Aziraphale s'était vu offrir un poste d'archange. Un CDI, bien sûr. En l'acceptant, il avait dû laisser derrière lui tout ce qu'il avait chéri : la Terre qu'il avait appris à aimer, son quartier avec son charme intemporel, sa chère librairie, ses précieux livres, ses amis, et peut-être ( il n'osait le penser ) son... ami ?

Du bout du doigt, il effleura ses lèvres. Qu'est-ce que Crowley était pour lui, après tout ? Ils se connaissaient depuis près de 6000 ans et jamais Aziraphale n'avait cherché à trouver la réponse.

Mais cela n'avait plus d'importance maintenant que le démon avait refusé de l'accompagner au Paradis. Incroyable, inconcevable ! Crowley avait eu le choix : le Paradis. Qui rejetterait le Paradis ? Qui serait suffisamment fou pour cela ? À part un démon, bien sûr. Enfin ! Aziraphale avait présenté tout cela à Crowley sur un plateau d'argent (un plateau orné de fines et délicates gravures) et la réponse avait été : "Non merci. Je veux rester sur Terre."

Cela avait fait l'effet d'une claque. Comme s'il avait été piétiné sous le rejet. Tous les efforts qu'il avait déployés, pour finalement recevoir un "non" en réponse ! Pour que Crowley lui dise qu'il ne voulait pas l'accompagner pour reconstruire ensemble leur place, leur espace. Quelle ironie.

Et ce baiser, alors ? Que devait-il en penser ? Était-ce réellement un baiser ? Ou simplement une ruse de Crowley pour le tenter ? Non. Après tout, les anges étaient insensibles aux tentations des démons, n'est-ce pas ? Un frisson parcourut le corps d'Aziraphale. Oui, bien sûr.

Quand Crowley l'avait embrassé, il n'y avait pas ressenti d'amour. Il avait plutôt perçu la fureur du démon, sa colère, son incompréhension... et peut-être même un soupçon de désespoir ? Non, les démons ne pouvaient pas être désespérés. Et puis, cette phrase, "On aurait pu être nous" ? Mais au Paradis aussi, ils auraient pu être "nous".

Aziraphale balaya du regard les alentours. Tout était d'une blancheur immaculée. Propre. Sans artifice. Une pensée fugace lui traversa l'esprit : n'y avait-il pas un léger manque de couleur ? Peut-être un peu de jaune par ici ? Non ! Le blanc était parfait. Rien ne devait y être ajouté.

Il reprit son tampon et se remit à apposer son sceau sur les centaines, les milliers de dossiers qui l'entouraient.

À chaque tampon qui touchait le papier, une partie de lui se sentait de plus en plus vide. Les dossiers semblaient s'empiler à l'infini, tout comme les questions dans son esprit. Il avait tout laissé derrière lui pour accepter ce poste d'archange, pour se fondre dans l'ordre céleste. Mais à quel prix ?

Les souvenirs de la Terre, de Crowley, semblaient se dissoudre peu à peu dans cette blancheur éclatante. Aziraphale continuait de tamponner, essayant de faire taire les doutes qui le tourmentaient.

Et pourtant, malgré sa nouvelle position, malgré le pouvoir qui lui était conféré, il se sentait étrangement vide, comme s'il manquait quelque chose d'essentiel dans ce Paradis immaculé.