L'alarme résonnait dans les cieux, créant une cacophonie insupportable. Les anges se précipitaient en tous sens, désorientés et ne sachant pas vraiment comment réagir. C'était une situation sans précédent.
Soudain, Metatron prit la parole, éclaircissant sa gorge pour attirer l'attention. Peu à peu, le silence s'installa. "Il semblerait... que quelque chose d'inattendu se soit produit sur Terre", annonça-t-il lentement. "Une sorte d'incident impliquant probablement une armée de démons ou je ne sais quoi d'autre. Tout ce que nous savons pour l'instant, c'est qu'ils ont envahi un petit village dans le sud de l'Angleterre... les détails sont encore flous. Il serait peut-être judicieux d'envoyer quelqu'un pour... enquêter. Afin de déterminer si l'intervention est nécessaire ou non."
Des regards inquiets se croisèrent parmi les anges. Puis, les yeux de Metatron se posèrent directement sur Aziraphale. "Parfait. Rien de mieux pour se familiariser avec le rôle d'Archange, n'est-ce pas, Aziraphale ? Allez donc résoudre ce problème pour nous, voulez-vous."
Metatron considéra visiblement la question comme réglée, et il retourna dans son bureau, laissant les autres anges dans un état de confusion mêlée d'inquiétude.
C'était étrange de revenir sur Terre si rapidement. Avant de se lancer dans son enquête, Aziraphale décida de faire un bref détour par son ancienne librairie. (Le mot ancienne résonna douloureusement dans son coeur). C'était juste pour trois secondes, juste le temps de s'assurer que tout allait bien.
La librairie était telle qu'il l'avait laissée. Les piles de livres créaient toujours un joyeux chaos. En entrant, ses doigts effleurèrent le velours du fauteuil qu'il avait utilisé pour tant de lectures.
Son regard se posa sur Murielle, plongée dans la lecture d'un roman. Il la salua et lui demanda si tout allait bien. Murielle répondit avec un sourire, lui assurant que tout se déroulait à merveille.
Mais Aziraphale semblait distrait, parcourant la pièce du regard, comme s'il cherchait quelque chose. Il erra dans les rayons, scrutant les étagères avec une certaine insistance. Il regarda même derrière.
Murielle continuait joyeusement de parler, sans remarquer son inattention. Quand elle évoqua la liste laissée par Monsieur Crowley, affirmant que tout se passait conformément à ce qu'il avait indiqué, Aziraphale se figea. "Quelle liste ?", demanda-t-il d'un ton brusque. Murielle lui tendit un papier couvert d'une écriture hâtive, presque illisible. Les mots avaient été griffonnés rapidement.
Avec un effort, Aziraphale parvint à déchiffrer quelques lignes :
" Point 3 : on ne vend pas de livre. A Personne.
Point 4 : si un client entre dans la librairie, on dit qu'on est fermé pour inventaire.
Point 5 : on ne range JAMAIS.
Point 9 : Les livres de la réserve ne doivent ni être lus, ni être touchés."
Le reste était illisible. Son cœur se serra dans sa poitrine. La question lui échappa : "C'est Crowley qui a écrit ça ?" Murielle confirma.
Les yeux d'Aziraphale scrutèrent à nouveau les lieux. Murielle lui demanda s'il avait perdu quelque chose d'important. Le regard d'Aziraphale se posa sur elle, embués, et il répondit d'une voix à peine audible : "Oui, je crois bien que j'ai perdu quelque chose d'important."
Il toussota pour reprendre contenance, sentant l'émotion monter en lui. Puis, il la regarda droit dans les yeux : "Où est Crowley ?"
Murielle haussa les épaules avec une certaine impuissance. Le démon avait disparu le jour où Aziraphale était monté aux cieux.
Elle ne l'avait pas revu depuis.
Une vague de tristesse et d'incompréhension envahit l'ange. "Parti…" murmura-t-il, plus pour lui-même que pour Murielle.
"Je suis désolée, Monsieur," répondit Murielle avec une sincérité palpable dans la voix. "J'ai essayé de le retenir, mais il semblait tellement déterminé. Il a dit que c'était le moment de laisser aller certaines choses."
Aziraphale passa une main tremblante sur le comptoir en bois poli, contemplant la pièce qui avait été témoin de tant de moments partagés avec Crowley. Les mots de la liste semblaient résonner dans sa tête. C'était la manière du démon de s'assurer que la librairie resterait telle qu'il l'avait connue, même en son absence.
"Je ne comprends pas…" souffla-t-il.
Murielle leva doucement les yeux, son regard empreint d'une compassion silencieuse. "Parfois, les gens font des choses qu'ils pensent être les meilleures pour eux-mêmes, même si cela peut nous blesser. Et parfois, il faut du temps pour comprendre leurs motivations."
