Disclaimer : Les personnages ne m'appartiennent pas. Ils sont à Terry Pratchett et Neil Gaiman.
7 (petits) chapitres, le temps d'un petit coup de pouce.
Fait suite à la fin de la Saison 2 de Good Omens. (Part pleurer dans son coin)
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Il avait cru que sa chute serait la pire douleur à laquelle il avait à faire face. Mais le départ d'Aziraphale était bien pire encore que tout ce qu'il avait eu à supporter jusque-là. Crowley se retrouvait donc seul, dans un vieux bar décrépit, le goulot d'une bouteille d'alcool fort fixé à ses lèvres. Pourtant, son statut de démon ne lui permettait pas de ressentir tous les effets de l'alcool et une part de lui restait désespérément sobre.
Il aurait voulu annihiler toutes ces stupides émotions. Les faire disparaître d'un claquement de doigt – mais l'expert en magie, c'était Azi, pas lui. Ou peut-être les enterrer encore plus profondément sous la terre, tout comme il l'avait fait avec Mr. Burrows (Une vieille histoire de rancunes datant de quelques centaines d'années, qu'il avait bien gardée secrète).
Quand Aziraphale était parti, Crowley avait pris sa voiture et était parti, sans but précis. Pour oublier, il avait traversé toute l'Angleterre de part en part et s'était finalement retrouvé dans un petit village de pêcheurs qui puait le vieux poisson jour et nuit.
Mais au moins, ici, personne ne lui posait de questions indiscrètes.
Il se demandait parfois si tout allait bien à la librairie.
Et puis il maudissait Dieu, il maudissait Lucifer, il maudissait Aziraphale (mais juste un peu) et il se maudissait lui-même. Beaucoup.
Dans ces moments sombres, où le bar était aussi miteux que son humeur, où les rires des autres clients semblaient si éloignés, Crowley laissait vagabonder son esprit. Des souvenirs surgissaient, des moments partagés avec Aziraphale, des discussions passionnées sur la nature de l'humanité et sur les croissants au beurre.
La douleur était vive, comme une épine dans son être, une épine qui refusait de bouger. Il aurait aimé oublier, effacer tout ce qu'il ressentait, mais ses émotions persistaient, comme une mélodie obsédante dans sa tête.
Il vidait la bouteille, la laissait tomber bruyamment sur le comptoir éraflé, et commandait une autre boisson. Alors il sirotait à nouveau, se perdait dans la brume alcoolisée, espérant que le liquide doré puisse l'aider à oublier, ne serait-ce qu'un instant, cette solitude insupportable. Et il se demandait, dans ces instants de vulnérabilité, s'il pouvait vraiment être "lui" sans son ange à ses côtés.
Alors que Crowley noyait ses frites sous un litre de sauce Cheshire, il vit une main fine et délicate se servir à même son assiette. SON ASSIETTE ! Un regard mauvais lui échappa, prêt à lancer sur l'intru quelque chose de tranchant, mais il s'arrêta net en découvrant qui était en train de se servir sans vergogne ; Une femme absolument sublime, les cheveux noirs coulant comme l'obscurité, les yeux abyssaux absorbant toute lumière, piochait dans ses frites.
Il resta bouche bée, étonné à la fois par son audace et par sa beauté. Bien sûr, il la trouva magnifique – il était un démon, après tout. Il l'aurait classée probablement en deuxième position dans son top personnel des créatures les plus magnifiques qu'il avait jamais croisées. La première place étant indiscutablement réservée à un certain ange, même si cela restait un secret bien gardé dans un coin sombre de son esprit.
Cependant, il était incapable de définir précisément à quel camp elle appartenait – les Enfers ou les Cieux. Il y avait quelque chose d'éthéré chez elle qui rendait difficile de la placer dans une catégorie bien définie. Une chose était sûre : elle n'était pas humaine. Cela sautait aux yeux et cela devait être évident pour elle aussi. Après tout, les humains ne piochaient pas dans les assiettes d'inconnus ; Du moins pas dans ce coin du monde.
Elle releva les yeux vers lui et pendant une fraction de seconde, il aperçut un éclat d'amusement dans ses prunelles abyssales. Un sourire malicieux étira légèrement ses lèvres avant qu'elle ne se redressât, une frite toujours entre ses doigts.
"Mon enfant, espérons que tu n'avais pas de projet sérieux pour ces frites". Sa voix n'était pas vraiment une voix à proprement parler. On aurait dit plutôt le grondement interminable d'une cascade. Pourtant, Crowley comprenait parfaitement tout ce qu'elle disait.
