Il n'avait rien dit de son entrevue avec Louise. Ni à sa mère et surtout pas à Candice qui continuait d'ignorer toute l'histoire... Et quelques jours plus tard, elle l'avait finalement convaincu de passer une soirée en tête à tête. Comme d'habitude il donnait une image positive et noyait le poisson comme il le pouvait… Pourtant sa compagne n'était pas dupe et supportait de moins en moins sa nonchalance. Et ce soir encore, Candice fit les frais de son ignorance…
Allongé dans son lit, Antoine surfait sur internet, descendant des pages entières de décorations de table. Plus tôt dans la journée, le commissaire avait convié toute son équipe autour d'un barbecue dans son jardin ce dimanche. Et évidemment, toute l'équipe s'était montrée enthousiaste. Ravi, il entendait préparer l'évènement avec minutie pour espérer passer un bon moment et oublier les tracas du quotidien. Rapidement, Candice le rejoignit et s'installa à ses côtés :
« Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-elle en observant l'écran.
- Euh… Je cherche une déco pour dimanche.
- Une déco ? Pourquoi faire ?
- Bah pour le barbecue.
- Quel barbecue ?
- Mais tu sais j'ai invité l'équipe à la maison. Il fera super beau donc j'me suis dit que ce serait bien.
- Ok… Et tu comptais m'en parler ou… ?
- Pourquoi je t'ai rien dit ?
- Bah non !
- Ah bah j'ai dû zapper. C'est une bonne idée non ?
- Ah oui vous allez bien vous amuser ! répondit-elle froidement.
- Pourquoi tu dis ça ? demanda-t-il en se tournant vers elle.
- Parce que j'ai pas l'air d'être invitée donc bon…
- Oh tout de suite ! C'est juste que j'ai oublié… Je dois penser à plein de trucs et voilà…
- Ah bah c'est sûr que penser à moi… C'est pas une priorité visiblement…
Antoine rigola doucement.
- Quoi ?
- T'es susceptible quand même…
- Mais je suis pas susceptible Antoine… Tu organises un repas avec l'équipe et t'oublies de me prévenir… J'ai le droit de le prendre mal non ? Si j'organisais un repas avec mes collègues sans toi, tu dirais quoi ?
- Bah rien… Parce que de 1, on vit pas ensemble et que, tu l'as dit toi-même, on est libres de faire ce qu'on veut… et de 2, tu me les as jamais présenté donc en effet, ça me ferait ni chaud ni froid…
Candice leva les yeux au ciel en boudant sans répondre.
Et quand tu réponds pas… C'est parce que tu sais que j'ai raison ! lâcha-t-il fièrement en posant l'ordinateur parterre.
- Pas du tout… se défendit-elle.
- Sur ce, bonne nuit chérie… déclara-t-il en éteignant la lumière avant de s'allonger contre Candice qui faisait la tête.
Le silence s'installa doucement, laissant la commandante ruminer.
- N'empêche que je suis pas susceptible…
Antoine rigola doucement.
- Si…
- Non…
- Si…
- Non…
- Hum… Si !
- Oui bon… »
. . . .
En ce dimanche estival, Antoine avait finalement choisi une déco bleue, plus passe-partout que le fuchsia souhaité par Candice. Attablés, les convives riaient, se lançant vannes et anecdotes cocasses. La bonne ambiance était de mise et enfin, Antoine pensait à autre chose qu'à cette fille revue quelques jours plus tôt.
En retard, seule Candice manquait à l'appel. Elle finit par débarquer, vêtue d'une jolie robe et les bras chargés de provisions. Antoine souffla en la voyant arriver chargée comme une mule…
« Heureusement que je lui avais dit de rien amener… » lâcha-t-il désespéré.
Tous rigolèrent avant d'accueillir Candice et de la saluer. Dépassée par la quantité de choses dans ses bras, la commandante appela Antoine à l'aide qui récupéra quelques sacs avant de la conduire jusqu'à la cuisine.
« Pourquoi t'as ramené tout ça ? pesta-t-il. Je t'avais dit que c'était pas la peine ! Y en a déjà largement assez…
- J'aime pas arriver les mains vides. Puis comme ça on est sûr qu'on manquera de rien.
- Hum… répondit-il en refermant le réfrigérateur.
- Tu m'as même pas dit bonjour… bouda-t-elle gentiment en s'approchant.
Antoine esquissa un sourire et l'embrassa tendrement alors qu'elle enserrait sa taille.
- Et t'aurais pu me garder une place à côté de toi… Je suis à l'autre bout de la table…
- Ah oui… bah ça s'est fait comme ça… mais c'est pas grave, c'est juste pour manger… déclara-t-il en l'embrassant à nouveau. On y va ?
- Ouais…
- Et t'as choisi le bleu finalement… bouda-t-elle.
- Oui y avait plus de rose… mentit-il en s'installant à table.
- Ah bah ! T'aurais peut-être préféré t'asseoir à côté d'Antoine… On y a pas pensé ! On se décale si tu veux… proposa Val alors que Candice faisait le tour de la table.
