Chapitre 45 : L'amnésie de Mlle Parker 2/3

Note : Pour les âmes sensibles, voici un chapitre qui vous donnera larme à l'oeil. Enfin, j'espère. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez. Bonne lecture.

Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991

Jarod, assis sur la table basse du salon, son téléphone à la main, contacta Sydney. À côté, Ethan, soucieux et complètement déboussolé dans ce jargon médical, avait pris possession du canapé, l'ordinateur portable posé sur ses genoux, ses doigts frappaient sur le clavier. Son regard parcourait de gauche à droite les phrases savantes sur l'écran, cherchant des informations plus approfondies sur le mal dont souffrait Mlle Parker. Cela l'avait donc amené à toute une série de ressources plus ou moins scientifiques voire psychologiques lui fournissant un aperçu complet de la situation. En somme, ses nombreux résultats montraient que l'amnésie dissociative était un trouble de la mémoire caractérisé par la perte temporaire ou partielle de souvenirs causée par des événements traumatiques, des accidents, des abus, des pertes affectives ou d'autres facteurs stressants, entraînant un moyen de se préserver où l'esprit verrouillait ou déformait certains épisodes vécus afin de se protéger au mieux de ces blessures. En poursuivant sa lecture, il identifia les symptômes courants, entre autres la perte de mémoire sélective, la confusion ou la désorientation temporelle et la tendance à vouloir se créer un nouveau monde pour éviter de faire face à la réalité. Il cliqua sur plusieurs autres articles et poussa un long soupir en découvrant que la thérapie était souvent la principale approche pour traiter ce genre d'amnésie. Celle par la parole, la TCC et celle de réintégration. Le soutien social tel que les proches, la famille et les amis jouaient également un rôle essentiel dans le déroulement de la guérison, en offrant au patient une présence réconfortante. Et bien que les étapes puissaient être aussi longues que difficiles, Ethan découvrit qu'avec un traitement adéquat et un soutien continu, les individus pouvaient, et ce, le plus souvent, surmonter leur problème. Ce qui le rassura.

« Jarod, je m'inquiète vraiment pour elle. Son état de santé empire de jour en jour, et je me demande pourquoi tu ne lui as toujours rien dit au sujet de ce jeune charpentier, il referma l'ordinateur.

- Elle ne se souvient pas de la mort du pauvre Thomas. Elle pense qu'il est toujours en vie et qu'ils ont encore un avenir tous les deux.

- C'est justement pourquoi tu devrais lui dire. Elle mérite de savoir ce qui s'est passé. Cette confusion lui fait plus de mal que de bien.

- Tu as raison, Ethan. Je le sais. C'est difficile pour moi. Thomas était son ancien amant et mon ami aussi. C'était quelqu'un de bien. Et aujourd'hui, il n'est plus là.

- Jarod, prolonger cette illusion ne fera que retarder l'inévitable. Elle doit faire face à la réalité.

- Et que ferais-tu à ma place ? La voir souffrir encore plus en lui apprenant la vérité, ou la laisser continuer à vivre heureuse dans sa bulle avec Thomas ?

- Même si la vérité est difficile à entendre, elle est nécessaire. Non, mais regarde-la ! Elle a le cerveau en guimauve. Si tu veux vraiment l'aider, il est temps de lui dire que Thomas est définitivement mort. Ce que je crois, moi, c'est que c'est d'autant plus dur pour toi que pour elle.

- Nous étions amis.

- Oui Jarod, un ami qui t'a pris la femme que tu aimes.

- Non. Ça ne s'est pas passé comme ça.

- Raconte-moi. »

Dans sa chambre, Mlle Parker termina de se préparer, elle portait une ravissante robe bleu marine qui tombait en plis fluides autour de ses genoux. Le tissu fin épousait parfaitement ses courbes, la coupe ajustée mettait en valeur son corps gracieux. Ses cheveux mi-longs et foncés retombaient en vagues sur ses épaules, encadrant son visage. Inquiète, Mlle Parker tenait fermement son mobile dans ses mains. Son pouce glissa approximativement sur les touches, tenté une nouvelle fois de composer le numéro de Thomas. Cependant, un écran noir lui renvoya seulement son propre reflet. Ses doigts tremblaient de nervosité à chaque appel qui restait sans réponse. Cette attente aussi insoutenable qu'alarmante amplifiait sa frustration. Rien ! Toujours rien ! Les sourcils légèrement froncés et les lèvres pincées, elle arpenta la pièce avant de guetter par la fenêtre l'arrivée de celui qu'elle prenait encore pour son amant. L'absence de nouvelles de son paternel et de Thomas pesait lourdement sur sa conscience, provoquant un nœud dans sa poitrine, serrant fortement ses poings, luttant pour garder son calme alors que l'angoisse montait en elle. Chaque minute qui passait la rapprochait d'une vérité qu'elle redoutait de devoir affronter. Mlle Parker entra dans le salon. Elle trouva Jarod assis là, une tasse de café sur la table. Elle n'aurait jamais pensé se retrouver dans une telle situation, à se tourner vers l'homme qu'elle traquait sans relâche depuis combien d'années, maintenant ? Elle n'en savait rien ! Son esprit était en ébullition alors qu'elle imaginait le pire. Thomas avait disparu. Elle s'approcha de Jarod. Il releva la tête vers elle.

