraînements - et ils la laissaient relativement livre de ses mouvements. Ils ne lui avaient imposé aucune restriction, mais pas peur du regard des autres, elle préférait faire profil bas. Les elementaris, et en particulier les infernis, avaient mauvaise réputation. Leurs pouvoirs étaient associés à la destruction et à la mort. Les rares fois où elle faisait usage de ses pouvoirs, c'était dans sa chambre avec son frère pour unique témoin.
« Lance ne veut pas que je m'en serve, il a été très clair à ce sujet, répondit-elle sombrement.
_ Lance n'est pas là et il n'en sera rien. Je ne lui dirais pas. »
Feyra pencha légèrement la tête sur le côté, faisant glisser sa queue de cheval dans son dos, et le jaugea quelques secondes. Elle l'observa de la tête au pied, puis finit par céder. Elle ouvrit la paume de sa main droite, une gerbe de flammes brûlantes y apparut. Elle la fit bouger entre ses doigts tandis que ses prunelles brillaient comme de l'or fondu.
« C'est toujours comme ça ? demanda Sirius, captivé, tout en fixant les flammes. Tu fais simplement apparaître du feu dans tes mains ?
_ Non, elle secoua négativement la tête et referma sa paume. Je ne suis pas obligée de matérialiser mes flammes. »
Elle tendit la main devant elle et, d'un signe de tête, indiqua à son interlocuteur de faire de même. Il s'exécuta. Elle plaça alors sa main à seulement quelques centimètres en dessous de la sienne. Une douce chaleur vint irradier le creux de sa paume, puis se répandit rapidement entre leurs deux mains. Sirius écarquilla les yeux, surpris.
« C'est agréable, souffla-t-il du bout des lèvres.
_ Si je te touche, ça le sera moins, elle sourit narquoisement. Le feu brûle.
_ Essaye pour voir.
_ Qu-quoi ?
Elle cligna des yeux et recula de plusieurs pas.
« Essaye de me toucher, devant son regard perplexe, il continua. Remets-toi en position, on va corser un peu les choses. Essaye de me toucher et de me brûler. Tu as peut-être juste besoin d'un peu de motivation. Ou d'un déclic. »
Il ponctua sa phrase par un clin d'oeil.
Mais elle ne réussit pas pour autant à le toucher. À chacune de ses tentatives, le gardien parvenait aisément à parer ses coups et à renverser la situation en sa faveur. Au bout de dix minutes, elle frôla dangereusement son épaule gauche, manquant de le toucher de peu, ce qui eut pour effet de lui faire baisser sa garde. Sirius en profita pour attaquer. Il la frappa au visage et elle laissa échapper un gémissement de douleur alors qu'elle tombait par terre. Un goût métallique envahit sa bouche, elle passa un doigt sur sa lèvre inférieure qui la tiraillait et tressaillit. Elle avait la lèvre fendue, ainsi que certainement une jolie ecchymose au coin de la bouche. Elle jeta un regard noir à Sirius.
« Ça va ? Je ne t'ai pas frappé trop fort ? il semblait inquiet.
_ Je croyais que c'est moi qui devrais te frapper, pas l'inverse.
_ Parce que tu crois que tes adversaires te laisseront toujours frapper en premier sans riposter ? Dans quel monde tu vis ? Tu n'apprendras jamais de tes erreurs si tu ne reçois aucun coup. »
Il marqua une pause.
« On va en rester là pour aujourd'hui. »
Il prit une serviette propre qui reposait sur un banc à quelques mètres d'eux et la lui donna.
« Tu devrais peut-être aller à l'infirmerie voir Eweleïn. Elle te donnera un truc pour … Il pointa du doigt sa blessure. Pour ça. C'est vrai que ce n'est pas très joli. Je n'y suis pas allé de main morte. »
Feyra grommela quelques mots, ignorant ses excuses, et se leva. Elle se dirigea vers un tonneau en bois installé au bord des terrains d'entraînement dans lequel se trouvait de l'eau fraîche. Elle plongea le tissu dedans, puis le posa délicatement contre sa plaie. Elle grimaça, retenant un autre sifflement douloureux. Elle ferma les yeux quelques instants et quand elle les rouvrit, elle se rendit compte que quelqu'un se tenait à ses côtés. Elle tourna la tête pour apercevoir un homme à la carrure imposante, dont le buste nu était recouvert de multiples cicatrices, qui la regardait fixement. Il avait de longs cheveux blancs et l'espace d'un instant, elle crut avoir affaire à Lance et à ses pupilles meurtrières, mais le regard de celui-ci était différent. Il semblait moins hostile, moins froid, et était d'une douce couleur dorée qui lui rappelait étrangement le sien.
