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En des temps immémoriaux où le chaos régnait sur un univers vide, trois apôtres vertueux bénis par les Dieux forgèrent un monde à l'image du Royaume nébuleux qu'ils foulaient.
De ses doigts habiles et délicats, Din cultiva la terre fertile, arrosa les océans et érigea les monts, façonnant ainsi un monde riche aux multiples merveilles. Par sa créativité et son imagination débordante, Farore lui insuffla la vie et l'intelligence dans une faune et une flore diversifiées. Pour finir, l'esprit ordonné de Nayru leur accorda les doctrines de la justice et de la loi, afin de préserver l'harmonie et la prospérité.
Telle est la légende des origines de Hyrule, passée de générations en générations au sein de la Famille Royale.
Le jeune homme aux cheveux auburns se protégea le visage alors que la brise légère laissa place à une soudaine bourrasque froide. Le jour approchait de sa fin, déjà les lueurs du Soleil s'estompaient sous des rais orangés à l'horizon, signalant l'imminence du crépuscule.
— C'est l'heure de rentrer, songea-t-il.
Sa fière monture hennit docilement, comme pour répondre aux pensées de son maître. Le cavalier descendit de sa jument et se dirigea vers les deux douzaines de chèvres broutant paisiblement depuis une heure dans le grand pré au croisement d'une dense forêt verte et d'un vaste lac azur. De sa poche, il sortit un étrange instrument à vent, ressemblant à un épais fer à cheval sculpté dans un bois orné de motifs abstraits. Le son qui s'en échappa lorsqu'il souffla dedans arracha les caprins à leur festin. Ceux-ci se regroupèrent aussitôt et après un temps d'incompréhension furtive, se mirent à marcher en direction des étables qui se dressaient en contrebas de la colline. Satisfait, le berger remonta sur Epona et continua à les guider durant leur retour.
— Link ! Par ici !
Le jeune homme se tourna vers les champs à sa gauche et s'amusa de voir Malon agiter grandement son bras à sa direction en sautillant gaiement. Link s'empressa de rejoindre son amie d'enfance, attelée à attacher des rênes aux cinq chevaux dont elle avait la responsabilité au Ranch Lon Lon.
— Prêt pour le départ ? lui demanda-t-elle en esquissant un grand sourire aux lèvres.
Elle n'attendit même pas sa réponse et tira sur les rênes, sachant pertinemment que Link ne pouvait lui répondre. Car depuis son plus jeune âge, Link était incapable de parler. Son mutisme inné ne lui permettait que de produire des onomatopées inintelligibles qu'on ne comprenait que grâce aux émotions qu'il exprimait par la gestuelle. Ainsi, il se forçait à communiquer par signes plus ou moins évidents mais son caractère très réservé ne l'aidait pas vraiment à avoir des conversations fluides avec d'autres individus. Malon était une des rares personnes à y parvenir, et nul ne savait réellement s'il s'agissait là du fruit de leur longue amitié où d'un talent naturel.
— J'ai hâte que le lendemain arrive ! reprit-elle avec joie. Pas toi ?
Link acquiesça vivement de la tête. En effet, s'il paraissait souvent indifférent aux événements survenant dans son entourage, il ne cachait pas son exultation quant au voyage qui les attendait. Sa réaction enchanta Malon qui partit d'un petit rire aigu, à la fois tendre et moqueur.
— Quelle chance pour toi d'avoir ta première expérience à la Citadelle durant le Festival des Masques ! Ce sera un moment inoubliable !
Le jeune berger sentit ses joues rosir devant l'allégresse infectieuse de son amie. Un peu embarrassé mais tout aussi enjoué qu'elle, il la rappela à l'ordre : ils avaient encore du pain sur la planche et devaient s'empresser de ramener les animaux au Ranch. Malon accéléra tout de même le pas, mais ne cessa pas de le taquiner pour autant.
Ils laissèrent de côté ce dernier sujet de conversation, ils auraient tout le loisir d'en discuter le lendemain. Ils marchèrent pendant quelques dizaines de minutes à parler de la pluie et du beau temps, des affaires du Ranch Lon Lon, des chevaux destinés à la garnison royale ou encore des dernières nouvelles du village de Toal où habitait Link. Malgré leur intimité, Link habitait à l'écart des places animées et suffisamment loin de Malon pour que les affaires de l'un passent inaperçus de l'autre.
— Oh, j'oubliais, sotte que je suis ! s'écria brusquement Malon. Nous pourrons voir ta sœur, n'est-ce pas ? Combien de temps s'est-il écoulé depuis qu'elle a rejoint l'Académie militaire déjà… Six ans ?
Les souvenirs de Linkle éveillèrent en Link une profonde nostalgie. Effectivement, il n'avait pas revu sa jumelle depuis six longues années, depuis qu'elle avait décidé presque sur un coup de tête de s'engager à la Citadelle, au grand désarroi de son frère. Son départ avait suscité les critiques de nombreux voisins qui voyaient là un acte égoïste, impulsif, totalement irresponsable, et en particulier cruel envers la seule famille qui lui restait.