« Jarod, où est Thomas ? cracha-t-elle. S'il te plaît, dis-moi que tu sais où il est.

- Hum… Qui te dit que je sais quelque chose ? il manqua de s'étouffer.

- Tu sais toujours tout, toi. Dis-le-moi.

- Écoute Parker. Rassure-toi, tout va très bien.

- Tu oses me dire que tout va bien ? Thomas a disparu, mon père ne répond pas au téléphone et je sens qu'on me cache des choses. C'est de ta faute, Jarod, tout est de ta faute, cria-t-elle.

- Ma faute ? Qu'est-ce que j'ai encore fait ?

- Si tu n'avais pas quitté le Centre, si tu ne me soumettais pas à tes règles stupides, si seulement, tu n'étais pas aussi égoïste, j'aurais pu être avec Thomas en ce moment-même, loin du Centre, loin de toi. Et je serai libre à l'heure actuelle.

- Alors que suggères-tu ? Que je retourne au Centre pour que tu puisses vivre ton amour avec Thomas ? Que je renonce à ma liberté pour que tu puisses retrouver la tienne ? C'est ça ? Qui est égoïste là, hein ? il lui souriait.

- Tu pourrais revenir au Centre, on améliora tes conditions de vie.

- Quelle grandeur d'âme. C'est très charitable de ta part... Ça ne m'intéresse pas et si tu veux, un jour, être libre, Parker, tu n'as qu'une seule chose à faire.

- Un jour, tu dis ? À moins que je ne te ramène moi-même au Centre, je ne serai jamais libre. » elle lui arracha la tasse des mains alors qu'il s'apprêtait à boire son café.

Parc de Blue Cove, Delaware

Jarod, prévenant envers elle, proposa avec un sourire timide une longue promenade dans le parc de Blue Cove, près de chez elle. La jeune femme accepta avec plaisir pour le plus grand bonheur du caméléon. Pourquoi pas, après tout Thomas n'était pas là et Mlle Parker, elle, était en proie à la solitude. Et puis Jarod était si insistant et charmant qu'elle s'en voudrait de décliner son invitation. Tout en marchant, elle racontait au caméléon, les pique-niques avec ses parents, des conversations intimes qu'elle entretenait avec sa mère et bien sûr les promenades le dimanche matin en compagnie de Thomas. Assis sur un banc, Jarod testa la mémoire de Mlle Parker en partageant ses impressions sur leur enfance.

« Et te souviens-tu, Parker, de notre deuxième rencontre ?

- Tu voulais savoir mon prénom.

- C'est exact. Et de notre premier baiser, celui que tu m'avais donné. Tu m'avais rendu très nerveux.

- Ah ? J'ignorais que je te faisais cet effet-là.

- Et le jour où je t'ai surprise dans l'animalerie du Centre ? il la dévora du regard, ce qui la mettait mal à l'aise.

- Bien sûr. J'avais peur que mon père finisse par l'apprendre. D'ailleurs où est-il ? Il ne répond pas. Il doit-être avec cette garce !

- De qui donc, Parker ?

- De cette sorcière à la sucette, Brigitte. Non, mais tu te rends compte Jarod, qu'elle a voulu assassiner mon père et aujourd'hui, la voilà ma belle-mère !

- Tu te rappelles donc de leur mariage ?

- Évidemment, Jarod ! Il a eu lieu la semaine dernière, elle sourcilla.

- Parker, il faut que je te parle de nous. En dépit de cet accident qui s'est produit, tu dois savoir que depuis quelque temps notre relation a beaucoup changé. Enfin, il n'y a pas que notre relation qui a changé. Je ne sais pas par où commencer...

- Qu'est-ce que tu sous-entends ?

- Déjà, nous ne sommes plus ennemis.

- C'est vrai, je dois le reconnaître, j'ai comme des sentiments contradictoires à ton égard.

- C'est un excellent début, Parker. Et que ressens-tu quand nous nous retrouvons face à face, l'un avec l'autre ? il s'autorisa à lui caresser le bras.

