Nouveau chapitre, on approche de la fin. Je sais enfin où je vais exactement !

Chapitre 7

Aux mains de l'ennemi

Lebeau avait réussi à faire boire quelques gorgées de soupe de brocolis à Newkirk sans que celui-ci ne vomisse immédiatement après. Il l'avait ensuite laissé se reposer, mais cette victoire, si petite soit-elle, avait mis le cuistot de bonne humeur et il s'était remis aux fourneaux en sifflotant. Il lui restait quelques pommes de terre et il les utilisa avec les brocolis pour faire une soupe plus épaisse.

Welsh, White, Denis, l'homme qui avait pris leur défense le matin même, et deux autres anglais étaient attablés et n'avaient fait aucune remarque à Lebeau quant à sa cuisine. Ils avaient supposé que le français préparait encore quelque chose pour remettre Newkirk sur pieds et avaient été plus que surpris quand ce dernier apporta la casserole fumante sur la table.

- Je n'ai pas d'assiettes, s'excusa le cuisinier, et ce n'est pas grand-chose, mais vous pouvez utiliser vos tasses.

Il fallut quelques secondes à White pour réagir et finir son café avant de tendre sa tasse de façon hésitante vers le français qui y versa une demi-louche de soupe.

- Mais Newkirk ? s'enquit-il. Il n'en aura pas besoin ?

Lebeau haussa les épaules.

- J'en ai encore un peu de côté. Avec ce qu'il mange, ce sera suffisant pour le moment. J'ai pensé… qu'avec ce qu'on nous donne à manger, il risque de ne pas être le seul à tomber malade.

En réalité, il n'y avait pas prêté attention auparavant, trop aveuglé par le ressentiment, mais les jeunes soldats qu'il avait devant lui avaient tous clairement besoin de bons repas pour se remplumer un peu. Et s'il ne pouvait pas leur offrir un déjeuner digne de ce nom, Lebeau ferait tout de même ce qui était en son pouvoir pour ne pas les laisser mourir de malnutrition. Cette guerre était déjà bien assez moche comme ça. Et puis, après tout, certains d'entre eux avaient fini par prendre son parti et celui de Newkirk.

- Merci Lebeau.

Le jeune anglais était sincère et cela fit sourire Lebeau. Pas plus cependant que le compliment qui suivit.

- C'est délicieux.

Les autres hommes ne se firent pas prier, certains se levant pour aller chercher une tasse avant de la tendre à Lebeau avec empressement. Tous le remercièrent chaleureusement de son geste.

-Qu'est-ce que c'est que ce grabuge, dehors ? se demanda Lebeau.

Il pouvait entendre des Allemands crier des ordres et des véhicules. Quand il ouvrit la porte du baraquement dans l'espoir de voir ce qu'il en était, il faillit entrer en collision avec Williams qui fit mine de ne pas le voir et le bouscula tout de même pour la forme. Il était suivi de ses deux camarades et marqua un arrêt en sentant l'odeur de la soupe dans l'air et en voyant ses hommes siroter le breuvage.

Il claqua rageusement de la langue et s'en retourna vers ses quartiers.

- Eh Sergent ! l'interpella l'un des Anglais que Lebeau ne connaissait pas encore de nom. Qu'est-ce qu'il se passe ?

- Les boches reçoivent le gratin. Un général Burkhalter et un colonel à l'allure de fouine. Ils nous font tous rentrer dans les baraquements et nous appelleront plus tard pour nous exhiber comme des bêtes de cirque. Tenez-vous prêts. Et faites en sorte que celui-là tienne debout, rajouta-t-il avec un regard mauvais pour Newkirk qui, réveillé par l'agitation, s'asseyait sur le bord du lit.

- Est-ce que ça va, Newkirk ? lui demanda Lebeau en ignorant Williams et en se rapprochant du malade.

- Ça… va un peu mieux. Répondit prudemment Newkirk en pliant ses doigts plusieurs fois comme pour évaluer la douleur de ses articulations.

Il n'arrivait pas à regarder le français dans les yeux et à simplement le remercier. Il n'avait plus l'habitude que quelqu'un se soucie de son bien-être sans arrière-pensée. La gratitude était un sentiment nouveau pour lui.

- Tiens Newkirk, dit le jeune irlandais, Welsh, en lui mettant une tasse sous le nez. Lebeau a fait de la soupe et elle est vraiment bonne.

Il attrapa doucement la tasse chaude et but quelques gorgées prudemment. La chaleur se répandit jusqu'à son estomac et ce dernier ne sembla pas vouloir se rebeller. Il soupira d'aise, ignorant qu'il était au centre de l'attention de la baraque. Il sursauta en sentant le dos d'une main sur son front.

- Encore chaud, maugréa Lebeau.

- Mais plus aux portes de la mort ? rétorqua Newkirk en ne plaisantant qu'à moitié.

- Tout ira bien, se surpris à le rassurer Lebeau en lui serrant l'épaule.

