5. Tigre
J'étais sur les talons de James tandis qu'il dévalait les escaliers vers la porte d'entrée. Vicki, qui semblait toujours inquiète de mes projets, hésita un instant avant de nous suivre. Lorsque nous débouchâmes dans la rue, James se décala sur le côté, fit un mouvement circulaire du bras et indiqua la rutilante machine rouge, noire et chromée garée le long du trottoir.
"Annie, je te présente Tigre," dit-il. "Et Tigre, voici Annie."
"Sacré bon sang", dis-je en avançant pour examiner la moto. Elle avait une plaque de 2014, donc elle était loin d'être neuve, mais elle semblait immaculée, comme si elle venait juste de sortir de chez le concessionnaire. "Est-ce que tu as une idée de ce que c'est, Vicki ?" demandais-je.
"C'est une Triumph mille cinquante triple," me dit-elle, pointant du doigt le réservoir d'essence. "Le nom est marqué sur le côté."
"La plupart des gens disent 'tripel' à l'anglaise, Vicki," lui dis-je avec un clin d'œil à James. "Ce doit être ton cerveau mathématique. C'est donc une Tiger Sports Triple, une mille cinquante Triple, ce qui signifie quoi, ma petite calculatrice ambulante ?"
"Je n'en ai aucun idée," me dit Vicki, mais elle sourit à mon utilisation du surnom que je lui avais donné lors de notre première année.
"Oh, Mademoiselle, je sais, je sais !" dit James, levant la main et sautillant dans tous les sens comme un gamin de six ans surexcité. "Trois cylindres, capacité totale de mille cinquante centimètres cubes, ce qui veut dire que chaque cylindre fait…" James s'interrompit pour faire le calcul.
"Trois cent cinquante c.c .", dit promptement Vicki.
"Tu vois, tu le sais, en fait," lui dis-je d'un ton taquin.
"Cent quinze chevaux," continua James avec excitation. "Et… ça ne fait rien." Sa voix diminua avec résignation quand il vit les yeux de Vicki commencer à s'embrumer.
"Tu peux garder les données techniques pour plus tard, Vicki n'est pas intéressée," dis-je. "Est-ce qu'elle va vite ?"
"Ouaip !" James hocha la tête. "Tu pourrais dire 'comme un pet sur une toile cirée.' Tu le pourrais ! Je ne dirais jamais une telle chose, évidemment. Maman n'approuverait pas."
"Peu importe rapide, est-ce qu'elle est sans danger ?" demanda anxieusement Vicki en s'approchant peu à peu de la moto. Elle se déplaçait comme si elle approchait furtivement un animal sauvage, comme si le Tigre silencieux et somnolent allaient prendre soudainement vie et l'attaquer.
"Je suis sûre qu'elle ne présente aucun danger," la rassurais-je. "À condition qu'il n'y a rien qui cloche avec le gros machin bizarre qui tient le guidon."
Vicki se pencha prudemment pour examiner le guidon et James rit.
"Elle parle de moi, Vicki," lui dit-il en posant son casque sur la selle et remontant la fermeture éclair de sa veste de cuir. "Je ne me suis pas encore planté, Annie. Mais je ne suis pas le seul machin bizarre sur la route, souviens-toi."
"Où va-t-on ?" demandais-je.
Je tendis mon blouson et le casque supplémentaire de James à Vicki. Après avoir tiré sur mon sweat, je récupérais mon blouson, l'enfilais et l'attachais.
"Je pensais qu'on aurait pu aller vers l'ouest, sortir dans le Peak District," suggéra James en prenant son casque. "Si ça te convient, j'aimerais m'arrêter à Hathersage. On pourra déjeuner là-bas et passer voir le cimetière de l'église ensuite on pourra aller à Blue John et Mam Tor."
"Déjeuner ? Je n'ai même pas encore pris mon petit-déjeuner," lui dis-je. Le casque intégral, comme le sien, était assorti à la couleur du réservoir d'essence de la moto. "Pourquoi le cimetière de l'église, à Hathersage ? Est-ce que tu veux aller voir la tombe de Petit Jean ?"
James parut surpris et un peu gêné. "Ouais, si ça ne te dérange pas," dit-il. Il avait l'air de quelqu'un qui a été pris à mentir et, pour une raison inconnue, je me souvins du rêve que j'avais fait la nuit après l'avoir rencontré.
"Est-ce que ta moto vole comme celle de ton père ?" lui demandais-je.
Je pensais que c'était une remarque bien innocente, mais son visage perdit toute couleur et il fit presque tomber son casque.
