Derek poussa un profond soupir. Tout le monde était parti, sitôt la réunion terminée. Au départ, Isaac, Lydia et Liam avaient voulu rester un peu, notamment pour profiter de Stiles, mais… L'alpha s'était montré intransigeant. Il avait besoin que l'entièreté des membres de la meute s'en aille. Stiles lui-même s'était demandé s'il devait partir également et avait cherché sa béquille des yeux. Bien sûr, Derek lui avait indiqué qu'il ne faisait pas partie du lot. Lui, il restait.

Alors Stiles était là. Il s'occupait autant que possible pendant que Derek… Pendant qu'il essayait de se mettre à la cuisine. L'heure de manger se rapprochait à grands pas et il n'avait encore rien fait. Il n'avait pas la tête à cuisiner, ni à faire quoi que ce soit de constructif. C'était pour cela qu'il avait viré tout le monde après la réunion. Il avait besoin d'être seul.

Scott n'était pas là. Cet idiot n'était pas venu et Derek devinait aisément pourquoi. Alors oui, ça le foutait en rogne… Mais il prenait conscience d'une chose qui rendait sa vision du personnage encore plus décevante et exécrable.

Scott était un pur lâche. Pour rabaisser Stiles et le faire tomber tout en le sachant blessé, il était là. Mais quand il s'agissait d'assumer ses actes, le latino était aux abonnés absents. Seul dans la cuisine, Derek serra les poings. Il n'était pas du genre haineux, ni même rancunier – l'histoire de sa famille mise à part. Il lui arrivait de l'être… Uniquement lorsqu'il se retrouvait confronté à une situation injuste. Scott avait réellement besoin d'une correction. Plus que s'excuser auprès de Stiles, il devait comprendre que son comportement était des plus injustifiés et toxiques. Il recrachait sa propre haine sur son meilleur ami qui, il aurait beau dire ce qu'il voulait, n'avait rien fait de ce qu'il lui reprochait. Scott lui semblait minimiser l'impact que le Nogitsune avait eu sur Stiles. Il n'avait pas fait que diriger ses actes. Il était entré dans sa tête et l'avait tout bonnement torturé mentalement pour y parvenir. Le cas de Donovan était très différent, mais restait semblable dans le sens où Stiles ne l'avait pas tué. Le wendigo l'avait poursuivi, mordu. Il avait menacé son père aussi et avait tenté de le réduire en charpie parce qu'il avait la malchance d'être le fils du shérif, contre qui il avait réellement une dent. Mais voilà, Stiles n'était pas la poutre sur laquelle il s'était empalé et Scott oubliait que tout ceci n'était qu'un malheureux enchaînement de circonstances. Scott oubliait aussi que ce soir-là, Stiles n'aurait pas dû être seul. Scott aurait dû passer un peu de temps avec lui d'autant plus qu'il savait la haine que Donovan leur portait, à son père et lui.

Et puis… C'était toujours plus facile de fermer les yeux pour ne pas affronter ses responsabilités. Ne pas s'avouer qu'on avait mal fait. Oui, il était plus simple de rejeter la faute sur la seule personne qui ne pouvait ni se défendre, ni se justifier – même si elle n'en avait pas besoin.

Alors forcément, Derek était énervé. Il continuait de voir rouge et se retrouvait incapable d'agir aussi calmement que d'habitude. Pour une raison obscure, cette histoire le prenait aux tripes et laisser Scott s'en sortir sans une égratignure lui était inconcevable. Ce « true alpha » refoulé ne pouvait pas continuer de vivre sa petite vie tranquillement alors qu'à côté, il avait participé à la dépression puis à la rechute de Stiles. Il avait achevé de le briser et ça, Derek ne pourrait jamais le lui pardonner. Scott devait payer, d'une manière ou d'une autre.

- … Besoin d'aide ?

Derek ne sursauta pas mais se retourna vivement vers Stiles qui se tenait à l'entrée de la cuisine. Perché sur ses béquilles, il avait l'air sincèrement désolé de quelque chose et cela se ressentait aussi dans son odeur. Mais désolé de quoi ? Derek n'en avait aucune idée et il n'avait pas envie d'y réfléchir. De manière générale, tout l'agaçait, tout lui faisait perdre patience, parce que la réunion ne s'était pas passée comme il l'avait prévu. Il ne s'était pas défoulé. Ne l'avait pas fait payer.

- Tu as besoin d'aide pour quelque chose ? Insista Stiles en baissant les yeux.

Ç'aurait été n'importe qui, Derek l'aurait envoyé balader ou tout simplement ignoré. Il ne voulait pas parler, préparer à manger ou même simplement faire attention à qui que ce soit. C'était dans ce genre de moments qu'il aimait être seul.

En fait, s'il s'écoutait et s'il faisait comme d'habitude, il serait sorti du loft sans prévenir et n'aurait pas cherché à donner la moindre explication à Stiles.