- Il y a une certaine tension entre nous. Ce qui n'est pas nouveau. Il y a aussi ce truc que je n'arrive pas à définir clairement.

- Ça viendra. Ne t'inquiète pas. On n'a pas eu l'occasion, toi et moi, d'aborder le fond du sujet, ces dernières 48 heures. Viens Parker, marchons un peu, il lui expliqua simplement les mécanismes qui en découlaient de son amnésie.

- Qu'est-ce qu'il va se passer maintenant ?

- Parker, tes souvenirs sont enfouis, ils sont là quelque part, ils n'ont pas disparu et avec du temps et de la patience, ils reviendront. J'ai appelé Sydney, tu auras besoin de lui. De mon côté, j'ai prévu de te refaire découvrir le monde d'une tout autre manière !

- Je ne crois pas que ça puisse fonctionner. »

Continuant leur ballade, le ton entre eux se fasait plus personnel. Accrochée à son bras, la jeune femme appréciait énormément la compagnie du caméléon. Sa présence était amusante et rassurante quoique un peu trop envahissante à son goût. Malgré tout, elle ressentit cette forte connexion avec lui. Et le fait de le savoir là, tout près d'elle, lui provoquait des sensations agréables, néanmoins assez particulières. Elle ne comprenait pas pourquoi soudainement sa relation avec Jarod était devenue plus intime. Absente, Mlle Parker, devant l'étang observait les reflets argentés de l'eau. Le caméléon se rapprocha d'elle, sa silhouette élégante étincelait sous la lumière naturelle du soleil.

« Ça te fait du bien d'être ici, n'est-ce pas ? Sais-tu à quoi je pense Parker ? À toi, à nous, à tout ce que nous avons traversé. À toutes les épreuves que nous avons dû surmonter, il esquissa un sourire.

- C'est du passé. Nous avons pris chacun des chemins séparés, Jarod.

- Non, il l'attrapa par la taille. Il y a des choses qui ne s'oublient pas aussi facilement, il enfonça ses doigts dans la chevelure de la Miss, la démêlant avec soin. Et je suis certain que tous les deux, nous suivons la même route.

- Jarod, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. Je ne peux pas.

- Tu peux me faire confiance, Parker.

- Il y a Thomas. Je suis amoureuse de lui.

- Ah oui, Thomas. Je ne suis pas sûr que tu aies un avenir avec lui. Qui sait s'il reviendra un jour ? il avança un peu, son visage se rapprochant du sien.

- Thomas reviendra. Et je l'attendrai. Je l'attendrai toujours. » elle se dégagea de lui.

Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991

En début d'après-midi, chez elle. Mlle Parker, assise sur le sofa, regardait pensivement de jolies photos. Certaines d'entre elles étaient en noir et blanc, d'autres en couleur. Certaines dataient de l'époque où sa mère jadis avait été encore de ce monde et d'autres plus récentes. Entre autres celles avec son père, puis des photos de son couple avec Thomas. Quand une sonnerie retentit, elle se leva pour aller ouvrir la porte. C'était Sydney, son collègue de travail au Centre, ami et psychiatre, venant lui apporter son soutien. Elle ne s'attendait pas à le voir aujourd'hui. C'était Jarod, il avait averti Sydney de l'état actuel de Mlle Parker. Comment allait-elle ? Elle avoua tristement et quasi-résignée que c'était variable. À certains moments, tout allait bien et l'instant d'après, c'était le néant. Il prenait place à côté d'elle posant sa main sur la sienne. « J'ai élaboré un programme de traitement qui vous aidera, je l'espère, à réactiver votre mémoire, Parker. » Tout d'abord, Sydney évalua l'état mental et émotionnel de la jeune femme. Celle-ci lui permettrait de comprendre ses symptômes, son niveau de traumatisme et enfin ses besoins spécifiques.

« Voyez-vous, la mémoire est complexe. Le cerveau, lui, stocke des images de manière diffuse et des facteurs émotionnels peuvent alors influencer la façon dont nous les percevons. Permettez-moi de vous l'expliquer, Sydney étala ses connaissances. Imaginez que votre cerveau soit une gigantesque bibliothèque. Chaque souvenir est un livre placé sur une étagère. Parfois, quand nous tentons de nous rappeler quelque chose, il peut sembler que ce livre ait disparu, mais en réalité, il est toujours là, caché par d'autres livres.

- Continuez, je vous en prie.

- En général, on utilise des indices sensoriels, comme un parfum, un son où une sensation tactile, pouvant déclencher le rappel d'un élément égarés. C'est comme si ces indices étaient des marque-pages dans les livres de votre bibliothèque mentale.

- Comment pouvons-nous faire pour retrouver ces indices, ces marque-pages ?

