Allez la glandouille et les vacances c'est fini, normalement je suis à jour dans les reviews et je reprends la publication normale ! Merci à ceux qui me suivent et me lisent, j'espère que cela continuera de vous plaire ! On en est presque à la moitié (27 chapitres au total) désormais.
Bonne lecture !
Chapitre 13
Il fallut encore cette journée complète, sans changement ni amélioration jusqu'à la nuit, pour que Sherlock se décide enfin à sortir le lendemain de la visite de Greg. Il se planta devant John, à peine réveillé, qui lisait le journal de la veille en prenant son petit déj, et lui asséna :
— On sort.
John, présentement en pyjama et les yeux encore ensommeillés après une très mauvaise nuit, le regarda bizarrement.
— Pardon ?
— On va enquêter. Auprès de la famille de Jenny Afaldo.
John bâilla. Il était tôt, il avait mal dormi, et après des jours à rester cloîtré, Sherlock décidait brusquement de tout envoyer valser ? Cet homme était épuisant, et il aurait la peau de John.
— Pour quoi faire ? demanda le médecin, suspicieux.
La famille Afaldo avait un intérêt double pour eux : la mort de la jeune Jenny, mais également la vieille sorcière, qu'il supposait être responsable de l'état actuel de Sherlock. Et le médecin ne savait pas exactement ce que Sherlock cherchait.
— Pour élucider sa mort, bien sûr.
Ce qui, d'une certaine manière, était rassurant. Sherlock avait retrouvé son amour du jeu, du casse-tête, de l'énigme tordue.
— Tu te souviens qu'on enterre cette pauvre fille cet après-midi ? Tu crois vraiment que sa famille aura la tête à répondre à tes questions ?
Sherlock eut un grand sourire extatique, et John soupira. Parfois, il était fatigué d'apprendre à Sherlock qu'on ne souriait pas comme ça à la mention d'un enterrement.
— Bien sûr que non, répliqua le détective. Mais les enterrements sont des excellents moyens d'en apprendre le plus possible sur la victime et ses proches ! Tu sais comme moi que les meurtriers sont souvent des proches, et ils adorent se rendre aux enterrements de leurs victimes, ça leur donne un sentiment de pouvoir indescriptible, euphorique !
Sherlock n'avait pas sans doute pas tort, mais son propre ton euphorique était presque gênant.
— Psychopathe toi-même, le railla affectueusement John, ce que Sherlock accepta avec un grand sourire amusé, ayant conscience que son ami ne l'insultait pas. À quelle heure est la cérémonie ?
— Quatorze heures.
John jeta un regard à sa montre, et soupira.
— Pourquoi tu m'embêtes dès huit heures du mat alors ? On a le temps !
— Non ! Je veux voir autre chose avant ! Dépêche-toi de te préparer, ou je pars sans toi !
Le détective, au contraire du médecin assis et encore ensommeillé un instant plus tôt, était debout et habillé de pied en cap. Il était d'ailleurs très semblable à d'habitude, à ceci près que sa chemise peinait à contenir sa poitrine. Il avait même déjà son manteau sur le dos, ses chaussures. Il aurait été parfaitement capable de se jeter dans l'escalier, et partir suivre les pistes de son cerveau, laissant John derrière lui. Il l'avait fait des dizaines de fois, avant, cela rendait le médecin plus ou moins grincheux, selon les situations dangereuses dans lesquelles cet abruti se fourrait, et l'état plus ou moins cabossé de son corps à l'arrivée.
Mais il n'avait pas fait ça depuis six mois, depuis son retour après le grand saut de l'ange de Saint Bart. Il fallait dire que John ne lui en avait pas donné la possibilité, restant toujours proche de lui, prêt à tout.
Il s'était relâché du fait de cette situation inédite. Du fait de leurs récentes conversations sur le sujet, aussi.