Il resta silencieux pendant un moment, luttant contre l'envie de lui répondre avec sarcasme. Il choisit cependant la prudence, se contentant d'hocher la tête.
Elle haussa légèrement un sourcil « Je suis venue pour la nourriture. Et toi, démon, qu'est-ce qui t'amène ici ? »
Crowley se pencha en arrière, dégageant ses cheveux rouges de son visage, et lança un regard à la pluie battante à l'extérieur. "Oh, tu sais, les journées pluvieuses et lugubres m'ont toujours attiré", dit-il d'un ton nonchalant.
La créature lui adressa un sourire éclatant. "Mon pauvre enfant, le destin est vraiment impitoyable pour toi, n'est-ce pas ? »
"Nrg", fit Crowley, incapable de trouver les mots adéquats.
La créature poursuivit : "6000 ans. 6000 ans pour finir rejeté de cette manière. Pas facile, hein."
Un malaise s'empara de Crowley, le forçant à se tortiller légèrement sur lui-même. Malgré les paroles de la créature – étaient-elles censées être réconfortantes ? Crowley n'en était pas certain – celle-ci semblait totalement indifférente à son état d'esprit.
Le démon se sentait vulnérable sous le regard abyssal de la créature. L'impression de se retrouver sous le microscope de quelqu'un qui avait vécu bien plus longtemps, bien plus intensément, le rendait nerveux. Quelque chose dans cette femme dépassait tout ce qu'il avait pu connaître.
"Ne te méprends pas, démon", poursuivit-elle d'une voix qui faisait vibrer l'air autour d'eux. "Je ne suis pas là pour te juger ou te tourmenter. Je m'ennuie. Le monde a tellement changé au fil des millénaires, mais certains schémas persistent. Nous cherchons tous notre place, n'est-ce pas ?"
Crowley hocha la tête, se retrouvant étrangement en accord avec cette étrange créature.
"Si seulement il pouvait y avoir une solution à ton problème..." La créature tapotait négligemment la table de ses longs doigts effilés. Crowley pensa que c'étaient exactement ce type de doigts qui pourraient ouvrir en deux un ventre.
Un soupir s'échappa de ses lèvres. Évidemment, elle était déjà au courant de tout. À quoi bon essayer de cacher quoi que ce soit ? Ils étaient là, elle et lui... alors pourquoi ne pas simplement parler ? "Je n'aurais pas dû tout dire à Aziraphale. Je me sens vraiment idiot", admit-il finalement.
La créature émit un rire doux. "Oui, c'est toujours comme ça avec les histoires d'amour. Mais si tout était facile, ce serait tellement ennuyeux." Elle retira lentement les lunettes de Crowley et les yeux jaunes du serpent se plongèrent dans les abysses des siens. Une sensation étrange le parcourut, comme si elle le sondait jusque dans les tréfonds de son âme. Dans les yeux de la créature, il n'y avait rien. Aucune lueur, aucun reflet. Juste le vide.
Un frisson lui traversa l'échine.
Elle attrapa une frite, puis lui adressa un regard conspirateur. "Si seulement nous pouvions attirer un peu l'attention... faire savoir que nous existons..." Son sourire revint et Crowley trouva que ce sourire-là était celui d'un prédateur prêt à fondre sur sa proie.
Crowley marmonna, presque pour lui-même : "Ou quelque chose pour tout oublier... et repartir de zéro..."
La créature se redressa brusquement, comme si ces paroles étaient une révélation miraculeuse. "C'est ça ! Il nous faut quelque chose pour repartir de zéro." Crowley se demanda vaguement pourquoi elle s'incluait dans cette équation. "Quel heureux hasard ! Quelle coïncidence ! Tu veux repartir de zéro et il se trouve que j'ai justement sur moi un objet qui pourrait te le permettre ! Je veux dire... quelque chose qui pourrait vraiment attirer l'attention des cieux, tu vois."
Crowley sentit que ça sonnait comme tout, sauf comme une coïncidence. Il se leva, prétendant que cela ne l'intéressait pas. Il mentait, bien sûr. En réalité, il brûlait de curiosité pour savoir ce que cet objet mystérieux pouvait être. L'envie de l'arracher des mains de la créature et de l'utiliser sur-le-champ le tenaillait.
"Oui, oui", répondit la créature d'un ton décontracté, s'appuyant négligemment contre le dossier de sa chaise. Et Crowley savait qu'elle le savait.
La créature se servit un verre de vin, aussi rouge que le sang. "Je serai là de toute façon. Dans une heure, dans une semaine, dans un siècle, je serai là." Elle lui adressa à nouveau ce sourire vide, un sourire qui semblait glisser sur la surface des choses sans jamais s'y ancrer.
