Aziraphale suivit la piste de Crowley. En vérité, ce n'était pas bien compliqué, l'herbe avait brûlé, traçant un chemin de cendre le long des falaises.
Il se remémorait tous ces moments passés avec le démon. Leur alliance pour éviter l'apocalypse, la résolution de l'affaire de la disparition de Gabriel, le sauvetage des précieux livres qui auraient dû brûler (un petit miracle démoniaque…)...
De petites scènes lui revenaient en mémoire, comme lorsque Crowley avait repris sa forme de serpent et qu'Aziraphale avait été tenté de toucher ses écailles pour vérifier si elles étaient vraiment aussi douces qu'elles en avaient l'air. Ou ce jour où Crowley l'avait aidé à atteindre un livre sur une étagère un peu trop haute...
Au fur et à mesure que l'ange avançait le long de la traînée de cendres, ses pensées se remplissaient de ces moments partagés avec Crowley. Il se rendait compte que ces souvenirs n'étaient pas simplement des anecdotes, mais des signes d'une relation bien plus profonde et complexe. Il se souvenait des discussions animées sur l'humanité, le bien et le mal, des moments où ils étaient en désaccord mais finissaient toujours par trouver un terrain d'entente.
Et alors qu'il avançait, Aziraphale comprit : il ressentait plus que de l'amitié pour Crowley. Au-delà de leur nature angélique et démoniaque, il y avait une affection profonde, un lien spécial qu'il ne voulait pas perdre. Une révélation s'imposait à lui avec évidence : il ne voulait pas perdre Crowley.
Finalement, il arriva à l'endroit où le chaos était le plus évident. Les flammes avaient tout détruit sur leur passage, le sol était craquelé et fissuré. Au milieu de cette scène de désolation, il aperçut une silhouette familière. Crowley se tenait debout, les mains dans les poches, regardant le carnage.
Aziraphale s'approcha doucement, sentant une boule dans sa gorge. "Crowley", dit-il doucement. Le démon se tourna vers lui, une lueur sombre dans les yeux. "Aziraphale, qu'est-ce que tu fais ici ?" sa voix était froide, distante.
"Je... je suis venu te trouver", répondit Aziraphale, sa voix légèrement tremblante. "Je voulais m'excuser, pour tout. Pour avoir agi de manière si égoïste, pour ne pas t'avoir compris, pour avoir laissé la colère prendre le dessus."
Crowley le fixa, ses yeux dorés cherchant quelque chose dans le regard d'Aziraphale. "Tu ne devrais pas être ici, Aziraphale. C'est dangereux."
"Je m'en fiche du danger", insista Aziraphale.
Crowley détourna les yeux. L'ange s'approcha encore, maintenant à seulement quelques pas de Crowley. "Ce qui compte, c'est que je sois ici maintenant, avec toi."
Crowley secoua la tête. "Tu ne devrais pas être ici. C'est bien toi qui disais que rien ne durait éternellement..."
Avant qu'Aziraphale ne puisse répondre, un tremblement secoua soudainement le sol. Des fissures s'ouvrirent et d'étranges fumées sombres commencèrent à émerger, se tordant et se contorsionnant. Crowley se tourna vers les ombres, son visage pâlissant légèrement. "Tu dois partir, Aziraphale. Maintenant."
Aziraphale secoua la tête avec détermination. "Non. Je ne te laisserai pas seul."
Le démon se tourna vers l'ange : "Tu es têtu, n'est-ce pas ?"
Aziraphale lui sourit doucement. "C'est ce qui fait mon charme, n'est-ce pas ?"
Il s'approcha de Crowley et lui prit la main. Le démon essaya doucement de se dégager, mais Aziraphale resserra sa prise. Hors de question qu'il laisse à nouveau Crowley partir.
Des volutes noires émanaient du sol. Ce n'était rien de très rassurant. Aziraphale se rapprocha de Crowley. Il demanda : "Qu'est-ce qui se passe ici ?" Crowley soupira. "Ma colère. Elle a... dérapé. J'ai peut-être provoqué quelque chose que je n'arrive pas vraiment à maîtriser."
Aziraphale regarda Crowley : "Je suis désolé. Je suis passé à la librairie, mais tu n'étais plus là." Il sentit la main de Crowley dans la sienne se tendre. Le démon ne le regarda pas : "Je n'avais plus rien à faire là-bas."
À cause des lunettes de soleil de Crowley, Aziraphale ne pouvait pas voir ses yeux. Il ne pouvait pas y lire les émotions qui envahissaient le démon. Un nouveau tremblement de terre les secoua. Aziraphale manqua de tomber et Crowley le rattrapa habilement en passant un bras autour de sa taille.
Les fissures dans le sol s'agrandissaient, se dirigeant vers les pieds de Crowley, comme si le sol menaçait de s'ouvrir sous lui et de l'engloutir. Aziraphale regarda autour de lui, désespéré.