- Oh non vous inquiétez pas… C'est pas grave… Puis c'est juste pour manger ! répéta-t-elle en souriant faussement avant de s'installer.
- Bon en tout cas on avait hâte que tu arrives ! Tu dois avoir un tas de trucs à nous raconter… s'enthousiasma Mehdi.
- Bah oui raconte ! C'est comment à Montpellier ?
- Eh bah ça va ! Bon c'est pas de tout repos mais on a un gros effectif donc ça compense… En tout cas on s'ennuie jamais ! Les dossiers sont toujours hyper intéressants… attention je dis pas qu'à la BSU c'est pas pareil mais… c'est juste que… que c'est moins haletant quoi…
- Bon tant mieux ! C'est déjà ça… Et niveau relationnel, ça va mieux ?
- Franchement je me plains pas… On s'entend tous plutôt bien même si on est nombreux… Et maintenant on a aussi instauré notre petit rituel apéro en fin de semaine… plaisanta-t-elle. Bon au début c'était un peu difficile de s'intégrer mais ça va mieux ouais… Bon... Y a qu'avec le boss que c'est toujours un peu plus compliqué mais bon…
- Aïe…
- Il a toujours du mal à accepter mes méthodes…
- Ah oui c'est ce que tu nous disais la dernière fois… et ça va toujours pas mieux ? demanda Marquez.
- Non… J'crois même que c'est pire… Pourtant je comprends pas pourquoi… plaisanta-t-elle à nouveau. À Sète, le commissaire était plutôt compréhensif et sympa…
- Et beau gosse aussi… rajouta Nathalie pour plaisanter.
Candice rigola et tourna la tête vers Antoine qui jouait avec son rond de serviette, impassible.
- Antoine ?! l'interpella-t-elle.
Toute la table le fixait désormais.
Oh ! Antoine !
- Hein ? demanda-t-il en relevant la tête.
- T'es avec nous là ? plaisanta Marquez. On t'avait perdu là je crois…
- Ah oui désolé j'étais ailleurs… Vous disiez ? demanda-t-il en souriant.
- Rien. Laisse tomber. Répondit sèchement Candice. »
La dernière phrase de Candice jeta un froid au sein de la tablée. Tous se regardèrent sans oser parler et Candice fixait son assiette le visage fermé. « L'ignorance est le meilleur des mépris » songea-t-elle pour éviter toute embrouille devant leurs amis.
« J'ai vu que t'avais sorti les fléchettes Antoine ! lança Marquez pour changer de sujet et détendre l'atmosphère.
- Ouais ! Bah attends je tiens à ma revanche de la dernière fois…
- Et moi j'ai grave eu le temps de m'entraîner ! intervint Mehdi. J'vais vous mettre la pâtée.
- T'éviteras de casser ce qu'il y a autour cette fois alors… rajouta Justine pour se moquer.
Antoine éclata de rire.
- C'est dommage qu'Ismaël soit pas là… Parce qu'il vous aurait tous défoncé ! se moqua Val.
- Bien sûr ! répondit le commissaire. Attends ! C'est exactement pour ça que je l'ai pas invité tu crois quoi ? lâcha-t-il en riant. »
Candice observa Antoine en l'entendant rigoler. Elle haussa les sourcils et hocha négativement la tête. Avec elle, il n'avait pas rigolé depuis des jours et avec eux c'était le contraire. Elle intériorisa sa colère et tenta de dissimuler toutes les questions qui envahissaient son esprit. En fait, la commandante avait l'intime conviction que le mal-être d'Antoine était directement lié à elle. Elle était l'objet de son malheur. Mais il ne fallait pas penser à ça. Pas maintenant… Alors elle releva la tête et jeta un bref coup d'œil à Antoine dont le regard se dépêcha de fuir.
« Et pourquoi Ismaël est pas là d'ailleurs ? demanda Candice pour ne rien laisser paraître.
- C'était l'anniversaire de sa belle-mère… Alors un peu compliqué de se libérer…
- En parlant d'anniversaire, répliqua Val. Avec Marion on a un projet… Pour nos un an de mariage on a décidé de partir à l'aventure…
- Val va prendre une disponibilité et on aimerait partir 6 mois à l'étranger…
- Oh mais c'est super ça ! Vous verrez, partir à l'étranger c'est une super expérience… J'ai tellement de bons souvenirs de mes années d'expat'… lâcha Candice rêveuse. J'suis contente pour vous.
- Merci… Bon c'est pas encore fait mais c'est en projet quoi !
- Non mais vous avez raison ! C'est bien d'avoir des projets… répondit-elle en souriant.
Antoine lâcha un petit rire en hochant négativement la tête.
- Et nous on profite d'être quasi tous réunis pour vous annoncer qu'avec Justine on va se pacser !
- Mais nan ?! lâcha Val avec étonnement.
- Ah oui… J'ai dit non au mariage mais… Mehdi m'a convaincu pour le pacs…
- Et bah faut trinquer alors ! s'enthousiasma Nathalie en levant son verre.
