Restée seule dans le bureau avec le démon renard, Fangyue était plus passive que jamais. QingMing avait réellement pitié d'elle. Elle semblait si faible ainsi, si délicate. Elle avait maigrit et son teint s'était plombé. Elle ne prenait plus autant soin d'elle, et de loin.
"- Fangyue ?"
"- Vous allez faire tuer mon mari ?" Elle y était presque résignée.
"- Bien sûr que non, Fangyue. Il va juste avoir quelques heures au calme pour tempêter autant qu'il en a besoin et se calmer comme le gamin mal élevé qu'il est depuis hier.
Elle soupira de soulagement.
"- Merci Seigneur Anbei. Il est... difficile depuis quelques mois."
"- Avec raison, relativement, pour ce qui est de votre arrivée ici. Je peux comprendre qu'il cherche à protéger Boya mais son manque de respect est inapproprié. Vous, à l'inverse, vous désespérez lentement."
Elle baissa les yeux sur ses mains.
"- C'est ma faute."
"- Nous le savons tous les deux."
Elle ne tressaillit même pas qu'il sache ce qu'elle avait fait.
"- Quelle erreur ai-je commise, Seigneur Anbei? Je voulais juste ce que tout le monde a."
Le démon renard se rassit devant elle pour prendre ses mains dans les siennes. Malgré tout, il avait de la peine pour elle.
"- Il appartient aux épouses de suppléer aux faiblesses de leurs époux, Fangyue. Si j'avais su pour quoi vous souhaitiez étudier ce rituel lorsque vous me l'avez demandé, je vous l'aurais refusé. Zhong Xing sait qu'il y a quelque chose qui ne va pas avec He Shouyue. Mais invoquer un démon pour utiliser son essence pour procréer ? Tout ça parce que votre époux est stérile ? Vous auriez dû faire comme les dames de l'Est et embaucher un maitre de JingYun comme étalon."
La pauvre femme rougit affreusement.
"- Il n'y a pas que Zhong Xing de fautif."
"-... Ha." Si le couple entier était stérile... "Vous auriez pu adopter."
"- Je voulais Mon enfant."
"- Et vous vous retrouvez avec une créature qui n'est ni humaine, ni un démon. Ni même un demi-démon." Même pas comme lui. "Il a le corps d'un homme et l'âme d'un démon." Et pas le meilleur du panier garnit, en prime.
"- J'aurais dû l'étrangler à la naissance n'est-ce pas ?"
"- Vous avez décidé d'offrir au Démon Primordial une possibilité pour fouler à nouveau le monde des Hommes, Fangyue." Elle ne put retenir un sanglot. "Et pourtant, malgré tout, vous avez peut-être réussit quelque chose que personne n'imaginait possible : contrôler et apaiser ce monstre."
"- Seigneur Anbei ?"
"-Vous n'avez pas compris ? He Shouyue à l'âme du Premier. Mais le corps du Premier est devenu son shishen. Vous avez réussi, je ne sais comment, sans doute par l'accident le plus cocasse de l'univers, à scinder en deux la puissance du Démon Primordial et à l'enfermer dans le corps fragile d'un humain et d'un démon "normal" de l'autre. Les deux se sont retrouvés bien sûr. Il n'aurait pu en être autrement. Mais ils ne peuvent redevenir "un". Et si ce que mes espions me rapportent est juste, votre fils est en train de devenir, ho certes pas un homme bien, il ne le sera jamais. Mais un humain fonctionnel qui est en train de trouver sa place dans l'univers."
Fangyue fondit en larmes.
"- Mon bébé va bien ?"
"- Aussi bien qu'il le peut dans la circonstance qui est la sienne. Et très honnêtement, je ne serai pas si étonné qu'il parvienne à devenir chef de JingYun un jour. Il est assez fourbe et mesquin pour ça." Et malgré ce que He Shouyue était, il était malgré tout un meilleur humain que le Zongzhu de l'Est actuel! Il y avait vraiment quelque chose de pourrit à la capitale.