« Tout va bien ? il plissa les yeux en remarquant sa lèvre ensanglantée. Sirius ne t'a pas loupé on dirait. Il aime bien employer la manière forte avec les nouvelles recrues, alors ne te laisse surtout pas faire et n'hésite pas à lui rendre la monnaie de sa pièce. Il a l'habitude. »
Devant son ton badin, elle haussa un sourcil.
« Pardon, je ne me suis pas présenté. Je suis Valkyon, dit-il en lui tendant la main.
_ Feyra, répondit-elle simplement en serrant sa main dans la sienne.
_ Je sais. »
Evidemment, tout le monde sait qui est l'inferni, pensa-t-elle, amère. Elle acquiesça silencieusement et jeta un rapide coup d'oeil à sa serviette. Une tache de sang y était apparue. Elle la plongea de nouveau dans le tonneau et la repositionna contre sa lèvre meurtrie.
« Je t'ai regardé t'entraîner. Tu as encore des progrès à faire, mais dans l'ensemble, ce n'est pas trop mal, elle lui jeta un regard en coin. Lance pensait que c'était une perte de temps de t'entraîner, que tu n'étais bonne à rien. On dirait bien qu'il avait tort. Tu apprends vite.
_ Je me moque bien de ce qu'il peut penser de moi, siffla-t-elle entre ses dents. Cet idiot a tendance à oublier que je n'ai jamais demandé à intégrer sa précieuse garde et que, si ça ne tenait qu'à moi, je ne serais pas ici en train de perdre mon temps. »
Ce n'était pas entièrement vrai. Elle avait pris goût aux entraînement, malgré ce qu'elle pouvait dire. Et avec du recul, elle préférait mille fois être ici, suant sang et eau, plutôt que de travailler dans la chaleur étouffante des cuisines.
« Fais attention, tu parles de mon frère. » la prévint-il en croisant les bras contre son buste.
Elle dissimula son sourire en coin sous sa serviette. Sirius lui avait expliqué le fonctionnement de la garde obsidienne et avait nommé certains des membres les plus importants. En bas de l'échelle, se trouvait les nouvelles recrues comme elle, puis les guerriers aguerris qui avaient fait leurs preuves. Ils étaient ensuite classés selon leurs aptitudes au combat et leurs expériences. Au-dessus, les chefs d'équipe - dont faisait partie Sirius - dirigeaient les missions les plus périlleuses et s'occupaient de superviser l'entraînement des novices. Pour finir, il y avait le chef de garde - Lance - et son bras droit - son frère Valkyon en l'occurrence - qui l'aidait dans ses tâches. Mais même sans cette information, elle aurait pu deviner toute seule le lien qui unissait les deux hommes. La ressemblance entre eux était plus que frappante. Ils avaient la même couleur de peau, de cheveux, la même façon de se mouvoir ou de se tenir droit, sans cesse sur le qui-vive, prêt à parer n'importe qu'elle attaque. La plus grande différence résidait dans leurs regards. Les pupilles que posait Valkyon sur elle étaient chaleureuses, presque amicales, tandis que celles de Lance lui lançaient des éclairs à chaque fois qu'elle avait le malheur de se retrouver dans son champ de vision.
_ Je sais, elle se tourna vers lui. Estime-toi heureux, j'aurais pu être plus virulente. »
À sa grande surprise, Valkyon laissa échapper un éclat de rire.
« Il sera ravi de le savoir.
_ Fais-toi plaisir, je t'en prie. »
Elle commença à s'éloigner, mais il la rattrapa.
