Voici enfin la seconde et dernière partie, avec une petite scène de lemon en prime. Bonne lecture!
Seuil - Partie II
Un calme plat régnait dans la salle des archives, plongée dans une semi-pénombre troublée des rayons poussiéreux du soleil qui se faufilaient à travers les carreaux teintés de l'Académie. La journée était presque finie. Alhaitham referma dans un clap étouffé le registre qu'il avait sorti des étagères, remplies de milliers d'ouvrages semblables. Le scribe rangea le recueil à l'endroit exact d'où il l'avait tiré et quitta la pièce, ravalant un soupir.
Cette journée n'avait pas été des meilleures. Il était plus efficace, en général, n'étant pas du style à se laisser déconcentrer pour un oui ou pour un non et restant toujours méditatif sur ses tâches jusqu'à ce que la petite aiguille de l'immense horloge qui trônait dans son bureau ne s'arrête sur le salvateur et tant attendu V, gravé en gros chiffres romains sur le cadran, qui indiquait la fin de son service. Paperasse terminée ou non, dès dix sept heures, plus rien ne comptait et le scribe redevenait Alhaitham, son casque réducteur de bruit obstinément activé et quittant toujours son bureau à l'heure sans s'encombrer de la moindre minute supplémentaire.
Il entra dans l'ascenseur qui séparait son bureau du foyer de Daena, croisant les bras sur son torse. Son regard se perdit sur les volutes qui défilaient à mesure qu'il descendait et son esprit suivit le mouvement, ayant soudainement tout oublié du travail, préoccupé par un cas très spécial qui avait eu tendance à venir le hanter un peu trop souvent au cours de ces dernières semaines. Et ce cas portait le prénom de Kaveh.
Ils avaient fêté son anniversaire plus d'un mois auparavant et depuis, l'architecte s'était montré distant, secret et insaisissable. Dès qu'Alhaitham l'avait questionné sur les marques qu'il avait vues sur son bras, le blond s'était renfermé aussi sec, ne lui laissant aucune seconde chance. Alhaitham ne le croisait presque pas lorsqu'il était à la maison, son colocataire restant résolument enfermé dans sa chambre ou ne rentrant que tard dans la nuit lorsqu'il sortait pour se saouler à mort.
En temps normal, avoir peu de contacts avec le blond qui avait un mode de vie si différent du sien ne l'aurait pas perturbé. Au contraire, le scribe aurait pu s'estimer heureux d'avoir enfin la tranquillité à laquelle il aspirait, lui qui était si souvent dérangé par le petit côté bruyant et bordélique de l'architecte. Mais la discrétion du blond n'était pas due à une soudaine considération envers Alhaitham et le calme auquel il tenait tant, mais plutôt à un mal être grandissant qu'il n'était plus capable de masquer derrière une parure hors de prix et une passion rayonnante pour l'art sous toutes ses formes.
Un évènement tragique était arrivé à sa famille quand il était encore enfant. Étudiant, il avait eu du mal à maintenir le cap financièrement et à présent adulte, il avait fini avec cette dette colossale qui lui pendait comme une corde autour du cou depuis la construction du palais qui lui avait valu sa solide renommée. L'ironie n'était même pas risible, pensa Alhaitham, lorsqu'il voyait dans quel état désastreux se retrouvait son colocataire. Pour lui, Kaveh avait cette fâcheuse tendance à se raccrocher trop profondément à son passé, et ça ne lui réussissait pas. Mais au-delà de ça, Alhaitham, même s'il pouvait paraître aussi froid qu'un bloc de glace, n'était pas aveugle, et encore moins insensible.
Kaveh allait mal. Depuis la première fois qu'ils s'étaient rencontrés à l'université, et encore aujourd'hui, portant les traces d'un passé trop lourd à endosser, profondément labouré d'épais sillons comme un champ en jachère. Certes, ce n'était pas son problème, et ce n'était pas non plus son rôle de partager la douleur des autres quand il avait lui aussi sa propre vie à régir. Mais le temps avait fait son œuvre, les évènements s'étaient enchaînés, et les deux hommes qui avaient jadis été camarades de classe, binôme et amis, se retrouvaient aujourd'hui colocataires. Et maintenant qu'ils vivaient sous le même toit, Alhaitham avait sous les yeux le résultat catastrophique d'années passées à ne pas agir. Et malgré toute la distance qu'il s'était appliquée à mettre entre lui et les préoccupations des autres, la situation ne le laissait pas indifférent. L'idée pernicieuse et factuelle que Kaveh n'en serait peut-être pas arrivé là s'il avait reçu de l'aide venait se glisser jusqu'au plus profond de l'esprit du scribe pour ne plus le quitter.
Une fraîcheur nouvelle et une moiteur lourde l'accueillirent lorsqu'il fut dehors. Le trajet entre l'Académie et la résidence qu'ils partageaient était bref. Il quitta les hauteurs de l'université pour rejoindre la ville dans une ambiance que la fin de la journée avait rendue paisible, les rues désengorgées de leur rumeur habituelle. L'été touchait à sa fin et des pluies diluviennes s'abattaient sur la ville depuis quelques semaines.