"- Seigneur Anbei, Pourriez-vous lui transmettre une lettre de ma part?"
"- Bien sûr." Zhong Xing refusait de contacter leur fils directement.
Fangyue se perdit encore longuement en remerciements pendant que le renard tentait gentiment de la calmer.
Zhong Xing était assis par terre entre deux jeunes Shi. Le plus jeune devait avoir douze ans. Il n'arrivait pas à savoir si c'était un garçon ou une fille. Le plus vieux devait en avoir quatorze. Pourtant, l'adulte savait que s'il protestait, chef de secte ou pas, ils le tueraient ou mourraient en essayant.
Tuer un des chiots courant de QingMing le mettrait encore plus dans la panade qu'il ne l'était déjà aussi Zhong Xing restait-il à genoux sur le sol en marmottant entre ses dents. Les deux gamins s'amusaient à jeter des cailloux dans le lac jusqu'à ce que le lac les leur renvoient en
pleine figure. Ils éclataient alors de rire en les évitant de leur mieux. Ils avaient quelques bleus et bosses mais s'en fichaient totalement.
"- Vous avez mis le Seigneur Anbei en colère, vous savez ?"
"- J'ai cru comprendre." Il était au coin. Le puissant chef de secte était au coin, comme un môme. C'était plus insultant que si le renard l'avait frappé ou même tué.
"- Il ne ferait jamais de mal à Anbei Furen."
"- Vous savez que c'est une vaste fumisterie n'est-ce pas ?" Les deux adolescents eurent le même sourire fou.
Leur père était le quatrième général de leur Seigneur depuis qu'il avait leur âge ou presque. Ils le connaissaient tous plus intimement que beaucoup. Rien de tendancieux bien sûr ! Mais la plus part des Shi étaient simplement élevés dans les robes de leur Seigneur. Lorsque QingMing aurait ses propres petits, les plus jeunes Shi seraient affectés dès le berceau aux renardeaux nouveau-nés.
"- Vous avez des yeux, mais vous ne les utilisez pas. Vous avez des oreilles, mais elles sont fermées. Vous avez un nez mais il ne sent rien. Vous êtes un idiot d'humain." Sentencia le plus jeune des deux assassins avant de tirer une sucette de ses robes et de la coller dans le bec.
Zhong Xing leur jeta un regard dégouté autant qu'effrayé. Le Seigneur Anbei était raisonnable en général. Pour un démon. Mais le Seigneur Anbei n'avait aucun problème à faire de jeunes humains des assassins avant même qu'ils ne perdent leurs dents de lait. Il était trop aisé d'oublier que QingMing n'était pas un gentil. Il était un mal nécessaire que l'Empire acceptait parce qu'ils n'avaient ni la force, ni le courage de le mettre à bas.
"- Ca y est ? Vous vous calmez ?"
"- Je ne peux pas sauvez Boya n'est-ce pas ?"
"- Le sauver de quoi ? d'un époux aimant et protecteur ?"
"- Boya ne s'intéresse pas aux males !"
"- Le Seigneur Anbei peut être tout ce que Anbei Furen a besoin, ou envie, qu'il soit." Balaya l'adolescent de douze ans avec un geste négligeant de la main.
Zhong Xing crispa un peu. L'idée qu'un enfant aussi jeune soit déjà au courant des choses du sexe le heurtait profondément.
"- Boya ne l'aime pas."
"- Ho si !" Contra Sha ShengShi en s'asseyant près du chef de secte. "Il n'est sans doute pas
amoureux. Pas encore. Peut-être jamais. Mais il l'aime. S'il ne l'aimait pas, il ne le laisserait pas se coucher sur ses genoux. Il ne tolèrerait pas qu'il l'assoit sur les siens. Il n'accepterait pas davantage de jouer le rôle de Anbei Furen. Il lui fait confiance. Et pour Yuan Boya, c'est similaire à l'aimer. Vous aussi il vous aime. Et Dame Fangyue aussi. Et son shixiong. Et ses shidi. Ou moi. Il aime comme il combat et comme il vit : avec absolu, abandon et détermination. Une fois qu'il a donné sa confiance, il donne son cœur. C'est pour ça que JingYun lui a fait si mal. C'est pour ça que He Shouyue l'a blessé si fort. Boya est un extrémiste. Comme le Seigneur Anbei."