- Pour commencer nous allons mettre en place un environnement sain où vous pourrez exprimer vos émotions et parler librement. Ici, c'est parfait. Ensuite, nous aurons des séances de thérapie individuelle et adaptée. La thérapie cognitive et comportementale vous aidera à identifier et à remettre en question les schémas de pensée négatifs, tandis que celle de réintégration servira à traiter les souvenirs traumatisants.

- Et puis ? elle écoutait absorbant les détails avec scepticisme.

- J'envisage par la suite d'utiliser l'hypnose thérapeutique pour accéder aux souvenirs enfouis et vous permettre de revivre les événements traumatisants de manière plus contrôlée et moins agressive.

- De l'hypnose ? Sydney, croyez-vous que ce soit vraiment nécessaire ? elle était perplexe.

- Oui, je le crois. D'autant que cela facilitera votre guérison et la prise de conscience de ce que vous ressentez. Je vous encourage Parker à consigner dans votre journal tout ce qui vous passe par la tête, vos pensées, vos sentiments et tous vos souvenirs. Tout ce qui serait susceptible de remonter à la surface. L'expression créative à travers l'écriture, le dessin ou la musique peut aider à libérer des émotions refoulées.

- Mon journal ?

- Je vous ai planifié des sciences de suivi régulières sur une période de trois mois pour commencer afin d'évaluer les progrès que vous ferez. Jarod et moi, nous serons là, à chaque étape, vous assurant que ce plan soit respecté scrupuleusement. Il va falloir faire preuve de beaucoup de patience Parker.

- Et Jarod ? Quel est son rôle dans tout ça ?

- Vous verrez, Jarod a élaboré son propre programme visant à accélérer le processus de récupération de vos souvenirs en utilisant des approches sensorielles et émotionnelles. En combinant ces efforts avec la thérapie, vous retrouverez votre mémoire. Si vous voulez en savoir un peu plus sur ce qu'il a prévu, je vous invite à en parler avec lui. Je dois m'en aller. Je vous conseille de vous reposer. Les jours qui vont suivre vont être très éprouvants. Ça va aller Parker, tout vous reviendra.

- Je l'espère, Sydney. Je ne voudrais pas que Thomas me voit dans cet état. C'est mieux qu'il ne soit pas là. Je ne voudrais pas devoir à lui expliquer ce qu'il m'est arrivé. »

Deux heures plus tard.Dans la cuisine, Jarod seul, réfléchissait à la façon d'aborder sa relation amoureuse avec la jeune femme. Ce qui n'était franchement pas facile vu qu'elle ne cessait de prononcer le nom de Thomas. Ça le rendait fou de rage, le mettant hors de lui. Il avait raison, l'autre jour, là-bas à l'entrepôt, elle ne l'avait pas oublié. Quant à Ethan, lui, à la demande de Jarod, il avait pris une chambre à l'hôtel. Mlle Parker entra et aperçut Jarod devant le plan de travail préparant une tisane. Quoique le doux parfum apaisant des herbes ne suffisait pas à effacer sa peine ni son expression malheureuse. Elle alla à son encontre. Il se tourna vers elle, un sourire sur les lèvres. « Tiens Parker, bois cette tisane. Ça va te détendre. » Mlle Parker leva les yeux vers lui, tendant la petite carte dont l'écriture concise mais dévastatrice proclamait : « C'est fini. » Il reconnut le bout de carton. Il baissa la tête, n'osant rien dire. Que pouvait-il bien lui dire ? Son visage se fissura, quand tout à coup, elle s'effondra dans ses bras, cherchant une maigre consolation auprès de lui. Des gouttes d'eau qu'elle versa mouillèrent sa chemise. Jarod hésita, il ne pouvait pas lui avouer en être l'auteur, ça la blesserait. Cependant, il était soulagé, très heureux que Thomas ait enfin quitté la vie alternée qu'elle s'était octroyée. En revanche, Jarod avait cette impression de faire preuve d'une très grande lâcheté, celle de ne pas avoir le courage de lui révéler la vérité. Il posa le papier sur un coin de meuble. « C'est mieux ainsi. Une rupture douloureuse est plus facile à gérer que la mort et le deuil. » Sa décision était prise, il n'en dirait mot. Il détourna la conversation en lui montrant l'écran de son ordinateur.

« Parker. J'ai conçu un programme rien que pour toi. Tu vas voir, ça va te plaire.

- J'en frémis d'avance.

- Laisse-moi t'en dire davantage : on va utiliser la stimulation multisensorielle. Il y aura d'autres activités qui suivront, bien sûr. Cela, t'intéresse-t-il d'en savoir plus ?