Alhaitham passa sous un arbre énorme aux branches lourdes de fleurs, un frangipanier centenaire qui s'effeuillait à cause de l'humidité et de la chaleur. À ses pieds, le sol de dalles était jonché de gros bulbes tombés de l'arbre. Les fleurs qui se trouvaient le plus haut, fraîchement décrochées, étaient encore dans un état proche de la perfection, hormis quelques égratignures sur les pétales épais. Celles d'en dessous avaient commencé à pourrir, embaumant la rue d'une puanteur forte, rendue lourde et tenace par le climat humide.
C'était une odeur de fin. De mort. Alhaitham pensa à Kaveh, encore.
Il lui parlerait. La défense du blond n'était pas impénétrable, mais demeurait solide. Et Alhaitham savait que s'il se décidait à la percer, il devrait s'armer de beaucoup de patience et d'habileté pour réussir à le faire enfin parler.
§§§
Un orage sec s'était mis à gronder peu après qu'Alhaitham soit arrivé chez lui, zébrant le ciel gris sombre de vifs éclairs de chaleur. La maison était impeccable, semblant avoir été fraîchement balayée, les nombreux ouvrages et autres bibelots que le scribe avait pour habitude de laisser traîner un peu partout ayant retrouvé leur emplacement d'origine. Kaveh était dans le séjour, instigateur de cet ordre qui ne serait probablement que bref, errant entre le seddari et la cuisine et murmurant pour lui-même. Il était apprêté comme pour sortir, mais Alhaitham devina qu'il avait passé la journée enfermé à l'intérieur. Il observa son colocataire du coin de l'œil sans s'annoncer, attendant qu'il le remarque pour voir s'il disparaîtrait instantanément pour aller se terrer à l'abri de son regard comme à son habitude de ces derniers jours, ou si cette fois, il serait enfin en mesure de le confronter.
Le scribe se décida finalement à intervenir lorsqu'il vit le blond sortir machinalement une assiette d'un placard pour l'y remettre la minute d'après, l'air complètement ailleurs et le regard dans le vide. Il le fit sursauter lorsqu'il se glissa dans son dos, l'architecte n'ayant toujours pas remarqué sa présence au sein de la pièce.
« Kaveh. »
« … Bon sang ! »
L'assiette, qui avait été ressortie à nouveau, manqua de glisser des mains du susnommé qui se retourna derechef vers son colocataire, imperturbable comme à son habitude, contrairement à lui qui venait de frôler la syncope tant la voix de l'autre homme dans son dos l'avait saisit. Il se raidit, ramenant le plat contre son buste et cherchant à reculer d'un pas. Mais le plan de travail dans son dos et le scribe en face de lui ne lui laissaient aucune issue. Pris au piège entre les deux obstacles, Kaveh serra les dents.
« Je ne t'ai pas entendu arriver. » Fit-il avec une petite voix, le regard fuyant. Ce changement de comportement de la part de quelqu'un qui l'avait habitué à beaucoup plus de vivacité et de coffre renforçait les doutes qu'Alhaitham avait à son sujet.
« J'ai été discret. » Répondit-il avant de marquer une pause. Il calculait le meilleur angle pour entrer dans le vif du sujet, celui qui ne ferait pas fuir Kaveh. « Tu es occupé ? »
Le blond releva les yeux, croisant son regard le temps d'un battement de cils, avant de s'intéresser soudainement à l'assiette en céramique peinte de motifs berbères qu'il avait toujours dans les mains.
« Pas vraiment. Je rangeais, c'est tout.
-Oui, j'ai remarqué ça. »
En temps normal, Kaveh ne se serait pas privé de lui lancer une remarque bien acerbe comme quoi « si seulement tu étais capable de ranger tes propres affaires, je ne serais pas obligé de repasser derrière toi à chaque fois », enchaînant avec un énième reproche sur son insupportable manie de laisser s'empiler ses livres à droite et à gauche dans tous les recoins de la maison. Mais cette fois-ci, il n'ajouta rien, et Alhaitham s'étonna à peine lorsque le constat l'effleura que les piaillements de l'architecte pouvaient lui manquer. En ce qui le concernait, il avait eu le temps de faire le point sur ce qu'il ressentait.
« Ça serait bien qu'on discute. Je crois que tu n'es pas dans ton état normal. »
Loupé, il avait été trop direct. L'architecte fronça les sourcils et l'assiette fut reposé sur le plan de travail avec un geste brusque en même temps que Kaveh s'arrachait à leur étroite proximité. Il fuyait à nouveau, traversant le séjour pour rejoindre le couloir, mais le scribe fut plus rapide. Cette fois, il n'irait nulle part.
Dans un halo lumineux bref, éclat de soleil émeraude, il s'effaça de la cuisine pour réapparaître brusquement face à l'autre garçon et lui bloquer le passage. Kaveh ravala un hoquet surpris ; Alhaitham n'utilisait jamais ses pouvoirs à l'intérieur. Son vision pulsait d'une auréole verte sur l'épaule gauche de l'épéiste, réminiscence de l'utilisation du pouvoir dendro dont ils étaient tous les deux détenteurs.