« Tu baisses ton coude quand tu frappes.
_ Pardon ? »
Elle se stoppa et fit volte-face.
« Tu baisses ton coude quand tu frappes, répéta-t-il. C'est ce qui te fait perdre en vitesse et en précision. C'est pour ça que tu manques de peu de toucher Sirius à chaque fois, sans jamais vraiment y parvenir. Il l'a sûrement remarqué lui aussi, mais il espère que tu t'en rendras compte et corrigera ta posture de toi-même. »
Feyra fronça les sourcils.
« Je peux ? » demanda-t-il en faisant en signe en direction de son bras droit.
Elle hocha la tête et le regarda bouger son articulation selon un angle bien précis. Il resserra sa main autour de son coude, guidant lentement son geste dans les airs, comme si elle frappait un ennemi invisible au ralenti.
« Tu vois ? Comme ça. Il faut que tu forces un peu le mouvement pour que ça devienne naturel.
_ Pourquoi est-ce que tu me dis tout ça ? s'enquit-elle en reculant d'un pas.
_ Pourquoi pas ?
_ Pourquoi est-ce que tu m'aides ? » insista-t-elle, méfiante.
Il haussa les épaules.
« Tu fais partie de la garde obsidienne, se contenta-t-il de dire comme si la réponde était évidente. Le combat au corps-à-corps ne semble pas être ton domaine de prédilection, mais tu as sûrement d'autres talents. Je me demande ce que tu serais capable de faire avec une épée.
_ Sirius ne me laissera pas en toucher une avant des mois.
_ On verra ça. »
Le guerrier esquissa un sourire énigmatique avant de tourner les talons. Feyra resta figée sur place, les yeux fixés sur les muscles de son dos qui ondulaient au rythme de ses pas. Elle le regarda se frayer un chemin entre les différents groupes de fairies qui s'entraînaient sans vraiment comprendre le sens de ses mots, et finit par s'éloigner à son tour. Suivant les conseils de Sirius, elle se rendit à l'infirmerie où elle retrouva Eweleïn qui fronça les sourcils à la vue de sa plaie.
« Entraînement ou pas, il n'est pas obligé de te défigurer non plus. » avait pesté l'elfe pendant qu'elle lui appliquait une pâte verte à l'odeur nauséabonde sur le coin de la bouche.
Le lendemain, Feyra était retourné sur le terrain d'entraînement. Elle avait effectué plusieurs étirements pour réveiller ses muscles avant de se mettre en position de combat et d'échanger les premiers coups avec Sirius. Il se retenait, elle pouvait le voir à la façon qu'il avait de systématiquement se reculer après chaque coup porté contre elle. Il mesurait sa force, se concentrant plus sur ses propres mouvements que sur les siens, ce qui allait lui servir. Elle se souvenait de ce que lui avait dit Valkyon et choisit de le mettre en pratique. Elle se concentra sur sa posture, en particulier sur son bras droit, et frappa. Elle toucha son adversaire au menton qui chancela sous la violence du choc. Il tomba à genoux sur le sol terreux en étouffant un gémissement, et frotta longuement sa mâchoire avant de regarder dans sa direction.
« Ça, c'est pour le coup d'hier. » déclara-t-elle narquoisement.
Le gardien ricana en se relevant. Il plaça alors ses mains devant lui en signe de reddition.
« Tu as enfin compris ce qui n'allait pas. Tu en as mis du temps. »
Mais avant qu'il ne puisse en dire plus, la silhouette massive de Valkyon apparut dans son dos, attirant l'attention de la jeune femme. Il donna à Sirius une tape amicale sur l'épaule.
« C'est bon Sirius, tu peux y aller. Je vais prendre le relais. »
[NOTE DE L'AUTEUR]
De base, je comptais profiter de cet été pour avancer un maximum sur cette histoire et finalement ... J'ai tout fait sauf ça. Je n'ai donc aucune idée de quand je posterais la suite (le pire c'est que j'ai un plan, je sais ce qui se passe jusqu'à la fin de la PARTIE II au moins mais ... Faut que je l'écrive). Promis je vais m'y mettre une fois, il faut juste que je trouve du temps !
