Alors ce n'étais pas prévu, mais, voilà c'est cadeau : le point de vu de Rampa sur la fameuse fin de saison, bonne lecture !
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Malgré la pomme dans sa bouche, le serpent ne put empêcher la colombe de s'envoler.
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À la défense de Rampa, ce n'était pas un baiser. C'était une déclaration. Une déclaration désespérée d'un serpent acculé, tentant en vain d'empêcher la blanche colombe de s'envoler.
Pas étonnant que, comme un papillon de nuit face à l'attirante lueur d'un réverbère, il se soit jeté sur l'ange sans une seconde pensée.
Six mille ans, six mille ans à côtoyer cet ange, six mille ans à baigner dans sa lumière, à respirer ses paroles, à l'aimer chaque jour un peu plus depuis le commencement, et bien avant encore, et la force de son amour le surprenait toujours.
Il lui avait donné son cœur lors de l'Armag'ehbéNon, lorsqu'ensemble, ils avaient tenus la main de l'Antichrist et s'étaient dressés face au Ciel et à l'Enfer. Il lui avait donné son cœur lorsqu'il avait eu en mains ce ridicule thermos en tartan d'eau bénite. Il lui avait donné son cœur lorsqu'il avait cru ses dernières heures sur Terre venue et qu'il avait choisi de les passer en compagnie d'un ange magicien à ses heures. Il lui avait donné son cœur lorsque l'ange avait cru en sa bonté même parmi les flammes des Enfers. Il lui avait donné son cœur lorsque Aziraphale l'avait vu tenter de sauver autant d'enfants des flots, et qu'au lieu de le dénoncer, son fardeaux s'était allégé.
Aziraphale avait toujours tenu son cœur entre ses mains, et jusqu'à présent cela lui suffisait. Le status quo aurait pu continuer jusqu'à ce que le soleil se dilate et engloutisse la Terre, et plus longtemps encore tant que l'ange était heureux. Jamais il ne s'était imaginé l'embrasser un jour avec toute la douleur d'un coup de poignard et l'angoisse d'un sanglot.
Il aurait dû savoir que ses sentiments étaient imprévisibles.
Et Rampa était désespéré.
Six mille ans à se fréquenter, six mille ans à l'aimer, à se croire aimé en retour. Cela ne pouvait pas être faux, si ? Avait-il encore raté quelque-chose ? Fallait-il déjà qu'il remette en question ces six mille années ?
Aziraphale était un ange, il pouvait ressentir l'amour, il l'avait toujours pu. Mais par une politesse douce, il ne l'avait jamais soulevé. Ils avaient des côtés, des apparences à préserver.
Ainsi, Aziraphale n'avait jamais rien dit au sujet de l'amour émanant de Rampa. Pas de sa tendresse envers ses plantes vertes. Pas plus de la passion qui faisait battre son cœur à chaque fois que la Bentley filait à toute allure sur les routes de Londres. Ni de son affections réticente pour des générations chaotiques de canards. Et surtout, pas un mot pour cet amour plus grand que lui qui l'emportait à chaque fois qu'il posait les yeux sur son ange.
Rien, jamais. Pas une mention de ce sentiment qui, il le savait, imprégnait son essence depuis le premier jour, au jardin d'Eden. Peut-être même depuis l'aube des temps, alors qu'une étoile filante s'était posée à ses côtés pour complimenter la beauté de ses constellations.
Cela ne pouvait être faux. Cet amour pour son ange, ce côté qu'ils avaient créé ensemble. Cela ne pouvait s'arrêter ainsi. Un court instant, ils avaient été un 'nous'. Aziraphale ne pouvait pas lâcher ça pour retomber dans les griffes du Paradis, pas pour une piètre illusion... Il ne pouvait pas le quitter, et surtout il ne pouvait pas lui demander d'y retourner. Retourner là-haut allait briser son ange, Rampa avait besoin de le convaincre de rester.
Il avait essayé les mots, ses phrases sortaient hachées, brisées, alourdies par les émotions qui les portaient.