Zhong Xing resta silencieux un long moment, incapable de trouver quoi répondre.
Il le savait.
Boya était un extrémiste effectivement. Il aimait comme il avait chassé. Avec abandon et délectation. Sinon, il n'aurait pas pu s'accrocher à la vie comme il l'avait fait lorsqu'il n'avait plus rien
He Shouyue frottait le sol avec énergie.
Il n'avait pas bronché lorsque son regard avait croisé celui de l'assassin qui venait d'égorger le sénior de JingYun. Son sourire froid et satisfait était même ce qui avait probablement épargné sa propre vie. Le cadavre avait glissé du chemin de ronde pour tomber des centaines de mètres en contrebas. Personne ne le trouverait avant longtemps. Surtout s'il ne restait pas une goutte de sang sur la pierre.
He Shouyue finit de nettoyer, jeta l'eau souillée par-dessus le rempart, cacha sous ses vêtements le chiffon encore souillé qu'il brulerait dès que possible puis rentra dans le temple par les couloirs dédiés au domestiques et aux esclaves. Comme eux, il fêtait la mort de chaque maitre, ancien ou sénior un peu trop violent qui s'en prenait à eux pour le plaisir quand ils le pouvaient.
A son propre étonnement, le jeune homme se prenait à apprécier ces gens de peine qui jetaient sur les "dignes cultivateurs" un regard aussi dégouté que pragmatique. Certes ils étaient capables de faire des trucs qui ne seraient jamais à leur portée. Mais ils étaient aussi quasi tous des salauds et des bâtards. Les voir mourir était un plaisir. Les savoir avoir peur était délectable. Les voir récolter la monnaie de leur pièce était un soulagement.
Il n'y avait que deux ou trois lignées qui étaient supportables à JingYun: Yuan, Lan et une branche qui était enchainée dans les bureaux, trop cachés, protégés et enfermés tout à la fois pour avoir la chance de parvenir à racheter leur "liberté". Les plus intelligents faisaient peur après tout. Les Wei étaient des alliés potentiel pour les deux autres. S'ils arrivaient à se faire confiance.
He Shouyue se débarrassa du chiffon, prit le plateau de thé pour son maitre et ses élèves puis remonta vers ses appartements pour le servir.
Il le laissa boire en silence.
"- Rapport."
"- Jin Chen est mort."
"- Triste pour lui. Autre chose?"
"- Il y a des champignons pour le diner."
"- Hmmm." Donc pas de diner dans le réfectoire ce soir. Les accidents étaient trop fréquents avec les champignons. "C'est tout ?"
"- C'est la pleine lune ce soir." Nombreux seraient les disciples à boire plus que de raison pour tenter d'oublier leur vie de misère.
Yuan Tànli hocha la tête. Il fouilla dans sa bourse pour en sortir un copeau de cuivre qu'il lança à He Shouyue.
"- Passe au ravitaillement. Et offre toi quelque chose qui te fasse plaisir."
He Shouyue resta stupéfait. Il enfourna la petite pièce sous ses vêtements et se prosterna comme jamais. Il avait gagné cette pièce. Il l'avait gagné non pas pour rembourser sa dette mais il l'avait gagné pour son travail, parce que son maitre était satisfait de lui.
Avant il aurait été outré de la minuscule pièce. Maintenant, il était reconnaissant comme jamais il ne l'avait été.
Pour la première fois de sa vie sans doute, He Shouyue était... fier de lui-même. Et même si la cause était sordide, il était fier quand même. La seule fois où, de mémoire, il avait été presque aussi fier, était lorsqu'il avait réussi à faire sans erreur les quelques danses d'épée que Boya lui avait appris.
