Hello! Bonne année! :D
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CHAPITRE 3 - Ananas et malédictions
Il eut une bonne nuit mais se réveilla tôt, son téléphone affichant 5 heures du matin. Le silence complet à l'étage inférieur lui indiqua que son père n'était toujours pas rentré (sans surprise) ou était encore k.o. de sa nuit (plus probable) et il décida aussitôt qu'il avait assez reporté son entraînement quotidien. Il enfila un vieux t-shirt, un pantalon de basketball et des espadrilles, et sortit pour faire son jogging habituel.
Il passa ainsi sa première heure de la journée à profiter de la fraîcheur matinale, de la tranquillité de la ville toujours endormie et de l'endorphine qui s'écoulait généreusement dans ses veines. Même ses côtes endolories semblaient soudainement guéries, et lorsqu'il revint chez lui, une fine pluie commençant à tomber du ciel et le rafraîchissant savoureusement, il se sentit plus en forme que jamais.
Mais la sensation de bien-être fut aussitôt dissipée dès qu'il mit le pied dans la maison.
Son père était dans la cuisine – bordel, qu'est-ce qu'il foutait là, à cette heure? Et sans le camion (il avait bien vérifié, cette fois-ci) – en train de siffler tout en s'afférant au-dessus de la cuisinière.
Prompto figea sur place.
La casserole avait été abandonnée sur un coin de la table, son contenu dégoûtant toujours intact, mais d'autres articles l'accompagnaient. Deux cartons de jus d'orange neufs, une boîte d'œufs ouverte, des saucisses grillées, des pommes de terres rôties, un ananas.
Un putain d'ananas. Frais. Qui devait valoir une fortune.
Prompto ne dit rien pendant un moment, perplexe devant la situation inhabituelle. Son père n'était jamais – jamais – à la maison aussi tôt, et encore moins de bonne humeur.
C'était quoi ce bordel.
L'homme se retourna alors, une poêle remplie d'œufs frétillants à la main et croisa son regard. Il souriait.
Cette vue était plus terrifiante que tout le reste et Prompto devait probablement dévisager, car le sourire glissa aussitôt.
– Putain, pourquoi tu me regardes comme ça?!
Prompto sortit de sa transe et secoua la tête.
– Qu'est-ce que tu fous là?, demanda-t-il.
– J'habite ici, p'tite merde. C'est ma maison.
Son père était sobre. Au moins.
– Non, je veux dire pourquoi t'es ici aussi tôt? Et c'est quoi, toute cette putain de bouffe?
Le sourire de son père s'étira.
– J'ai gagné!
Pour appuyer ses dires, il glissa la main dans sa poche arrière et en tira une liasse de billets gigantesque, qu'il brandit devant son fils
– CINQUANTE MILLE GILS! Au poker! J'ai tout raflé! Les cons!
Il secoua son gain comme pour s'assurer que son fils le voit bien avant de le ranger à nouveau dans sa poche, puis fit glisser le contenu de sa poêle sur la pile de saucisses.
La quantité de nourriture était obscène et le ventre de Prompto se serra à la vue du liquide jaune s'écoulant sur la viande. Il y en avait assez pour au moins six personnes, si ce n'était plus. Impossible que son père ne mange autant; il allait certainement en jeter plus de la moitié.
– Et tu t'es dit que c'était une bonne idée de le flamber d'un coup sur autant de nourriture que tu vas jeter?, demanda le jeune homme d'un ton réprobateur.
Le sourire de son père s'effaça aussitôt.
– T'auras pas une bouchée.
– J'en veux pas, de ta sale bouffe, répliqua Prompto.
Il se retourna pour grimper l'escalier.
– J'en doute pas, tout ce que tu bouffes, ce sont des queues, entendit-il derrière lui.
Il s'arrêta sur la dernière marche, avec l'envie soudaine de redescendre pour lui foutre son poing sur la gueule. Ces commentaires de merde, il en entendait au moins dix par jour quand son paternel était à la maison, et la majorité du temps, il les ignorait parce qu'il n'était pas en position de force.
Mais, parfois, putain que la tentation de répliquer était forte.
Il prit une grande inspiration et, avant de faire quelque chose qu'il allait regretter, continua son chemin.
Son père avait toujours été un vrai trou de cul envers lui. Ce dernier avait été adopté lorsqu'il n'était encore qu'un bébé, et il était convaincu que d'accueillir un enfant avait été la décision de sa mère, puisque son père n'avait aucune fibre paternelle. Elle, elle avait toujours été exceptionnelle; tendre, affectueuse, patiente. Lui, il se contentait de permettre à son fils d'exister, de vivre dans sa maison. Ce n'était pas la joie, mais, enfant, Prompto ne s'en rendait pas particulièrement compte; son père travaillait souvent à l'extérieur et sa mère était tout simplement parfaite.
Prompto avait donc été élevé dans une maison qui était en majorité pleine d'amour. Un amour qui s'évaporât dès que le cancer s'introduit dans leur famille.
Ses souvenirs étaient vagues. Les termes médicaux étaient trop complexes pour un enfant de neuf ans et il ne comprenait pas trop ce qui se passait. Mais sa mère quittait pour de longues périodes durant lesquelles elle restait isolée à l'hôpital et Prompto se retrouvait seul avec son père. Ce fut à cette époque qu'il le connut véritablement. Son impatience, sa colère. Mais Prompto voulait se faire aimer et il tentait par tous les moyens de lui faire plaisir. Sans succès.
L'enfant ne comprenait pas trop ce qu'il faisait de mal.
À chaque fois que sa mère revenait de l'hôpital, elle était plus mal en point que la veille. Ses cheveux tombaient. Son poids descendait radicalement aussi. Prompto avait de la difficulté à comprendre pourquoi elle ne voulait plus l'amener au parc; pourquoi elle lui demandait de parler moins fort ou n'avait plus l'énergie pour jouer avec lui.
Puis, un bon jour, elle vint le voir dans sa chambre, où il était occupé à créer un collage de photos.
– Je vais devoir quitter, avait-elle dit.
– Combien de temps?
Sa mère lui avait fait un sourire triste.
– Pour toujours.
– Mais… tu vas me laisser seul avec papa?
Le sourire disparut, ne laissant que la tristesse.
– Je suis désolée, Prom.
Les funérailles avaient été étranges. Il avait compris que sa mère n'était plus là, mais les invités insistaient qu'elle était dans la boîte ivoire qui avait été placée devant la salle. Prompto ne comprenait pas; la boîte était beaucoup trop petite pour contenir sa mère. Plus rien n'avait de sens.
Ce soir-là, lorsqu'ils étaient revenus à la maison, son père et lui coincés dans leurs habits noirs, la bâtisse semblait sombre et sans vie.
Son père lui avait dit :
– Tu peux rester ici, mais tu restes tranquille. Sinon, je te renvoie d'où tu viens.
Il n'avait pas été certain de comprendre, mais il avait hoché tout de même la tête.
Leur relation resta assez neutre pendant quelques années. Le travail de son père le renvoya sur la route et Prompto resta seul à la maison pour de longues périodes. Il découvrit éventuellement qu'il préférait cela ainsi : son père lui faisait froid dans le dos et avait tendance à être explosif. Il était difficile de prévoir ce qui allait le faire sortir de ses gongs; parfois, c'était une cuillère qui avait empêché le tiroir de se refermer, d'autres fois, une lettre par la poste qui amenait une mauvaise nouvelle. Prompto faisait de son mieux pour prévoir toute situation problématique à l'avance, mais il y avait toujours quelque chose qui n'allait pas.
Les années passèrent et, malgré le fait qu'il avait déjà reçu quelques claques derrière la tête, le véritable premier coup de poing rencontra son visage lorsqu'il avait onze ans.