- Suis-je obligée de le suivre ? elle soupira, s'essuyant les yeux.

- Je ne te laisse pas le choix ! En premier lieu, voilà ce que nous allons faire. Nous allons collecter des informations précises sur les différents moments de ton passé. Des détails comme les odeurs, les sons, les goûts et les textures sont fondamentaux.

- Ça me paraît logique. Plus les détails sont précis, plus il est probable que des souvenirs émergent, c'est ça ?

- Tu as tout compris ! il ouvrit un autre document. Ensuite, je vais créer des stimulants sensoriels basés sur les informations que nous aurons collectées. Des objets, des sons, des images, voire des reconstitutions visuelles.

- Et que feras-tu avec ces stimulants ?

- Ah, je vois que j'ai piqué ta curiosité, il émit un rire. Nous organiserons des séances de stimulation sensorielle. Par exemple, si nous avons partagé un dîner spécial, je recréerai ce repas avec les mêmes plats, les mêmes odeurs et les mêmes sons. L'objectif étant de déclencher des souvenirs, quels qu'ils soient. Ce sera un peu comme des simulations.

- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Jarod, toi et moi, nous n'avons jamais dîné ensemble. Cela dit, ta méthode est intéressante, vraiment et j'apprécie ce que tu fais pour moi, mais honnêtement je ne suis pas sûre que cela puisse marcher sur moi.

- Je n'ai pas fini, Parker ! Par la suite, nous visiterons des endroits qui ont marqué ta vie et la mienne aussi. Des lieux significatifs qui pourraient faire ressurgir des événements de ton passé. Certains d'entre eux pourraient être très pénibles. Il faut que tu sois prête pour affronter ce qu'il va t'attendre, il lui prit la main.

- Des endroits spécifiques ? Non, je ne crois pas que je vais arriver à le supporter, Jarod.

- Tu y arriveras, je serai là à tes côtés. Nous planifierons aussi des activités que tu as faites seule ou que nous avons faites tous les deux ensemble. Des activités artistiques, sportives, des passe-temps. Une partie d'échecs avec moi ça te dit ? Ces actions pourraient raviver quelque chose chez toi.

- Hmm. Jarod, nous n'avons jamais pratiqué d'activités artistiques ou sportives ensemble. Tu es sûr que ça va ? elle inclina la tête, il aperçut un petit sourire sur ses lèvres. Et qu'en est-il de ces reconstitutions ?

- Ça va t'amuser. J'ai l'intention de dissimuler des indices visuels ou auditifs dans des objets du quotidien. Par exemple des photographies, des enregistrements audio, qui pourraient être découverts au hasard, provoquant ainsi des réactions, des impressions, des sentiments.

- C'est astucieux. Et quoi d'autre ?

- Pour conclure. Toutes les images, les notes et les éléments sensoriels liés à ton existence seront répertoriés dans un cahier visuel. Un outil précieux pour stimuler ta mémoire au fil du temps.

- Comme un journal ?

- Non. Le cahier visuel, lui, est utilisé pour suivre les diverses facettes de la vie quotidienne. Il combine souvent des éléments graphiques, des listes, des plannings, des objectifs, des idées et des annotations. Le journal intime, lui, se concentre surtout sur l'expression des émotions, des réflexions et des expériences personnelles. Enfin, comme Sydney, je ne me concentrerai uniquement sur le positif. Avec ça, tout te reviendra. Je te le promets.

- Si tu le dis. De toute façon, ça n'a plus grande importance puisque Thomas n'est plus là.

- Ça n'a rien avoir avec Thomas. Ta mémoire t'appartient et tu dois la récupérer. Seulement Parker, je ne vais pas te mentir, ce sera très dur voire très épuisant, physiquement et mentalement. Il y aura des moments où tu doutera, où tu voudras tout arrêter, mais sache que je serai toujours là et n'oublie pas que si tu tombes, je serai là pour te rattraper.

- Si seulement Thomas était là. » Jarod tourna la tête, il sécha une larme.

Le lendemain matin vers 11 heures. Sydney arriva chez Mlle Parker pour leur première séance de thérapie. Celle-ci se déroulait dans le salon, une pièce calme et confortable. La jeune femme s'installa sur le canapé tandis que Sydney prit le fauteuil, face à elle. C'était l'idéal pour encourager la communication ouverte. Plusieurs éléments apaisants comme de la lumière douce, des coussins et de la musique relaxante étaient présents pour créer une atmosphère détendue. Sydney s'assura que leur échange était mené dans la plus grande confidentialité, afin que Mlle Parker puisse se sentir assez à l'aise pour parler en toute liberté et en toute sécurité. La maison était vide, il n'y avait qu'eux. Il sortit d'une mallette un dossier au nom de Mlle Parker, un carnet de notes, des stylos et des feuilles de travail pour guider la discussion. Il était prêt à l'écouter.