Oui, mais il n'était pas stupide et savoir l'humain sur une pente raide l'empêchait de faire n'importe quoi. Alors, même si l'envie de trouer les murs de ses poings le démangeait, il s'approcha de Stiles d'un pas lent et reconsidéra sa question – surtout pour s'en rappeler. Et là, sitôt qu'il pénétra dans son espace vital invisible, Derek sentit sa colère refluer un peu.

- Tu n'aurais pas dû te lever, dit-il simplement.

Il se contrôlait autant que possible, essayait de faire disparaître l'agressivité dans sa voix. Il ne fallait pas que Stiles se sente visé par sa colère parce qu'elle n'était en aucun cas dirigée vers lui.

- Tu veux que je retourne dans le salon ? Demanda l'hyperactif d'une petite voix, sans lever les yeux vers lui.

Derek articula un « oui » qui lui parut froid et qui l'était, dans une certaine mesure. Stiles hocha la tête et partit sans insister. Si l'alpha perçut la tristesse dans son odeur, il n'intervint pas. Même si réconforter Stiles et lui faire comprendre qu'il n'était aucunement fautif faisait partie de ses priorités, Derek se devait de se calmer d'abord. Hors de question pour lui de risquer de s'emporter devant l'hyperactif qui, dans cette histoire, n'était rien d'autre qu'une victime.

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Stiles et Derek n'avaient pas échangé un mot depuis que le châtain était allé proposer son aide dans la cuisine. La colère de Derek ? Il avait beau ne pas être un loup, il l'avait parfaitement bien sentie et se voyait parfaitement bien dans son regard. Un peu plus et celui-ci virait au rouge. Alors, histoire de ne pas la faire croître davantage, Stiles s'était acharné à se faire le plus discret possible. Si sa dépression et ce qu'il prenait lui permettaient de réduire les efforts qu'il avait à fournir pour museler sa bouche… Le reste de son corps, c'était encore autre chose.

Ainsi, il s'était dit que se faire encore plus petit était une bonne idée. Sitôt le repas terminé, il s'était lavé les dents et le voilà qui, à peine passées vingt et une heures, étalait aussi bien que possible la couverture sur son corps. Evidemment, il occupait le canapé et ne se sentait toujours pas de prendre ses aises au loft – encore moins en sachant Derek en colère. Croyant, comme toujours, qu'il était fautif dans l'histoire, Stiles ne voulait pas le provoquer davantage. En fait, il voulait tout simplement lui faciliter la vie… Et c'est ainsi que, naturellement, il pensa à son futur départ, tout comme il songea brièvement à le précipiter. Peut-être que ça pourrait détendre Derek ? Peut-être qu'à cause de sa présence, il n'arrivait pas… A décompresser, ou du moins, qu'il ne se le permettait pas, sans doute pour éviter de lui faire peur. Si l'intention était louable, elle gênait Stiles. De toute évidence, Derek avait besoin de se défouler et… Il était chez lui, il le pouvait. Stiles n'était rien de plus que son invité.

Allongé sur le canapé en faisant, comme toujours, attention à sa jambe, il se saisit de son téléphone et se décida de prendre son courage à deux mains envoyer un message à Derek, qu'il avait vu monter à l'étage. Sans doute s'isolait-il… Ce qui était une mauvaise idée, Stiles le savait par expérience. Se renfermer sur lui-même… Voilà où ça l'avait mené. A loger chez Derek parce qu'il n'était plus capable de se gérer seul sans prendre de risques inconsidérés, à se penser sans arrêt de trop, à s'imaginer coupable de tout… Il n'y avait qu'à voir la manière dont il se sentait, à s'en vouloir pour quelque chose d'obscur, à se persuader qu'il avait fait quelque chose de mal.

Alors, il rédigea son message et l'envoya avant de se laisser le temps de se rétracter. A l'intérieur du texto, des excuses. Des excuses, mais aussi une proposition. Derek pouvait lui parler, s'il en ressentait le besoin. Stiles n'était peut-être pas l'épaule idéale, mais il savait écouter et parfois… Conseiller, un peu. Servir de défouloir, aussi. Avec Scott, il en avait un peu pris l'habitude – mais ça, il avait préféré ne pas le marquer. Stiles était parfois un peu inconscient, mais pas suicidaire. Pas vraiment.