C'était lors d'une soirée banale. Au moment du repas du soir, Prompto avait voulu soulever une casserole de soupe aux légumes pour la déposer sur la table. Mais les poignées avaient été placées au-dessus du feu trop longtemps et lorsqu'il y posa les mains, elles lui brûlèrent la peau. Il échappa la casserole en criant et son contenu se répandit sur le plancher, le barbouillant d'une marre orangée. Son père jura, le traita d'incapable, de bon à rien et, alors que Prompto pleurait à chaudes larmes, les yeux rivés sur ses mains rouges, il hurla :
– MAIS TU LA FERMES, OUI!?
Le poing l'avait atteint sur la mâchoire et il était tombé de côté, se cognant le coude sur la cuisinière et tombant à genou dans le dégât.
Ce fut le premier d'une longue série de coups.
Leur relation empira lorsque Prompto eut treize ans. C'était un âge où tous ses amis à l'école se vantaient d'écouter de la porno et passaient leur pause repas à parler des filles de l'école de façon plus ou moins respectable. Prompto avait de la difficulté à s'intégrer à leurs conversations. Il avait choisi une fille qu'il aimait bien comme son coup de foudre officiel, mais il n'avait pas l'enthousiasme de ses amis. Peut-être que c'était parce qu'il n'avait jamais été porté sur la porno, pour une raison obscure.
Un soir, il fut curieux et décida de jeter un coup d'œil à son tour. Il tapa le mot "sexe" dans un engin de recherche, les joues rouges et le cœur battant, et tomba sur un site web au design douteux. Les images étaient provocantes et sans censure, et Prompto y navigua un peu au hasard, sans trop savoir ce qu'il cherchait. Éventuellement, il tomba sur la section gay, et ce fut une révélation. Alors que les images des jeunes femmes l'impressionnaient et l'intimidaient à la fois, celles des hommes lui coupaient le souffle. Ils rendaient sa peau rouge, son cœur palpitant et son bas ventre brûlant.
Prompto découvrit qu'il était gay.
Malheureusement pour lui, son père le découvrit au même moment.
Avec ses écouteurs sur les oreilles, il ne l'entendit pas ouvrir la porte de sa chambre, ni lui demander ce qu'il faisait là. Il ne l'entendit pas avancer vers lui. Mais il ressentit le coup sur sa tête, un violent poing qui fit s'envoler ses écouteurs et siffler ses oreilles. Puis, un autre coup, sur la mâchoire. Il tomba de sa chaise, et il reçut une botte directement dans les côtes, puis dans le dos, puis sur l'épaule, puis de nouveau dans les côtes, puis encore et encore et encore. Au même moment, des hurlements bourdonnaient dans ses oreilles. Pédé. Dégueulasse. Tordu. Homo. Tapette. Fiotte. Dégénéré. Et par-dessus, ses propres cris, terrifiés, qui suppliait son père d'arrêter.
Pour la première fois de sa vie, Prompto crut qu'il allait mourir.
Il ignora combien de temps il resta au sol. Il n'arrivait pas à respirer convenablement, son torse protestant à chaque inspiration. Il avait la nausée, son estomac douloureux et serré comme s'il allait vomir. Il perdit la notion du temps.
Lorsqu'il ouvrit les yeux de nouveau, il était toujours au sol, à côté de sa chaise renversée. L'ordinateur était en pièces, à l'autre bout de sa chambre, comme s'il y avait été lancé. Il avait mal à la tête, au torse et aux genoux. Partout, en fait. Sa vision était trouble, son envie de vomir toujours aussi intense.
Il se leva difficilement, et descendit l'escalier lentement, en boitant. Son père était dans le salon, assis devant la télévision, un verre à la main.
Il ne regarda pas Prompto lorsqu'il lui dit :
– Si je te reprends une seule fois à faire ce genre de connerie, je te réenvoie au Niflheim.
Et Prompto découvrit, avec horreur, qu'être gay n'était pas sa pire malédiction.
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Il se doucha rapidement, prépara son sac avec un uniforme d'extra et le nécessaire pour les deux prochains jours, et enfila ses chaussures dans un temps record.
Lorsqu'il redescendit l'escalier, son père était en train de goinfrer de pommes de terres rôties et de saucisses. Il s'était déjà versé un verre de jus d'orange, que Prompto suspectait contenir plus que du simple jus, à en voir la bouteille de vodka qui traînait sur la table.
Il était sept heures du matin, bon sang.
– Pas surprenant que tu sois aussi gros, commenta-t-il.
C'était un commentaire gratuit, mais il n'avait pas envie d'être gentil.
Son père leva les yeux vers lui, la bouche pleine.
– Parfdon? F'vais te buter p'fit con!
– Ouais, c'est ça, marmonna-t-il en se dirigeant vers la porte.
La cuillère tomba dans un claquement aigu et l'homme se leva d'un coup, sa chaise frottant bruyamment le sol. Prompto s'arrêta aussitôt et se retourna vers lui, les poings serrés.
– LE RESPECT, TU CONNAIS?!, hurla son père, des morceaux de pomme de terre s'échappant de sa bouche. Je suis ton putain de père, sans moi tu serais à la rue p'tit merdeux!
– T'es pas mon père, imbécile!
– Non, parce que t'es qu'une putain de lopette et un sale étranger de merde! Si tu es encore là, c'est uniquement parce que je t'ai pas encore dénoncé, donc tu fermes ta gueule!
Prompto le dévisagea d'un air de défi. Puis, sur un coup de tête, il attrapa l'ananas.
– Va chier!, lança-t-il, avant de fuir vers la porte.
– REDONNE-MOI ÇA!, entendit-il son père hurler derrière lui.
Mais le jeune homme avait déjà traversé la sortie avant même que son père, ralentit par son bide gigantesque, ne contourne la table.
Et une fois dehors, sous la pluie qui s'était déjà amplifiée, Prompto sprinta, le stupide ananas coincé sous le bras.
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À l'école, il retrouva Cindy à son endroit habituel, devant son casier. Elle était assise au sol, concentrée à tresser des fils jaunes et bleus pour fabriquer (une tentative de) bracelet brésilien. Elle leva la tête en l'entendant s'approcher.
– Ne pose pas de questions, déclara Prompto aussitôt.
– Qu'est-ce que tu fous avec un putain d'ananas?!
Le jeune homme roula les yeux. Il imagina qu'il avait l'air d'un con, trempé de la tête aux pieds, à se promener avec ce fruit ridiculement gros sous le bras, mais il était hors de question qu'il n'abandonne sa prise.
– Je me suis engueulé avec mon père, expliqua-t-il en s'assoyant à côté de son amie.
Il déposa le fruit devant lui, entre ses jambes ouvertes.
– Ah, bien sûr, logique que ça finisse en ananas, répondit-elle.
– Il a gagné au poker. Et plutôt que de payer les factures, il a dépensé une fortune sur de la bouffe hors de prix.
– Ah…
– J'étais furax, alors j'ai piqué son putain d'ananas juste pour le faire chier.
Cindy sourit.
– Tu pourrais le revendre, il doit valoir plus cher qu'un rein.
– Tu me l'achètes? Quinze mille gils et il est à toi.
– Pff! Je t'en donne une réglisse et un bracelet fabriqué avec amour.
– Hum… Je préférerais un bracelet fabriqué avec talent.
– Mange de la merde.
Prompto éclata de rire. Cindy se pencha à nouveau sur ses nœuds, mais elle avait un sourire en coin.
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La journée se déroula aussi étrangement qu'elle avait commencé. La pluie, qui n'avait cessé de s'amplifier jusqu'à se transformer en déluge, créait une étrange atmosphère qui écrasait les épaules de tous, comme si les nuages n'étaient pas haut dans le ciel, mais littéralement appuyés la tête des gens, lourds et désagréables.