Il avait essayé les mots et avait échoué.
Il ne lui restait plus qu'une dernière tentative, une déclaration désespérée.
Des mains douces se posèrent dans son dos, le faisant frissonner. De légères caresses, un brin de désespoir faisant écho au sien, et, il ne pouvait que l'espérer, une réponse à sa déclaration. Des doigts effleurèrent son col, comme pour s'y accrocher, et il sentait Aziraphale se pencher dans le baiser. Pendant un bref instant, Rampa n'embrassait pas, il était embrassé.
Dans un autre plan de réalité, ses anneaux écailleux frissonnaient de bonheur. Qui se serait douté d'un simple contact terrestre pouvait ainsi l'affecter ? Presque sans y penser, il s'enroulait autour des ailes aux cent mille yeux et des roues de feux de la Principauté, étendant autour d'eux ses six ailes de nuit en un cocon de velours scintillant. Aziraphale lui répondait en écho, presque exalté. Ensemble, ils étaient entiers. Le serpent et la colombe, côte à côte, bientôt s'endormiraient.
Ensemble, tout était parfait.
Soudain, l'instant se rompit, les mains se retirèrent, comme brûlées à l'idée de toucher un démon, et l'ange cessa de s'appuyer dans leur baiser.
Rampa ne pouvait se résoudre à s'éloigner, comme envoûté par le goût d'Aziraphale sous ses lèvres.
Qui se douterait que d'eux deux c'était l'ange qui le tenterait ?
C'était une pomme dans laquelle il n'hésiterait jamais à croquer.
Car ce n'était pas qu'un baiser.
Les lèvres maladroites qui se mouvaient contre les siennes avaient le goût de l'espoir.
Les mains moelleuses qui n'osaient pas le toucher étaient comme des ailes battant à ses côtés.
Le nez qui câlinait sa joue était la plus douce des caresses.
Le souffle chaud qui dansait dans sa gorge avait des airs de réponses.
Ce n'était pas un baiser, c'était une déclaration d'amour.
Aziraphale était et resterait toujours son meilleur ami.
Aziraphale était et resterait toujours son seul amour. À tout jamais.
Pouvait-il prendre chaque instant de ce baiser comme une preuve qu'il était aussi aimé ? Serait-ce se leurrer que d'espérer que l'ange abandonne ses projets et accepte d'être ? Être vivant, être avec Rampa, être heureux tout simplement ?
Leur relation n'avait jamais eu besoin de mots, elle était. Juste une constante de plus parmi les âges. Mais peut-être que les humains tenaient quelque-chose avec leurs déclarations d'amour et leurs mots pour tout dire et décrire, et leurs gestes pour quand les mots ne suffisaient plus.
Que valaient six mille ans de 'nous', si c'était pour les voir prendre fin si tristement ? Aziraphale était trop bon, il voyait dans le Ciel un potentiel de bonté qui avait disparu depuis longtemps. Effacé de la réalité au moment même où Elle avait précipité hors des Cieux la moitié de ses enfants sous les regards glacials de l'autre moitié. Et le jour où il s'en rendrait compte, le pur Aziraphale chuterait de bien plus haut qu'aucun déchu avant lui. Rampa ne pouvait l'accepter.
Il devait le convaincre de rester.
Mais déjà, après à peine un instant, un souffle, un battement de paupières - douze secondes, douze éternelles secondes de partage, douze minuscules secondes sur six mille ans à parcourir la Terre -, le baiser se rompit.
Rampa ne savait pas quoi dire, le regard fixé sur Aziraphale, à l'abri derrière ses verres teintés. Espérant que ses lèvres avaient été plus convaincantes que ses mots. Le manque de l'ange était presque physique, son torse froid là où la présence angélique l'avait réchauffé, ses lèvres brûlantes et pourtant si glacées.
Le regard de l'ange était inattendu, bien trop chamboulé pour pouvoir être décrypté, alors qu'une myriade d'émotions passaient sur son visage.