"Voler ?" sa voix était un couinement paniqué. Il s'éclaircit la gorge, essaya de reprendre contenance et parla normalement. "Les motos ne volent pas, Annie. Qu'est-ce qui diable te fait demander ça ?"
"Qu'est-ce qui diable t'a fait couiner ?" rétorquais-je sarcastiquement. "On aurait presque dit que ta dénégation était un mensonge. Mais c'est ridicule, n'est-ce pas ?"
"Ouais," approuva-t-il. Baissant les yeux, il sortit une paire de gants de cuir de sa veste et les plaça à côté de son casque. "Évidemment que oui."
Il s'interrompit et essaya de regarder mon visage. J'avais l'avantage. Avec mon casque sur la tête, il ne pouvait pas voir correctement mes yeux. Je regardais son visage perplexe, presque coupable, et essayais de comprendre pourquoi James était si bizarre.
"J'ai couiné parce que tu m'as surpris, c'est tout. Tu as dit 'vole comme celle de ton père', pourquoi dia… pourquoi donc est-ce que tu penses que la moto de Papa vole ?"
"Parce que tu me l'as dit, la première fois que je me suis assise dessus," dis-je.
"Et ce souvenir t'est resté ? Est-ce que tu t'accrochais à mes moindres paroles quand tu étais petite ?" demanda-t-il d'un ton taquin.
Malgré son sourire, il y avait dans ses yeux de la tristesse et un regard lointain. Pendant un bref instant, j'eus un autre aperçu d'un jeune homme fragile et nerveux et me demandais si James était réellement aussi enjoué et inarrêtable qu'il paraissait. Son expression me rappela celle que j'avais vu sur le visage de mon frère quelques jours seulement avant Noël, quand la petite amie de Henry l'avait largué par texto.
James tenait de masquer le fait qu'il s'enfonçait dans un marasme de doutes sur lui-même. Je me souvins à quel point je lui avais fait perdre contenance après ma séance de natation à Pond's Forge et me demandais à quelle vitesse il retrouverait sa bonne humeur. En l'observant, je fus aussi prise de remords quant à la façon dont j'avais traité Henry. Quand il avait découvert ce que Simon avait fait, mon frère avait appelé pour s'assurer que j'allais bien. À Noël, quand Henry avait été déprimé et abattu, j'avais été bien mois sympathique. Je lui avais simplement dit qu'il le méritait Henry avait été blessé et je n'avais rien fait pour l'aider.
"Allons-y," dit James, se reprenant et enfilant son casque. "Les casques ont un, euh, un intercom sans câble," ajouta-t-il, sa voix chuchotant en stéréo dans mes oreilles.
"Sans-fil," lui dis-je.
"Même chose," murmura-t-il en enfilant ses gants. J'attrapais mes gants dans ma poche et l'imitais.
James balança sa jambe au-dessus de la moto, la redressa et d'un coup de talon poussa la béquille en arrière sous l'échappement. J'attendis. Tournant la tête, il agrippa fermement le guidon et hocha la tête vers moi.
"C'est bon," dit-il.
Je plaçais une main sur son épaule et montais sur le cale-pied, lui faisant confiance pour maintenir la moto droite. Elle bougea à peine, et je balançais ma jambe par-dessus et m'installait sur la selle passager.
"C'est bon," dis-je fortement.
Il tressaillit. "Sans-fil," me rappela-t-il doucement en s'asseyant entre mes cuisses.
"Désolée," dis-je. Je pressais son épaule pour m'excuser.
Baissant les mains pour saisir les poignées sous mes hanches, je glissais en arrière de la selle pour lui laisser plus de place. Ce faisant, je réalisais que ce que je m'apprêtais à faire serait très différent que d'être passagère derrière mon père.
Je pouvais me tenir à Papa. Quand j'étais assise derrière lui, je plaçais toujours mes mains autour de sa taille. Le contact physique n'était pas gênant, c'était mon père ! Mais il s'agissait de James et, quoi que je fasse, son postérieur – définitivement ferme et attractif – serait niché entre mes cuisses pour un certain temps. Je laissais échapper un gémissement involontaire et honteusement érotique que j'essayais de faire passer pour une toux.
"Tout va bien ?" demanda-t-il prudemment, exprimant ce que j'espérais être de la sollicitude.
Je me raclais la gorge de façon théâtrale. "Bien," dis-je. "Allons-y."