Ce fut pourquoi John se figea, tasse en l'air, à mi-chemin de sa bouche, quand il entendit les mots de Sherlock. Ça allait peut-être mieux, mais il ne pouvait pas retenir l'élan de panique et le frisson glacé qui l'étreignit à ce moment-là.
L'image du dos de Sherlock, son manteau tourbillonnant, était un cauchemar récurrent de John. Il avait mal dormi cette nuit, et même s'il ne s'en souvenait pas, peut-être que ce mauvais rêve y avait figuré en bonne place. Il en avait déjà rêvé plusieurs fois, après la mort de Sherlock. John hurlait, criait, courait, mais il ne rattrapait jamais la silhouette de dos, qui ne l'attendait pas, qui ne se retournait pas, qui s'éloignait chaque seconde un peu plus, et finissait par disparaître.
— Pardon, murmura Sherlock d'un ton beaucoup plus doux. Je ne voulais pas dire ça comme ça. Je t'attends, mais dépêche-toi quand même de te préparer.
John fut soulagé, et son corps se réchauffa instinctivement. Pas parce que Sherlock allait l'attendre pour aller enquêter, même si ça jouait, mais parce que Sherlock avait compris son angoisse, et avait cherché à le rassurer.
Doucement, le médecin leva les yeux vers son ami en achevant son mouvement pour finir de boire sa tasse de thé.
Sherlock, à sa manière, lui souriait maladroitement, sans bouger, comme par peur de s'éloigner de son champ de vision et que John ne panique encore. Un bref instant, John se rappela leur sortie au pub, de la solution que Sherlock avait trouvé pour lui permettre d'y aller, profiter de sa soirée et de ne pas s'inquiéter, même si ça impliquait pour lui de passer une très mauvaise soirée. Puis il se rappela leur retour en taxi, l'alcool, et cette pensée absurde qui revenait présentement le hanter : « j'ai envie de l'embrasser »
Il déglutit bruyamment, avala tout son thé d'un coup, et décréta avec un fort aplomb :
— Promis, je suis prêt dans quinze minutes !
À leur grande surprise, surtout celle de Sherlock, ils découvrirent qu'en effet, comme l'avait prédit Lestrade, personne ne fit réellement attention à l'apparence de Sherlock, et ce que cela révélait sur son genre ou son sexe.
Dès que le médecin fut prêt, le détective l'entraîna suivre des pistes que seul son cerveau comprenait. Il avait piraté la boîte mail de la victime, ainsi que ses profils sur les réseaux sociaux, sans la moindre difficulté, comme si tout le monde était capable de ça et qu'il ne méritait pas de se faire traiter d'enfoiré arrogant pour ça.
Cette analyse lui avait permis d'obtenir quelques noms intéressants à aller interroger, et ils passèrent leur matinée dans les rues de Londres, à aller d'une personne à une autre pour poser des questions plus ou moins intrusives. Sherlock présentait en arrivant un (faux) badge de la police, pour lui tant que pour John, et personne ne leur posa de questions. Il se présentait comme Sherlock, et le prénom était suffisamment bizarre pour que les gens s'imaginent que ça soit également un prénom de fille. Sherlock ne leur laissait pas voir le badge assez longtemps pour se rendre compte que c'était écrit « monsieur » dessus.
Ils en profitèrent pour interroger des amis et des gens moins proches. Sherlock, surtout, cherchait à savoir s'ils iraient à l'enterrement, plus tard dans la journée, cataloguant les réponses, et précisant parfois :
— Nous y serons aussi, bien sûr. La police veille de très près à faire la lumière sur toute cette affaire.
Il jouait la compassion à merveille. Ça fonctionnait presque mieux, avec son corps et son faciès de femme. Naturellement, les gens avaient tendance à penser qu'une femme était forcément plus sensible et touchée par leur malheur, et ils croyaient encore plus facilement les bobards de Sherlock.
— Tu ne crains pas d'effrayer le meurtrier, en indiquant qu'on sera présents à l'enterrement ? demanda John.