Il y avait aussi le fait que Prompto traînait son ananas de classe en classe comme un putain de trophée et que sa petite collation attirait légèrement l'attention. Il refusait catégoriquement de l'abandonner – il avait risqué sa vie pour l'obtenir, bordel! – mais n'avait pas exactement les outils pour pouvoir le manger.
À la pause repas, il demanda à la femme de la cantine s'il pouvait emprunter un couteau de cuisine et la dame le dévisagea comme s'il était un maniaque, ce qui le renvoya à sa place avec un air défait et une Cindy complètement hilare.
Puis, alors que Prompto se préparait à entrer en classe, son patron lui envoya un texto :
The boss :
"la pluie a complètement inondé l'épicerie"
"il y a un putain de trou dans le toit, l'eau coule"
"je dois fermer. tu n'auras pas à travailler ce soir"
Prompto :
"je serai payé?"
The boss :
"rêve toujours"
Fuck.
Son cœur se serra, la panique l'envahissant d'un coup. Immédiatement, ses pensées se ruèrent vers les chiffres dans son compte en banque, et bordel pourquoi la vie devait être aussi chiante avec lui? Qu'est-ce qu'il avait fait aux bons dieux, merde!
Il passa son cours à se morfondre. Même s'il était ok pour survivre plusieurs jours, il savait qu'il en payerait le prix à la fin du mois, quand les chiffres ne balanceraient pas. Chaque changement sur ses revenus lui broyait les tripes, l'angoisse de manquer de nourriture ou recevoir la visite d'un huissier de justice l'obsédant sans répit.
Il aurait pu se consoler en se disant qu'il avait au moins obtenu une trop rare soirée de libre pour se reposer, mais il ne savait pas trop s'il était une bonne idée de rentrer à la maison ce soir-là. Son père n'avait jamais gagné de gros montant avant, et il ne savait pas trop si celui-ci allait fêter sa victoire en se saoulant la gueule dans son salon ou plutôt retourner aux tables pour tenter de faire gonfler son bénéfice.
Et il n'avait pas trop envie de tomber nez à nez avec son père en état d'ébriété. Surtout après lui avoir volé un ananas entier.
Prompto :
"yo t'es libre ce soir?"
Cindy la démone :
"nope. c'est l'anniversaire de ma mère et ma tante vient visiter. le rêve."
"je t'inviterais bien, mais tu sais comment sont mes parents"
Depuis que les parents de Cindy avaient découvert que Prompto aimait bien se faufiler dans la chambre de leur fille en passant par la fenêtre, ils avaient placé le jeune homme sur une liste noire. Depuis, celui-ci avait l'interdiction formelle d'entrer dans leur maison. Ils avaient probablement cru qu'il se tapait leur fille; mais même après avoir expliqué que Prompto ne s'intéressait qu'aux garçons, la règle était restée.
Évidement, Cindy et lui brisaient le règlement dès que ses parents étaient absents, même si les sœurs et les frères de la jeune femme étaient les pires délateurs qui existaient sur terre et finissaient toujours par dénoncer leur aînée.
Ces petits démons.
Prompto soupira. Il ne savait pas trop où se cacher pour la soirée. Il était évident que son budget ne lui permettrait pas de se terrer dans un café ou un restaurant, et la pluie rayait complètement l'option de flâner à l'extérieur.
Il lui restait la bibliothèque de l'école.
Soudainement, la soirée de la veille lui revint à l'esprit et il se rappela du projet de physique sur lequel il n'avait pas réellement travaillé.
Il se mordit la lèvre. Il n'avait absolument pas envie de passer une deuxième soirée de suite en compagnie du prince, mais il n'avait pas le choix; leur première session de travail avait été gaspillée à expliquer les bases fondamentales de la science plutôt que de commencer le projet, parce que son fabuleux coéquipier préférait dormir dans ses classes.
Mais il ne pouvait pas se permettre de déconner avec ce travail. Sa note et sa bourse en dépendaient.
Prompto :
"salut, on peut se revoir ce soir à la biblio pour le projet?"
Il crut que le prince refuserait – et peut-être bien qu'une partie de lui l'espérait – mais il obtint une réponse différente à celle qu'il s'attendait :
Le prince et roi des cons :
"ok, laisse-moi voir avec mon conseiller si je peux libérer mon horaire"
Puis, trente minutes plus tard :
Le prince et roi des cons :
"c'est bon, j'y serai"
Prompto grimaça. Cette journée allait se terminer exactement comme elle avait commencé. Comme de la merde.
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– Tu peux mettre une perruque et te faire passer pour moi ce soir?, demanda Cindy.
Elle et Prompto s'étaient rejoints devant son casier à la fin des classes.
– Bonne idée, répondit-il, j'aurai juste à raconter à ta tante que j'ai pris vingt centimètres parce que j'ai bien mangé.
– Je la déteste, la soirée va être pénible, se plaignit Cindy en rangeant ses cahiers.
– Tu peux toujours prendre ma place, si tu veux… Je dois aller à la biblio avec monsieur le prince des connards pour notre projet de physique.
– Intéressant… Son garde du corps sera là?
– Je crois pas, il n'y était pas hier.
– Alors ça ne vaut pas le coup de se faire chier avec un projet de physique, décida-t-elle en refermant la porte de son casier. Je préfère souffrir avec ma tante.
Prompto roula les yeux, un sourire en coin.
– Tiens, pour les morveux, fit-il.
Il lui tendit l'ananas, les feuilles légèrement écrasées pour avoir été trimballé toute la journée. Cindy le dévisagea.
– Quoi, t'es sérieux?
– Bah ouais?
– Tu vas pas le manger? Je veux dire… Je sais que ton budget bouffe est serré…
Prompto tenta de garder un visage impassible, même si la simple mention de ses finances le faisait paniquer intérieurement.
– Allez, prends-le. De toute façon, je suis fatigué de le traîner et j'en pour la soirée.
Le visage de la jeune femme s'illumina lorsqu'elle prit le fruit entre ses mains.
– Les petits démons vont devenir complètement dingos en me voyant arriver avec ça! Merci!
Prompto sourit à son tour. L'idée que les gamins en profiteraient lui fit extrêmement plaisir et posa un petit baume sur sa journée de merde. Si seulement ce sentiment pouvait perdurer le reste de la soirée.
– Oh, t'as de la visite, fit soudainement Cindy en regardant derrière lui.
Le petit baume disparu lorsque Prompto se retourna et tomba nez à nez avec le prince Noctis. Celui-ci fixait l'ananas de sourcils froncés.
– Salut, heu, bonjour votre altesse, balbutia Cindy.
Prompto roula les yeux si profondément qu'il les ressentit presque tomber dans le front de son crâne. Le prince répondit d'un hochement de tête poli.
– Bon, je file, lança Cindy en faisant un salut timide. Merci encore Prom, ajouta-t-elle en soulevant l'ananas.
– De rien.
La jeune femme disparut au bout du couloir et Prompto reporta son attention sur Noctis. C'était étrange de le voir si près de lui ailleurs qu'à la bibliothèque. D'ailleurs, il devait ne pas être le seul à penser ainsi, car tous les regards étaient tournés vers eux, comme si les gens se demandaient pourquoi le prince semblait connaître un moins-que-rien comme Prompto.
– Le psychopathe flippant qui te suit partout n'est pas là aujourd'hui?, demanda-t-il.
– Qui ça?
– Ignis.
– Bah oui, il est juste derrière toi.
Prompto sentit le sang se drainer de son visage et il tourna la tête. Non seulement le conseiller était effectivement derrière lui, mais en plus celui-ci avait clairement entendu leur échange, à en voir les éclairs qui lui sortaient des yeux.
– Heu… Salut?, tenta Prompto.
Il n'obtint pas de réponse autre qu'un regard de tueur et Prompto frissonna. Il avait l'air encore plus terrifiant entouré d'étudiants plus petits que lui.
Il eut soudainement hâte de foutre le camp.