Ensuite, il posa son téléphone sur la table basse après avoir activé le silencieux. Ainsi, il ne dérangerait pas Derek, ce soir, avec les vibrations agaçantes de potentielles notifications. Stiles essayait déjà de l'aider… A son échelle, aussi petite soit-elle. Il faisait de son mieux mais ne se faisait pas d'illusions : ce fut la raison pour laquelle il en vint à se dire que Derek ne lui adresserait sans doute pas la parole avant le lendemain. Ainsi, il ferma les yeux et pria pour s'endormir rapidement. Ce moment, c'était toujours celui qu'il préférait dans la journée. Parce que son esprit se mettait plus ou moins en pause, et… Stiles avait l'impression qu'il pouvait essayer de se reposer, dans le sens où lorsqu'il se réveillait, il se sentait toujours plombé, mais… Au moins, il ne réfléchissait plus pendant quelques heures. Alors, s'endormir tôt ne le dérangeait pas. En fait, il espérait surtout réussir à ne pas se réveiller aux aurores. Son but ? Laisser le temps s'écouler. Depuis que toute cette histoire avait commencé, Stiles appréciait chaque nuit pour les heures de vide qu'elle lui offrait. Parfois, il dormait un peu la journée, mais il avait un peu de mal. La nuit, il trouvait ça plus à propos, même s'il lui arrivait de cauchemarder et de se réveiller en sueur.

Sauf qu'il entendit des pas dans les escaliers. Derek était en train de les descendre. Stiles retint un instant son souffle, se demanda quoi faire et… Se dit que le loup-garou allait sans doute se chercher quelque chose à manger. Après tout, il n'avait pas terminé son assiette, ce soir, trop chafouin pour cela. Alors, Stiles se tourna et garda les yeux fermés. Il n'allait pas jusqu'à faire semblant de dormir mais montrait ainsi ce qu'il comptait faire. De cette façon, il continuait de se faire tout petit et de s'imposer le moins possible.

Il entendit les pas se rapprocher, s'attendit à les percevoir plus loin, jusqu'à se rapprocher de la cuisine. Sauf qu'ils s'arrêtèrent devant lui. Stiles, dos à Derek, s'efforça de ne pas bouger, mais il ne put s'empêcher de se crisper. Il n'avait pas peur de Derek en soi, simplement… Et s'il avait mal pris son message ? Stiles ne voyait pas comment, il fallait l'avouer. Avait-il écrit un mot de trop ? Dit quelque chose de travers ? Il se remémora son message aussi bien que possible. Techniquement…

- Stiles.

La voix de Derek le fit sursauter. Elle n'était ni douce, ni sèche. Ne traduisait aucune colère, n'avait rien de menaçant. Et pourtant, Stiles n'arrivait pas à se dire qu'il devait ouvrir les yeux, se retourner. Lui, tout ce qu'il voulait, c'était se faire tout petit, toujours plus petit. Peut-être que de cette façon, cela fonctionnerait ? Peut-être que Derek finirait par ne plus le voir… La main qui se posa sur son épaule répandit une chaleur telle qu'elle fit frissonner Stiles. C'était agréable… C'était toujours agréable, quand le loup le touchait. Alors cette fois, il ouvrit les yeux, mais ne se retourna pas. C'était dingue comme il avait soudainement envie de poser sa main sur la sienne… Son toucher lui faisait toujours cet effet-là. Stiles s'imaginait déjà Derek le prendre dans ses bras, mais il s'efforça d'éloigner cette pensée-là. Il n'avait pas vu son visage mais lorsqu'il l'avait aperçu monter les escaliers, Derek lui avait encore semblé dirigé par cette colère froide qui le plombait depuis la réunion.

Alors forcément, Stiles n'avait pas réellement envie de vérifier si c'était toujours le cas.

Sur son épaule, des mouvements légers. Des caresses.

- On peut discuter ?

Toujours aucune agressivité. Stiles crut même déceler un soupçon de douceur, ou quelque chose s'y apparentant. Il réfléchit et… En soi, se faire petit maintenant ne servait plus à rien. Alors, il se retourna lentement, en faisant attention à sa jambe, comme toujours. S'il continuait d'avoir un peu mal de temps à autres, c'était largement supportable, mais il tenait toutefois à ne pas faire le fou et éviter d'augmenter la douleur. Connaissant Derek, il se dévouerait sans doute sans hésiter pour la lui prendre.

Stiles hocha la tête. Pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, il avait peur de parler, de prononcer un mot. C'était un sentiment qu'il avait souvent et qu'il ne combattait pas trop – il ne se sentait pas assez fort pour cela. Alors, il ne parlait pas souvent. Pas trop. Encore moins maintenant. Pourtant, l'air de Derek n'était pas sombre et on aurait même dit que sa colère avait largement reflué. Mais Stiles avait changé, et il ne pouvait rien y faire. Il ne savait plus comment faire.

Ainsi, il attendit de voir de quoi Derek voulait discuter. Si le loup resta silencieux un moment, il finit par bouger. Le prendre dans ses bras sans crier gare. Stiles, éberlué, ne poussa pas le moindre cri, mais balbutia une question malgré lui. Une question à laquelle Derek répondit simplement :

- On va discuter en haut.

En haut, dans sa chambre. Et Stiles sut qu'il allait y dormir. Une certaine chaleur se mêla à son appréhension. Il avait un peu peur de la discussion que désirait Derek, mais… La perspective de savoir qu'il dormirait avec lui le détendit un peu.