Ils étaient dans un taxi en direction de la cérémonie. Ils étaient partis depuis plusieurs heures, n'avaient rien avalé, et ils n'avaient rien fait de palpitant, sinon se balader de quartiers en quartiers pour interroger des gens, majoritairement des jeunes, amis de la victime. Pourtant, John se sentait en pleine forme, l'adrénaline coulant à flots dans ses veines. Il avait l'impression de ne pas s'être senti aussi bien depuis très longtemps.
— Non. Au contraire.
— Précise ta pensée, veux-tu ?
— Ça ressemblait un peu au crime parfait, tu ne trouves pas ? Pas de blessure apparente, seule dans une pièce, aucun ennemi ou inimité connus, aucun indice... Si elle a vraiment fait un arrêt cardiaque spontané, soit. Si, d'une manière ou d'une autre, on l'a aidé à faire cet arrêt cardiaque, c'est un crime parfait. Le meurtrier n'est pas juste un amant éconduit ou jaloux qui a agi sous l'impulsion du moment. C'est quelque chose de méthodique, froid, réfléchi, prévu, anticipé... quelqu'un capable de faire ça ne se contentera pas de la savoir morte. Il voudra voir son triomphe, assister à son enterrement. Et son prestige n'en sera que plus glorieux encore, sous le nez de la police.
John soupira, trouvant que le discours emphatique de Sherlock était légèrement déplacé, pour parler de gloire et de triomphe après un meurtre. Mais il préféra ne pas relever, car un fait l'interpellait beaucoup plus.
Ils étaient assis face à face, et John se pencha vers lui. Il ne le touchait pas, mais c'était tout comme.
— Sherlock, tu as conscience que ce n'est pas Moriarty ? demanda-t-il d'une voix douce. Moriarty est mort, et je doute sincèrement qu'il en existe deux comme lui au monde.
Le regard du détective cilla brutalement, preuve que John avait raison.
— Je le sais, répondit Sherlock. Je sais qu'il est mort. Il est mort sous mes yeux. Je sais que ce n'est pas lui, ni un ersatz de lui. Je ne...
Il s'interrompit, et John le laissa débattre avec lui-même, sans rien dire.
— Peut-être que oui, reprit le détective après un temps, je prête trop d'intelligence, de méthodisme et de froideur à ce coupable. Peut-être que je cherche trop de Moriarty en lui. Mais je sais que ce n'est pas le cas, John. Je le sais parfaitement.
— Pas de souci, Sherlock. Je préférais simplement en avoir la confirmation.
Qu'ils le veuillent ou non, Moriarty, même mort, continuait de laisser sa trace en eux. Il ferait toujours partie de Sherlock, et il était la raison pour laquelle Sherlock avait simulé sa mort et disparu pendant deux ans, laissant des lacérations profondes dans le cœur de John, et sur la peau de Sherlock. Moriarty, d'une manière désagréable et contre laquelle ils ne pouvaient rien, serait toujours dans leur mémoire, dans leur passé.
La cérémonie fut sobre, mais relativement émouvante. John avait beau savoir qu'ils étaient là pour une enquête, il ne put s'empêcher d'être touché par tous les témoignages des proches de la jeune femme, dont le chagrin ne faisait aucun doute.
Du fond de l'église, ils se fondaient dans le décor, et au bout d'un moment, John oublia qu'ils cherchaient un meurtrier, et se laissa simplement porter par les évènements. Il n'était d'aucune utilité, de toute manière. Dans ce genre de moment, lui ne voyait que la tristesse et la douleur des gens qui enterraient quelqu'un. À moins d'un très mauvais acteur dans le lot qui surjouait son chagrin, il était incapable de savoir qui n'était pas aussi sincère que ça. Sherlock, heureusement, n'oubliait pas, et scannait tout le monde avec attention. Quand, rarement, quelqu'un croisait leur regard, il prétendait être affecté avec une sincérité criante de véracité. Même John y aurait cru, s'il ne l'avait pas connu si bien. Le médecin, lui, n'avait pas à prétendre l'affliction : l'ambiance suffisait à le mettre en état.