– Biblio?, demanda-t-il en se retournant vers le prince à nouveau.
Noctis hocha la tête et il emboita le pas derrière Prompto. Ce dernier n'eut pas besoin de se retourner pour voir si Ignis suivait aussi; il sentait son regard trouer le derrière de sa tête comme un putain de laser.
Ils ne parlèrent pas jusqu'à ce qu'ils atteignent la porte principale de la bibliothèque, mais lorsque Prompto tira sur la poignée, il constata qu'elle était verrouillée.
– C'est quoi ce bordel?
Il remarqua ensuite une note collée sur la porte.
"Une inondation nous force à fermer indéfiniment, merci de votre compréhension."
Putain, c'était pas possible… Ce putain de déluge allait avoir raison de sa santé mentale.
– C'est fermé?, demanda Noctis.
– Ouais. Quelle merde…
Il glissa les doigts dans ses cheveux d'un geste nerveux. Où pouvaient-ils aller à présent? Ses options étaient réduites à néant.
– On va chez moi?, proposa soudainement le prince.
Prompto releva la tête vers lui, les sourcils arqués.
– Quoi? Au palais? Ça va pas la tête?
Les sourcils de Noctis se froncèrent.
– J'habite pas au palais, qu'est-ce que tu crois. J'ai mon propre loft.
Ah, sans surprise... Un loft fort probablement payé par la couronne. Qu'est-ce que Prompto était naïf.
– Pas besoin, on a juste à faire ça ici, déclara le blond en déposant son sac sur le sol, au pied du mur.
– Ici, où?
– Bah, ici, confirma-t-il en s'asseyant au sol.
Cindy et lui avaient l'habitude de travailler dans les couloirs de l'école, parce que la jeune femme détestait la bibliothèque et Prompto trouvait la cantine trop bruyante.
– Dans le couloir?! Directement sur le plancher?!, fit Noctis d'un ton abasourdi.
Prompto roula les yeux.
– Ton pantalon ne va pas flamber, t'inquiète.
– Hors de question.
– Putain t'es vraiment une petite nature! C'est pas compliqué, fous ton cul ici et voilà merde! C'est quoi la différence avec une chaise?!
Noctis ouvrit la bouche pour répliquer, mais ce fut à Ignis d'intervenir.
– Monsieur Argentum.
Le ton qu'il utilisa glaça aussitôt le sang de Prompto.
Oh merde.
– Est-ce que je peux avoir un moment avec vous?, ajouta-t-il.
Ce n'était pas réellement une question.
– Ce sera pas nécessaire Iggy, dit Noctis.
– J'insiste.
Prompto déglutit. Il se leva et suivit Ignis qui l'amena à part, au détour d'un couloir. Aussitôt arrivé, le conseiller se retourna vers lui en croisant les bras sur sa poitrine.
– Monsieur Argentum, j'irai droit au but. Il existe des lois qui régissent la façon de s'adresser au prince Noctis et, bien que j'ai fermé les yeux sur une quantité impressionnante d'infractions, je devrai y mettre un terme immédiatement.
– Hemmm… Okay?
– Tout d'abord, le vouvoiement est de mise lorsque vous discutez avec le prince. De plus, vous devez garder un ton respectueux à son endroit, et ce, en tout temps.
Prompto ouvrit la bouche pour répliquer, mais Ignis l'interrompit d'un doigt levé.
– Et bien sûr, vous devez vous adresser à sa majesté en utilisant les appellations "Son altesse", "Votre majesté" ou "Prince Noctis".
Prompto ne put s'empêcher de rouler les yeux.
– Il est votre souverain et donc par définition, votre supérieur, insista le conseiller. Sachez qu'un ordre du prince doit être respecté, peu importe sa demande. S'il refuse de travailler au sol, vous devez vous plier à sa décision.
– Putain, tu déconnes, j'espère.
Même si Ignis lui faisait froid dans le dos, il y avait une limite sur les conneries que Prompto pouvait accepter.
– Il s'agit de la loi, confirma Ignis.
Putain, il ne pouvait pas croire le niveau de ridicule de cette conversation. Son expression devait le trahir, car Ignis insista d'un ton appuyé :
– Est-ce que je me suis fait bien comprendre.
– Ouais ouais, compris. Je dois lécher le cul à ton petit prince, c'est noté.
Ignis n'apprécia visiblement pas la réponse, mais Prompto ne lui donna pas la chance de répliquer. Il se retourna et se dirigea d'un pas colérique vers le prince, qui l'attendait sans bouger.
La discussion l'avait laissé bouillant de rage. Putain, le type n'avait rien d'assez extraordinaire pour justifier tous ces privilèges. C'étaient des foutaises.
Il était tant en furie qu'il ne regarda pas Noctis lorsqu'il passa devant lui pour ramasser son sac d'un geste brusque. Semblerait-il qu'il n'avait pas l'option de travailler sur place, puisque monsieur son altesse en avait décidé autrement.
Quelles conneries. Il n'arrivait pas à croire.
– De quoi avez-vous discuté?, entendit-il Noctis demander d'un ton suspicieux.
– J'ai simplement rappelé à monsieur quelques petites règles, répondit le conseiller.
Lorsque Prompto se retourna vers eux, il constata que le prince regardait Ignis de sourcils froncés, comme s'il n'avait pas apprécié la réponse qu'il venait d'entendre, mais le conseiller semblait préférer observer Prompto d'un regard scrutateur, vérifiant visiblement que le jeune homme allait bien se plier aux désirs de son altesse, comme le pauvre membre de la plèbe qu'il était.
Ce simple regard lui fit plus chier que tout le reste, et, sous le coup d'une impulsion, il lâcha son sac qui tomba au sol dans un bruit sourd.
Fuck la loi. Il n'allait pas s'abaisser aux caprices d'un petit prince médiocre.
– Allez mec, fit-il à Noctis en pointant le sol d'un geste vague de la main, viens et assieds-toi là, ce sera parfait.
Il s'assit en tailleur contre le mur sans attendre de réponse et ouvrit son sac pour en extraire son matériel.
Il tenta de feindre une désinvolture qu'il ne ressentait pas du tout, manipulant ses livres sans presse comme s'il ne venait pas de briser au moins cinquante règles en trois secondes. Comme s'il ne sentait pas le regard du conseiller brûler le dessus de son crâne.
Le silence qui flottait dans l'air lui serra les tripes et il attendit avec une angoisse qu'il espérait être bien dissimulée une réplique du prince à tout moment – ou pire, un avertissement d'Ignis-le-psychopathe – mais à sa grande surprise, ni l'un ni l'autre arriva. Au bout de quelques secondes, Noctis s'assit à ses côtés et ouvrit son sac à son tour.
Prompto expira de soulagement. Il ne leva pas les yeux pour regarder le conseiller, qu'il entendit s'appuyer contre le mur à quelques mètres d'eux.
Ils choisirent le sujet de leur projet – optant pour celui concernant l'énergie cinétique – et commencèrent à établir un plan de rédaction que Noctis nota sur son ordinateur portable. Ils avancèrent lentement, le jeune prince se buttant sur plusieurs termes qu'il ne comprenait pas, mais Prompto tentait de l'aider lorsque possible.
Ils y étaient depuis à peine une vingtaine de minutes lorsqu'ils se firent interrompre.
– Bonjour votre altesse!
Prompto leva les yeux sur une étudiante qu'il avait déjà vu dans les couloirs de l'école, une brunette qui devenait insupportable dès qu'elle s'approchait du prince; une groupie dans sa forme la plus pure.
Il devina ce qui allait suivre, mais ne put pas le fuir.
– Je vois que vous avancez votre projet de physique… Vous êtes si travailleur! Est-ce que je peux vous aider pour quoi que ce soit?
Prompto leva les yeux au ciel. Travailleur, mon cul.