Le caporal leva les yeux vers lui et lui sourit, un véritable sourire sans douleur ni méfiance qui réchauffa le cœur de Lebeau. Et voilà ! Il avait suffi qu'il décide, une fois, une seule, de se mêler de ce qui ne le regardait pas pour finir par se sentir responsable du bien-être de cet irritant Anglais. Ce séjour au camp était bien différent de ce qu'il avait pensé en passant les murs barbelés pour la première fois. Il ne serait finalement pas aussi seul qu'il l'avait cru et pourrait peut-être même se faire un ami de cet idiot. Et cette pensée, étrangement, lui mettait du baume au cœur.

L'atmosphère encourageante changea du tout au tout quand un soldat allemand vint leur ordonner de sortir au pas de course pour la revue quelques heures plus tard. Cinq minutes plus tard, les prisonniers étaient en rang devant leur baraquement, stressés par la demande inhabituelle. Il y avait généralement un appel le matin et un autre le soir, c'est tout. Williams étant l'officier supérieur des prisonniers de guerre, il était responsable de la bonne tenue de ses hommes et les avait obligés à se tenir à un ordre précis. Lebeau n'avait rien pu faire quand le sergent avait attrapé Newkirk par le bras pour le placer entre White et Stevenson, loin de son garde du corps autoproclamé. Le français n'avait rien pu faire. Le commandant Baum et ses invités approchaient et il ne voulait pas créer de problème. S'il était mis aux arrêts, il ne pourrait plus aider Newkirk.

Ce dernier avait l'air mal à l'aise à côté de Stevenson, mais Lebeau se rassura en se rappelant que le jeune White avait déjà pris la défense de Newkirk et qu'il pourrait le refaire au besoin.

- Tss Tss, fit le général allemand en observant les hommes alignés devant lui. C'est avec ça qu'ils pensent défaire la toute-puissance de l'Allemagne ? Des enfants pour la plupart, pas capables de se présenter avec un uniforme correct. Voyez, Klink, j'attends de vous que vous repreniez tout cela en main.

- Bien sûr, général Burkhalter, acquiesça exagérément le colonel, Klink, en réajustant son monocle.

Au regard sombre du commandant Baum, il se fit plus petit et ajouta :

- Je suis certain que le colonel Baum a tenu ce camp d'une main de fer, je saurais en être le digne successeur.

- Mmm, marmonna Burkhalter sans sembler convaincu.

Ils allaient contrôler un autre baraquement quand Stevenson profita de l'inattention des Allemands pour donner un violent coup de coude dans l'estomac de Newkirk. Surpris, ce dernier ne put contenir la douleur ni la nausée qui le prit soudainement. Il tomba à genoux et déversa tout le contenu de son estomac à quelques centimètres seulement des bottes du général qui recula avec dégoût.

- Baum ! Qu'est-ce qui ne va pas avec cet anglais ?!

Le colonel Baum était livide.

- Je ne sais pas, mon général. Sergent Williams !

Le sergent qui avait bien du mal à dissimuler son rictus triomphant prit son air le plus peiné pour répondre.

- Aucune idée, commandant. Il n'avait pas l'air en forme ce matin, peut-être a-t-il attrapé quelque virus ?

A la mention d'une maladie, Burkhalter et Klink reculèrent comme un seul homme. Seul Baum resta stoïque, fixant Williams d'un œil dur. Il n'était pas idiot et avait bien remarqué que l'anglais ne tenait que difficilement debout depuis sa sortie du cachot. Il se demandait à quoi Williams jouait, mais en réalité, ce n'était plus son problème et quand bien même le caporal Newkirk mourait dans la minute, cela ne l'empêcherait pas de dormir.

- Emmenez cet homme à l'infirmerie, ordonna Burkhalter à l'un de ses soldats sans cacher son dégoût.

Lebeau, qui s'était retenu d'intervenir jusque-là, sut que ça allait mal tourner dès la mention de l'infirmerie.

- Non, non, non, répéta en boucle Newkirk en essayant de se relever. Je vais bien.

Le soldat allemand ne l'écouta pas. Il avait ses ordres et attrapa l'anglais sous l'aisselle pour le mettre debout. Il ne s'attendait pas à être repoussé avec autant de violence et manqua de se retrouver, lui aussi, à terre. Il ne pouvait pas se faire ridiculiser ainsi devant son commandement et appela l'un de ses collègues en soutien. Il entendait emmener ce prisonnier à l'infirmerie et il utiliserait la force s'il le fallait. White voulut intervenir pour relever Newkirk, mais celui-ci ne faisait plus la différence entre ses alliés et ses ennemis, pas dans l'état de panique dans lequel il se trouvait. Le sang de Lebeau ne fit qu'un tour. Si Newkirk ne voulait pas aller à l'infirmerie, il avait sûrement une bonne raison. Il se jeta à la défense de son ami, seulement pour être arrêté par Denis. L'homme était beaucoup plus grand et plus fort que Lebeau, il n'avait pas une chance de se dégager.

- Ça ne va pas l'aider, le français, si tu te retrouves au frigo.

C'était vrai. Lebeau essaya de se calmer et de calmer son cœur qui se serrait en voyant les deux Allemands traîner un Newkirk en proie à une panique fébrile vers l'infirmerie.

Le général continua son inspection comme si rien ne s'était passé et cela mis Lebeau en colère. Qu'est-ce que valait la vie d'un homme pour ces gens ?