— Alors ? souffla-t-il à l'oreille de Sherlock un peu plus tard. Tu as des pistes ?
Le cercueil de la jeune femme reposait au fond d'un trou, et tout le cortège défilait pour y jeter de la terre ou des fleurs, ce qui leur permettait de regarder passer tout le monde dans le détail.
Pour parler sans être entendu, John avait dû se rapprocher de Sherlock, presque à le coller, et se redresser sur la pointe des pieds. Son souffle avait chatouillé le pavillon de l'oreille de son ami, qui en frissonnait encore. John ne s'était pas écarté de lui, si proche qu'un minuscule mouvement aurait suffi pour faire se rencontrer leurs flancs. Il sentait la chaleur du corps de John irradier contre lui, et lutta pour ne pas laisser son trouble apparaître sur son visage.
— Oui, répondit-il à voix basse en maîtrisant sa voix. Trois personnes. Deux hommes, une femme. Je dois faire quelques recherches. On pourra les interroger ensuite au besoin.
— Brillant, murmura John en retour.
Il n'avait pourtant aucune raison de féliciter Sherlock. Il avait juste indiqué avoir des pistes, il n'avait pas expliqué pourquoi, et aurait très bien pu mentir ou se tromper complètement.
Pourtant, John disait « brillant », et Sherlock savait qu'il le pensait. John ne lui mentait pas. John savait aussi toujours ce dont il avait besoin. Et en cet instant précis, il avait besoin qu'on lui dise qu'il était aussi brillant que d'habitude. Pour sa première enquête avec ce nouveau corps, même s'il savait avec la plus absolue des certitudes que son esprit était toujours le même, il avait besoin d'entendre qu'il était toujours brillant. Alors avec nonchalance et sincérité, John le disait, et Sherlock sentit son trouble s'accroître. Il ne savait pas expliquer ce que c'était. Alors il se contenta de ressentir et ne rien dire, et ils observèrent en silence le ballet des endeuillés présentant leurs condoléances à la famille.
À la fin de la cérémonie, la mère de la victime vint les voir. Son visage était gonflé, ses joues striées de marques de larmes, ses yeux rouges. Son chagrin n'était pas feint.
— Messieurs... merci pour votre présence... votre collègue m'avait dit que la thèse de l'accident était privilégiée...
Elle n'acheva pas sa phrase, mais sa question « qu'est-ce que vous foutez là, du coup ? » flottait dans l'air.
— La police avait à cœur d'assister à l'enterrement afin de vous présenter toutes ses condoléances, madame, indiqua John avant que Sherlock n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche.
Par réflexe, il tendit la main, saisit celles de la mère endeuillée, les pressa dans les siennes. Son ton avait l'exact nuance de compassion nécessaire, ses yeux exprimaient tout son soutien, sa main soutenait autant qu'elle consolait. Il avait le rôle parfait, et la pauvre mère ne demanda rien de plus, se contentant de les remercier de nouveau, pour leur présence, leurs condoléances, l'enquête qu'ils avaient diligentée jusque-là, l'intérêt qu'ils avaient porté à cet évènement... elle sanglotait de manière incompréhensible, et John la rassurait à coups de mots creux, qui lui faisaient du bien.
Elle finit enfin par s'éloigner, rejoignant sa famille, son époux qui la prit par l'épaule pour l'aider à marcher, rentrer chez eux, affronter la maison amputée d'un membre. Leur fille avait beau être morte depuis une dizaine de jours, ce n'était que maintenant que son corps reposait dans la terre qu'ils en prenaient la pleine mesure.
Restés totalement seuls dans le désert silencieux, John observa Sherlock, le regard dans le vague, qui observait la famille s'en aller.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il. J'ai fait quelque chose de mal ? Je pensais faire ce qui fallait...