– Non, merci, marmonna Noctis.
– Vous savez, la prochaine fois, nous pourrions faire équipe, ce serait un honneur de travailler aux côtés de son altesse!
Noctis hocha la tête poliment. La jeune femme eut un rire complètement faux qui sonnait forcé et la patience de Prompto s'effrita à vue d'œil.
Putain, cette conversation était pénible à entendre.
– Mon père a déjà travaillé pour la couronne, expliqua-t-elle, glissant un doigt dans ses cheveux pour l'enrouler distraitement. Nous ne sommes pas très différents, en fait. Nous sommes de la même classe sociale, contrairement à…
Ce fut à ce moment que Prompto sut qu'il ne supporterait pas la fin de cette phrase et il se racla bruyamment la gorge.
– Génial, merci pour ton témoignage, annonça Prompto d'un ton sec. On peut travailler tranquillement maintenant?
La jeune femme se retourna vers lui et lui lança un regard noir.
– Je ne parlais pas à vous.
– C'est une chance, parce que je t'aurais déjà dit de dégager il y a un bon moment.
– Excusez-moi!?, s'exclama-t-elle d'un ton outré.
Prompto la dévisagea pendant quelques secondes, sans rien répondre parce que, franchement, il n'avait pas d'énergie à y perdre. Après un temps, la jeune femme détourna le regard, un rosé qui picorant les joues.
– Hem… Je vous souhaite une excellente soirée, votre altesse, dit-elle à Noctis.
Puis, après un dernier regard noir vers Prompto, elle quitta.
– Putain, marmonna le blond. Comment peux-tu supporter ça?
Noctis haussa les épaules sans répondre et les deux hommes se penchèrent de nouveau sur leur travail. Ils avancèrent à peine quelques phrases lorsqu'ils se firent interrompre à nouveau par deux jeunes femmes aussi authentiques que la précédente.
Putain, personne ne rentrait à la maison après les classes ou quoi? Qu'est-ce qu'elles faisaient toutes là?
– Votre majesté, quelle joie de vous voir ici!
Elles se penchèrent dans une espèce de révérence étrange qui sembla tout sauf naturelle. Puis, elles procédèrent à inonder le pauvre prince de questions futiles, qui répondit avec de phrases courtes et concises.
C'était une torture. Prompto essayait de les ignorer et se concentrer sur un paragraphe dans son manuel de physique, mais elles avaient des voix aiguës qui tranchaient son attention et des rires exagérés qui l'énervaient au plus au point.
Il allait ouvrir la bouche et les envoyer se balader, lorsque Noctis le fit à sa place.
– À présent, si ça ne vous dérange pas, j'aimerais me concentrer sur mon travail, s'il vous plaît. Ce fût un plaisir d'avoir cette conversation.
Prompto ne put s'empêcher de grincer les dents lorsqu'il entendit le ton léché et franchement hautain que le prince emprunta, mais il supposa que la situation l'exigeait. Et puis, le tout eut le résultat escompté; les deux jeunes femmes répondirent des au revoir dignes d'une mauvaise comédie, avant de disparaître au bout du couloir.
Elles avaient à peine tourné le coin qu'un autre groupe de groupie apparut au même endroit et Prompto devint blanc comme un linge.
Mais putain, elles se passaient le mot, ce n'était pas possible!
Au même moment, il entendit Noctis jurer dans sa barbe et tout à coup, Prompto compris.
Le problème du prince n'était pas d'être assis au sol comme il l'avait supposé, mais plutôt de devoir supporter les passants dans le couloir.
Il ferma d'un coup sec son manuel.
– On dégage?
Noctis le regarda de sourcils relevés. Puis, il eut un sourire en coin.
– Par pitié, oui.
.
.
Si Prompto avait su qu'un jour il se rendrait à l'appartement du prince du Lucis, il aurait ri devant l'absurdité de l'idée.
Mais, maintenant, il ne riait pas du tout.
En fait, il se sentait terriblement mal à l'aise. Le chemin dans la voiture du prince avait été étrange, particulièrement avec Ignis au volant qui ne semblait pas apprécier sa présence et le silence malaisant qui avait flotté dans l'habitacle tout au long du parcours interminable.
L'arrivée dans le stationnement souterrain d'un bâtiment hors de prix n'aida pas sa cause et il déglutit bruyamment en apercevant les voitures luxueuses alignées les unes à côté des autres dans une banalité déconcertante. Chacune de ces bagnoles devait valoir plus de ce qu'il gagnait en une année, et l'impression qu'il n'était pas à sa place s'amplifia à leur vue.
Les trois hommes s'engouffrèrent dans un ascenseur qui les mena à l'étage le plus haut, où les attendait un couloir aux planchers de marbre et aux murs immaculés.
Il détourna maladroitement le regard lorsque le prince entra un code sur la serrure d'une porte, levant les yeux vers les luminaires modernes qui pendaient au-dessus de sa tête, puis écouta l'interminable et complexe système d'engrenages s'activer, un tic nerveux le faisant taper du pied.
La porte s'ouvrit et il suivit Noctis à l'intérieur. Au même instant, il entendit un cliquetis de griffes précipité et une adorable boule de poils blanche se rua sur lui.
– RYAN REYNOLDS!
Toute appréhension le quitta et une euphorie instantanée engloutit sa poitrine d'un coup sec. Il entendit un vague "C'est Pryna" derrière lui mais il s'en moqua; il retira son sac sans délicatesse, qui tomba derrière lui dans un bang sourd, et s'agenouilla vers l'animal qui sauta illico sur ses genoux. Prompto l'enroula de ses bras, le chiot surexcité produisant des gémissements heureux et se tortillant dans tous les sens.
Le sourire de Prompto était si large que sa mâchoire menaçait de se décrocher.
Il déposa un gros baiser sonore sur la tête de la bête tout en l'inondant de compliments sans la moindre gêne – ah, tu as l'air en forme!, je me suis ennuyé de toi mon gros bébé!, la grande championne!
La chienne était folle de joie, sa queue battant frénétiquement et Prompto fut touché qu'elle le reconnaisse.
Il remarqua alors un deuxième chiot, noir celui-là, qui s'approcha de lui. Il n'eut même pas le temps de lui dire bonjour que l'animal décida qu'il fallait absolument lécher le visage du nouveau venu avec une intensité démesurée.
– Umbra, doucement!, entendit-il le prince au-dessus de sa tête.
Prompto rit.
– Non, c'est cool, il est adorable.
Il leva la tête vers Noctis et découvrit que celui-ci lui souriait.
La vision le prit de court. C'était la première fois qu'il voyait le prince le regarder de cette façon. Son expression était captivante et une lueur brillante dans ses yeux cobalt retourna son estomac dans tous les sens.
Il songea que cette expression lui allait bien. Qu'il voulait la voir plus souvent.
Putain, mais à quoi il pensait.
Prompto se racla la gorge bruyamment et se leva.
– Comment va sa patte?, demanda-t-il en pointant le plâtre de Ryan.
– Bien, elle continue de se rétablir normalement.
– Cool, cool…
Prompto regarda autour de lui. L'entrée donnait sur une aire ouverte gigantesque se partageant cuisine, la salle à manger et le salon, tous meublés comme l'intérieur d'un magazine d'architecture. La cuisine était composée de larges comptoirs étincelants, encadrés d'électroménagers neufs et haut de gamme. Ignis s'y affairait déjà, extirpant des aliments du réfrigérateur pour les déposer sur l'îlot central où il semblait déjà prêt à cuisiner.
– On va dans le salon?, demanda Noctis.
Prompto le suivit sans hésitation, heureux de s'éloigner du conseiller. Les deux hommes déposèrent leurs sacs sur la large table basse.
– Je vais me changer, fit Noctis en retirant sa cravate. Fais comme chez toi.