Il serra la pièce dans son poing. Il allait acheter quelque chose, oui. Et il allait demander à son maitre s'il pouvait l'envoyer à Boya avec une lettre. Tant pis si ça lui coutait une semaine ou deux de travail. Il voulait… Il voulait tendre un rameau d'olivier entre eux. Il voulait que Boya le pardonne.
C'était important pour lui. Il voulait trouver le moyen de regagner. Non, de gagner le respect de Boya.
Ou a défaut, au moins son indifférence.
C'est un Zhong Xing calmé et presque penaud qui rejoint la salle banquet où s'étaient rassemblés les nordistes. QingMing avait abandonné Boya à son temple pendant qu'il allait gémir de son abandon cruel dans les jupes de Mi Chong qui le laissait faire avec amusement en lui tapotant la tête. Xue TianGou et Kuang HuaShi allaient rouler les yeux très fort avant de se moquer tout aussi fort. Le repas se terminerait sans doute avec les deux vieux esprits et le tout aussi vieux renard très occupés à se taper dessus dans les jardins comme ils le faisaient souvent pour s'amuser. Leur relation était à minima fraternelle.
Lorsque Zhong Xing s'assit près de son épouse, il était évident qu'elle avait pleuré. Pourtant, il la sentait plus calme aussi. Plus apaisée que depuis le départ de leur fils.
Le chef de secte pourrait au moins remercier QingMing pour ça. Fangyue mangeait également avec plus d'appétit que depuis bien longtemps.
En tête de table, à la place d'honneur, Boya tentait de régner sur ses petits shidi qui refusaient de s'éloigner de lui. Zhuque les regardaient s'agiter avec suspicion. Le phénix n'avait rien contre les petits, mais ceux-là étaient bien agités. Et possessif. Et envahissant.
Irrité, Zhuque finit par leur caqueter au nez. Il prit sa place dans le giron de son maitre pour leur couaquer au nez encore un peu jusqu'à ce que la petite main de Boya se pose sur son dos.
"- Allons, Zhuque. Ne soit pas mesquin avec mes poussins.
Le dieu-gardien lui jeta un regard noir mais cessa de réclamer trop fort. Il accepta le bout de viande que Boya lui offrit avec ses baguettes mais il continuait à surveiller les enfants.
Le shixiong de Boya avait un large sourire. Il aimait la possessivité du premier shishen de son jeune frère. Il en avait besoin.
"- Penses-tu revenir un jour au Yin Yang, Boya ?" Finit par demander le handicapé.
La question jeta un trouble sur Boya. Son premier réflexe était de répondre oui, bien sûr ! Mais en même temps... Il était heureux ici.
"- Je... Sans doute."
"- C'est encore trop dangereux de toute façon." Coupa Zhong Xing. "JingYun a été jusqu'à recruter le trône pour te récupérer. Un fonctionnaire est venu pour toi. Je ne fais aucune confiance à ces bêtes-là. Tu es plus en sécurité ici, Boya. Ta place est avec nous. Mais pour l'instant, tu dois rester ici."
Boya était partagé.
D'un côté, alors qu'il attendait de partir au plus vite quelques semaines plus tôt, il se retrouvait à vouloir rester où il était maintenant que la possibilité de partir se rapprochait.
De l'autre, il voulait retourner au Yin Yang. Il voulait solder ses comptes avec JingYun et en même temps, il était terrorisé.
Boya se frotta le visage un instant. Une douleur fantôme qu'il n'avait pas ressenti depuis bien longtemps lui éclata dans les yeux. Il dut se retenir de sortir son dizi pour jouer son Nom et ainsi soulager sa douleur autant que son angoisse.
Le jeune chasseur se mordit l'intérieur de la joue quelques secondes.
"- Je vois. J'espère que j'aurais encore ma place parmi vous lorsque je pourrais sereinement rentrer au temple." Souffla doucement le jeune homme.
