Chapitre 2 : Ervyn


Le soir même, un texto de Ervyn Logan ne tarda pas à arriver dans les messages d'Alec. Ce dernier était en train de lire un livre, dans son canapé. Daisy était sortie chez Chloé le laissant seule à la maison. C'était un de rares moments il ne faisait rien en réalité. Le son de notification de son téléphone l'alerta alors.

Numéro inconnu : Hello, c'est Ervyn Logan.

Alec mit ses lunettes et enregistra le numéro d'Ervyn.

AH : je suis désolé, ma fille vous a donné mon numéro.

EL : je sais, elle a enregistré votre prénom avec le numéro :)

AH : Avez-vous besoin de quelque chose ?

Alec ne savait pas vraiment quoi lui dire, il était juste pressé de déposer son téléphone et de retourner dans son livre.

EL : en fait, non, c'est juste que je me rends compte à quel point c'est effrayant d'arriver dans une ville qu'on ne connait pas…je voulais en parler à quelqu'un

AH : je peux comprendre

EL : vraiment ?

AH : en fait, je suis arrivé à Broadchurch, i ans

EL : et vous y êtes restés

AH : oui, j'ai fini par m'y plaire

EL : Qu'est-ce qui vous plait ?

AH : des trucs

EL : Est-ce que je vous ennuie ? Je peux vous laisser si vous le voulez.

Le message n'avait rien de déplaisant, mais Alec était certain que ses propres réponses avaient une certaine froideur pour obtenir une telle réaction. Il avait promis qu'il fournirait un effort pour Daisy, donc il se reprit.

AH : Non pas du tout, c'est juste que je n'ai pas l'habitude de converser avec quelqu'un par texto.

EL : Est-ce que vous préférez qu'on se voie ?

AH : quoi maintenant ?

EL : ce n'est pas possible ?

Il jeta un œil à l'heure. Il était juste 20h30, les bars et les restaurants étaient encore ouverts et il ne prendrait que cinq minutes pour se rendre à l'hôtel d'Ervyn. Il n'avait pas prévu sortir mais peut être que ça lui changera les idées.

AH : c'est d'accord. Où ?

EL : bar de l'hôtel ?

AH : Ok. Je viens dans 15 mins.

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Alec retrouva Ervyn au bar comme convenu. Il n'était pas difficile de le reconnaître, étant d'une grande taille, il dépassait la plupart des gens et sa grande carrure ne passait pas inaperçue. Ervyn était accoudé aux comptoirs du bar de l'hôtel, discutant tranquillement avec la serveuse. Lorsqu'il aperçut Alec, il lui fit signe.

Regrettant d'avoir accepté cette rencontre, il s'avança vers lui. La serveuse lui jeta un œil étonné.

« Vous le connaissez, Monsieur Hardy ? fit-elle alors.

- On s'est rencontré ce matin, répondit-il d'un ton neutre.

- Oh…ok, qu'est-ce que je vous sers ?

- Une bière, merci. »

Elle lui servit ce qu'il demanda puis les laissa seuls tous les deux.

« Vous lui plaisez déjà, déclara Alec en buvant une petite gorgée, je n'aurai pas dû venir.

- Nous avons juste échangé quelques mots.

- Vous aurez dû en échanger beaucoup plus, ça aurait arrangé tout le monde, marmonna-t-il.

- Je suis heureux que vous ayez acceptés, je voulais faire connaissance, fit Ervyn d'un ton chaleureux ignorant son sarcasme, je ne connais personne ici.

- Vous vous débrouillez pourtant bien… » fit-il en désignant la serveuse qui leur lançait des regards curieux.

Sa mauvaise humeur était revenue malgré lui, alors que la promesse qu'il avait faite à sa fille était encore ancrée dans son esprit. Il voulait partir, rentrer chez lui et s'enfoncer dans son lit, se faire dévorer par ses propres démons.

« Si ça peut vous rassurer, je ne suis pas hétéro, révéla Ervyn tranquillement.

A ces mots, Alec se tourna vers lui, sous le choc, ne s'attendant pas à une telle information provenant d'un étranger qu'il venait tout juste de rencontrer et surtout après avoir cru pendant un temps qu'il avait des vues sur sa fille.

- Je…je n'ai pas…je voulais pas dire…bredouilla-t-il ne sachant quoi dire.

C'était vraiment gênant, en fait. La première chose qu'il devait balancer était d'insinuer que Ervyn était un coureur de jupons, attirant les femmes qu'il séduisait comme des mouches.