Il n'y avait absolument rien autour d'eux qui pouvait le faire sentir moindrement comme chez lui, entre la télévision gigantesque, le canapé de cuir et le mobilier en bois massif, mais avant même que le malaise ne revienne au galop, Ryan Reynolds avait déjà détourné son attention dès qu'il s'était assis, déposant sa patte avant et son plâtre sur ses genoux, une langue pendante sortant de sa gueule grande ouverte.
Il rigola. Il était tellement heureux de la revoir, de retrouver sa folie énergique et ses adorables manières maladroites. Il la gratta derrière les oreilles comme elle aimait tant, et le second chiot vient immédiatement exiger sa propre dose de grattouilles en posant son museau sur son genou.
Il n'existait aucune limite dans tout l'univers sur le nombre de chiots que Prompto pouvait inonder d'amour, et il s'exécuta sans problème, flattant les deux bêtes simultanément.
– On dirait que Umbra t'as déjà adopté, fit la voix de Noctis.
Ce dernier se laissa tomber sur le canapé aux côtés de Prompto, glissant la main dans ses cheveux d'un mouvement décontracté. Il avait remplacé son uniforme par un pantalon de sport et un t-shirt noirs, un style simple qui lui donnait une apparence plus modeste.
– C'est un husky aussi?, demanda Prompto tout en continuant de gratter une des oreilles de la bête, qui poussa contre sa main pour plus de pression.
– Sais pas, fit Noctis en haussant les épaules. Au refuge, ils m'ont dit qu'ils les suspectaient d'être de plusieurs races mélangées, mais ils n'arrivaient pas à savoir lesquelles.
Prompto haussa les sourcils.
– Ce sont des chiens de refuge?, demanda-t-il d'un ton surpris.
– Bah ouais? Frère et sœur de la même portée, très probablement… Pourquoi?
– Oh, je croyais…
Il croyait que les riches achetaient uniquement des chiens de race, mais maintenant qu'il y repensait, l'idée sonnait stupide.
– Tu pensais que le petit prince allait se payer une bête racée pour impressionner tout le royaume?, fit Noctis sans attendre de réponse.
Aille, dans le mille.
– Heu. En fait…. Ouais, quelque chose comme ça… Désolé.
Il fit une grimace, mais se reprit aussitôt :
– Mais je suis content de m'être trompé. Il y a tellement d'animaux en refuge qui ont besoin de familles...
Noctis l'observa d'un regard indéchiffrable, puis il se pencha pour attraper son sac et l'ouvrir.
– Tu mens jamais toi, hein?
– Huh?
Noctis sortit son ordinateur portable et le déplia dans des gestes anodins.
– Si tu savais toutes les conneries que j'entends dans une journée… Personne ne veut contrarier un prince.
– Ah. Ouais, j'imagine.
Ryan Reynolds se retourna pour appuyer son museau sur la main de Prompto car celui-ci avait interrompu ses attentions par inadvertance. Il se reprit avec plus de vigueur
– Ça fait du bien, commenta Noctis. De se faire parler franchement.
– Passe le message à ton conseiller, je crois qu'il complote mon assassinat.
Sur ce, Noctis éclata de rire. Un rire franc et clair, provenant du fond de ses poumons.
Un rire que Prompto adora immédiatement. Pas qu'il l'avouerait à qui que ce soit.
– T'inquiète, il est ultra-protecteur et un peu vieux jeu, mais il est cool.
– Il a réussi à mentionner dans une conversation banale qu'il était entraîné aux combats, répliqua Prompto d'un ton plat.
Le prince rit de nouveau.
– Ça m'étonne pas.
– Alors, c'était des conneries?
– Oh non, il maîtrise pas mal toutes les armes possibles. Mais il a un faible pour les dagues.
Prompto blêmit.
– Et c'est supposé me rassurer?
Le sourire de Noctis ne le quitta plus et Prompto décida que celui-ci prenait beaucoup trop plaisir à observer son malheur.
.
.
La soirée fut moins désagréable que Prompto l'avait anticipé.
Il y avait toujours Ignis-le-tueur-à-dagues qui cuisinait non loin d'eux et qui lui lançait des regards désapprobateurs à chaque fois que Prompto brisait le protocole pour s'adresser au prince (ce qui arriva à peine cent-cinquante fois), mais, à l'opposé, la présence des chiots, avec leurs manières maladroites et enjouées, allégeait nettement l'atmosphère. Ryan Reynolds avait d'ailleurs élu domicile directement sur les genoux de Prompto, comme si elle avait peur que celui-ci ne disparaisse à nouveau.
Et puis, Noctis était différent. Prompto avait du mal à croire qu'il s'agissait réellement du même type coincé et snobinard avec qui il avait travaillé à l'école. Sa posture était plus détendue, ses épaules relâchées et son visage moins tiré, comme s'il avait baissé toute garde dès qu'il était rentré chez lui.
Prompto découvrit aussi qu'il avait la manie de glisser ses doigts dans ses cheveux à chaque fois qu'il n'était pas certain d'une formulation ou d'un terme quelconque, et sa coiffure habituellement impeccable était devenue une adorable masse de mèches rebelles qui flottait dans tous les sens.
Adorable? Ah non il voulait dire, heu. Autre chose.
En fait, l'atmosphère était si conviviale que Prompto ne remarqua même pas Ignis lorsqu'il s'approcha d'eux.
– Prompto.
Il sursauta malgré lui et leva des yeux (légèrement) terrifiés vers le conseiller.
Putain, mais qu'est-ce qu'il avait fait, encore?
(De plus que d'habitude, parce qu'il n'avait pas vouvoyé Noctis une seule fois.)
– Mangez-vous avec nous ce soir? Je prépare du bœuf Wagyu, accompagné de salsifis au beurre et d'une purée d'ail noir, de pleurotes gris et de maitakés.
– Je… heu. J'ai aucune idée de ce que tous ces mots signifient. C'est heu… C'est de la bouffe?
Les lèvres d'Ignis se pincèrent en une ligne bien droite.
– Effectivement, il s'agit de bouffe.
Prompto eut un moment de silence. La vérité était qu'il était affamé (mais quand exactement ne l'était-il pas?) et un vrai repas sonnait comme une offrande des dieux, mais il était mal à l'aise. Premièrement, parce qu'il n'avait pas sa place à une table comme celle du prince, avec son uniforme froissé et ses chaussettes trouées (pourquoi putain il fallait qu'il ait mis cette paire précise ce matin), mais aussi parce qu'il ne voulait pas passer pour un profiteur et abuser de son hospitalité.
– Ah… Heu, non merci je n'ai pas vraiment faim.
Son estomac choisit ce moment précis pour produire un gargouillement ridiculement bruyant et il plaqua la main contre son ventre. Ses joues devinrent instantanément rouge pivoine.
Ignis souleva un sourcil.
– Allez, insista Noctis, reste pour le repas! On pourra continuer le projet après et on va le terminer plus rapidement.
C'était un argument bien choisi. Noctis commençait déjà à le connaître, semblait-il. Une partie de lui se demandait d'ailleurs pourquoi il insistait.
Et puis, il dut s'avouer que quitter immédiatement pour laisser les deux hommes manger seuls signifiait chercher un endroit où crécher plus tôt. Il entendait toujours la pluie tambouriner sur les fenêtres de l'appartement et, au vu de la situation avec son père et de son maigre portefeuille, il risquait de devoir dormir dehors cette nuit. Quelques heures de plus à l'abri des intempéries était plus que tentant…
Il se garda cependant de faire cette réflexion à voix haute.
La honte.
Mais son hésitation devait être lisible sur son visage, car Ignis déclara :
– Je vais préparer une portion de plus.
Puis, il n'attendit pas de réponse et se dirigea vers la cuisine.
– Heu, je… Je ne crois pas…, tenta Prompto.
