C'est ce qu'elle avait cherché dans les journaux. Dans les écrans publicitaires. Dans le regard des gens. De l'espoir. Il semblait s'être amenuisé. À National City, même sous le soleil entre deux averses, on avait l'air de craindre l'avenir. La Californie avait perdu de sa superbe. Assise à la terrasse d'un café, Lena percevait le changement d'atmosphère. « On apporte plus que la justice. L'espoir. C'est ce qu'on incarne, qu'on le veuille ou non ». Les mots de Kara l'avaient marquée.

Elle avait eu l'espoir de n'être pas simplement un nom de famille. L'espoir de pouvoir faire du bien dans ce monde avec ses pouvoirs, et sans. L'espoir de ne pas être qu'un nom de famille. L'espoir d'avoir droit à l'amour, par dessus tout.

Du bout de son pouce, elle faisait défiler les contacts sur son téléphone. Il y avait bien encore une personne en ville qui pouvait accepter de la voir. Peut-être de l'aider.

- Allo, Sam ?

- Je me demandais quand tu allais m'appeler.

Pour la première fois depuis son retour, Lena sourit.

- De ce que j'ai vu dans les journaux, tu es la seule en activité.

- Faux. À part Supergirl, on est tous en activité. Mais sous les radars. Plus d'interventions publiques. C'est la loi. Je suis juste... moins obsédée par la discrétion que les autres.

- La loi ? Comment ça ?

Sam ne l'avait pas reçue dans son bureau de la Fondation Luthor. Fondation qui avait d'ailleurs sobrement été renommée « la Fondation ». Comme si sa créatrice n'avait jamais existé. Elle l'avait conviée dans un entrepôt sur les docks. Propriété de la Fondation. Les tôles agglomérées laissaient passer une lumière jaune. La pluie battante couvrait le son de leurs voix. Adossées à la balustrade poussiéreuse, elles observaient les allées remplies de marchandises que personne ne viendrait jamais réclamer à leurs pieds. C'est là que Sam avait établi son QG. Dans le nid d'oiseau qui servait de bureau, surplombant l'ensemble.

- J'oublie que tu es partie depuis un bout de temps... Te méprend pas Lena, je suis très contente de te voir. Tu m'avais manquée, fit-elle en lui donnant un léger coup dans le bras. « Mais t'es partie depuis longtemps... », soupira-t-elle en croisant les bras.

- Je suis revenue. C'est quoi cette histoire de loi ?

- Quand tu es partie... Je ne dis pas que c'est de ta faute, hein, loin de là. Chacun est responsable de ses actes. Kara... Supergirl a pété les plombs. C'est devenu n'importe quoi. En très peu de temps. C'est fou comme c'est allé vite. D'abord, elle a pris toutes les patrouilles. Elle ne faisait que ça. Des cambriolages, des agressions... des aliens un peu trop vindicatifs... Un soir on l'a trouvée dans un fight club d'aliens. Apparemment elle y venait tous les soirs, depuis plusieurs mois. Ça ne lui a pas plu qu'on lui dise que c'était fini. Le résultat... C'est qu'un pâté de maisons a été détruit en quarante secondes. C'est un miracle qu'il n'y ait pas eu de morts. Après ça, tu imagines le bordel que ça a été. En résumé, le gouverneur de Californie a fini par légiférer. Plus de super-héros en activité. Ou avec le patronage du DEO, qui était compétent. C'est ce qu'on fait, J'onn, Alex, Kelly, Brainy, Nia... et moi.

Lena restait stoïque. Ses doigts chassaient la poussière de la rambarde. Elle maintint son regard au loin. Elle sentait les yeux de Sam sur elle.

- Et Kara ?

- Kara... On a réussi à lui éviter la prison de haute sécurité. Clark a aidé, je crois, sur ce coup-là. Supergirl ne peut officiellement plus rien faire sur terre. Et Kara... elle a tout lâché, je crois. Je ne sais pas trop où elle est. Au départ, je prenais des nouvelles. Et puis arrive un moment...

- Ou même avec les meilleures intentions, on ne peut rien faire. Je connais.

- Alex doit savoir où elle est. Mais je crois qu'elle ne te dira rien.

- Et elle aurait raison. À part la faire souffrir, je ne fais pas grand chose.

- Dis pas ça.

- Oh... Si. Enfin, cette fois, je vais essayer de faire autrement.

Sam la regardait avec douceur. « Alors, pourquoi tu es revenue ? Pour elle ? », lança-t-elle sur le ton de l'évidence.

- Pour la sauver. Elle va essayer, enfin, une espèce de double maléfique d'elle-même va la tuer. Je t'épargne les conséquences. J'ai déjà tout essayé pour empêcher ça... Mais jusqu'ici ça ne marche pas.

- On ne peut pas sauver les personnes qui ne veulent pas l'être.

- Quelque chose comme ça, oui. Je voulais la voir. Pour essayer, dans le présent.