« Ce n'est pas la peine d'essayer de fuir. C'est la seule chose dont tu as été capable ces dernières semaines. Tu ne m'as pas habitué à ça, où est passée ta verve ordinaire? »
Alhaitham fit un pas en avant. Kaveh, un pas en arrière, avant que sa jambe ne bute contre l'assise du seddari. Un pas de plus, et le scribe pouvait sentir le souffle de l'architecte contre lui. Ce jeu du chat et de la souris était étrange, et il sentait la tension se lever entre eux comme si elle inondait la pièce. Kaveh se mordit la lèvre.
« Je ne vois pas de quoi tu veux parler. » Fit-il, mais toute la contenance qu'il s'efforçait de maintenir présageait de s'effondrer comme un château de cartes face à un redoutable courant d'air. Lorsque le scribe s'approcha pour réduire à néant la maigre distance qui les séparait encore, Kaveh retomba lourdement sur la méridienne. La présence de l'épéiste l'envahit totalement lorsqu'il tendit le bras pour poser la main sur l'accoudoir contre lequel le blond s'était presque recroquevillé, lui bloquant le passage et lui coupant le sifflet par la même occasion. « T'es trop près », voulu râler Kaveh, mais il en fut incapable. Le nœud du problème enfin contenu, Alhaitham put alors mettre les mots sur ce qui l'avait préoccupé tout au long du mois passé.
« Arrête de jouer les imbéciles. Tu n'es plus toi-même depuis plusieurs jours. Tu penses peut-être que je suis aveugle si tu crois que je n'ai rien remarqué.
-Je ne suis pas…
-Je n'essaie pas de te punir, mais de t'aider, Kaveh. Tu devrais agir avant de finir par te perdre définitivement. » Le coupa Alhaitham. Il ne mentait pas : il essayait bel et bien de lui venir en aide même si la méthode pouvait sembler brutale. En réalité, le scribe ne savait juste pas vraiment de quelle façon il devait parler au blond pour que celui-ci soit capable de tendre l'oreille.
Mais acculé de la sorte, Kaveh, lui, se sentait mal à l'aise. Il voulut se relever, sifflant un « lâche-moi » contrarié, avant que le scribe ne le fasse se rasseoir en enroulant fermement les doigts autour de son bras dans une étreinte qui ne dégageait pourtant aucune brutalité. La dualité des paroles et des actes de l'autre homme déconcertait l'architecte qui ne savait plus à quelle part de lui se fier.
« Reste là, je n'ai pas terminé. Je commence à te connaître, depuis le temps, même si tu ne parles pas souvent de ce qui te hante. Et je suis en train de penser que j'ai peut-être fait une erreur en ignorant ta situation. Tu as toujours l'air ailleurs ces derniers temps, et l'alcool n'améliore pas ton humeur. »
La main qui retenait son bras avait relâché la pression, mais les doigts du scribe épousaient toujours le contour du muscle de l'architecte qui se sentait brûler de l'intérieur face à cette situation invraisemblable. Si, le concernant, il avait habitué son colocataire à un tout autre caractère, il en allait de même pour Alhaitham qu'il entendait plus souvent lui envoyer de méchantes piques là où ça faisait mal plutôt que de se préoccuper réellement de lui.
« Je ne te crois pas. » Répondit Kaveh à mi-voix. « Tu es encore en train de te moquer de moi.
-Tu crois vraiment que j'éprouve du plaisir à te voir dans un état aussi lamentable parce que tu as des problèmes dans ta vie ? Si c'était le cas, je m'amuserais depuis bien longtemps. Ce que j'essaie de te dire, c'est que tu n'en serais peut-être pas là si tu avais sollicité de l'aide plus tôt.
-D'accord, comme tu veux, » Kaveh massa du bout des doigts le pli qui naissait entre ses sourcils, nerveux. Il semblait souhaiter être n'importe où ailleurs, même pourrissant au fond d'un caniveau, plutôt que pris au piège dans son canapé par son colocataire. « Pense ce que tu veux. J'en ai assez entendu. »
« Tu ne m'écoutes pas, Kaveh. »
Sa voix était posée et rauque. Son regard pénétrant, les yeux fixés sur lui comme un tigre dompté. Un iris bleu sarcelle, celui qui n'était pas voilé par la frange qui lui tombait devant, était planté dans les yeux de l'architecte.
« Je te connais depuis l'université, et même à l'époque tu étais déjà un cas désespéré.
-Je t'emmerde. » Sa voix n'était qu'un souffle. Alhaitham ne réagit pas. Peut-être qu'il n'avait pas entendu. Il continua.
-Je n'ai pas pour habitude de me préoccuper des problèmes des autres. Mais il faudrait peut-être que ça change. »
Kaveh déglutit. Il n'aimait pas du tout ce qu'il entendait, mais l'indignation qui lui tordait les tripes au fil des paroles d'Alhaitham était étrangement apprivoisée par son insistante proximité. Il sentit une goutte de sueur lui glisser le long du dos avant de mourir absorbée par la soie de sa parure.