James pressa le démarreur et tourna l'accélérateur le Tigre rugit. Vicki fit un pas en arrière, l'air pétrifiée. James passa du pied la première et je fis un geste joyeux à ma colocataire. James relâcha l'embrayage et nous vrombîmes vers le bas de la rue. Tandis que nous nous faufilions à travers les rues encombrées de Sheffield, je regardais les conducteurs des voitures, tous enfermés dans leurs petites boites en tôle, et souris largement.
L'Audi de Simon était une décapotable. La pensée bondit dans mon esprit pendant que James nous conduisait le long de l'Hôpital Royal Hallamshire. Je restais perplexe un instant avant de comprendre pourquoi je me souvenais de la première fois que je m'étais assise dans l'Audi de Simon le toit ouvert.
Nous avions roulé à travers la ville et Simon m'avait demandé ce que je pensais de sa voiture prétentieuse. Je lui avais dit qu'elle était pas mal. Ma réponse loin d'extatique l'avait vraiment agacé. Simon s'était attendu à ce que je sois bien plus impressionnée pare sa voiture que je ne l'étais. À l'époque, je n'avais pas été capable de comprendre pourquoi ça ne m'avait pas enthousiasmé d'avantage. Maintenant, soudainement, je savais. Je relâchais les poignées, glissais mes bras autour de la taille de James et l'étreignit.
"C'est en quel honneur ?" demanda-t-il. Il semblait légèrement inquiet.
"Ne t'inquiètes pas, ça n'a rien à voir avec toi," le taquinais-je.
"Chevaucher le Tigre," me dit-il immédiatement. Il semblait heureux.
"Chevaucher le Tigre," approuvais-je, lui offrant une autre étreinte simplement parce qu'il savait.
"Kristen la détestait," dit-il, sa voix à pleine plus forte qu'un murmure. "Elle voulait que je la vende."
Je relâchais sa taille et ne répondis pas. Je n'avais aucune idée de quoi dire, bien qu'il soit évident pour moi que Kristen, qui diable qu'elle soit, était une complète idiote.
"Hathersage pour le déjeuner ?" demanda-t-il. "Tu ne m'as pas dit."
"Ça me convient," dis-je.
Brocco Bank était assez dégagé, mais la circulation s'intensifia quand nous tournâmes sur Ecclesall Road. Par chance, le temps que nous atteignions les abords de Whirlow, la route devant nous était à nouveau dégagée.
En quelques minutes, Ecclesall Road devint Hathersage Road et nous fûmes en pleine campagne. À l'instant où nous quittâmes la limitation à cinquante, James fit défiler les rapports et tourna les gaz. J'eus un nouveau hoquet involontaire, mais cette fois clairement heureux. Nous volâmes rapidement au-dessus du bitume et je réalisais ce que nous faisions. J'avais chevauché dans un silence pensif, que je brisais.
"On vole," dis-je.
"Pas vraiment," dit-il. Il sembla initialement négligent, avant de réaliser ce que je disais.
"Oh ! Ouais ! Je pense que c'est ce que Papa avait l'habitude de dire ," me dit-il joyeusement, "qu'il allait voler sur sa moto. Peut-être que c'est pour ça que je t'ai dit que sa moto pouvait voler." Il semblait ridiculement heureux que nous ayons, à nous deux, réussi à trouver une explication logique. Nous redevînmes silencieux et je regardais simplement autour, appréciant le paysage et la vitesse.
En l'espace de quelques minutes, les champs ordonnés remplis de bétail broutant cédèrent leur place aux collines irrégulières couvertes de moutons comme des points blancs. En vrombissant le long de la route, je fixais les quelques arbres rabougris et trapus sur l'horizon pas si distant. Nous semblions foncer vers l'austère et solitaire rebord du monde. Je me tus et profitais de la balade.
Nous contournâmes une colline et entrèrent dans le Derbyshire. Rapidement, les paysages changèrent de couleur et l'horizon s'ouvrit. Les landes pourpres et ocres s'ajoutèrent aux verts des terres fermières et des forêts. S'il n'y avait pas eu de mortier dans les murs en pierre le long de la route, j'aurais presque pu être à la maison dans le Coquetdale. Je souris joyeusement tandis que nous foncions le long des routes tortueuses de campagne. En un rien de temps, nous approchâmes d'Hathersage.
"Un pub ou un café ?" demanda James.
Comme répondant à l'invitation, mon estomac m'offrit un bruyant rappel que je n'avais pas pris de petit-déjeuner.
"Ce qu'on trouvera en premier," lui dis-je.
"Tes désirs sont des ordres," dit-il.