Fangyue ne put se retenir davantage. Sans se soucier des caquètements d'outrage de Zhuque, elle prit Boya dans ses bras comme un petit.
"- Tu seras toujours le bienvenu chez toi, Boya. Tu n'es pas responsable. De rien." Ni de He Shouyue, ni de JingYun... De rien.
Les enfants sautèrent à nouveau sur leur shixiong, enterrant Zhuque sous leur envahissante présence jusqu'à ce que le dieu-gardien se dégage pour prendre sa forme réelle et cacher Boya sous ses ailes.
"- MAIS C'EST FINIT OUI ?"
Les gosses piaillèrent de plaisir. UNE PELUCHE GEANTE ! Le pauvre phénix se retrouva noyé sous les six gamins exigeants qui voulaient le papouiller. Lui qui n'avait jamais eut qu'une vie solitaire depuis qu'il était devenu un dieu ne protesta pas très longtemps sous leurs caresses et leur affection. C'était bien plus efficace pour lui donner du pouvoir que des cérémonies et de l'encens.
Boya était une fois de plus épuisé.
La journée avec ses shidi avait été un plaisir mais il n'avait plus l'habitude d'avoir autant de petits près de lui.
Pour l'instant, ils dormaient paisiblement dans la chambre d'ami de ses appartements avec les séniors qui s'occupaient d'eux.
La nuit avait à nouveau envahis le Domaine Intérieur.
Comme souvent, Boya était sur sa terrasse à profiter de son bout de lac.
Weilan le surveillait de loin.
Il était rare que Boya boive. L'envie de se saouler ce soir avait été si forte qu'il n'avait pu y résister. Il se connaissait assez pour savoir qu'il avait au mieux l'alcool triste, au pire méchant. Aussi avait-il demandé à sa nounou/assassin personnel de rester pas trop loin pour le ramasser à la petite cuillère et le mettre au lit quand il serait complètement cuit.
Boya était déjà bien partit pour y arriver rapidement, d'ailleurs.
Avachi sur la terrasse, un pied dans l'eau, il pestait après tout et rien que ce n'était pas juste.
Weilan riait en silence de l'entendre se plaindre de l'univers.
Boya cessa soudain de hurler contre le vent. La bouteille encore à moitié pleine qu'il avait à la main roula sur le sol.
Weilan s'approcha sur la pointe des pieds pour s'assurer qu'il était inconscient mais le regard mort du chasseur fixait encore le ciel. Son troisième œil louchait quelque peu.
"- Anbei Furen ?"
"- J'suis bourré héhéhé."
"- C'est une ivresse d'un fort beau gabarit." Confirma l'assassin.
"- Mais pas assez. Vous êtes que un.
Weilan s'accroupit près de l'humain. S'il était encore semi-conscient, il n'aurait sans doute même pas pu se mettre assis.
"-Vous êtes assez ivre pour aller vous coucher ?"
"- Bof."
"- Vous avez avalé trois bouteilles."
"- QingMing peut boire plus."
"- le Seigneur Anbei est un renard démon."
"- C'est un petit con poilu qui a un trop beau cul pour mon bien et des queues bien trop douces."
Weilan frissonna. Il releva les yeux pour croiser le regard du Seigneur démon qui observait la scène depuis sa propre terrasse, de l'autre côté du lac. Le renard sauta sur le toit puis de quelques bonds légers vint se placer près de son serviteur. Boya était trop cuit pour réellement se rendre compte de sa présence. Si tant est qu'il la réalisait, il ne s'en souviendrait plus au matin.
"- Je m'occupe de lui, Weilan. Tu peux y aller."
L'assassin hésita mais finit par s'incliner. Il sauta sur le toit pour s'écarter mais QingMing savait qu'il restait à portée de voix. Son seigneur lui avait donné Anbei Furen comme charge et il le protègerait de son mieux. Même contre son seigneur s'il le fallait.
"- Pourquoi as-tu eux besoin d'abuser ainsi de la bibine, Boya." Ce n'était qu'un murmure.