Ervyn le fixa longtemps avant d'éclater de rire, il s'appuya sur un bras contre le comptoir.

« Vous êtes vraiment fascinant, Hardy, je n'ai jamais vu une personne aussi honnête que vous.

- Est-ce un compliment ?

- Peut-être, à vous de me dire, répondit Ervyn en clignant d'un œil.

En ce même moment, Alec se rendit compte de la situation dans lequel il était. Ervyn venait clairement de dire qu'il n'était pas hétérosexuel, donc les femmes ne l'intéressaient pas. Il a son numéro que sa fille a donné pour une raison quelconque, ou peut-être l'ignorait-il, mais il préférait ne pas savoir. Il a accepté de rencontrer Ervyn et aussi étrange que cela puisse paraître, quelque chose lui disait que la personne qu'il tentait de séduire, c'était lui-même en fait.

Ce qui expliquerait le comportement de sa fille, qui s'était amusée de lui. Et pourquoi penserait-elle que ce serait une bonne idée ?

« Je ne suis pas intéressée, déclara-t-il en se levant du tabouret, je…vais y aller.

- Pardon ? Hardy, est ce que j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

- Non, vous êtes très sympathiques, c'est juste que…je ne suis pas…

- Que vous n'êtes pas quoi ?

- Je ne suis pas…gay. »

Etonnement, Ervyn n'exprima rien d'autre que de la confusion.

« Ce n'est pas un problème.

- J'avais l'impression que vous essayez de me séduire…

- C'est vraiment l'impression que je vous donne ? »

La rougeur monta aux joues d'Alec, il se crispa alors. Il avait l'impression d'être tombé dans un piège volontairement. L'expression toujours amusé, Ervyn ne cessait de garder un sourire conquis, presque charmant.

« Vous êtes agaçant, lâcha Alec légèrement énervé.

- Et vous, susceptible.

- Je ne suis pas susceptible.

- Vous l'êtes.

- Vous êtes quoi, un…emmerdeur de première classe ? » Il regretta alors d'avoir laissé échapper ça, mais le mal était fait, il imaginait déjà les dégâts qu'il avait causé. Le nouveau venu le détesterait, il se souviendra à jamais de cet insulte.

A ces mots, Ervyn éclata de rire, surprenant encore plus Alec qui n'avait pas imaginé une telle réaction. Ce n'était pas un rire hautain, il ne se moquait pas de lui, en fait, il avait l'air presque heureux d'entendre cela, comme si c'était un compliment.

« Oh mon dieu, Hardy, vous êtes incroyable, fit-il en essuyant une larme tellement il avait ri.

- Qu'est-ce que j'ai dit de drôle ?

- Jamais on ne m'avait qualifié « d'emmerdeur de première classe », en général, je suis toujours le gars cool et sympathique.

- Ça doit vous changer, alors.

- Vous ne savez pas à quel point c'est fatigant de toujours être vu comme ça, quand j'ai envie d'être simplement… en colère, on imagine alors des choses fausses… »

Il but une gorgée de sa bière, évitant de regarder Alec, qui n'avait pas envie de pousser plus loin. Malgré la petite insulte, il n'y avait pas de tensions, et curieusement, il ne ressentait pas de gêne, ni de malaise, c'était une étrange épreuve. La sociabilité n'a jamais été son fort et pourtant Ervyn ne le bloquait pas, il ne le regardait pas comme un individu excentrique et peu commun.

« Pourquoi êtes-vous venu à Broadchurch ? s'enquit il alors pour connaître davantage l'homme.

- M'éloigner de Londres, j'ai vécu trop longtemps à Londres, je m'en suis lassé, j'avais besoin de voir autre chose.

- Pas de familles ?

- Non…enfin si, mes parents et mon frère ainé sont à Londres. Ils n'ont pas trop aimé que je parte.

- La famille, ce n'est pas facile, souffla Alec en hochant la tête.

- Non et vous, votre fille ?

- Oui, Daisy, elle va bientôt avoir 17 ans.

- Waouh, une très belle jeune femme que vous avez, elle a l'air adorable.

- Elle l'est. C'était un peu à cause d'elle que je suis là, avoua-t-il dans une inspiration.

Encore une fois, Ervyn ne parut pas non plus surpris, en fait, il paraissait même ravi de cela. Ce qui dérouta encore plus Alec.

« Vous a-t-elle forcé à venir ici ?