Aux abords du village, un panneau planté dans l'herbe indiquait la direction et la distance de 'L'Auberge Traveller's Pack – Cuisine de Qualité'. Nous bifurquâmes sur une route secondaire et moins d'une minute plus tard, nous nous arrêtions sur le parking d'un vieux pub de pierre. Alors qu'il freinait pour nous arrêter, je retirais mes mains de la taille de James. Ce ne fut qu'à cet instant que je remarquais ce que je venais de faire. Je regardais mes mains comme si elles appartenaient à quelqu'un d'autre et me demandait depuis combien de temps je m'étais tenue à lui.
"Est-ce que tu comptes descendre ?" demanda James.
"Quoi ? Oh, ouais !" dis-je. Je me dressais sur les cale-pieds, lui fis confiance pour maintenir la moto droite et descendis.
Pendant qu'il sortait la béquille et posait la moto dessus, je continuais à fixer mes mains et me creuser la cervelle. Comment était-il possible que j'ai réussi à mettre mes bras autour de la taille de James sans même m'en rendre compte ? Je l'avais agrippé peu après que nous soyons arrivés dans les collines, décidais-je. Ce n'avait été qu'une prise amicale au-dessus des hanches, pas une vraie étreinte à un petit copain, me rassurais-je.
"Est-ce que tu vas retirer ton casque ?" demanda James.
"Quoi ? Oh, ouais !" dis-je à nouveau, peinant à ouvrir la fermeture.
"Est-ce que ça va, Annie ?" demanda avec sollicitude James. Mon comportement l'inquiétait.
"Je n'étais pas remontée sur une moto depuis longtemps," lui dis-je en guise d'explication.
Il sourit. "Tu ressens toujours la trépidation, c'est bien ça ?" demanda-t-il, acceptant ma justification. "Tu as une sacrément belle voix quand tu chantes, Annie."
"Chanter !" Je fixais son visage avec horreur en réalisant que je devais répondre à une autre question. Comment était-il possible que je sois parvenue à chanter sans même remarquer que je l'avais fait ? Il devait certainement plaisanter, non ? Convaincue qu'il se moquait de moi, j'étais sur le point de le lui faire payer, quand il se mit à chanter.
"Molly la Rouge dit à James, c'est une belle moto, oh, une fille peut se sentir spéciale sur un engin pareil. James dit à Red Molly, je te tire mon chapeau, C'est une Vincent Black Lightning 1952." [*]
Quand James chanta les paroles de l'intro, je compris que j'avais chanté et que – à ma grande surprise – James avait une voix de chanteur assez décente.
"J'ai bien aimé les premiers vers, mais ensuite ça devient un peu sinistre," dit James, semblant curieusement affecté. "Je ne me suis pas 'battu contre la loi depuis mes dix-sept ans', ni ait 'dépouillé nombre d'hommes' puisqu'on y est, mais… Je suppose que j'ai combattu mon père, et en un sens il est 'la loi'. Mais ça… Quoi qu'il en soit, je ne suis peut-être pas irrécupérable." James tendit la main. Je la pris et il me guida jusqu'au pub.
"Est-ce que tu veux en parler ?" lui demandais-je alors qu'il tenait la porte ouverte et m'invitait à passer. L'endroit était animé, mais pas bondé.
"Probablement," dit-il pensivement. Puis il regarda vers le bar et changea immédiatement de sujet. "Qu'est-ce que tu bois ?"
Je regardais la longue rangée de tireuses sur le comptoir. "Une bière Robin des Bois," dis-je. "Mais je vais les chercher, et pour toi ?"
"Pas d'alcool pour moi, pas quand je suis en moto," dit-il. "Je vais juste prendre un jus d'oranges pressées."
Je croisais le regard du barman. "Un demi de Robin des Bois et une orange pressée."
"Pas de glace dans le jus d'orange," ajouta James alors que le barman plongeait la main vers le seau à glace.
Prenant deux menus sur le bar, James m'en tendit un et sortit son portefeuille. Le barman termina de servir mon demi, le laissa reposer et versa le jus d'orange dans un autre verre. Je regardais rapidement le menu. Mon ventre me rappelait qu'il voulait à manger, pas de la bière.
"Et je prendrais un brouet écossais," dis-je au barman qui complétait mon demi et plaçais les boissons sur le bar devant nous, et que James sortait un billet de vingt livres. "Je paye, James," dis-je fermement.
James jeta un coup d'œil au menu. "Le brouet écossais et un petit pain me semble bien. Je prends la même chose," dit James au barman. Il tendit son billet au barman, mais j'agitais mon téléphone devant le scanner du bar avant que James puisse y faire quoi que ce soit.