— Tu as été parfait, répliqua Sherlock sans le regarder, très sérieux. Je suis juste perplexe. Elle a dit « messieurs ». Elle nous a appelé « messieurs ». Comme si... elle n'avait pas remarqué.
D'un geste de la main, il désigna son corps et ses formes féminines, vaguement cachées par son long manteau, mais relativement apparentes.
— Je ne crois pas qu'elle l'avait vraiment remarqué la fois où on a voulu parler à sa grand-mère, non plus. Son esprit est resté figé sur notre première rencontre, quand tu voltigeais au-dessus du cadavre de sa fille. Depuis, je pense qu'elle nous voit, mais son cerveau ne nous intègre pas vraiment, a fortiori dans ces circonstances tragiques pour elle.
Sherlock laissa planer un silence, avant de reprendre.
— Je n'arrive pas à savoir si je trouve ça vexant ou non.
John explosa de rire.
Sherlock continua d'enquêter et de réfléchir durant les deux jours qui suivirent, avec ces méthodes à lui : réfléchissant dans le canapé, piratant sans aucune difficulté apparente les comptes mails et des réseaux sociaux de ses suspects, interrogeant d'autres personnes au passage.
John le suivit à chaque instant, et écouta toutes ses réflexions, même quand il n'y comprenait rien. Il l'obligea à manger même quand il râlait en disant que ça ne servait à rien. Il l'obligea à dormir même quand il râlait en disant qu'il n'était pas fatigué. Il l'obligea à être poli (du moins, autant que faire se peut) avec les gens qu'ils interrogèrent même quand il râlait que cela leur faisait perdre du temps. Il se moqua même de lui quand il râla qu'il n'y avait rien sur les réseaux sociaux ou les mails de ses suspects :
— Parce que tu imagines un meurtrier utiliser sa boîte mail officielle pour passer commande de poisons violents ? Même un enfant saurait mieux cacher ses traces.
Sherlock fut piqué au vif, mais il savait que son ami avait raison, et il poursuivit ses recherches autrement.
Au bout de trois jours, Sherlock avait déterminé que la jeune victime avait bien été empoisonnée, à très petit feu, d'un médicament rare mais pas dangereux, quand on ne respectait les prescriptions, mais qui avait également l'inconvénient de provoquer une accoutumance forte, s'il était utilisé trop longtemps. De fait, il était peu prescrit, et rarement connu. Même John en sa qualité de médecin n'avait qu'une idée vague de son existence.
Ce fut cependant le seul moment où il fut vraiment utile à Sherlock. Celui-ci avait retrouvé des traces d'achat en quantités régulières de ce médicament, dont il ne comprend ni l'intérêt, ni les effets. John avait lu les effets et ce dont il s'agissait, et avait pu l'expliquer à Sherlock.
Le reste n'était que déductions de base. Bien que le médicament ne soit pas utilisé pour ça, il pouvait avoir comme effet d'être un décontractant musculaire, dont la victime, sportive de haut niveau, aurait pu avoir bien besoin sans que les tests anti-dopage n'y trouvent rien à redire. Sauf qu'à force d'en ingérer, encouragé par son assassin, elle avait développé une addiction. Qui, comme toutes les addictions, poussaient les accros à en consommer toujours plus, oublieux, dans le cas de Jenny Afaldo, que cela pouvait avoir des répercussions dramatiques sur son cœur.
Elle avait fait un premier malaise cardiaque dont elle n'avait pas tenu compte, et poussée par sa dépendance et son assassin, avait continué d'ingérer des pilules jusqu'à la crise cardiaque fatale, seule chez elle.
— C'est presque décevant, commenta John quand Sherlock, le regard brillant, le lui raconta.