« Alors pourquoi est ce que tu t'y mettrais ? »
Un silence pesant tomba sur eux, troublé du fracas des grosses gouttes qui s'écrasaient contre les vitraux des fenêtres, la pluie ayant commencé à tomber. Une lueur basse et diffuse régnait dans le séjour, les carreaux colorés ne laissant passer que peu de la lumière du crépuscule, déjà obstruée par les nuages gris qui couvraient le ciel. Un grondement orageux retentit au dessus de leurs têtes, et un éclair embrasa brièvement le séjour de sa vive lueur violette.
« Même si je respecte le chemin que tu as choisi d'emprunter et même si ta vie ne concerne que toi, je ne peux pas te laisser continuer comme ça.
-Toutes les disputes que j'ai eues avec toi parce que tu me trouvais trop idéaliste auraient-elles enfin fait leur chemin jusqu'à ton cerveau ? »
Kaveh n'en menait pas large, mais lorsqu'il planta deux prunelles fauves dans ses yeux, Alhaitham devina que leur conversation semblait l'avoir tiré de la cénesthésie onirique dans laquelle il s'était égaré, même s'il n'était question que d'une poignées de minutes avant que le blond ne se fasse engloutir à nouveau par ses doutes. Peut-être qu'elle se trouvait là, juste en face de lui, cette brèche que le scribe avait tenté de calculer sans jamais en trouver le produit. Et peut-être que c'était là, maintenant, qu'il devait y plonger et aller saisir la main de Kaveh pour le ramener à la surface.
Peut-être que cet instant était le moment précis où il devait agir. Peut-être que son action changerait tout, quand son inaction ne changerait rien.
Il n'avait plus le temps de délibérer. Alors, il choisit de miser.
Alhaitham se pencha un peu plus. Acculant Kaveh contre le dossier du seddari, la distance qui les séparait ne dépassait pas l'amplitude qui tendait les extrémités du pouce et de l'index. La main qu'il avait gardée enroulée autour du bras de l'architecte remonta sur son épaule, son cou, et son pouce se glissa sous son menton pour lui faire relever la tête. Le temps se figea au dessus d'eux lorsque leurs deux bouches ne furent plus séparées que par un étroit espace de vide. Et puis, un frôlement fugace, suivi d'un instant bref de regards échangés, avant de repartir dans un baiser plus appuyé. Comme scellées entres elles, leurs lèvres étouffaient les soupirs. Ils se quittaient pour reprendre une bouffée d'air avant de replonger, à l'image de deux apnéistes qui tentaient de pousser toujours plus loin le temps passé dans ces enivrantes abysses.
À bout de souffle dans les bras du scribe, l'architecte poussa un gémissement feutré.
« Tu es sûr… De ce que tu fais ? »
La réponse fut silencieuse et sans appel, Alhaitham répondant par un nouvel assaut passionné. Entre eux, une chaleur lourde commençait à monter. L'éclat déchirant d'un coup de tonnerre fit sursauter le blond dont le moindre muscle était tendu à l'extrême. « Respire » le guida le scribe en glissant sa main libre au creux du dos de Kaveh pour l'attirer à lui, propageant contre sa peau l'impression brûlante de la morsure d'une flamme et de la douleur vivace qu'elle faisait fleurir sur l'épiderme. Les doigts qui s'étaient échoués plus tôt dans son cou étaient perdus parmi les mèches blondes, effleurant les lourdes boucles d'oreilles en or qui lui pendaient aux lobes.
Leurs langues s'étaient perdues dans un ballet étouffant et moite, semblable aux nuits d'été de Sumeru que Kaveh abhorrait tant, lorsqu'il ne trouvait plus le sommeil alors que la lune était une faucille d'or pendue tout en hauteur sur la toile sombre de la nuit. Cette langue qui se mouvait contre la sienne avec désir était aussi celle qui lui avait craché tant de poison au visage, mais dont la considération tapie dans le fond de la voix avait touché Kaveh plus profondément que n'importe quelle autre parole qu'il avait pu recevoir. Car bien qu'il soit toujours aussi rationnel, Alhaitham n'était pas un acteur, et s'en retrouvait par conséquent nûment honnête. La franchise froide du cadet qui avait fait jadis fulminer son aîné lors de leurs travaux universitaires, menant à la séparation de leurs chemins, était celle qui les rassemblait à nouveau toutes ces années plus tard.
Kaveh sentit une boule lui gonfler dans la gorge lorsque le souvenir amer de tout ce temps perdu refit brièvement surface, mais l'ombre fut instantanément balayée lorsqu'Alhaitham le coucha sur la banquette, la main à présent faufilée sous sa cuisse. Les pupilles dilatées et le souffle ardent comme celui d'un dragon, le scribe rasa la peau pâle du cou de l'architecte du bout des incisives lorsque ses lèvres déposèrent un baiser hâtif juste sous sa mâchoire.
Kaveh déglutit en croisant l'éclat bref de ses yeux verts. Il avait déraisonnablement chaud, sentant son corps s'embraser là où la peau d'Alhaitham touchait la sienne. Le contact semblait insoutenable, mais il ne put s'empêcher d'en chercher plus. L'idée que les baisers qu'ils s'échangeaient s'approfondissaient toujours plus à chaque instant lui donnait le vertige. Contre ses lèvres, il sentait le souffle tiède du scribe.