Toutefois, Link ne l'avait jamais blâmée pour son choix car il savait qu'elle ne faisait que suivre sa propre voie. Les deux orphelins avaient mené une vie monotone, assistant aux enseignements des érudits locaux le matin et aidant aux champs après le zénith solaire. Si les ambitions du garçon restaient modestes et terre à terre, la fillette avait l'audace pour poursuivre ses rêves les plus fous. Et finalement, elle avait choisi de passer à l'acte.
Pour rester tout à fait honnête, il avait surtout hâte de la retrouver, de rattraper le temps perdu avec elle, impatient de voir à quel point la vie citadine l'avait changée.
Il s'apprêtait à répondre à la question de Malon lorsqu'une nouvelle bourrasque les fouetta si violemment qu'ils durent se cramponner lui à sa monture et elle derrière un des chevaux qu'elle pilotait pour ne pas tomber. Le vent étrangement glacial s'immisça à travers la peau nue de leurs bras et de leurs jambes et des hurlements effrayés leur envoyèrent des frissons dans le dos.
Lorsqu'il releva la tête, Link vit les chèvres et les chevaux s'agiter comme des poissons hors de l'eau, leur marche ordonnée se transformant en mouvements paniqués. Link se hâta de calmer sa jument avec douceur et la fit tourner autour du troupeau tout en jouant une mélodie de son instrument pour apaiser les bêtes apeurées. Ses efforts furent récompensés. Les chèvres arrêtèrent de piétiner la terre pour l'observer d'un air béat tandis que les équidés s'étaient recroquevillés autour de Malon qui les caressait avec autant d'affection qu'elle pouvait fournir malgré sa propre angoisse.
Une des chèvres se remit à hurler à la mort, en proie à une terreur palpable et prête à détaler aussi loin que possible. En se retournant, Link aperçut une meute de loups aux yeux cruels émerger des bois avoisinants, leur gueule féroce découvrant des crocs tremblant de faim et aussi aiguisés que des griffes de dragon. Les quatre bêtes sauvages lorgnaient le troupeau en approchant lentement, comme pour jauger le meilleur moment pour fondre sur leurs proies, le moment même où la panique entraverait leur fuite.
— Link ! Fais attention !
Malon ne pouvait que s'inquiéter pour le jeune homme fougueux qui s'élança vers la menace, son arc de chasseur bandé et prêt à décocher sur le loup le plus proche. Sa flèche transperça le crâne de ce dernier qui roula en arrière dans un tourbillon de sang, mortellement blessé mais gémissant encore. Les trois autres membres de la meute bondirent instinctivement vers Link et Epona mais la jument bifurqua de côté pour s'éloigner de ses poursuivants sans impacter la ligne de mire du berger.
Link creva l'œil d'une autre de ses cibles et rangea son arc avant de dégainer son épée de milicien. Il sauta ensuite à terre pour faire face aux deux derniers carnivores, prêt à les recevoir. Le plus rapide et le plus enragé bondit de manière erratique face à Link, cherchant une faille dans ses défenses tandis que l'autre, plus réfléchi, contourna son congénère pour passer dans le dos du Hylien. C'était cependant sans compter la perspicacité d'Epona qui comprit son stratagème et galopa dans son sillage afin de l'empêcher d'attaquer son maître en traître.
Profitant du répit accordé par sa fidèle jument, Link s'avança vers le loup hargneux qui finit par s'impatienter et se jeter sur lui, crocs dévoilés. Avec une prestance fine, Link sauta sur le côté juste avant que la gueule du monstre ne déchire son bras gauche et asséna une violente taillade sur son flanc. La chair ouverte gerba une flaque sombre et visqueuse qui redoubla de volume quand la lame du berger s'enfonça sous la nuque du quadrupède agonisant. À la vue de cette boucherie, le dernier de la meute se contenta de hurler d'une plainte accablante, emplie de colère mais aussi de regrets, puis s'en retourna vers son antre sans demander son reste.
Le combat s'était déroulé sans encombre. Link et Epona avaient habilement triomphé et protégé le troupeau sans forcer. Pourtant, Link sentit qu'un danger persistant sévissait non loin. Pour que toutes les chèvres et tous les chevaux se mettent à trembler au même instant, comme une seule unité, il fallait qu'un prédateur particulièrement terrible fasse son apparition dans le coin. Qui plus était, la présence de ses loups hors de leur territoire sylvestre formait une occurrence singulière qu'il fallait souligner. Quelle atrocité pouvait donc les contraindre à s'aventurer dans les champs qu'ils évitaient soigneusement depuis que les miliciens des bourgades voisines avaient massacré leurs pairs des années auparavant ?