Soudain, il la vit, la femme. Tranquillement assise, elle les observait, la tête appuyée sur sa main. Elle ne semblait vraiment pas impressionnée par tout ce qui se passait. Tout en fixant Aziraphale, elle pointa du doigt Crowley et mima le sol s'effondrant sous ses pieds. Puis elle dirigea son doigt vers Aziraphale et haussa les épaules, comme si elle attendait qu'il agisse.
Aziraphale la regarda, cherchant des réponses dans son regard. Elle le fixa, puis leva les yeux au ciel d'un air agacé. Elle prononça quelques mots, mais ils furent couverts par le grondement de la Terre. Elle articula de sorte à ce qu'il puisse lire sur ses lèvres : « DIS LUI. PAROLES. ACTIONS. » En tout cas, c'était quelque chose qui ressemblait à ça.
Aziraphale déglutit. Il se tourna vers Crowley. Il se lança : "J'ai pas arrêté de penser quand j'étais aux cieux."
Crowley lui jeta un regard en coin, mais resta silencieux.
"Oui, j'ai beaucoup pensé. À la librairie, à la Terre... et... et à toi." Aziraphale sentit la main chaude et moite de Crowley dans la sienne. Il la serra plus fermement pour puiser du courage. "Enfin je veux dire... quand... quand tu m'as embrassé..."
Une secousse sismique soudaine le déséquilibra. Il s'accrocha à Crowley pour ne pas tomber. Aziraphale comprit que dans quelques instants, toute la côte serait probablement engloutie. "Attends, attends... écoute-moi. Je veux dire que j'ai aimé !"
Un épais nuage de souffre s'échappa du sol. Aziraphale porta une main devant son nez pour éviter l'odeur nauséabonde. Il saisit le visage de Crowley entre ses paumes et le força à le regarder. Doucement, il enleva les lunettes du démon pour pouvoir voir ses yeux. Il pouvait y lire tellement de choses !
"Je suis désolé", répéta Aziraphale. "Je pense qu'on s'est mal compris. Je t'ai proposé de venir avec moi aux cieux parce que je voulais que tu restes avec moi pour toujours." Les yeux du démon semblaient l'engloutir. Aziraphale poursuivit avec courage : "Ça fait 6000 ans que je te connais. 6000 ans que tu me connais. Je veux dire... depuis tout ce temps... je ne crois pas que j'arriverai à vivre sans toi !"
La falaise commença à s'effriter. Les premiers rochers tombèrent dans l'eau dans un vacarme assourdissant. Aziraphale tenta de couvrir le bruit de sa voix : "J'aime quand tu es avec moi. J'aime toutes les fois où tu viens me sauver. J'aime quand on se dispute sur des sujets futiles. J'aime quand on discute ensemble. J'aime quand tu m'amènes au restaurant et qu'on passe la soirée là-bas. J'aime quand tu danses avec moi !"
Aziraphale était essoufflé. Il ne savait pas si c'était à cause son discours ou des vapeurs qui s'échappaient de la terre. Il rapprocha son visage de celui de Crowley, toujours entre ses mains : "J'aime quand tu m'appelles 'Mon ange'. J'aime quand tu mets ton bras autour de mes épaules. J'aime quand je sens ta main dans la mienne. J'aime quand tu m'embrasses. Bon sang, Crowley ! J'aime TOUT de toi !"
Une flamme surgit du sol, sous les pieds de Crowley, léchant les vêtements d'Aziraphale. Avec un dernier effort, l'ange plaqua ses lèvres contre celles du démon. Ce n'était pas un baiser brutal comme la dernière fois. Il essayait de mettre tous ses sentiments dans ce baiser. Il voulait montrer à Crowley tout ce qu'il ressentait pour lui.
C'était pur.
Crowley se détacha lentement d'Aziraphale. Il resta là, face à lui, les yeux fixés intensément sur le visage de l'ange. Les flammes et les vapeurs qui s'échappaient du sol semblaient réagir à l'énergie émotionnelle qui émanait d'eux. Le grondement de la terre sembla s'apaiser légèrement. Crowley semblait perdu dans ses pensées, tentant peut-être de comprendre ce qui lui arrivait.
Ok. Ce n'était pas assez clair ? Aziraphale attrapa le col de la chemise de Crowley et le tira sauvagement vers lui pour l'embrasser à nouveau, avec passion. Leurs lèvres se rencontrèrent, transmettant tout l'amour, la tendresse et la passion qu'Aziraphale avait exprimés dans ses paroles.
La flamme qui s'était élevée du sol et avait léché le manteau de l'ange s'éteignit doucement.
Crowley répondit enfin au baiser avec une douceur inattendue, laissant ses émotions se mêler à celles d'Aziraphale. Il sentit la chaleur de leurs lèvres pressées l'une contre l'autre, unissant leurs souffles, unissant leurs cœurs.
Quand ils se séparèrent, l'air était calme, la terre avait cessé de trembler, les volutes noires s'étaient dissipées. Le village était toujours en ruines, mais l'aura de dévastation qui les avait entourés avait disparu.
Crowley regarda Aziraphale droit dans les yeux : "Je te pardonne."