Alhaitham le saisit par la taille, enroulant ses doigts juste au dessus de ses hanches pour l'attirer à lui. Soudain, leurs deux bustes furent tout proches. Kaveh pouvait sentir son cœur battre à tout rompre. Ses doigts s'agrippaient aux manches de tissu noir qui enroulaient les bras puissants d'Alhaitham. Il se sentait au bord d'un irrésistible précipice, fiévreux, fébrile, et pris de vertiges.
Il enroula ses bras autour des épaules de l'autre homme d'un geste hésitant, déconcerté par sa carrure. Il pouvait sentir son sexe gorgé de sang pulser contre sa cuisse, un subtil enchevêtrement de peur, d'appréhension et d'un désir charnel irrépressible tordant son cœur meurtri. Lorsqu'Alhaitham commença à le déshabiller, la proximité de leurs deux corps arracha à Kaveh un frisson illicite. Il ferma les yeux pour s'en préserver, conscient du désir douloureux qui tendait son être.
« Je… Ne…
-Tout va bien. »
Alhaitham glissa la main à l'intérieur de la veste ouverte de Kaveh, sous sa chemise, jusqu'à son ventre ferme. L'architecte était crispé, et ne put rien faire d'autre, en cet instant, que de laisser les doigts brûlants du scribe se faufiler sur son nombril. Il lâcha un souffle tremblant, à demi conscient du seddari et de ses coussins en bazar qui l'entouraient, du genou et de la main libre d'Alhaitham plantés dans le coton brodé, l'empêchant de bouger. Sa chemise fut délacée, remontée jusqu'au sternum. Les lacets entre ses jambes s'ouvrirent, obéissants aux doigts habiles de son colocataire, et alors, il fut entièrement nu.
Ses yeux nacarats étaient figés sur le visage du scribe. Il détaillait ses traits, l'éclat de jade de ses iris. Il se remémora la ligne de son dos, les muscles roulant sous la peau, son torse large. Son visage bien trop impeccable. Il avala de nouveau sa salive. La voix d'Alhaitham le tira de son mutisme.
« Kaveh ? »
L'architecte cligna des yeux
« Hein ? Je…
-Je ne ferai rien que tu ne désires pas. Tu es sûr de toi ? Tu sembles anxieux.
-Je vais bien. »
Comme pour appuyer ses propos, le blond l'attira à lui pour l'embrasser encore. Alhaitham fit glisser le bout de ses doigts jusqu'à son entre-jambe. La caresse lui procura un frisson d'impatience qu'il ne se reconnut pas de ressentir.
Lorsque le scribe referma ses doigts autour de son gland, faisant glisser son pouce sur la fente pour y appliquer une pression légère, le corps entier de Kaveh s'incurva. Il dut enfoncer ses incisives dans l'arrondi charnu de sa lèvre pour ravaler un sanglot stupéfait. Alhaitham se pencha, et fit décrire à son pouce un petit cercle humide.
Le va-et-vient de sa main ressemblait à toutes les disputes irritantes qu'ils avaient pu avoir. Kaveh sentit une tension insoutenable naître en une boule de chaleur diffuse, semblable à une braise, au creux de son bas-ventre qui se tordait sous le plaisir. Ses doigts, toujours cramponnés aux épaules de son colocataire, griffaient l'étoffe de son haut qu'il n'avait pas retiré. Il fit glisser ses mains sous l'habit serré et le remonta jusqu'à pouvoir le lui en débarrasser. Le tissu glissa au sol dans un bruissement à peine audible. Kaveh esquissa un demi sourire.
« Maintenant on est quittes. »
Alhaitham ébaucha un rictus discret en retour. Contemplant le corps de l'architecte, le mouvement de ses yeux qui détaillait ses courbes masculines et sa peau diaphane s'arrêta sur le creux de son bras, marqué d'auréoles brunes, d'écorchures encore fraîches et de vieilles entailles depuis longtemps refermées. Kaveh le remarqua et tourna la tête, soudainement envahit par le raz-de-marée d'angoisse qui lui faisait trop souvent perdre pied.
« Ne regarde pas. Ça n'en vaut pas la peine.
-Que veux tu dire ? Je ne suis pas de cet avis. »
Le blond avait le souffle court et les joues roses.
« Laisse tomber, ne regarde pas, c'est tout. »
Alhaitham n'insista pas. Il était témoin, aux premières loges, des efforts que déployait Kaveh pour tenir en place et se laisser toucher à loisir. Il ne voulait pas outrepasser ses limites, car le blond pouvait toujours fuir. La tension étincelait encore tout au long de son corps, semblable à l'éclat d'une dague aiguisée prête à trancher au moindre faux mouvement. Il fit glisser sa main le long du bras de son aîné, posé au dessus de sa tête, et saisit son poignet, fondant leurs paumes l'une contre l'autre.
