CHAPITRE II
Les mains de Bella tremblaient encore lorsqu'elle déposa la dernière couche de sauce tomate sur son plat de lasagne. Dans un énième soupire d'exaspération, elle mit le tout au four et fit face aux trois pairs d'yeux qui la fixaient.
- Ça sera prêt dans une vingtaine de minutes, déclara-t-elle avant de quitter la pièce.
Billy se contenta d'hocher docilement la tête en reportant son attention vers son journal, une étincelle d'amusement dans le regard. Il avait observé leur chamaillerie depuis la fenêtre du salon, se délectant du spectacle comme s'il était au cinéma. Bella et Paul se tenaient au milieu de son jardin, visiblement en pleine dispute. Il fut surpris de constater que ces deux là ne s'entendaient toujours pas et secoua la tête en faisant claquer sa langue contre son palais d'un ton désapprobateur.
Malgré tout, il était amusé par ce petit interlude et décida que, puisqu'il connaissait les deux jeunes gens, il avait le droit de tenir les paris. Il misa donc sur Bella comme vainqueur de l'altercation, se jurant que si l'inverse se produisait il apporterait un pack de bières à Charlie.
L'ayant vu grandir, il savait que, bien qu'elle paraisse aussi frêle qu'une brindille, Bella était loin de l'être. Cette femme avait des ressources insoupçonnées qu'elle même semblait ignorer. Cela la rendait encore plus redoutable selon lui. Charlie et lui auraient d'ailleurs adoré que leur enfants soient plus qu'amis, et avoir Bella comme belle-fille tenait tout bonnement du rêve pour Billy. Mais elle ne semblait pas partager les même sentiments que Jacob, et le garçon avait du se rendre à l'évidence : elle l'aimait énormément, mais comme un frère.
Se redressant pour mieux voir, le vieil homme serra les dents d'appréhension lorsque Paul fut pris de tremblements. Le visage du garçon était si près de celui de Bella que s'il se transformait, elle n'y survivrait pas. En connaissant les antécédents du jeune homme, l'inquiétude qui montait dans la poitrine de Billy était compréhensible. Un accident était vite arrivé, il en savait quelque chose. Comptant sur le bon sens de Bella pour apaiser les tensions et laisser les choses se tasser, Billy s'étonna de voir ce petit bout de femme lever le menton en opposition à l'un des garçons les plus incontrôlable de la meute. Avait-elle de nouveau des idées suicidaires ?
Il secoua la tête d'un air désapprobateur et soupira. Ces deux là avaient déjà tant été malmenés par la vie qu'il était dommage qu'ils ne s'entendent pas d'avantage. Paul avait beaucoup à apprendre du self-control et de la maîtrise de la jeune femme, et Bella, elle, aurait bien besoin de découvrir comment lâcher prise. Billy arqua un sourcil face à l'association que venait de faire son esprit et s'enfonça dans son fauteuil l'air songeur. Dehors, Jacob était intervenu pour couper court au carnage et les deux individus s'étaient séparés, sans vainqueur ni perdant pour le moment. Les bières ne seraient pas pour ce soir.
Perdu dans ses pensées, un plan machiavélique se formant petit à petit dans son esprit, Billy sursauta lorsque, telle une tornade, Bella fit irruption dans la maison, jetant son sac dans l'entrée pour passer ses nerfs.
- Mais quel con, quel con... !
- Eh bien jeune fille, je ne vous savais pas si vulgaire, ricana Billy en roulant jusqu'à elle.
Mortifiée, elle enfouie son visage dans ses mains, cherchant à cacher le rouge qui lui était monté aux joues. Elle avait été si submergée par ses émotions qu'elle avait oublié ce pourquoi elle était venue.
- Excuse moi Billy, dit-elle en se penchant pour embrasser le vieil homme. C'est cet... idiot ! Il-Il est...