Le chasseur plissa les yeux pour mieux voir le renard. Il mis visiblement quelques minutes avant de comprendre qu'il ne voyait toujours rien. Son troisième œil était chassieux à cause de l'alcool au point qu'il ne voyait pas davantage de là. Avec un grognement, il roula de son mieux sur le ventre, une main tendue jusqu'à attraper à tâtons une queue du renard-démon pour la tirer vers lui.
QingMing le laissa faire avec amusement. Lorsque Boya s'enroula autour de l'appendice duveteux pour l'utiliser à la fois comme doudou, oreiller et couverture, s'en fut trop pour le renard démon. QingMing s'accroupit près de lui pour le soulever une fois de plus dans ses bras. Cette fois néanmoins, il ne passa pas parmi les interminables couloirs de la maison pour porter Boya chez lui, mais passa simplement par le lac jusqu'à ses appartements. Boya s'était recroquevillé dans ses bras. Il s'accrochait à ses robes, la joue contre son torse.
"- Je veux pas partir." Marmonnait le chasseur.
"- Personne ne vous forcera à partir, Boya. Moi encore moins que les autres."
"- Je comprends pas"
"- Je sais. Mais vous avez votre place ici. Vous êtes Anbei Furen après tout."
"- Pfff. On est pas marié."
"- Ca peut s'arranger."
"- Mmmm. Le rouge me va pas au teint… Tu sens bon, Mingming…."
QingMing se figea soudain lorsqu'il sentit la langue de Boya sur sa gorge. Le chasseur semblait déterminé à le rendre fou.
Le renard ravala soudain son air, les doigts crispés sur le taille de Boya et les yeux écarquillés.
Boya avait… il venait…
Il l'avait mordu…. Boya venait de le mordre. Du sang coulait dans son cou là où Boya venait de le mordre assez fort pour que la cicatrice prenne. Surtout avec autant de qi dans la plaie.
"- B... Boya ?"
Mais l'humain avait avalé une gorgée de sang et s'était endormit, repu, dans les bras du seigneur démon sans réaliser une seule seconde ce qu'il venait de faire.
Le cœur du démon battait si fort qu'il l'entendait résonner dans ses oreilles.
QingMing voulait hurler.
Pour une fois dans sa vie, il fit fi de toute retenue. Boya l'avait marqué le premier il en subirait les conséquences.
Le renard-démon enfonça ses crocs à la jointure de l'épaule de l'humain puis lécha la plaie jusqu'à ce que celle de Boya comme la sienne aient disparues, remplacées par des cicatrices qui marquaient le lien bien établit mais encore étouffé entre le couple. Même si Boya ne s'en souvenait jamais, même s'il ne le voudrait jamais, QingMing avait quelque chose qu'il n'aurait jamais espéré. Qu'il soit le seul à le savoir n'était pas si important. Le lien resterait de toute façon endormit jusqu'à ce que Boya l'accepte et lui permettre de s'ouvrir.
Pour QingMing, juste savoir qu'il était là était suffisant.
Pour l'instant.
Boya était à lui.
Pour les détails, il verrait plus tard. Ils avaient le temps maintenant.
Le Seigneur Démon glissa Boya sous ses couvertures. Il s'allongea près de lui pour dormir avec l'humain dans ses bras tout en se gorgeant de son odeur.
Il savait que ce serait les cris de Boya qui le réveilleraient le lendemain.
Tant mieux.
Le Domaine entier semblait ronronner de contentement lorsque Zhong Xing quitta les bras de son épouse. Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait pas été aussi amoureuse. Quoi qu'elle ait pu discuter avec le seigneur Anbei lui avait fait un bien fou. A sa grande honte, le chef de secte en était un peu jaloux. Pourquoi le renard savait-il toujours mieux que lui comment soulager son épouse, hein? Et qu'il soit plusieurs fois millénaire n'était qu'une excuse !... N'est-ce pas ?