— Link ! Tout va bien ?
Malon accourut, inquiète et abasourdie. Dans sa hâte, elle faillit trébucher sur une pierre et Link dut bondir en avant pour la rattraper. Elle se ressaisit vite et enlaça le Hylien si fort qu'il en eut le souffle coupé.
— Bon sang, Link, Tu es si impétueux ! soupira-t-elle avec soulagement. Foncer tête baissée contre des loups sauvages ! Mais au moins, tu n'as rien… Et Epona, elle n'est pas blessée ?
La jument hennit en s'approchant tranquillement pour accepter les caresses de la jeune femme sur sa crinière ondulée. Elle s'en était sortie indemne. Rassurée, Malon s'accroupit, la tête dans les mains pour relâcher la pression accumulée sur ces dernières minutes. Link posa tendrement sa main sur son épaule, s'excusant par le geste de lui avoir causé une telle détresse. Il lui promit de se montrer plus prudent à l'avenir, ce qui sembla l'apaiser un peu plus.
Tous deux reprirent la direction du Ranch en guidant à nouveau le troupeau encore hésitant, Epona et les autres étalons à leur suite. Il n'y eut aucun incident supplémentaire durant leur retour et l'épisode traumatisant se conclut par l'habituel passage aux abreuvoirs pour rassasier les chèvres avant leur repos dans les étables.
Satisfaits, Link et Malon profitèrent des derniers rayons de Soleil pour préparer une partie de la caravane qu'ils accompagneraient le lendemain pour se rendre à la Citadelle. Une cargaison lourde du fameux lait Lon Lon était déjà entassée dans leur plus grande charrette et la deuxième commençait franchement à manquer de place lorsqu'ils finirent de charger les autres fameux produits cultivés et fermentés ici.
— Ah, c'est donc là que vous étiez tous les deux ! fit une voix derrière eux.
Ingo les observait faire le sale boulot qui revenait à d'autres, et bien qu'il leur en était reconnaissant, l'agacement le gagna très vite en pensant à ceux qui tiraient au flanc, en particulier son associé, le propriétaire même du Ranch.
— On ne peut vraiment pas compter sur lui pour terminer à temps, déplora-t-il. Merci à vous deux pour le coup de main.
— Ce n'est rien, monsieur Ingo ! se réjouit Malon. Mais dites-moi, vous n'auriez pas vu mon père, par hasard ?
— Je le cherche depuis une heure ! maugréa le gérant, sa fine moustache frémissant sous l'emprise d'une colère naissante. Nous devons encore finir l'inventaire des marchandises et estimer les coûts et les gains du voyage et personne ne semble savoir où il se cache !
— Je suppose qu'il roupille encore dans un coin d'ombre ! Puis-je vous proposer mon aide à sa place ?
— Damné soit-il à rêvasser pendant que d'autres se tuent à la tâche ! Je suppose que je n'ai pas le choix, si vous le voulez bien…
N'ayant absolument aucune notion des affaires, Link prit congé une fois s'être assuré que toutes les caisses avaient trouvé leur place, laissant Malon et Ingo étudier deux piles de parchemins couverts de chiffres incompréhensibles. Il repartit à dos d'Epona vers le village de Toal où l'attendait son lit. Sur le chemin, Link garda un œil sur la forêt et ne put s'empêcher de s'interroger sur l'improbabilité de son escarmouche. Son instinct lui annonçait qu'il ne s'agissait ni de la première, ni de la dernière fois qu'une telle bizarrerie se déroulerait sous ses yeux. Il craignait pour la sécurité du Ranch qui ne disposait d'aucun employé capable de se défendre convenablement autre que lui. À long terme, cela risquait de devenir un problème conséquent.
Cette question trottait encore dans sa tête lorsqu'il atteignit sa petite maison à l'écart de la place centrale, encore durant son repas et encore alors qu'il se préparait à se coucher de bonne heure. Le royaume ne pouvait se permettre d'envoyer des patrouilles plus fréquentes dans une région aussi reculée et paisible que Ordinn. Et parmi les gens de la région, les plus aptes au combat se comptaient sur les doigts d'une main, car toute personne démontrant un potentiel dans cet art finissait inexorablement par s'installer à la capitale ou ses alentours.
Déclarant forfait, il se laissa tomber sur son lit et son regard se posa sur la petite lettre à son chevet. Il l'attrapa aussitôt et la relut une énième fois, souriant devant l'écriture rigide et peu soignée de sa sœur s'enquérant de ses nouvelles et l'invitant à passer une journée avec elle et Malon pendant le Festival des Masques.
— Peut-être saura-t-elle quoi faire à ma place.
Le cœur plus léger, Link se demanda à quoi Linkle pouvait ressembler après tant de temps et s'endormit en repensant à toutes les bêtises qu'elle avait commises à Toal avant son départ.