Elle ne termina pas sa phrase, vraisemblablement trop énervée pour y parvenir et ramassa ses affaires qui s'étaient répandues sur le sol. A côté d'elle, Billy l'observait, un murmure pensif s'échappant de son sourire.
- C'est sûr, c'est sûr... Mais le courant à l'air de passer entre vous.
Il laissa sa phrase suspendue dans l'air, attendant, et surtout espérant secrètement qu'elle ait l'effet escompté. Il fallait se la jouer fine s'il ne voulait pas que quelqu'un soit blessé. Bella semblait bouleversée, et le vieil homme ne voulait pas la brusquer. Toutes ces émotions en peu de temps, alors qu'elle en avait été privée durant plusieurs mois, c'était beaucoup à digérer.
Elle soupira et passa une main sur son visage, tâchant de retrouver ses esprits après cet ascenseur émotionnel. Elle adressa un sourire tendre au père de son meilleur ami et prit la main qu'il lui tendait, la serrant doucement en signe d'apaisement.
- Ne soit pas trop dure avec lui Bells. Il est à fleur de peau, et toi aussi, dit-il alors qu'elle le poussait vers la cuisine.
Elle serra les dents, n'ajoutant rien de plus. Au fond, peut-être qu'elle s'était aussi un peu emballée. Ce n'était pas son genre de réagir avec si peu d'empathie et de recul, mais chacune de ses sensations semblaient décuplées à proximité du garçon. Et puis, après tout, elle ne connaissait pas Paul plus que ça et ignorait tous des épreuves qu'il était en train de vivre. Il fallait qu'elle s'excuse. D'un hochement de tête entendu, plus pour elle même que pour répondre à Billy, elle se dit qu'elle le ferait dès qu'elle le reverrait.
En attendant, elle avait un repas à préparer, et le ventre du vieil homme gargouilla pour confirmer ses pensées.
- Lasagnes ? Demanda-t-elle en sortant de la viande hachée du frigo.
- Parfait ma fille. N'oublie pas d'en faire un peu plus, il reste manger avec nous.
Bella leva les yeux au ciel. Bah bien sur, pensa-t-elle tout en commençant sa préparation calmement. Au moins, elle n'attendrait pas des mois avant de présenter ses excuses, et n'aurait aucun moyen de se défiler.
Billy et elle papotèrent nonchalamment pendant qu'elle préparait le repas, et elle eut l'impression de redevenir peu à peu elle même. Cuisiner l'apaisait. C'était le seul moment où elle ne suivait pas les règles, où elle pouvait laisser libre cours à son imagination et n'avait pas peur d'être jugée. Car elle savait qu'elle était douée. Elle recevait toujours des compliments sur ses plats, et sa maladresse légendaire semblait disparaître quand elle se concentrait.
Un doux sourire aux lèvres, Bella sautillait dans la pièce, ajoutant quelques épices par ci par là, quand la porte d'entrée s'ouvrit. Les voix des deux garçons lui parvinrent et elle se raidit, son sourire s'envolant alors qu'elle mordillait sa lèvre inférieure. Son regard croisa celui de Billy qui tentait de paraître décontracté malgré son excitation. Peut-être que les bières seraient pour ce soir en fin de compte.
D'un mouvement maladroit, elle fit volte face et s'agrippa au comptoir, baissant les yeux sur l'évier comme s'il s'agissait de la huitième merveille du monde. Elle ne voulait pas se laisser engloutir par la profondeur de son regard et être de nouveau en proie à ses instincts.
- Salut fiston, déclara Billy.
Elle entendit l'accolade bruyante que les hommes s'échangèrent et deux chaises raclèrent le sol. L'atmosphère de la pièce était à présent lourde et électrique, Bella osait à peine respirer. Elle pouvait sentir son regard dans son dos. Elle entendit un froissement de vêtement, puis un « aïe » étouffé et d'autres bruits à peine audible, se doutant que Jacob devait être en train d'insister pour que Paul fasse ou dise quelque chose. Mais il ne dit rien, se limitant à un grommellement équivoque. Alors elle s'empressa de terminer sa préparation avant de quitter la pièce suffocante.