« Bien. Avez-vous un sujet particulier dont vous souhaitez vous entretenir avec moi ?

- Ma mère ! Je sais, ce que vous allez me dire, que je me sens responsable de sa mort.

- C'est très fréquent, il prenait des notes. La personne, souvent, que ce soit la mort et le deuil d'un être aimé où la séparation, éprouve de la culpabilité de ne pas avoir fait ce qu'il fallait. Dans votre cas, il est naturel de ressentir de la tristesse, du chagrin et de la colère. Les circonstances de son décès ne sont pas de votre faute. Vous n'étiez qu'une petite fille à cette époque, et vous n'étiez pas responsable.

- Il ne s'agit pas de cela. Cette nuit, j'ai rêvé d'elle. Je crois qu'elle essayait de me dire quelque chose.

- Les rêves ne sont que le…

- Épargnez-moi ça ! Sydney, ma mère est vivante ! J'en suis sûre maintenant.

- Parker, malheureusement, nous n'avons aucun moyen de le savoir. Peut-être que vous avez raison, mais peut-être aussi que c'est uniquement votre désir de la revoir...

- Où tout simplement, Sydney que c'est mon intuition qui me pousse à y croire. Vous savez, ma mère et moi, nous avions toujours eu une relation fusionnelle. Et oui, si j'y crois, c'est parce que je sens au fond de moi qu'elle est toujours en vie. J'étais très jeune, mais je n'ai jamais pu oublier. Ce jour-là, tout a changé. Vous imaginez ce que c'est pour une fillette d'une dizaine d'années de vivre sans sa mère ?

- Oui, j'imagine très bien.

- Alors vous allez m'aider à la retrouver !

- Parker, nous en rediscuterons quand vous reviendrez au Centre, jusqu'à là, il vaut mieux se concentrer sur la thérapie. Bien. Nous allons aborder un autre sujet. Vous voulez me parler de Thomas ?

- Il m'a quitté. J'ai toujours cru qu'il m'aimait, mais il est parti sans explication. Vous pouvez m'expliquer, vous, quel genre d'homme faut-il être pour plaquer la femme qu'il aime sur un bout de papier ? ses joues devenaient de plus en plus roses.

- Ah. Avez-vous envisagé la possibilité que ce message ne vous soit pas adressé ?

- Alors pourquoi ne me donne t-il plus signe de vie, hein ? Je n'ai plus aucune nouvelle de lui. Non, Sydney, il est parti. Je ne comprends pas pourquoi. Je suppose que je ne suis pas assez bien pour lui. Je ne mérite pas son amour, une larme coula de son œil.

- Vous êtes très dure envers vous-même, Parker. Les actions des autres ne définissent pas qui vous êtes en tant que personne. Les gens font parfois des choix pour des raisons qui leur sont propres, mais cela ne reflète pas nécessairement votre valeur.

- C'est difficile à accepter. Tenez par exemple, prenez le cas de Jarod. Il est très bizarre avec moi, il se comporte comme si on était marié depuis vingt ans ! Alors qu'on se déteste, oui, il me déteste. Sans oublier que je dois le ramener au Centre. Si mon père savait que Jarod se trouvait ici, il serait extrêmement déçu.

- Votre croyance, selon laquelle Jarod vous déteste, est-elle vraiment justifiée ? il se servit un verre d'eau.

- Ce n'est pas qu'il me déteste au sens strict du terme. C'est une impression, comme s'il ne voulait pas de moi dans sa vie. Et c'est ce qui est étrange parce que d'un côté, il est gentil et attentionné, serviable et tendre et de l'autre, il me fuit à la première occasion. Il dit que notre relation à évoluer, mais je ne me souviens de rien. Que croyez-vous que j'ai fait ? Dois-je avoir mauvaise conscience ? elle se leva et tourna dans la pièce comme un oiseau dans sa cage. Est-ce que Thomas m'aurait quitté à cause de Jarod ? Est-ce que Jarod mentirait ?

- Si vous voulez le découvrir, parlez-en avec lui.

- Thomas... Oh, comme je voudrais ne plus rien ressentir. Non plus rien. C'est un fait Sydney, je n'ai pas le droit au bonheur, sa voix était triste.

- Je crois surtout que vous avez un sentiment d'inaccessibilité et de rejet. On explora ça à notre prochaine séance.

- Inaccessibilité et rejet ? elle ricana.

- Vous venez de dire que vous aimeriez ne plus rien ressentir. Pouvez-vous m'en dire plus sur ce sentiment ?