Rampa sentit quelque-chose en lui se figer. Il lui fallu six mille ans de résilience pour l'empêcher de simplement se flétrir et mourir en laissant un triste tas de cendre dans sa poitrine.
Sa déclaration avait échouée.
Rampa était dans un flou vacillant quand la phrase d'Aziraphale perça le silence.
« Je te pardonne ».
Rampa l'entendait en écho. Résonnant dans chaque cellule de son corps terrestre. Soufflant un vent glacé dans ses plumes. Dans un autre plan, ses ailes avaient libéré la brillante Principauté et se tenaient là, étendues et incertaines, complètement immobiles. Ailes de cristal, risquant de se briser.
« Je te pardonne », disait l'ange. Comme s'il y avait quelque-chose à pardonner.
En tant que démon, il était impardonnable, et jamais il ne laisserait le Paradis le pardonner, l'élever vers leurs règles et leurs mensonges. L'Enfer était certes un véritable enfer, mais ils avaient une certaine honnêteté à laquelle il s'était vite habitué.
En tant que déchu, c'est lui qui ne Lui pardonnerait jamais.
En tant que lui-même, ni ange ni démon, juste un être ineffable attaché à la Terre et à un ange qu'il pensait tout aussi terrestre, il n'avait pas à être pardonné. Car il n'y avait rien à pardonner.
Jamais il ne demanderait pardon pour ce baiser.
Six mille ans d'amour. Six mille ans de disputes. Six mille ans de rires. Six mille ans et un simple baiser, douze secondes volées. Si durant ces quelques secondes, cette éternité, Aziraphale l'avait repoussé, il se serait éloigné. Jamais il n'aurait insisté.
Car ce n'était pas qu'un baiser, c'était une déclaration, une question, une demande désespérée.
Aime-moi, mon ange !
Reste...
Oublie les balivernes du Ciel, ils ne sont pas dignes de confiance. Crois-tu vraiment qu'ils laisseraient un déchu s'élever ? Crois-tu vraiment qu'un seul d'entre-eux consentirait à t'écouter ? Crois-tu vraiment que tu serais plus qu'un Archange fantoche, bon à être jeté à la moindre incartade ? Toi qui est si intelligent, ne te rends-tu pas compte d'à quel point la bonté du Ciel n'est qu'une croyance commode ? Juste une illusion à laquelle adhèrent les anges pour éviter de regarder leurs actions en face. Ne sois pas stupide, Elle a jeté son enfant préféré dans un lac de souffre bouillonnant pour sa bravade et tant d'autres à sa suite pour un avis, pour une question !Ses enfants, eux, ont voulu effacer le précédant Archange suprême pour un simple refus. Que crois-tu qu'ils te feront, mon doux Aziraphale, quand tu réaliseras que tu ne peux les suivre dans leur croisade ?
Le monde meilleur dont tu rêves n'existera que si nous le bâtissons sur Terre, ensemble toi et moi. Je t'en supplie, mon ange, continuons côte à côté comme nous l'avons toujours fait.
« Je te pardonne », disait l'ange en écho dans ses pensées, le rendant muet. « Je te pardonne. Je te pardonne... »
Peut-être que pour Aziraphale, sa déclaration, sa promesse, sa supplication, n'était finalement qu'un simple baiser. Juste des lèvres qui s'effleuraient sans signification profonde. Une surprise inattendue pour l'ange, juste une manie humaine de plus que Rampa cherchait à lui montrer avant son départ. Quelque-chose qu'il pourrait apprécier, comme la nourriture ou les balades tardives. Ou quelque-chose dont il pourrait se désintéresser, comme le sommeil ou le sarcasme.
Ce n'était rien de plus qu'un baiser. Et pour Rampa, juste un cœur brisé.
« Ne t'embête pas... »
Rampa s'éloigna, ne pouvant supporter de regarder Aziraphale un instant de plus. Il avait sorti son cœur à vif de ses entrailles, et l'avait présenté à son ange. Certes, il n'était pas très beau, c'était un cœur cabossé, plein de cicatrices, dégoulinant de sang sur le beau parquet ciré de la librairie, mais c'était le sien. Et il ne battait que pour Aziraphale.