- Quoi ? Non !

- Ouf, pendant un moment, j'ai cru que vous étiez menacé par votre propre fille, gloussa Ervyn.

- Je ne la comprends pas en fait, elle voulait que …vous soyez un ami.

- Le suis-je désormais ?

- Je n'en sais rien, qu'en dîtes vous ? Seriez-vous prêt à être ami avec le pire flic du Royaume Uni ?

- Oh, vous êtes policier ? s'étonna Ervyn en reculant légèrement pour l'observer de haut en bas, vous n'avez pas l'air d'en être un.

- Je vous en remercie, grinça-t-il un peu vexé, et vous, que faites-vous ?

- Je suis psychologue. »

C'était au tour d'Alec de le regarder de la tête au pied, il n'avait pas le physique du métier. Il n'aurait jamais imaginé qu'il puisse faire un tel métier.

« Je n'en ai pas l'air c'est ça ? pouffa-t-il.

- Disons, que vous êtes…différents des psychologues que j'ai pu rencontrer.

- Ah oui ?

- En général, ils sont ennuyants et irritants, et débattent de choses qui n'ont pas de sens.

- C'est une bonne définition de ma fonction, approuva Ervyn, mais on n'est pas tous comme ça.

- Vous ne l'êtes pas ?

- J'espère que non ! »

La conversation se pencha sur les aspects de leurs fonctions. Ainsi, Alec apprit qu'Ervyn avait autrefois travaillé dans des hôpitaux puis s'est tourné vers un cabinet libéral. Désormais, il prévoyait faire des visites à domicile, lui évitant de louer un endroit spécifique. Contrairement à lui, Alec se confia très peu, répondant vaguement aux questions d'Ervyn qui n'insista pas. Leurs discussions étaient tout à fait ordinaires, ils sont passés par des sujets généraux, telle la politique, l'écologie ou l'éducation, puis ils ont enchaîné sur ce qu'ils aimaient. Ervyn aimait le sport et la musique, jouant de trois instruments, le piano, la guitare et le violon. Il proposait même des cours particuliers selon son emploi du temps. Alec n'avait que le boulot comme activité, ce pourquoi Ervyn avait naturellement proposé de lui faire découvrir quelques activités musicales ou sportifs. Ensuite, ils échangèrent longtemps, si longtemps qu'ils ne virent pas l'heure passée. Si longtemps qu'Alec ne se rendit pas compte que pour la première fois de sa vie depuis qu'il est à Broadchurch, il tenait une conversation sans paraître désagréable. Il parvint même à lâcher quelques rires devant les plaisanteries d'Ervyn.

Au bout d'un certain temps, le bar annonçait la fermeture et ils durent se séparer. Alec s'apprêta à lui dire au revoir, mais l'autre homme lui donna une petite tape sur le bras avant qu'il ne dise quoique ce soit.

« Ça me rassure, dit-il avec un petit sourire.

- De ne pas être seul dans cette foutue ville ? poursuivit Alec en relevant un sourcils.

- Non, que vous pouviez rire. Pendant un moment, je pensais que vous ne saviez pas rire. Et lorsque vous riez, vous êtes… »

Ervyn s'interrompit brusquement, non sans hésitation, le fixant avec une expression qu'Alec ne saurait déchiffrer malgré son expérience en tant que policier.

« Je suis quoi ? s'impatienta-t-il.

- Je vous le dirai, un jour, peut-être, dit Ervyn en fourrant ses mains dans les poches d'un ton taquin.

- Vous jouez donc le mystère, Mr Logan…et je sais rire d'ailleurs !

- Evidemment, s'esclaffa-t-il puis ajouta doucement : je vous remercie pour cette soirée, j'ai été ravi de vous avoir rencontré aujourd'hui.

- Ce fut un plaisir, Logan.

- On remets ça une prochaine fois ?

- Pas de problème. »

Ils échangèrent une dernière plaisanterie avant de se quitter. Alec partit de son côté, se dépêchant de rejoindre sa voiture. Plus il s'éloigna, plus il ressentit un vide, un manque, cette lourdeur sur ses épaules réapparut alors, les ombres qu'il le tourmentait se retrouvaient à nouveau à ses côtés. Sans vraiment de raison apparente, il se retourna alors, pour apercevoir la silhouette d'Ervyn qui le suivait du regard.

Alec ne saurait dire à ce moment-là s'il était heureux de le rencontrer. Ce qui était certain, il n'était pas indifférent.