Mais le conseiller ne l'écoutait pas et il abandonna. Lorsqu'il se retourna vers Noctis, celui-ci avait un sourire en coin qu'il tenta de cacher en se penchant le nez dans son livre.
– Ok, j'ai compris la partie cinétique, déclara-t-il, comme pour le distraire. Ce sont leeees… propriétés physiques d'un corps à la température?
– Ça, c'est la thermodynamique. Umbra a tourné les pages de ton manuel avec son museau.
– Oh.
.
.
Prompto regarda l'assiette devant lui.
Il s'agissait d'une vraie œuvre d'art. Il n'avait jamais vu une chose aussi splendide.
Il avait peut-être même une petite larme à l'œil.
La gigantesque pièce de bœuf dégageait une odeur absolument savoureuse, la purée noire en forme de coup de pinceau en encerclait l'assiette avec élégance et des champignons sautés accompagnés de légumes racines complétaient le tout en beauté.
– …ce n'était absolument pas nécessaire, gronda Noctis.
Surpris, Prompto détacha le regard de son plat pour regarder les deux hommes. Il avait tant été absorbé par la beauté devant lui qu'il avait manqué le début de la conversation; il prit alors conscience que Noctis semblait irrité.
– Ce n'est que quelques couverts, votre altesse, répondit Ignis.
À ceci, Prompto fronça les sourcils. Il n'était pas certain de suivre le fil de la discussion, mais le ton d'Ignis ne lui indiqua rien de bon.
Noctis roula les yeux. Puis, à l'intention de Prompto, il ajouta :
– Il veut t'impressionner avec son argenterie… Habituellement, on se contente d'un couteau et d'une fourchette lorsqu'on est entre nous.
Ce fut alors que Prompto comprit. Devant lui, à la droite, à la gauche et en haut de son assiette, étaient déposés pas moins de neuf ustensiles différents, de toute taille.
– Je suis convaincu que notre invité connaît très bien les règles de la table, commenta Ignis. N'est-ce pas?
Prompto le dévisagea. Il était évident que le conseiller se voulait condescendant, une petite revanche possible contre le commentaire de Prompto plus tôt, mais ce dernier était si heureux du repas qu'il s'apprêtait à savourer que son humeur n'en fut pas affectée.
Ce qui ne signifiait pas qu'il allait laisser passer le commentaire sans répliquer.
Alors, affichant le sourire le plus étiré qu'il était physiquement possible de réaliser, il attrapa le couteau à steak, facilement reconnaissable par sa forme, puis la cuillère.
– Mais bien sûr, répliqua-t-il d'un ton faussement léché. C'est comme ça tous les jours, dans le quartier Nord.
Et il entreprit de couper un morceau de viande en le retenant avec sa cuillère comme s'il s'agissait d'une fourchette, dans un mouvement complètement naturel. Puis, il s'assura de regarder Ignis dans les yeux lorsqu'il leva l'ustensile prohibé, la pièce de viande en équilibre sur celle-ci.
Au grand plaisir de Prompto, les lèvres du conseiller se pincèrent aussitôt dans une expression irritée, mais la plus grande satisfaction fut le rire franc de Noctis qui dansa au-dessus de la table.
Un rire qu'il aimait de plus en plus.
– Je déconne, mec, fit-il d'un sourire en coin en redéposant la cuillère sans manger son contenu. T'inquiète.
Il attrapa une fourchette au hasard et la leva devant lui pour la montrer à Ignis.
– Celle-ci?
Ignis hocha la tête, mais il ne souriait pas. Sa blague ne l'avait visiblement pas amusé, mais pour Prompto, il s'agissait du dernier de ses soucis. Il piqua la pièce de viande, la chair de celle-ci délicieusement tendre et cuite à la perfection, pour la mener à sa bouche.
Une explosion de saveur envahit son palais et il ferma les yeux malgré lui, dans une extase démesurée qui lui gonfla le cœur – et l'estomac – de contentement.
– Oh, putain….
Il n'avait jamais rien mangé d'aussi bon de toute sa vie. La viande fondait sur sa langue, l'assaisonnement parfaitement équilibré pour en relever chaque détail de saveur, et peut-être bien qu'il allait réellement avoir une larme de joie.
Il s'en trancha un autre morceau aussitôt, impatient de répéter l'expérience. La deuxième bouchée fut tout aussi parfaite que la première et il remarqua après coup qu'il avait produit un son ridicule de contentement, auquel Noctis rit légèrement. Il ouvrit les paupières aussitôt, inconscient de les avoir fermées à nouveau. Noctis souriait, mais Ignis le regardait de yeux surpris.
Il se racla la gorge bruyamment.
– Ce steak, il est… complètement… enfin. Il est top, c'est fou!
Ignis se pencha enfin à son tour sur son plat pour choisir ses ustensiles.
– Je vous remercie, fit-il poliment.
– Je suis sérieux, insista Prompto. C'est le truc le plus délicieux que j'ai mangé de toute ma vie! C'est pas possible, comment t'as réussi ça ?! Tu devrais ouvrir ton restaurant, ou je ne sais quoi! Putain, c'est incroyable!
Il goûta l'un des légumes dont il ignorait le nom. Il s'exclama aussitôt.
– Oh merde, mais c'est de la cuisine de dieux!
Il tenta un champignon.
– Oh wow, ce truc…
Il était incapable d'arrêter de parler. Une partie de lui se disait qu'il devait avoir l'air complètement ridicule, à s'extasier devant un plat que les deux autres devaient manger quotidiennement, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Il ne se rappelait même plus la dernière fois qu'il avait eu droit à un repas complet, un vrai repas avec des protéines, des légumes et des accompagnements, et aucun plat de sa vie n'avait jamais ressemblé à celui devant lui. Il en était émotif, excité et ému à la fois, et sa journée de merde semblait soudainement parfaite, comme la nourriture devant lui.
Il termina sa portion en un temps record et il se retint de lécher l'assiette, même s'il ne restait plus rien. Il s'appuya sur le dossier de sa chaise en soupirant de contentement.
– Ignis, déclara-t-il, merci mille fois. C'était foutrement délicieux. T'es un dieu du fourneau.
Et alors, Prompto fut témoin d'un miracle.
Ignis lui sourit.
.
.
Après le repas, Prompto proposa son aide pour nettoyer la vaisselle, mais Ignis refusa catégoriquement. Le jeune homme insista – c'était la moindre des choses, surtout après le fantastique repas que le conseiller avait cuisiné – mais après quelques minutes étranges où le jeune homme tentait d'attraper des assiettes sales pour se les faire enlever des mains immédiatement par Ignis, il abandonna.
Il se rendit à la section salon, où il découvrit Noctis affalé sur le ventre dans un gigantesque coussin de sol au coin de la pièce, le visage enfoncé dans le tissu, pendant que Umbra et Ryan Reynolds montaient et descendaient sur son dos à répétition en sautillant d'excitation. Le plâtre raide de Ryan devait lui faire un mal de chien, mais le prince ne bougeait pas.
– T'es mort?, demanda Prompto en s'asseyant sur le canapé et en attrapant son ordinateur.
– C'est possible…, marmonna le prince, la voix étouffée par sa position.
– Putain, ce repas… il était fabuleux. Je vais m'en rappeler toute ma vie, commenta-t-il distraitement en ouvrant le fichier en ligne de leur projet.
– Pas surprenant, tu n'as pas mangé de la journée.
– Huh?
Prompto releva la tête de surprise, mais Noctis était toujours affalé dans son étrange position.
– Comment tu sais ça?
Le prince se releva lentement, grognant bruyamment.
– Putain, Pryna m'a défoncé la colonne, commenta-t-il, ignorant la question de Prompto.
Ce dernier fronça les sourcils. Prompto ne pouvait s'empêcher d'être irrité que sa question soit détournée; l'idée que quelqu'un se soit rendu compte qu'il ne mangeait pas, qu'il était tellement fauché qu'il devait sauter des repas, le dérangeait plus que tout.