- La douleur est si pesante qu'elle me tue à petit feu. Je me dis que si je ne ressens rien du tout, je ne souffrirai pas, elle baissa les yeux.

- Parker. Vouloir se protéger en échappant à la souffrance est une réaction naturelle. Elle fait partie intégrante de la vie tout comme les émotions. Mais une fois que vous apprendrez à gérer la douleur, vous pourrez commencer à voir le monde sous un nouveau jour. »

En pleine après-midi, Mlle Parker dans sa chambre fouilla dans ses tiroirs. Un sac de voyage posé sur le lit. Jarod frappa à la porte. Il entra. Il voulait savoir si elle était disponible durant les prochaines heures ou si elle avait prévu autre chose. Que faisait-elle ? Elle venait de réaliser son erreur. Thomas ne l'avait pas abandonnée comme elle le pensait.

« Ce n'était pas son écriture ! Je le savais !

- Mais qu'est-ce que tu fais avec ce sac ?

- Je m'en vais le rejoindre ! Regarde, j'ai trouvé ce billet d'avion, il n'y a pas de date dessus, il doit être encore valide. Et là, il y a une adresse, il lui prit le papier et le regarda.

- Parker, tu as l'esprit embrouillé. Tu ne vas pas partir dans l'Oregon dans cet état ?

- Je crois qu'il m'attend, Jarod. Et je pars !

- Stop ! il plaça ses mains devant elle, l'interdisant de passer. Tu ne vas nulle part ! Parker, il faut que je te dise. Il s'agit de Thomas. Je me déteste pour ce que je vais faire.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu me fais peur.

- Thomas, il ne reviendra plus. Il est décédé, Parker, son visage était impassible.

- Décédé ? Non, tu fais erreur. Thomas est vivant. Je l'ai vu, il n'y a pas si longtemps, elle éclata de rire.

- Je sais que c'est difficile à accepter. Cela va faire deux ans qu'il n'est plus parmi nous.

- Non, c'est impossible. Je l'ai vu, je t'ai dit ! Tu dois te tromper. Il m'aime, il ne m'aurait jamais laissé, elle attrapa son sac. Laisse-moi passer, Jarod !

- Je t'en prie, fais un effort Parker, essaye de te souvenir, il lui saisit le visage, il avait des sanglots dans la voix. Essaye ! Rappelle-toi comme tu as souffert quand il est mort. La douleur, la peine que tu as ressentie, les larmes que tu as versé, ta colère et ta haine que tu éprouvais contre ceux qui te l'ont enlevé, le vide dans ton cœur qu'il a laissé derrière lui. Tu n'as pas pu oublier. Parker, tu es plus forte que tu ne le crois, et je sais que tu es capable de t'en souvenir.

- Je ne vois pas de quoi tu parles. Je dois partir, elle s'arrêta alors qu'elle s'apprêtait à sortir de la chambre.

- Alors viens avec moi, il lui tendit la main. Je vais te montrer quelque chose et après quoi si tu veux toujours t'en aller, je ne te retiendrai pas. J'espère seulement que tu me pardonneras. »

Cimetière de Blue Cove, Delaware

Le cimetière de Blue Cove était le dernier lieu de repos pour tous ceux qui avaient quitté ce monde. Les tombes étaient disposées de manière ordonnée, souvent en rangées ou en sections. Les allées permettaient aux visiteurs de se déplacer facilement et respectueusement entre les sépultures. Les pelouses étaient bien entretenues, des parterres de fleurs, des haies et des buissons ajoutaient de la beauté au lieu austère. Des pierres tombales, des mausolées, des cryptes et d'autres monuments funéraires marquaient les emplacements des défunts variant en taille, en style, en design, reflétant la diversité des cultures et des croyances. C'était ici où Mlle Parker venait se recueillir, et honorer la mémoire du jeune charpentier. À une certaine époque, elle avait pour habitude de fréquenter beaucoup trop les cimetières selon le caméléon. Parfois, elle s'y arrêtait juste pour penser à Thomas et aux moments que tous les deux avaient partagés ou pour réfléchir à la vie qu'elle aurait pu avoir si on lui en avait laissé l'occasion. À chacune de ses visites, elle lui apportait des fleurs, lui faisant la conversation comme s'il était là.