"J'allais payer," protesta-t-il.
"Tu as tout payé la dernière fois que nous sommes sortis," lui rappelais-je.
"Quelqu'un vous apportera la soupe quand ce sera prêt," nous dit le barman. Il me tendit mon reçu et une cuillère jaune vif sur laquelle le chiffre 7 était peint en rouge.
Accrochant mon blouson au dossier de ma chaise, je m'assis et plaçais la cuillère dans le pot de couverts sur la table.
"Les couleurs de Gryff… de ma maison," dit James en s'asseyant face à moi. Je levais les sourcils. Il indiqua la cuillère du menton. "Rouge et jaune. Les couleurs de ma maison à l'école."
"Sept," dis-je, indiquant le chiffre alors qu'un nouveau souvenir remontait. "Nous étions les Sept de Drakestone."
"Bon sang," dit-il, me fixant pensivement. "Nous l'étions, n'est-ce pas ? Toi, moi, Hen, Al, Rosie, Lils et Hugo, les Sept de Drakestone ! Il parut un peu triste. Toi et Hen étiez les deux seuls à ne pas porter le rouge et le jaune à l'école."
"On le faisait," dis-je. "Ce n'était peut-être pas le même rouge et jaune que toi, mais on l'a fait." Je sortis mon téléphone et accédais à mon album photo en ligne. Il me fallut quelques instants, mais je trouvais finalement la photo. "Là !" dis-je triomphalement, lui montrant la photo de mon frère et moi en t-shirt jaune et pantalon de jogging rouge. Derrière nous flottaient les bandes jaunes et rouges du drapeau du Northumberland. "C'était quand nous représentions le Comté au Championnat d'Angleterre de Natation. J'avais quinze ans. On s'est fait écraser par l'opposition."
"Bon sang, Hen a l'air d'être bien plus grand que moi," dit James. "Je ferais mieux de me méfier, il a toujours été très protecteur envers toi."
"Non, il ne l'était pas," protestais-je. "Il a toujours été infect envers moi !"
"C'est le privilège du grand frère !" sourit James. "Être infect avec toi ne l'empêchait pas d'être protecteur envers toi." Il regarda de nouveau la photo. "Et cette coupe de cheveux t'allait bien, Annie. Ils étaient naturellement bouclés quand tu étais petite. J'avais oublié."
J'ignorais sa tentative de me complimenter. "Henry ne nage plus, maintenant. Ces temps-ci, il pousse de la fonte et joue au rugby. Son nez est bien plus tordu que sur cette vieille photo et ses cheveux commencent déjà à se dégarnir," dis-je. Retournant le téléphone, je regardais la photo. Je contemplais mes longs cheveux blonds bouclés. Les boucles n'étaient pas à la mode.
"Simon n'aimait pas mes boucles," admis-je. "Donc je me suis coupé les cheveux courts et je les ai lissés." J'ébouriffais presque inconsciemment ma tignasse à pics presque blanche.
"Tu sais, chaque fois que tu dis quelque chose à propos de Simon, mon opinion de lui baisse encore, ce qui est assez impressionnant puisque j'étais certain qu'il partait déjà du fond du fond," me dit James. Il prit gentiment ma main et la fit tourner pour regarder de nouveau la photo. "C'est bizarre. Est-ce que tu as déjà compté les bandes sur le drapeau ?"
"Sept ?" devinais-je.
"Tu as toujours été maligne," dit-il.
"Ouais," agréais-je. J'indiquais du menton la cuillère en bois peinte qui avait démarré notre conversation. "Mais je ne crois pas au destin, donc n'essaie pas de me faire avaler je ne sais quelle phrase de drague débile juste parce qu'il y a les couleurs jaune et rouge et le chiffre sept sur la cuillère. Je ne suis pas d'humeur pour du romantisme de tête de nœud."
James écarquilla les yeux, prit un air pensif et me regarda fixement.
"Quoi ?" demandais-je, prenant une gorgée de bière.
"Ça ne sert à rien", commença-t-il, secouant avec sérieux la tête. "Je n'arrive tout simplement pas à imaginer une tête de nœud romantique."
Son timing était parfait. Je recrachais ma bière par le nez et m'étouffais presque de rire. J'essuyais les larmes de mes yeux et la bière de mon nez avec une serviette en papier quand une fille en tablier blanc arriva avec notre commande.
"Elle va bien aller," assura James à la fille qui plaçait un bol de brouet et une assiette contenant un gros pain croustillant devant moi.