À nouveau, ils s'embrassèrent, échangeant un baiser plus lent, plus doux, qui n'était plus entrecoupé de souffles rauques et courts. Il sentit frémir Kaveh, qui ouvrait la bouche sous la sienne. Doucement, il lui ôta son pantalon et fit remonter la main sur sa cuisse. Il la caressa du pouce, sentant son pouls sous la peau délicieusement fine.
Lorsqu'Alhaitham glissa en lui, Kaveh jeta la tête en arrière, offrant sa gorge à la peau tendre et pâle, ne pouvant retenir un profond soupir de plaisir. Le scribe remarqua un grain de beauté brun, près de sa clavicule, qu'il effleura du bout des lèvres. Il sentit le blond lever une de ses jambes, perçut contre son corps la caresse de sa cuisse, la pression de son talon contre son dos. Chacun des contacts de leur peau paraissait d'une intimité indécente.
Alors, Kaveh poussa un gémissement, le visage empourpré, ses mèches blondes tombant à demi sur son front. Le nez plongé dans son cou, Alhaitham grognait, râle rauque et fiévreux porté par la sensation mûrissante d'un plaisir intense qu'il sentait naître depuis la base de son pénis en une chaleur diffuse tout le long de son membre.
Il perçut le début de l'orgasme de Kaveh, les spasmes de son corps, et puis le jaillissement humide aussi chaud que le sang. L'architecte se cambra sous lui, dos arqué et voix étouffée par l'assommant plaisir qui le saisit comme un choc électrique. Le scribe serra les dents et ralenti les va-et-vient de ses hanches, se retenant de venir à son tour, mais sa concentration fut brisée par les doigts fins du blond qui glissèrent contre ses joues.
«Ne te retiens pas, » souffla-t-il dans une orbe brûlante, ses lèvres frôlant celles d'Alhaitham. « Tu peux venir en moi. »
À nouveau, ils s'embrassèrent. Kaveh geignit contre ses lèvres lorsqu'il sentit la chaleur humide de la semence se diffuser dans ses entrailles.
§§§
Un silence profond était retombé sur le séjour plongé dans la pénombre. Lové entre le buste et le bras de son colocataire, Kaveh s'était endormi sur le seddari. La nuque reposant dans l'un des coussins qui pullulaient sur l'appui et le visage niché contre les clavicules du scribe, l'architecte somnolait paisiblement, ses épaules à peine soulevées au rythme d'une respiration limpide. Les gémissements et les soupirs qui avaient empli le salon au crépuscule s'étaient éteints comme des rêves oubliés. En le regardant dormir de façon si tranquille, Alhaitham se demanda presque s'il n'avait pas fantasmé la voie aiguë de Kaveh lorsqu'il était venu contre lui plus tôt dans la soirée.
Lui ne dormait pas. La lune avait pourtant déjà quitté la voûte céleste, laissant aux étoiles le soin d'illuminer le ciel, et l'assoupissement le taraudait jusque sous ses paupières, rendant ses membres lourds et ses pensées confuses. Mais Alhaitham résistait, comme si se laisser aller au sommeil effacerait tout de cette nuit à son réveil. Immobile, il écoutait le souffle du blond, tiède contre sa peau, et les battements de son cœur qui pulsait imperceptiblement sous ses côtes. Il l'observait en silence. Il eut l'impression que Kaveh ne l'avait jamais laissé être aussi proche.
Qu'il souffre de le perdre aurait été totalement absurde, car il n'avait jamais été sien. Il le savait depuis longtemps, conscient de cela depuis le jour où ils ne s'étaient plus adressé la parole et avaient commencé à s'éviter lorsqu'ils n'étaient encore que deux jeunes étudiants, et le lien délicat qui s'était tissé entre eux aujourd'hui ne tenait que sur de frêles bases. Leur relation avait un terme prédéfini depuis le premier jour de ces impromptues retrouvailles, symbolisé par l'instant où Kaveh quitterait la maison d'Alhaitham pour aller vivre seul.
Il n'y qu'une seule chose à faire pour empêcher ça, pensa le scribe lorsqu'il lâcha les armes pour se perdre dans la torpeur enivrante du sommeil qui s'infiltrait dans les moindres recoins de son crâne, ceignant les paupières sur les silhouettes du mobilier qui dessinaient des formes géométriques dans le noir.
… C'est de le convaincre de rester.
§§§
La cuisine était baignée de la lumière pâle du lever du jour. Enveloppé dans une tunique large en chanvre, Kaveh était debout devant le plan de travail, versant un filet d'eau brûlante sur la poudre compacte et sombre des grains de café fraîchement moulus. L'arôme terreux et fruité flottait dans la maison, et Alhaitham le flaira avant même d'apercevoir son colocataire lorsqu'il quitta sa chambre à son réveil. En l'entendant arriver, l'architecte leva la tête. Il lui adressa un sourire timide en lui offrant une tasse du breuvage fumant.
Le scribe la porta à ses lèvres, le dos appuyé contre le rebord du bar. La saveur prononcée glissa contre sa langue et lui réchauffa l'intérieur du corps. Décidément, il ne s'en lasserait jamais. Kaveh fut le premier à prendre la parole, les doigts maladroitement enroulés autour de son verre et le regard bas.