D'accord, Zhong Xing était jaloux et ridicule. Mais entre Boya et son épouse, comment voulait-on qu'il soit de bonne humeur ? S'il avait pu, il serait venu avec Seimei pour le lâcher à la gorge du renard.
Pour le principe.
De tout le Yin yang, le vieux maitre était probablement le seul à pouvoir tenir tête au seigneur démon. Les voir s'entredéchirer pour Boya aurait satisfait quelque chose de profondément mesquin chez Zhong Xing.
D'accord, la mesquinerie de son fils ne venait pas de nulle part. Ha et flute ! Qu'on arrête de l'embêter si tôt le matin ! Il était vieux et il avait mal à ses jambes.
"- Qu'avez-vous à tempêter si fort de si bon matin, mon ami ?" Zhong Xing jeta un regard écœuré à son épouse.
"- Je proteste contre l'univers. N'ai-je pas le droit ?"
"- N'avez-vous pas assez geint contre le monde ces derniers temps?"
"- Tout le monde est contre moi."
"- Quand vous vous comportez comme un enfant de cinq ans, je n'en doute pas une seconde."
Le chef de secte fit la moue tant et si bien qu'il se mis à mâchonner sa moustache sous le rire moqueur et affectueux de Fangyue. Il aurait voulu savoir pourquoi elle était si heureuse ce matin mais ne voulait pas la troubler. Il préférait rester ignorant si c'était pour voir sa belle princesse aussi joyeuse.
Lorsqu'on serviteur vint les inviter à déjeuner, ils se préparèrent rapidement pour rejoindre ce qu'ils pensaient être QingMing ou Boya.
Zhong Xing fut surpris qu'on les conduise dans une aile de la Maison qu'ils n'avaient pas encore visités jusque-là.
Deux esprits les y attendaient sur une petite terrasse avec du thé et un petit déjeuner complet.
"- Zhong Xing, Fangyue, venez déjeuner avec nous voulez-vous ?"
Les deux esprits étaient habillés avec une décontraction presque exagérée. Leur relation était à l'étalage avec un manque de retenue presque agressif qui ne pouvait que vouloir dire quelque chose.
Le couple d'humains les rejoint sur la terrasse pour déjeuner.
"- Comment trouvez-vous l'évolution de notre Furen ?"
"- … Je trouve cette situation toujours profondément perturbante." Soupira Zhong Xing.
Il n'arrivait même carrément pas à l'accepter. Il avait peur pour Boya. Comme il ne pouvait de toute façon rien y faire, il ne pouvait qu'attendre. Si le jeune homme avait besoin de lui, il serait là. Au moins un peu.
Les deux esprits échangèrent un coup d'œil.
"- Ne vous inquiétez donc pas pour Boya. Il sait parfaitement tenir la dragée haute à QingMing. Parlez-nous plutôt des problèmes que vous cause l'empire."
"- Ce ne sont pas de réels problèmes. Pas pour l'instant. Pas vraiment."
Zhong Xing se tortillait sur son coussin, vraiment mal à l'aise.
"- Si vous nous disiez ce qui vous gêne à ce point, Zhong Xing."
Le chef de secte soupira doucement.
"- Je crois… que je suis un peu jaloux. Boya s'adapte si bien ici. Et je n'ai pas réussi à lui offrir l'environnement protecteur dont il avait besoin et qu'il mérite. Et c'est un démon qui a réussi à le lui offrir." Alors oui, jaloux, c'était une bonne description.
"- Laissez nous vous raconter une journée ordinaire de Boya. Vous en serez tout de suite moins jaloux. Si Boya se permettait de vous traiter comme il traite QingMing, vous le feriez mettre aux fers." Rit doucement Xue TianGou. Ses ailes frémissaient d'amusement. "Ils vont bien ensembles."
Zhong Xing se renfrogna visiblement. Il ne voulait pas qu'ils aillent bien ensembles. Et en même temps, il le voulait.
Pfff. Pourquoi était-il autant partagé ? C'était épuisant.