Une fois que la fille eut donné à James sa nourriture, elle prit la cuillère jaune, dit "Bon appétit" et nous laissa.
La faim m'assaillit. Je rompis le gros pain en deux, le trempais dans le brouet et pris une bouchée du pain détrempé. Ce fut une erreur. La soupe était si chaude qu'elle me brûla la bouche. Les larmes aux yeux, j'essayais de la refroidir en haletant. Par conséquent, je recrachais un peu de peu à moitié mâché sur James. Mortifiée, j'essayais de m'excuser du regard. Quand nos yeux se croisèrent, il éclata de rire.
"Ne change jamais, Annie," dit-il. "Ne change surtout jamais."
Je parvins finalement à avaler le bazar brûlant à moitié mastiqué dans ma bouche. "Putain de chaud," lui dis-je en haletant. Ma langue piquait et je sentais mon palais commencer à cloquer. Je pris une gorgée de bière. "Alors, est-ce que ça va entre toi et ton père ?" demandais-je, essayant de changer de sujet.
"Tu étudies vraiment le droit, n'est-ce pas ?" demanda-t-il. "Une remarque de ma part et tu commences un interrogatoire."
Abandonnant la soupe, j'ouvris la tablette de beurre, qui était dure comme la pierre, et j'échouais à l'étaler sur le pain. "Cesse de tergiverser et réponds à la question," lui dis-je avec un sourire. Renonçant au beurre, je mangeais simplement le pain.
"Tenace, hein ?" demanda-t-il. Il me regarda pensivement.
"Têtue, tête de cochon et obstinée," dis-je, me souvenant des critiques principales de Simon à mon encontre.
"Tu dis ça comme si c'était une mauvaise chose," me dit-il. "Tu as toujours été entêtée, je me trompe ? Je me souviens de la première fois que tu as essayé d'escalader la Drakestone. Ne jamais abandonner, ne jamais arrêter d'essayer. C'est une bonne chose, Année. Ne laisse jamais quiconque te dire le contraire."
Je pouvais voir une admiration réelle dans ses yeux. "Alors, entre toi et ton père ?" demandais-je.
Il rit. Tendant les bras au-dessus de la table, il me prit les mains et les pressa quand il les relâcha, il prit une expression sérieuse.
"Nous nous sommes fâchés quand j'avais dix-huit ans," admit-il. "J'ai intégré un groupe protestataire. Je voulais changer le monde. Malheureusement, ce n'était pas vraiment un groupe protestataire ils voulaient simplement faire avoir des ennuis au fils de Harry Potter. C'est une longue histoire, Annie, et je ne peux pas vraiment tout te dire, pas encore. Je pensais sincèrement faire la bonne chose. Peut-être – certainement, si on continue à se voir – que je te dirais tout un jour. Je ne voudrais pas que tu me détestes encore plus que maintenant. Tout ce que je peux dire, c'est que je ne pense pas que Papa me fasse confiance pour rester sur le droit chemin et… enfin, l'année dernière n'a pas aidé." Il y avait quelque chose dans son expression qui me dit qu'il s'agissait d'une fille.
"Kristen," dis-je entre deux bouchées de pain. "La fille qui voulait que tu vendes Tigre. Parle-moi d'elle, plutôt." Il recula à ce nom.
"Elle fait partie du passé," m'assura-t-il.
"Depuis combien de temps ?"
"Huit semaines," admit-il.
"Huit semaines," dis-je. "Tu comptes toujours."
"Tu ne le fais pas ?" demanda-t-il.
"Ouais," admis-je.
"J'avais l'habitude de compter les jours," dit doucement James. "Mais je n'ai plus vraiment pensé à elle depuis…" admit-il, attendant que je le réprimande pour sa confession.
"Mercredi, tu m'as offert une épaule sur laquelle pleurer. C'est juste de te rendre la pareille," lui rappelais-je. "Et tu ne veux peut-être pas me parler de ton père, mais tu veux me parler d'elle. Je sais que tu le veux. C'est évident dans tes grands yeux noisette."
"Il y a des tas de choses dont j'aimerais te parler," admit-il. "Comme je l'ai dit, je ne peux pas parler de certaines, pas encore. J'ai des tas de secrets, Annie. Mais je suppose que je peux te parler de Kristen."
"Vas-y," dis-je avant de placer le dernier morceau de pain dans ma bouche.