« Je… J'ai emballé une partie de mes affaires. Je m'en vais à la fin de la semaine. »
Sa voix était basse, et ses iris vermeils fuyants sous ses longs cils. Il semblait embarrassé. Alhaitham posa son récipient sur le plan de travail dans un tintement de faïence étouffé.
« C'est soudain. Tu as trouvé un endroit où aller ?
-Non, enfin si, peut-être. Mais… »
Kaveh soupira. Il avala une gorgée de café avant de finir sa phrase pour se donner du courage. Toujours en évitant soigneusement le regard du scribe, dont l'épaule frôlait la sienne, il ajouta :
« … Après ce qui s'est passé l'autre jour, je… Je ne veux pas que tu te fasses une mauvaise opinion de moi. Enfin, pire qu'elle ne l'est déjà, je veux dire. Et j'ai assez abusé de ton hospitalité ici. »
Les sourcils argentés s'arquèrent légèrement.
« J'ai du mal à te suivre.
-Oh, ça va, c'est pas la peine de faire semblant… »
L'architecte leva les yeux. Son regard était incertain lorsqu'il croisa celui du scribe, impassible.
« Je sais que tu as hâte que je m'en aille, alors réjouis-toi, plutôt que de jouer à celui qui ne comprends pas.
-Il ne me semble pas avoir déjà mentionné le fait que je puisse avoir hâte que tu quittes cette maison.
-Tu le laisses très bien paraître, alors. » Lui renvoya Kaveh d'un ton sec. S'il se mettait à jouer avec ses nerfs alors que la journée venait à peine de commencer, ça n'allait pas le faire. Sentant la tension monter, Alhaitham préféra désamorcer.
« Calme-toi, Kaveh. Tu es en train de t'exciter tout seul. Tout ce que j'essaie de te dire, c'est que j'ai du mal à comprendre une décision aussi soudaine. »
Le blond se passa les mains sur le visage, écrasant ses paupières. Le long soupir qu'il poussa fut étouffé par ses paumes, plaquées de chaque côté de ses joues.
« Alors quoi, il faut que je te fasse un dessin ?
-Explique-moi juste ta façon de penser, ça devrait suffire. »
Kaveh resta silencieux un instant, puis se tourna vers la fenêtre à travers laquelle filtrait le bleu cristal du matin. Il décida de capituler. Après tout, l'esprit sagace d'Alhaitham ne le laisserait jamais en paix tant qu'il n'aurait pas obtenu ce qu'il cherchait, et il le savait.
« …Tout va mal, depuis la mort de mon père. J'ai l'impression que tout ce qui avait pu se construire de bien dans ma vie s'est complètement cassé la figure à partir de ce moment-là. »
Alhaitham l'écouta sans l'interrompre, silencieux. Kaveh continua, déballant toute la peine qu'il avait accumulée sans oser en parler durant ces nombreuses années. Que la solitude le rongeait depuis que sa famille s'était morcelée. Les mauvais choix qu'il avait enchaînés, entre la vente de la maison de ses parents et son investissement démesuré dans la construction du palais qui l'avait mis sur la paille. Et qu'à présent, il était condamné à errer entre la rue et le toit d'un type contre qui il passait son temps à se battre pour un oui ou pour un non et avec qui il couchait par dessus le marché. Rien n'avait de sens dans cette existence décousue, et il était épuisé.
« J'ai besoin de prendre un nouveau départ, ailleurs. Ma mère… Me manque, je voudrais la revoir. Je pensais aller à Fontaine mais elle a refait sa vie, là-bas. Peut-être même d'ailleurs qu'elle m'a déjà oublié, ou que je ne serai qu'une gêne pour elle comme je l'ai été pour toi. »
Une perle salée glissa sur sa joue pour s'écraser à ses pieds. Il murmura pour lui-même :
« Je crois que j'aurais préféré que l'avalanche m'emporte avec elle quand tout a commencé à dégénérer. Peut-être qu'à l'heure qu'il est, je serais aux côtés de mon père. »
Le scribe soupira. Il se décolla du plan de travail pour venir se planter en face de l'architecte.
« Tu te laisses encore envahir par tes émotions. » Kaveh redressa la tête, essuyant furtivement sa joue, fendue d'un sillon humide. Il allait protester, mais Alhaitham ne lui en laissa pas l'occasion. Il poursuivit : « Si tu veux partir, tu es libre. Tu as toujours été libre de faire ce que tu désires, mais tu te laisses enchaîner par les fantômes du passé. Tu es la seule chose qui t'empêche réellement d'avancer. »
Alhaitham marque une pause. Face à lui, Kaveh le regardait, les yeux ronds. Il s'était attendu à tout sauf à ce type de réponse.
« … Quoi ? » Articula-t-il finalement après plusieurs secondes, avant de secouer la tête. Voyant qu'il recommençait à s'embrouiller, le scribe trancha pour lui.