- Et entre vous ? C'est... fini, fini ? Dans le présent, le passé et le futur ?

Lena ne répondit pas. Elle n'avait pas de réponse juste. « Nous sommes officiellement divorcées », lâcha-t-elle en lui montrant sa main gauche. « Ouais. Je sais que tu ne me dis pas tout, tu le sais aussi. Ah bon sang, Luthor, tu m'avais vraiment manquée. Je suis contente que tu sois là. Tout ce bordel va peut-être enfin se démêler. Ou se compliquer, mais au moins tu seras là », fit-elle en la prenant dans ses bras. Lena apprécia les quelques secondes de leur étreinte. C'était comme avant.

- Tu restes en ville ?

- Kara n'est pas ici.

- Donc tu ne restes pas.

Lena sourit. Ça faisait partie des choses qu'elle aimait chez Sam. Sa vivacité d'esprit. Et sa franchise.

- Si Alex me cherche... Et puis en fait non. Ça lui fera les pieds de me courir après.

Sam rit. Lena lui jeta un dernier regard, au pied de l'escalier.

- Tu sais comment elle est... Surtout quand ça concerne Kara.

- Je sais. Je ne suis pas un monstre pour autant. Fais gaffe à toi, Arias.

- La même, Luthor, la même.

Elle attendait dans le bureau vitré. Rien n'avait véritablement changé chez Catco. Elle avait aimé y travailler, mais rien ne valait la tranquillité de son laboratoire. L'agitation de la rédaction était toujours la même. Pourtant, elle y voyait quelque chose de différent. Quelques têtes avaient changé. Nia occupait le bureau de Kara, désormais. Elle ne l'avait pas reconnue quand elle était passée à côté, et c'était bien le but. L'enchantement qu'elle avait jeté sur son visage fonctionnait. Personne ne prêtait attention à elle. L'assistante l'avait fait entrer sans lui accorder un regard, terrorisée par anticipation de l'arrivée de Cat. Elle avait repris les commandes de Catco. La politique ne lui avait plu qu'un temps, il faut croire.

- Bonjour, vous êtes ? Votre nom ne me dit rien...

Cat venait de faire son entrée, fermant la porte de son bureau. Derrière le mur vitré, la rédaction bourdonnait silencieusement. Cat s'était positionnée derrière son bureau, la détaillant de haut en bas.

- Vous pourriez rendre les murs opaques ? Je préfère rester... incognito, fit Lena, en levant l'enchantement.

- Oh. Je vois. Bien.

Cat n'eut aucun geste de surprise. Elle joignit le geste à la parole, appuyant sur un bouton caché dans un tiroir de son bureau. Toutes les surfaces vitrées furent recouvertes par un film opaque.

- Verre sans tain. Résistant aux balles. Potentiellement aux grenades aussi.

Lena hocha la tête, s'assit face à Cat, qui en fit de même, les mains jointes sur son bureau.

- Que me vaut l'honneur, Luthor ?

- Je cherche Kara.

- Je n'ai aucune idée de l'endroit où Kiera peut être. Aucune.

- Vraiment ?

- Vraiment. Elle a pris un congé sabbatique, que j'ai bien évidemment accepté. Elle est toujours sous contrat avec Catco, mais n'y travaille plus. Pour le moment. Et qu'est-ce que vous êtes revenue faire en ville, Luthor ?

- Je vous l'ai dit.

- Pas à moi. Il y a quelque chose qui se trame. Sinon... vous n'auriez pas besoin de moi.

- Peut-être bien. Je n'ai que les intérêts de Kara à l'esprit.

- On peut être tenté d'en douter. Vous êtes séparées. J'étais là pour le mariage, j'étais là pour le divorce, j'étais là pour la catastrophe, résuma Cat, en promenant son regard sur des Unes du magazine accrochées au mur. Le mariage et la séparation de Kara Danvers et Lena Luthor avaient été dans les plus grosses ventes récentes du magazine. La destruction d'un bloc d'immeubles aussi.

- Elle va avoir besoin de moi.

- Là encore, on peut être tenté de ne pas le croire. Luthor, quand vous vous approchez l'une de l'autre, l'équilibre du monde change. Des particules qui s'attirent, de manière irrépressible. Et qui font des dégâts quand elles s'atteignent.

- Il en est sorti du bien, contra Lena. « Mais il était certain que les amours d'une Super et d'une Luthor ne seraient pas sans étincelles ».

- Joliment dit. C'est le moins qu'on puisse dire. Vous êtes partie, elle a détruit tout un quartier de la ville.

- Alors vous n'avez aucune idée de l'endroit où je puisse la trouver ?, répéta Lena, en se levant.

- Non, maintint Cat, en soutenant son regard.

- Dans ce cas, aurevoir, Miss Grant, fit Lena, en réenchantant son visage, la main sur la poignée de la porte.

- Aurevoir, Luthor, murmura Cat. « Aurevoir. Ça va devenir intéressant ».