Quand elle fut enfin dehors, elle prit une grande bouffée d'air frais, comme si elle avait retenu sa respiration durant tout ce temps. De nouveau, son cœur battait à la chamade dans ses tempes et elle avait les mains moites. Elle essuya ses paumes sur son jean nerveusement et commença à faire les cent pas pour calmer ses sens. Si elle continuait ainsi elle allait vomir. C'était incompréhensible. Bella avait soigneusement évité son regard durant les quelques minutes précédentes et, pourtant, elle était tout aussi perturbée.
Ses pas l'emmenèrent vers la voiture de Paul, toujours garée non loin de la maison, et elle décida d'aller jeter un coup d'oeil, les dégâts ne devant pas être si terrible.
- Tu comptes terminer ce que tu as commencé ? Grogna une voix derrière elle.
Bella sursauta dans un hoquet de frayeur. Déstabilisée, elle chancela et s'appuya contre le capot pour reprendre son souffle. Nonchalamment accoudé contre le chambranle du porche des Black, les bras croisés sur la poitrine et un sourire narquois aux lèvres, Paul l'observait. Elle ne sut dire si son sourire était amusé ou menaçant, et ses yeux étaient trop loin pour qu'elle puisse se prononcer. Depuis combien de temps était-il là ? Et comment un homme aussi costaud pouvait-il être aussi discret ?
Avec une agilité incroyable, comme un échos aux pensée de Bella, il enjamba les quelques mètres qui le séparait d'elle, se retrouvant à nouveau dans son espace vital durant quelques secondes. Elle fut irrémédiablement attirée vers lui, son corps voulant à tout prix se coller contre le sien. Les picotements de ses doigts revinrent la hanter mais d'une manière plus forte, pressante et brulante. Elle déglutit bruyamment et planta ses ongles dans sa paume, essayant vainement de se contrôler face à l'homme qui se dirigeait maintenant vers la portière passager de sa voiture.
Bella cligna des yeux rapidement, troublée par les réactions de son corps qu'elle ne pouvait – apparemment – pas contrôler. Elle inspira un grand coup et se fit violence pour reprendre ses esprits.
- Alors ? Demanda-t-elle en s'avançant vers lui.
Sa voix s'étrangla dans sa gorge, ressemblant plus à un cri d'agonie qu'à une quelconque question insouciante. Paul, dont la main droite caressait la carrosserie abimée, leva les yeux vers elle, un sourcil interrogateur et un sourire amusé déformant son visage. Elle se racla la gorge pour s'éclaircir les cordes vocales et continua comme si de rien n'était.
- Ça m'a pas l'air si grave, dit-elle en haussant les épaules.
Le jeune homme se redressait lentement, cajolant toujours un morceau de taule et ignorant Bella qui levait les yeux au ciel à côté de lui.
- Jacob dit que ça va te couter un bras, mais ouais, c'est superficiel, lâcha-t-il comme s'il s'agissait d'une personne en phase terminale d'un cancer.
Quel drama queen, j'vous jure.
Bella hocha la tête sans comprendre tout d'abord, puis s'avança d'un pas vers lui les sourcils froncés.
- Attendant comment ça « me » couter un bras ?
- Bah quoi princesse ? J'vais pas payer pour un truc que j'ai pas pété.
Son sourire railleur s'élargit alors qu'elle ouvrait et fermait la bouche comme un poisson hors de l'eau. Il en avait du culot. Elle ne savait pas d'où il tenait cet aplomb et cette confiance en lui indéfectible, mais c'était impressionnant. Et déstabilisant. Et alléchant. Bella se surpris à passer sa langue sur sa lèvre supérieure, se demandant quel goût pouvaient avoir les siennes.