En arrivant dans le cimetière, Jarod l'emmena à l'emplacement réservé au jeune charpentier. Elle s'approcha un peu plus, se tenant debout, devant la tombe, figée comme une statue, incapable de réagir immédiatement. Les yeux écarquillés et rivés sur le marbre froid, où reposait dans un cercueil depuis presque deux ans, maintenant, le corps sans vie de Thomas Michael Gates. Un bruissement léger se fit entendre derrière elle. Le caméléon à distance d'elle respecta l'intimité de ce douloureux moment. Horrifiée, elle refusait de croire à la véracité de ce qu'elle venait de voir. Prise de vertiges, elle vacilla, Jarod qui à l'écart ne disait mot, la rattrapa, la soutenant. Son regard vide de sens fixait le lieu de repos de son ancien amant, comme si elle essayait de prendre conscience de la réalité qui se présentait à elle tandis qu'elle luttait de toutes ses forces pour accepter l'évidence qu'elle avait trop longtemps nié. Ses mouvements étaient au ralenti, le moindre de ses gestes semblait plus difficile à exécuter. La bouche ouverte, elle resta sans voix, elle essaya de prononcer le nom de Thomas, mais aucun son ne sortait. Lorsque tout à coup, ses émotions contenues dans son cœur commencèrent à déborder. Un tremblement parcourut le long de son être, annonçant un déferlement de ses sentiments. Ses mains se serrèrent en poings, comme si elle tentait malgré elle de retenir la souffrance qui la menaçait de l'engloutir. Les larmes roulèrent sur ses joues, telle une pluie soudaine qui arrosait la terre asséchée. Elle se noyait dans sa tristesse. « Pourquoi, Thomas ? Pourquoi as-tu dû partir si tôt ? » Pensa-t-elle. Ne pouvant alors quitter la tombe de son sombre regard, Mlle Parker fléchit, ses jambes cédant sous le poids de son chagrin, tombant à genoux, ses ongles impeccablement bien manucurés s'agrippèrent à la terre. Le visage vers le bas, ses épaules se soulevèrent et s'abaissèrent au rythme de ses pleurs. Alors que le ciel bleu s'assombrissait, des souvenirs d'un temps heureux vécu auprès de Thomas lui revenaient en mémoire. Elle entendait ses paroles. « Je m'appelle Thomas Gates, mes amis m'appellent Tommy. » Jarod, toujours aussi réconfortant et discret, s'avança, s'agenouilla près d'elle et lui frotta gentiment le dos. La simple chaleur de son contact la fit alors frissonner, elle resta immobile. La voix du défunt résonnait en elle. « Viens avec moi ! » Et pour la toute première fois, ses larmes coulaient sans aucune retenue. « De quoi as-tu peur ? » Le cœur brisé, elle posa une main sur sa poitrine, l'autre venait toucher la pierre, ses doigts frôlèrent la plaque caressant lentement les lettres noires formant le nom de Thomas. « Je suis doué pour les réparations. » Elle ferma ses paupières, se laissant bercer par l'image de son ancien amant « T'inquiète pas, j'ai pas l'intention de mourir, crois-moi. » Et là, la scène de sa mort se rejouait devant ses yeux. La porte de sa maison entrouverte. Des traces de sang sur le sol. Elle, en peignoir de bain, sortant de chez elle, courant vers lui. « Tommy ! Oh mon Dieu… Non pas ça ! Tommy… Tommy… Bon sang, mon amour… Mon Dieu... Non, c'est pas possible. Ça va aller, Tommy, je suis là. Pitié. » Il était en position demi-assise, torse-nu Elle le serrait contre lui. Il ne bougeait plus. Son visage ensanglanté portait la marque d'un 9mn. Il était mort. « Ne m'abandonne pas, non, ne m'abandonne pas, je t'en supplie. » Sans dire quoi que ce soit et avec une immense tendresse, Jarod près d'elle, glissa doucement ses bras autour de Mlle Parker, enroulant son dos et sa taille « Ça va aller, maintenant. Je suis là. Rentrons. » Il exerça une pression légère, la soulevant du sol. Il passa une de ses mains sous les genoux de la jeune femme. Mlle Parker, quant à elle, les yeux rougis par les pleurs, pencha sa tête sur l'épaule de Jarod, se reposant contre lui. À mesure que ses sanglots s'intensifiaient, elle s'effondra complètement, s'accrochant au caméléon, trouvant refuge en lui. Et sous un manteau d'or et d'orange qui se déployait à l'horizon, Jarod s'éloigna peu à peu du cimetière, serrant la jeune femme dans ses bras. Il s'arrêta, levant la tête vers le haut. Des oiseaux traversaient le ciel, la douleur, elle, s'en était allée.Tandis que la lumière s'évanouissait, emportant avec elle la promesse d'un nouveau jour, Mlle Parker jeta un dernier regard en direction de la tombe du défunt. Elle entendit au loin les derniers mots de Thomas « Je t'aime Parker. » La guérison pouvait enfin commencer.

Nb : Je suis absente pour quelques jours, il n'y aura donc pas de publication la semaine prochaine.! On se donne rendez-vous au prochain chapitre !!!