« Tu n'es pas obligé de quitter cette maison dans les jours qui viennent. Tu peux rester jusqu'à la fin du mois prochain, ou même encore plus que ça. Ça ne m'ennuie pas. Laisse-toi le temps de bien réfléchir. »
On a pas besoin d'être compris, mais soutenu. Cette ligne manuscrite dans le journal que lui avait laissé sa mère lui revient subitement en mémoire suite à la déclaration du scribe. À mi-voix, Kaveh accepta, avant de se cacher derrière sa tasse qu'il finit d'une traite, disparaissant ensuite de la vue d'Alhaitham dont le regard s'accrocha à la fenêtre triangulaire au revers de l'habit qui laissait apercevoir la descente de son dos.
§§§
Pour une fois, la nuit ne fut pas insoutenable. Un courant d'air frais s'infiltrait dans la chambre de Kaveh, le rideau en voile pendu à la fenêtre ondulant sous la brise. Seules les lumières oranges de la rue lui permettaient de deviner les formes du mobilier rendues incertaines par la pénombre de la pièce plongée dans le noir.
Un drap léger le couvrant jusqu'à la taille et le bras replié contre son cou, Kaveh laissait voguer son regard d'un coin à l'autre de la chambre. Son bureau, en face, jonché de parchemins et d'outils. Quelques meubles, sous la fenêtre, et une bibliothèque pleine à craquer d'ouvrages derrière lui.
Alhaitham avait beau être abominable quand il le voulait, ne savoir montrer que les pires facettes de sa personnalité et être le colocataire le plus exécrable qu'il ait pu imaginer, il n'avait pas tord, cette fois-ci, et le fait de devoir l'accepter piquait l'architecte comme si on lui avait violemment retiré un pansement sur une plaie à vif. Grommelant entre ses dents en se retournant pour s'enfouir totalement sous ses draps, il continuait à réfléchir malgré lui, son esprit en ébullition ne lui laissant aucun répit alors que ses yeux humides de fatigue imploraient le sommeil.
Il était son seul obstacle. C'était vrai, et il le savait. Seulement, il était tellement plus simple de rejeter la faute sur tout et n'importe quoi d'autre qui l'entourait plutôt que de traiter le problème à la source. Surtout qu'il était compliqué d'agir quand le problème était soi-même. Au fond, il n'avait jamais eu envie de tout plaquer à Sumeru pour repartir de zéro ailleurs, d'autant plus si les choses s'annonçaient insurmontables une fois de plus. Il aimait son travail d'architecte, même si la souffrance qui en découlait était proportionnelle à la fierté qu'il en retirait lorsque, une fois les travaux achevés après de nombreux mois, il avait la chance d'admirer sa création enfin terminée dans les rayons du soleil couchant du Port Ormos ou dans la lueur verte de la foret d'Avidya. Il était aujourd'hui l'un des principaux acteurs de la croissance de cette ville qui l'avait porté et vu grandir, cité luxuriante et tropicale qu'il était incapable de haïr malgré toute la peine qu'elle avait pu lui apporter par le passé. Même malgré la tristesse infinie qui l'avait rongé lorsque le désert avait avalé son père pour ne jamais le lui rendre, même malgré la peur qui lui tordait le ventre lorsqu'il n'avait nulle part où dormir et qu'il errait dans la pénombre des ruelles, Sumeru lui avait offert un trésor inestimable qu'il n'avait peut-être jamais su observer sous le bon angle pour être capable de l'apprécier à sa juste valeur.
Kaveh tourna la tête, juste à peine, pour poser son regard sur le mur qui séparait la chambre d'Alhaitham de la sienne. Cette pièce où il ne pénétrait presque jamais, toujours plongée dans un silence d'or quand lui grattait le papier de la mine de son criterium jusqu'aux heures les plus sombres de la nuit en se lamentant sur ces commissions qui lui volaient toute son énergie. Il éprouva la gêne fugace d'avoir si souvent été une source de désagréments pour le scribe, mais ne pouvait empêcher la chaleur caractéristique de ce sentiment de reconnaissance si contradictoire naître dans son cœur quand il revoyait tout ce que ce dernier avait pu faire pour lui durant ces longues années.
Peut-être que partir n'était pas la solution. Parce que peut-être que ce qu'il avait toujours cherché, pour être enfin heureux, ne se trouvait pas au bout du monde mais au seuil de cette porte silencieuse, qu'Alhaitham avait laissée entrouverte pour lui.
Fin
Merci d'avoir patienté pour cette partie II ! Eh, comme quoi, j'avais annoncé sur le blog qu'elle sortirait avant la fin du mois d'août, je suis dans les temps xD
Parlant du dit blog, je redeviens active dessus (le lien est toujours dans ma bio) où je poste des mises à jour concernant les sorties et des extraits de chapitres en cours ou de nouveaux textes à venir, alors n'hésitez pas à aller jeter un œil !
Je reviens très vite sur le fandom avec de nouvelles petites choses, j'ai réussi à bien me remettre à l'écriture, certes pas aussi régulièrement qu'avant mais qui sait, peut-être qu'avec un peu d'entraînement uwu…
Si jamais il y a eu des lecteurs sur cette fic, merci d'avoir lu mes lignes ! Les reviews se font aussi rare que l'eau dans le désert, n'hésitez pas à vous manifester, même juste un petit mot fait toujours super plaiz' (cœur)
À très vite 8)