A ces pensées, elle s'étouffa avec sa propre salive et toussa pour reprendre contenance. Sa main droite se glissa dans ses cheveux pour les coincer derrière ses oreilles, réprimant un mouvement pour le toucher lui, et elle enfonça sa main gauche dans la poche arrière de son jean. Face à elle, Paul regardait sa voiture d'un air désolé, n'ayant pas remarqué les montagnes russes émotionnelles que vivait la jeune femme. Celle-ci fronça les sourcils et soupira en secouant la tête, résignée. A quoi bon lutter. De toutes façons, elle avait suffisamment d'argent de côté pour survivre aux 5 prochaines années sans soucis, et il avait raison, il fallait bien que quelqu'un s'occupe des réparations.
- Tu m'enverras la facture, dit-elle en lui adressant un sourire exagérément forcé.
Elle fit demi tour vers la maison, se rappelant qu'elle avait un plat au four, et posa une main sur la poignée quand celle de Paul survola la sienne. Elle ne l'avait encore une fois pas entendu arriver et leurs doigts s'effleurèrent. Une décharge lui parcouru le corps entier, comme saisie d'une crampe violente. Bella recula en plaquant sa main contre sa poitrine, se massant la paume avec un regard inquiet vers Paul qui semblait, pour une fois, avoir ressenti la même chose.
- C'était-c'était quoi ça ? Bégaya-t-elle.
Il ne lui répondit pas, les lèvres pincées, et baissa les yeux. Il ouvrit la porte d'un coup sec, un reniflement dédaigneux lui échappant alors qu'il regagnait la cuisine. Elle lui emboita le pas, les mains toujours sur la poitrine et un air confus sur le visage.
Paul se rassit à table, le visage fermé et les poings serrés, ce qui n'échappa pas à Billy, dont les yeux faisaient des allers retours entre lui et Bella par dessus son journal. Jacob quant à lui était au téléphone et semblait complètement indifférent à tout ce qui était en train de se passer, se contentant de lâcher des « oui » et des « hm-hm » d'approbation de temps à autre.
La jeune femme déposa le plat fumant au centre de la table et laissa chacun se servir. Elle, elle n'avait plus faim.
- Faut qu'on y aille, déclara Jacob d'un ton grave.
La bouche pleine, de la sauce jusqu'au nez, Paul releva la tête de son assiette.
- Maisjaimêmepofini, grommela-t-il en levant sa fourchette.
Bella étouffa un rire en cachant sa bouche de ses doigts. Au moins, il y en avait un qui n'avait pas perdu l'appétit et qui avait l'air d'aimer sa cuisine. Jacob s'était déjà levé et se penchait sur elle pour embrasser son front. Elle ferma les yeux en soupirant. Avec tout ça, elle n'avait même pas pu lui parler.
- Allez bouge toi, Sam nous attend.
Après avoir salué son père, il sorti à grandes enjambées, retirant son t-shirt pour se transformer en cours de route. Paul continua de râler alors qu'il engloutissait à une vitesse anormalement rapide les restes de son assiette. Il se leva en poussant sa chaise et adressa un dernier regard à Bella. Ses yeux étaient étrangement doux, comme s'il la remerciait pour le repas, mais ses lèvres étaient pincées et le reste de son visage était un mur de glace impénétrable.
- T'as de la sauce là, dit-elle en indiquant la commissure de ses lèvres.
Elle détourna les yeux, à la fois gênée et amusée alors qu'il s'essuyait la bouche du revers de la main. Il ricana et se dirigea vers la sortie.
Alors qu'il passait derrière elle, elle senti le bout de ses doigts chauds lui effleurer les cheveux, un nouveau frisson lui parcourant la colonne vertébrale.
Hello hello,
Un petit mot pour remercier les personnes ayant pris le temps de commenter le chapitre précédent, en espérant que celui-ci vous plaise autant.
Je vais tenter de garder un rythme de publication assez régulier, mais avec la reprise du travail je ne sais pas si j'aurais toujours autant de temps...! Heureusement, j'ai un peu d'avance ;)
A bientôt
Calista