Face à cette offrande, la colombe l'avait picoré, le blessant à chaque coup de bec. Pic pic pic, seconde après seconde, elle le picorait sans relâche. Pic, pic, pic, nourrissant son espoir. Pic, pic, pic, en douze terribles secondes. Pic, pic, pic, ne laissant rien derrière elle.
Rampa lui aurait donné son cœur mille fois encore, aurait enduré mille souffrance, pour sentir ce bec lisse le toucher. Mais, trop vite, elle s'était détournée. Le laissant avec les mains ensanglantées et la poitrine plus vide que jamais.
Comment l'amour pouvait-il faire aussi mal ?
L'ange s'en allait, et il ne voulait pas être là pour le voir le quitter.
Il devait partir.
Rampa passa la porte de la boutique sans se retourner.
Qui savait ce qu'il serait capable de faire s'il hésitait ?
Eurydice avait disparue à tout jamais parce-que après avoir bravé les Enfers, cet imbécile d'Orphée n'avait pas pu s'empêcher de se retourner.
Rampa connaissait le mythe, il l'avait vécu, n'avait pas pu l'empêcher.
Il ne se retournerait pas.
Un brin d'espoir, enfoui sous les cendres, dans la cavité creuse et dégoulinante d'un ichor doré, brillait encore.
Il n'entendait pas de pas derrière lui.
Mais c'était ainsi qu'Orphée avait été trompé.
Rampa y croyait.
Il avait confiance en Aziraphale pour trouver le bon chemin.
Accoudé contre sa fidèle Bentley, sans prendre la peine de feindre la nonchalance, il attendait. Il aurait pu prier Satan ou Dieu Elle-même, mais c'était inutile.
Il n'avait foi qu'en Aziraphale.
Les larmes qu'il avait retenu depuis avant même le baiser, alors qu'il avait remis ses lunettes dans la librairie pour la première fois depuis quatre ans, s'était taries. Le visage crispé, il ne pouvait que prier son ange de lui revenir.
Quand la porte de la boutique s'ouvrit, Aziraphale n'était pas seul à en sortir.
Le Métatron était avec lui.
Rampa ne pouvait le lâcher des yeux, espérant à chacun de ses pas qu'il réaliserait son erreur, sortirait une excuse maladroite et laisserait tomber le Ciel et leurs plans tordus.
Un instant, un terrible instant d'espoir, Aziraphale se figea.
Rampa y cru.
La crispation sur son visage, l'incertitude dans sa posture, le tremblement de ses mains.
Un instant, un terrible instant d'espoir, Rampa pensa qu'il allait refuser et retourner vers la librairie. Vers lui.
Puis Aziraphale se reprit et suivit le Métatron dans l'ascenseur.
Jusqu'au dernier instant, quand les portes du transport vers le Paradis se fermèrent, Rampa espéra.
Et comme souvent depuis six mille ans à errer sur la Terre, ses espoirs furent brisés.
Mais, contrairement aux six mille dernières années, aucun ange n'était là pour l'aider à les réparer.
Aziraphale l'avait abandonné.
Rampa monta en voiture, grimaçant au morceau de musique qui sortait de l'autoradio de la Bentley.
Ce n'était pas un énième morceau du Best of de Queen.
C'était leur chanson.
Celle qui faisait chanter leurs cœurs à l'unisson.
Dont les notes dansaient entre leurs plumes à chaque écoute, nouvelle preuve de la beauté humaine.
En un miracle, la chanson s'était tue.
Rampa démarra, une boule dans la gorge et un creux dans la poitrine.
Vide, vide, vide.
Oh Aziraphale...
C'était la fin. Toutes les choses ont une fin.
« Rien ne dure éternellement », lui avait-dit Aziraphale... Il devait avoir raison.
Rien ne dure éternellement...
Il n'y avait plus de magie dans l'air.
Les anges ne souperaient plus au Ritz.
Et aucun rossignol ne chanterait plus jamais à Berkeley Square.
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