Aziraphale acquiesça. "Merci, Murielle," dit-il doucement, se forçant à sourire. "Je vais aller enquêter sur ce qui se passe dans le village."
Murielle hocha la tête. "Prenez soin de vous, Monsieur. J'espère que vous trouverez ce que vous cherchez."
Une fois arrivé dans le village, Aziraphale se retrouva face à un véritable chaos. Les maisons avaient été dévastées, un entrepôt était en proie aux flammes et la terre semblait déchirée en deux par une longue cicatrice qui partait du vieux bar et courait jusqu'à la côte.
L'endroit était désert, mais Aziraphale sentait qu'il restait des âmes présentes dans le désordre. Après une minutieuse recherche, il découvrit un groupe de villageois cachés, visiblement effrayés par ce qui s'était produit. Aziraphale les salua le plus poliment possible avant de leur demander quelques explications. Une vieille femme murmura que c'était la "colère divine".
"La colère divine, dites-vous ?", demanda Aziraphale, les sourcils froncés.
Un homme plus âgé prit la parole et expliqua que tout avait changé depuis l'arrivée d'un étranger, un type "bizarre" venu d'ailleurs. Les descriptions qu'ils fournirent correspondaient étrangement à Crowley : grand, maigre, habillé de noir et passé maître dans l'art de la consommation de whisky au bar du coin.
Aziraphale sentit son cœur battre plus fort. Crowley. Il était là, sans aucun doute. Mais le récit des villageois le laissa consterné. Son cœur se serra d'inquiétude en imaginant Crowley en proie à une rage destructrice. Tout cela semblait bien loin du démon qu'il avait appris à connaître et à apprécier au fil des siècles.
"Où est-il maintenant ?" demanda Aziraphale d'une voix inquiète.
Les villageois échangèrent des regards incertains avant que le vieil homme ne réponde : "Il est parti. Comme il était venu, en un clin d'œil. Il a laissé derrière lui un vrai chaos."
L'ange savait qu'il devrait rédiger un rapport aux cieux pour expliquer la situation, mais il décida de différer d'un jour ou deux cette tâche ; Pour le moment, il n'avait pas encore assez d'informations à faire remonter…
Alors qu'il parcourait le village en quête de Crowley, Aziraphale tomba sur une femme assise sur les remparts, le dos tourné à la mer. C'était une créature magnifique aux cheveux noirs qui le regarda avec indifférence lorsqu'il s'approcha. Dès le premier coup d'oeil, Aziraphale sut qu'elle n'appartenait pas au village, ni même à la Terre.
Intrigué, l'ange s'avança lentement vers elle. "Bonjour. Êtes-vous... impliquée dans ce qui s'est passé ici ?"
La femme lui adressa un sourire énigmatique. "Mon enfant...", dit-elle d'une voix douce.
Aziraphale s'approcha de la femme. Les yeux de celle-ci étaient aussi noirs que les abysses. Il lui adressa un léger signe de tête en guise de salutation et elle répondit par un nouveau sourire qui semblait dire qu'elle en savait bien plus qu'elle ne laissait paraître.
"Je recherche un... enfin, je cherche un ami à moi. Un démon", admit-il, un brin maladroit.
Le sourire de la femme s'élargit légèrement. "Bien sûr que tu le cherches."
Aziraphale se trémoussa légèrement, mal à l'aise sous le regard perçant de la femme. "Et bien... vous ne l'auriez pas vu par hasard ?"
Le sourire de la femme devint presque amusé. "Oh, bien sûr que je l'ai vu."
L'ange se sentit rougir légèrement et détourna le regard. "Eh bien, vous voyez, on s'est quittés un peu... sur un désaccord… et je voudrais en quelque sorte m'expliquer, lui dire que je regrette, que je ne veux pas que les choses se finissent comme ça."
La femme le contempla silencieusement puis elle pencha légèrement la tête sur le côté. "Mon enfant, les mots sont importants, mais parfois, ce sont les actions qui parlent le plus. Si tu veux vraiment montrer à ton ami ce que tu ressens, tu devras agir, aller au-delà des mots."
Aziraphale hocha la tête. "Oui, je comprends. Mais pour cela, il faudrait déjà que je le trouve."
La femme leva un doigt délicat. "La question n'est pas de le trouver lui, mais de te trouver toi-même."
L'ange fronça les sourcils, intrigué. "Comment ça ?"
La femme descendit de son perchoir avec une grâce naturelle et s'approcha de lui, son regard abyssal toujours fixé sur le sien. "Ton ami est perdu, en proie à ses propres démons intérieurs. Pour l'aider, tu devras d'abord confronter les tiens. Faire face à tes doutes, à tes peurs refoulées, à tes vérités ignorées. Quand tu seras en paix avec toi-même, tu pourras lui apporter cette paix."
D'un geste lent, elle indiqua un chemin enflammé qui serpentait à travers le village, s'éloignant en direction des falaises.