Et le fait que ce soit le prince du Lucis, le type le plus riche de l'école – qu'est-ce qu'il racontait là, le type le plus riche du putain de royaume – tournait le couteau dans la plaie de son ego.
– Comment tu sais ça, répéta-t-il plus fermement.
Noctis soupira.
– Bah, t'as mangé aujourd'hui, ou pas?
– Ça te concerne pas.
– Ok.
Noctis s'assit en tailleur sur le tapis et Umbra se dépêcha de grimper sur ses genoux. Le silence s'installa entre les deux hommes, entrecoupé uniquement par le son de casseroles qui se faisaient frotter. Prompto se pencha sur le texte devant lui, mais il n'en lit pas un mot.
– J'ai juste remarqué…, commença Noctis d'une voix basse et posée, les yeux rivés sur le chiot foncé, que tu manges rarement aux pauses repas à l'école.
Prompto le dévisagea. Il ne se rappelait pas avoir déjà vu le prince à la cantine, mais l'endroit était toujours bondé; il était facile d'y passer inaperçu. À l'opposé, il semblait que non seulement Noctis l'ait vu, mais l'avait même observé assez longtemps pour connaître ses habitudes alimentaires.
Il ne savait pas trop quoi penser de cette information. La première réflexion qui vint à lui, c'est de se demander si toute l'école remarquait qu'il sautait des repas; si les gens devinaient qu'il était si pauvre qu'il n'arrivait pas à se nourrir convenablement.
Pas qu'il en avait à foutre de l'opinion des autres. Mais…. Enfin. Il avait une certaine fierté sur laquelle il avait du mal à marcher.
Cindy, sa meilleure amie, savait qu'il était serré financièrement, mais elle ignorait à quel point il devait se priver pour rejoindre les deux bouts. Elle en avait déjà énormément sur les épaules, ayant six sœurs et frères sous sa responsabilité, et il tentait de l'épargner le plus possible de ses propres problèmes. Si elle lui posait des questions, il lui racontait qu'il avait mangé son repas avant la pause ou qu'il s'était trop goinfré le matin ou qu'il avait grignoté toute la journée… Il avait perfectionné le talent du petit mensonge depuis si longtemps que ses histoires semblaient toujours crédibles.
Quelle ironie. Il se rappela la conversation qu'il avait eue plus tôt avec Noctis, celle où le prince disait que Prompto ne mentait jamais, et merde, si seulement il savait…
La vérité était qu'il mentait en permanence. Comment faire autrement quand sa vie était un putain de merdier?
Autour de lui, l'appartement luxueux du prince lui faisait prendre conscience de la laideur de sa propre existence et son cerveau déclencha un marathon de pensées noires. Putain. Rien n'allait. Le manque de pognon lui serrait l'estomac de faim et de stress sans arrêt et le forçait à travailler continuellement de soir et de nuit, l'empêchant de dormir. Puis, son père. Les coups, les ecchymoses, la peur constante de le croiser. Le fait qu'il n'avait nulle part où dormir lorsque ce connard s'appropriait la maison que Prompto faisait fonctionner de peine et de misère.
Et surtout, le sentiment intolérable d'être coincé dans cette situation qui semblait perdurer depuis toujours, pris à la gorge par son lourd secret, sa plus grande honte de toutes. Celle qui lui coinçait les tripes jour et nuit, celle qu'il n'avait jamais partagée avec qui que ce soit, celle qu'il avait du mal à avouer, même à lui-même.
Il était un Niflhe.
Un traître à la nation, un étranger entré illégalement alors qu'il n'était qu'un nourrisson, dont la seule option était de prier pour ne pas être dénoncé.
Il se demanda ce que le prince du Lucis penserait s'il découvrait que le garçon assis sur son canapé était né dans le pays qui menaçait son royaume depuis des décennies. Un ennemi de son peuple, rien de moins.
Il déglutit bruyamment, le gigantesque nœud coincé dans sa gorge n'arrêtant plus de grossir, et, putain, peut-être bien qu'il devrait partir maintenant, il n'avait pas sa place ici, mais où aller exactement? La pluie battait son plein et il était fatigué de fuir sa maison, fatigué de la complexité de sa vie, fatigué, fatigué…
– J'ai terminé pour ce soir.
Prompto fut brutalement tiré de ses pensées et il sursauta en entendant la voix d'Ignis près de lui. Il leva les yeux et découvrit que celui-ci était venu les rejoindre dans le salon, un linge servant à essuyer la vaisselle dans les mains.
Il regarda Prompto en fronçant les sourcils et ce dernier détourna le regard. Putain, combien de temps avait-il sombré ainsi, coincé dans sa tête? Son ordinateur avait même eu le temps de tomber en veille; il appuya sur la barre d'espacement précipitamment pour le rallumer, feignant de ne pas avoir fixé un écran noir pendant un temps indéfini.
Par chance, le conseiller ne fit aucun commentaire.
– Je retourne chez moi, continua-t-il à l'intention de Noctis. Ne veillez pas trop tard?
– Oui, papa, répondit le prince en roulant les yeux.
Puis, en se retournant vers Prompto, il demanda :
– Avez-vous besoin que je vous raccompagne, Prompto?
– Ah, heu… Non, c'est ok. Je vais prendre le bus.
Il avait l'impression que son visage était rouge fluo, comme s'il avait été pris en flagrant délit de pensées interdites.
Le conseiller n'insista pas – au grand soulagement du blond qui n'aurait pas supporté être enfermé de nouveau dans une voiture seul avec ce type – et après avoir rangé quelques objets ici et là (il aligna même les chaussures de Noctis et Prompto près de la porte d'entrée, ce qui, selon ce dernier, fut définitivement du zèle de psychopathe), il quitta.
Dès qu'il disparut, Noctis se leva du sol.
– Tu joues à King's Knight?, demanda-t-il en se dirigeant vers la télévision.
– Heu… Ça fait un moment.
La vérité, c'est qu'il avait dû vendre sa précieuse console un an auparavant pour éponger sa dette chez la compagnie de gaz qui menaçait de couper le service.
D'ailleurs, en une année, cette dernière était de retour presque entièrement, pensa-t-il amèrement.
– À la Play?, demanda à nouveau Noctis en allumant la console.
– Ouais, mais… Attends, tu vas jouer maintenant!? Là, tout de suite?!
– On a bien droit à une pause, non?, répondit le prince en lui tendant une manette.
Prompto se pinça les lèvres. Il avait toujours l'impression qu'il ne devrait pas rester, comme s'il était un imposteur dans ce salon luxueux, mais…
– Allez, insista Noctis en secouant la manette sous son nez. Une petite partie et ensuite on reprend le travail?
Mais… Il pleuvait toujours à boire debout… et le projet, il fallait bien l'avancer, et…
Soupirant, Prompto attrapa l'appareil d'un coup en lançant au prince un regard de défi.
– D'accord, une petite partie, puis on reprend. Et attends-toi à te faire lyncher.
Le sourire de Noctis s'étira magnifiquement, ses yeux cobalt brillèrent d'excitation, et le nœud dans la gorge de Prompto s'envola aussitôt.
.
Je ne décide pas d'avance où je coupe mes chapitres, donc résultat, j'écris, j'écris, j'écris... Et ensuite je prends conscience que la longueur de mon chapitre est ridicule, donc je coupe. Cette fois-ci, j'ai eu du mal à trouver l'endroit parfait, d'où pourquoi la finale est un peu raide à mon goût. Mais sinon il aurait fallu attendre très longtemps avant d'avoir une suite et j'essaie de publier plus rapidement ("j'essaie" étant le mot clé... lol)
P.S. Merci pour les commentaires, ils sont l'oxygène de cette fic! *coeur x 3*
Charlie