Le détective était venu le réveiller en plein milieu de la nuit pour lui dire qu'il avait tout compris, et John l'avait complaisamment écouté, se prenant finalement d'intérêt pour la résolution de l'énigme. Et surtout pour le spectacle qu'offrait Sherlock, assis sur son lit, éclairé uniquement par la nuit, ses yeux brillant d'une joie enfantine à l'idée d'avoir tout compris.
— Quoi donc ? se vexa Sherlock.
— La résolution, bâilla John. Pas le fait que tu l'aies trouvée, abruti, ça t'es aussi génial que d'habitude, arrête de chercher des compliments. Mais le fait que le crime parfait ne l'était pas tant que ça. Au final, le meurtrier ne pouvait pas réellement maîtriser le moment où elle ferait une crise fatale. Le fait que ça se soit produit alors qu'elle était totalement seule, chez elle, sans aucun stimulus extérieur, rendant cela suspect comme un crime parfait, au final, c'était du hasard.
Sherlock souffla, courroucé que John n'y comprenne rien. Le médecin ne voyait pas distinctement ses traits, mais il pouvait les deviner, et il s'apprêtait à répliquer que merde, il était trois heures du matin, il avait le droit de dire des trucs absurdes, non ?
Il n'en eut pas le temps que Sherlock reprit :
— Au contraire, ça été l'erreur de l'assassin ! Elle a malheureusement attiré l'attention sur la mort de Jenny à cause de ça ! Elle espérait justement une crise en public, ou mieux, durant un entraînement, qui aurait pu provoquer un accident, des blessures physiques ! Personne n'aurait douté qu'il s'agissait d'un tragique accident, et la police n'aurait même pas enquêté ! Elle n'a jamais voulu créer un meurtre parfait sans indice ! Et d'ailleurs, fondamentalement, je ne pense pas qu'elle voulait exactement tuer Jenny. Juste l'affaiblir suffisamment pour l'évincer de l'équipe, et récupérer sa qualification aux JO...
Sherlock n'avait pas, à ce stade, encore précisé qui était coupable, mais John connaissait les suspects, et fit les liens tout seul. Il y avait deux femmes suspectées dans les dernières versions des listes de Sherlock, mais une seule de l'âge de la victime et partageant ses entraînements.
— Donc... Alicia pour la coupable ?
— Ah. Oui. C'était évident.
John leva les yeux au ciel. Jusqu'à hier soir quand il était allé se coucher, c'était tout sauf évident et Sherlock réfléchissait encore. Maintenant, à trois heures du matin, il osait lui répliquer ça d'un ton méprisant. Parfois, le meurtre était tentant, et John comprenait les assassins. Il suffisait de vivre avec Sherlock pour les comprendre.
Sauf que Sherlock, aussi arrogant et méprisant qu'il était, était assis au bout de son lit et souriait d'un air fier de lui, et John sentit ses velléités de meurtre s'évanouir au profit de tout autre sentiment confus, auxquels il ne voulait pas réfléchir.
Au milieu de la nuit, il avait réussi à convaincre Sherlock de ne pas aller à Scotland Yard immédiatement. Il avait dû batailler pour ça, mais Sherlock avait finalement accepté d'attendre une heure décente, où Lestrade serait au bureau.
Au réveil officiel, quelques heures plus tard, John recommença à s'inquiéter. Au milieu de la nuit, gorgé de certitudes, d'euphorie et d'arrogance, Sherlock n'avait pas semblé réfléchir à ce qu'impliquerait un passage dans les locaux de Scotland Yard. Depuis plusieurs jours, il assumait plutôt bien son nouveau corps. À vrai dire, il semblait même ne pas se rendre compte des différences qui existaient entre son ancien et son nouveau corps. John semblait être le seul à capter les regards des chauffeurs de taxis sur sa poitrine, ou les coups d'œil très appuyés des gens dans le métro. Souvent, d'ailleurs, les regards finissaient par le regarder lui, et John devinait que trop facilement les réflexions surprises « comment une femme comme elle peut être avec un gars comme ça ? ». John n'avait pas la réponse, a fortiori parce que Sherlock ne lui simplifiait pas vraiment la tâche. Depuis sa très violente crise après le passage de Molly, il était resté très tactile avec John à la moindre occasion, et il était encore plus difficile de réfuter une relation, d'un point de vue extérieur.