"Kristen Kelly," dit-il. "Nous sommes restés ensemble pendant onze mois et je pensais que c'était la bonne. Maman m'a dit qu'elle n'augurait rien de bon, mais qui écoute sa mère ? Et puis, il y a huit semaines, j'ai découvert qu'elle voyait quelqu'un d'autres depuis plus de deux mois." Il s'interrompit et regarda son assiette. Il n'avait touché ni son pain ni son brouet. "Tu as hurlé et a lancé des trucs. Est-ce que ça a aidé ?"
Je repensais à cette soirée et, pour la première fois, je fus capable d'analyser rationnellement ce qui s'était passé et la façon dont j'avais réagi.
"Non," admis-je. "Enfin, je suppose que crier m'a aidé à évacuer mes émotions, un peu. Mais en vérité, ce n'était pas une réaction rationnelle."
"Personne ne peut être rationnel tout le temps," me dit James. "Sauf ma Tante Luna, évidemment."
"C'était une trahison," dis-je quand je finis de rire à l'idée de sa 'Tante Luna' faisant quoi que ce soit de rationnel. "C'est la trahison. La réalisation qu'il m'avait menti qui faisait le plus mal. Est-ce que quelque chose peut aider face à une trahison ?"
"Je n'ai rien découvert,' dit James. Il paraissait mal à l'aise. "Je travaillais dans un café, et je travaillais à mes écrits, quand Craig – mon meilleur ami d'école…"
Je levais les sourcils.
"Mon meilleur ami de grande école," se corrigea-t-il. "J'ai beaucoup pensé à Hen depuis que je t'ai rencontré. Quoi qu'il en soit, Craig avait un faible pour Lily et il m'a demandé d'organiser un rencard croisé. J'ai persuadé Lily d'y aller et il a amené Kristen. Après deux mois avec elle, j'avais trouvé un boulot au Ministère c'était un boulot ennuyeux, mais le salaire était bon. Quatre mois après ça, Kristen a emménagé dans l'appartement que je louais. On ne vivait ensemble que depuis deux mois quand j'ai découvert qu'elle… Elle couchait avec un ami à moi. La rumeur du bureau ! Je suis rentrée pour l'interroger, mais elle était partie. J'avais essayé de me poser, j'essayais de me normaliser. Kristen et moi avions mis de l'argent sur un compte commun. On économisait pour avoir un apport pour une maison. Elle avait fermé le compte, elle l'avait vidé et avait prit presque tout ce qui avait de la valeur dans notre appartement. Papa voulait la traquer, mais je lui ai dit de laisser tomber."
La douleur se voyait sur son visage et je savais inconsciemment qu'il y avait plus.
"Sauf que…" dis-je.
"Sauf que… Elle a pris ma montre. La montre en or que Maman et Papa m'avaient offert pour mes dix-sept ans." Il remarqua mon air perplexe. "Une montre en or pour les dix-sept ans, c'est une tradition familiale," expliqua-t-il. "Après que Kristen soit partie, j'ai quitté mon travail. Il ne m'a jamais vraiment intéressé je ne pense pas être fait pour être gratte-papier au Ministère. Et depuis je suis en quelque sorte sans emploi."
"Tu m'as dit que tu étais journaliste," lui rappelais-je.
"J'ai été chargé d'écrire un article pour un journal d'Histoire," admit James. "Ça doit faire de moi un journaliste."
"D'Histoire ?" dis-je, surprise. "Tu n'as pas vraiment l'air d'un historien."
"Tante Luna ne ressemble pas vraiment à une naturaliste," dit James. "Mais, curieusement, elle gagne sa vie là-dedans. J'ai eu de la chance, vraiment. Quand j'ai dit à Maman et Papa que j'avais quitté mon travail au Ministère, Tante Luna était venue rendre visite. Maman était vraiment fâchée que j'ai quitté encore un autre boulot. Mais Tante Luna a dit : "Quel est l'intérêt de faire un travail que tu n'aimes pas ? Tu es un garçon intelligent, James, tu devrais trouver quelque chose qui te plaît et essayer de gagner ta vie avec ça." Donc, c'est ce que je fais."
Lorsqu'il avait cité Luna, je pus l'entendre. Il avait utilisé les intonations chantonnantes de sa voix rêveuse. "Sur quoi tu vas écrire ?" demandais-je. Avant qu'il ne puisse parler, je répondis moi-même à la question. "Robin des Bois, évidemment, pourquoi sinon est-ce que tu voudrais venir voir la tombe de Jean Petit ? Mais l'Histoire ! Je n'aurais jamais deviné que tu choisirais ce sujet. Est-ce que tu as un diplôme ?"
"Non." James secoua la tête. "L'Histoire m'a toujours fasciné. Ça a surpris tous ceux qui me connaissaient, en particulier parce que mon professeur d'Histoire à l'école était absolument rasoir et qu'il faisait ce travail depuis au moins cent ans. Mais même si le vieux Binns était ennuyeux, le sujet en lui-même ne l'était pas." Ses yeux brillèrent. "Le Professeur Binns détestait les trucs légendaires, donc j'avais pris l'habitude de le questionner dessus constamment. La partie la plus fascinante de l'Histoire c'est les légendes, tu ne crois pas ?"
"Mais ce n'est pas la vraie Histoire, James," protestais-je. "C'est pour ça qu'on appelle ça des légendes."
Ses yeux s'agrandirent et je vis un autre James – un homme passionné, intéressé, qui était enthousiasmé par son sujet.
"Fyrenne dracan wæron gesewene on þam lifte fleogende," dit-il. "C'est tiré des chroniques Anglo-Saxonnes, ça veut dire "des dragons de feu furent observés volant dans le ciel.' Ils étaient censés présager des raids Vikings, mais pense à toutes les histoires, Annie. Nous les avons toutes entendues. Tu as entendu parler de Merlin, d'Arthur et des Chevaliers de la Table Ronde, tout le monde les connaît."
"Mais…"
"Et que dire des histoires qu'on nous racontait quand on était petit ? Tu connais celle du grand ver de Lambton ta mère nous a raconté cette histoire, elle nous a appris la chanson. Tu la chantais quand tu avais dix ans. 'S'lence, gars, farme tin bouc, j'va t'dire une 'stoire qu'est affreuse.' Tu as toujours eu une belle voix. Et il y a les histoires que ton père nous a raconté, au sujet du vers affreux de Spindlestone Heugh. Et Drake est un autre mot pour dragon. Drakestone, Drakeshaugh la pierre du dragon, la clairière du dragon. C'est ça qui m'intéresse, Annie, le point où l'histoire Mo… où l'histoire et la légende se retrouvent." Ses yeux bruns étaient grands ouverts par sa passion pendant qu'il parlait.
"Mais… Robin des Bois," protestais-je, essayais-je à nouveau.
"Mon idée d'origine était d'aller chercher les vers, ou vouivres, ou dragon, ou peu importe ce qu'ils étaient, de Northumbrie. Pour revenir à la maison. Mais je t'ai trouvé ici, et… Ce n'est pas très loin du pays de Robin des Bois et ce sont de super histoires. Tout le monde connaît Petit Jean et la plupart des gens ont entendu dire qu'il s'agissait en réalité de Jean Petit de Hathersage. L'histoire de Robin et Marianne est éternelle. Et il y a Much, le fils du Meunier, Will l'Écarlate, Allan A'Dayle et le Shérif de Nottingham. Et s'ils avaient existé ? Et s'ils étaient tous réels, leurs aventures transformées au fil des siècles, transformées en mythes ?"
Je souris et secouait la tête en désespoir. "Tu es dingue. Je ne vois pas comment tu pourrais espérer gagner ta vie avec toutes ces inepties, surtout que tu as oublié le moine gras," le taquinais-je.
"Quoi ?" dit-il. Je pouvais dire à son expression que, pour une raison inconnue, mes mots l'avaient ébranlé.
"Tuck," dis-je, riant de sa confusion. "Si tu essaies de faire la liste de 'Robin des Bois et ses Joyeux Compagnons,' tu ne devrais pas oublier Frère Tuck, le Moine Gras."
"Tuck, le Moine Gras !" son visage se barra d'un sourire. "Annie Charlton, tu es un vrai génie !" annonça-t-il fortement. Les consommateurs aux tables adjacentes se tournèrent pour me regarder. "J'espère vraiment que c'est vrai !"
"De quoi diable est-ce que tu parles ?" demandais-je.
"De quelque chose que j'ai appris dans mon école," dit-il. "Une… une histoire de fantôme, j'espère vraiment que c'est lié. Merci Annie." Il baissa les yeux sur son brouet. "Je pense que ça a suffisamment refroidi pour pouvoir le manger, maintenant. Tu as fini ton pain, mais tu n'as pas commencé ta soupe. Est-ce que tu veux partager mon pain ?" Il le rompit en deux et m'en offrit la moitié.
"Je n'ai pas pris de petit-déjeuner," lui rappelais-je en guise d'excuse en le prenant.
"Pas besoin de t'excuser," dit-il avec un sourire.