Une fois, Sherlock avait même été sifflé. Il n'avait pas paru s'en rendre compte, et il avait continué comme si de rien n'était, mais John avait encore à l'esprit le violent sentiment de colère qui l'avait étreint, et la bouffée de violence qui avait suivi. John savait frapper pour blesser, et pour tuer. Il ne fallait pas qu'il cède à sa violence, fut-ce pour protéger Sherlock.
Scotland Yard serait un tout autre niveau. La plupart de ces gens avaient déjà croisé Sherlock, savaient qui il était. Et avaient déjà une forte tendance à émettre des commentaires méprisants à son égard.
Quand il descendit au salon, Sherlock était déjà habillé, prêt à partir, et semblait toujours sous l'effet euphorique de sa résolution d'enquête.
— Tu es prêt ? Allons-y !
Il en sautillait presque, ce qui était louche.
— Qu'est-ce qui te rend si joyeux, au juste ? demanda John, lugubre.
— Le double meurtre proposé par Lestrade, bien sûr ! Maintenant que j'ai résolu l'affaire de Jenny Afaldo, ils galèrent toujours là-dessus, et je vais pouvoir y travailler ! Ils ne savent vraiment rien faire sans moi !
John aurait dû s'en douter. Il était déjà passé à autre chose. L'arrestation à venir d'Alicia, l'instruction nécessaire du dossier pour regrouper toutes les preuves contre elle, prévenir la famille Afaldo, tout le long et fastidieux travail qui attendait encore les équipes de Greg, ça n'avait aucune importance pour lui. Il voulait juste sa prochaine dose de stimulation intellectuelle.
John le laissa s'extasier sur les éléments que Greg, de guerre lasse, lui avait déjà envoyés par mail. Il brandissait son téléphone sous le nez de John toutes les deux minutes, manifestement ravi de ce double crime. John avait l'estomac solide et l'habitude d'images aussi sanguinolentes, sans compter que cela avait été sa réalité sur le terrain pendant longtemps, heureusement pour lui.
— Tu as conscience qu'on va à Scotland Yard ? finit-il par dire alors que le taxi approchait des quais de la Tamise où étaient situés les locaux de la police.
Sherlock releva le nez de son téléphone, les sourcils froncés d'incompréhension.
— Évidemment, répliqua-t-il avec un relent de mépris. C'est moi qui aie donné l'adresse au chauffeur, et nous suivons le bon trajet.
Il n'avait pas jeté le moindre coup d'œil à l'extérieur pour vérifier le trajet emprunté depuis le début de leur voyage, mais John n'était même pas surpris qu'il sache exactement où ils étaient. Il pouvait sans doute le déduire rien qu'à la sensation des virages effectués par le véhicule.
— Tu as conscience de ce à quoi tu ressembles ? insista John. Et des gens que tu vas croiser ?
C'était sans doute plutôt agressif de sa part d'autant le rappeler, mais il préférait blesser Sherlock maintenant, et pouvoir le gérer, plutôt que devant toutes les équipes de Scotland Yard, dont très peu seraient compréhensifs.
Sherlock baissa les yeux sur son corps, sur sa tenue. John ignorait si c'était volontaire, mais il était mis en valeur par les vêtements féminins les plus cintrés qu'il possédait désormais, et on ne pouvait absolument pas nier sa condition.
— Oui. Je le sais parfaitement, affirma-t-il d'une voix claire. Ne t'inquiète pas pour moi.
John trouvait que c'était au contraire une bonne raison pour s'inquiéter. Le taxi s'arrêta devant les locaux de la police, et il n'était plus temps de renoncer.
Prochain chapitre le Me 06/09 !
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