- Et vous avez trouvé ce que vous cherchiez vous deux ? demanda Antoine à Nathalie.
- Presque… répondit-elle mystérieusement.
Candice fronça les sourcils et l'interrogea du regard.
- On va déménager. On cherche un petit appart avec un extérieur…
- Ah mais c'est super ! Pourquoi tu m'as rien dit ?
- Parce qu'on était encore en pleine recherche mais on a une visite demain… Si ça nous convient on va faire une offre !
- Donc là, on va avoir un départ, un pacs et une crémaillère à fêter… Ça va en faire des soirées… lâcha Marquez en rigolant.
- Et vous, vous avez rien à nous annoncer ? demanda Mehdi à Candice qui souriait gênée.
Elle hocha négativement la tête.
- Roooh ! Même pas un p'tit emménagement ensemble ?
- Ça vaaaaa… On a encore le temps, on est pas pressés…
- Bah oui ! Ça fait deux ans qu'on attend alors un an de plus ou de moins… C'est pas grave hein. Répondit-il durement.
Nathalie fixa Candice qui baissa la tête.
- Non puis toute façon on a pas le temps d'y penser… Antoine à trop de boulot. Il passe tout son temps au bureau en ce moment… »
Antoine haussa les sourcils, agacé par son discours. Candice donnait l'impression que son refus d'emménager avec lui était directement lié à son travail. Alors que tous deux savaient que le problème venait d'elle. Il souffla intérieurement et encaissa la réplique de Marquez.
« C'est vrai ça ! Regar jours t'as même pas voulu venir au bar avec nous… T'as préféré rester tout seul à la BSU.
- Euh ouais mais… j'avais… j'avais de la paperasse à finir aussi… »
Candice fronça les sourcils. Trois jours… Le soir même où Antoine avait décliné son rendez-vous prétextant une réunion d'équipe interminable. Donc il lui avait menti. Et cette fois elle en était certaine puisqu'elle venait d'en avoir la confirmation… Elle encaissa à nouveau et décida de faire profil bas pour ne pas gâcher la suite du repas.
En fin d'après-midi, Mehdi lança vigoureusement une partie de fléchettes. Enjoués, tous le suivirent sauf Candice qui préféra rester en retrait. Par compassion, Nathalie resta avec elle et mit les deux pieds dans le plat.
« Ça va pas fort tous les deux hein…
Candice hoche négativement la tête
- Je sais pas ce qu'il se passe… J'ai l'impression qu'on se comprend plus… tu vois bien ! Avec vous tout va bien et dès que je suis là…
- Ouais… Tu lui en as parlé ?
- Il me dit que c'est le boulot… qu'il est crevé…
- C'est peut-être vrai…
- Non mais il est ailleurs… Je lui parle c'est à peine s'il m'écoute… J'vais chez le coiffeur, il le remarque à peine… Il décline mes rendez-vous… Il me ment… énuméra-t-elle les larmes aux yeux.
- C'est rien… C'est sûrement une mauvaise passe…
- Mais t'as bien vu à table ! Il a fait exprès de se mettre à l'autre bout… Il m'a pas adressé un regard de tout le repas. Et tu vois ma robe ?! Je l'ai acheté hier. Tu crois qu'il m'a fait une remarque ? Eh bah non… continua-t-elle en laissant une larme couler.
- Ah non Candice ! Essuie-moi ça !
La blonde s'exécuta rapidement avant de se lever pour rejoindre la salle de bain. Nathalie se retourna et fixa la scène qui se déroulait plus loin. Elle vit Antoine souriant s'approcher de la table.
- Tu veux pas jouer aux fléchettes Nath ? demanda-t-il en se servant un verre.
- Non merci nan… Par contre, peut-être que Candice a envie de jouer…
- Nan mais elle sait pas tirer. On la connaît, elle va perdre et après elle va être mauvaise joueuse…
Elle se leva rapidement et se planta devant lui.
- Bon qu'est-ce qui se passe avec elle ?
- Mais rien… pourquoi tu me demandes ça ?
- Bah je sais pas moi… essaye de te demander pourquoi elle s'est isolée dans la maison alors… »
Résigné, Antoine posa son verre sur la table et se dirigea vers l'intérieur de sa maison. Il appela Candice qui ne répondit pas. Il souffla à nouveau et se dirigea vers la salle de bain visiblement déserte et grimpa les escaliers qui le conduisirent jusqu'à sa compagne assise sur le bord du lit.
« Qu'est-ce que tu fais là ?
- J'avais besoin d'être seule… marmonna-t-elle en essuyant ses yeux.
- Pourquoi tu pleures ?
- C'est pas le moment… »
Candice le contourna et descendit l'air de rien afin de rejoindre l'équipe qui s'amusait autour du jeu de fléchettes. Antoine descendit à son tour et l'observa au loin derrière la vitre. La situation devenait complexe… et malgré tout Antoine avait été touché par sa tristesse. Évidemment qu'il savait que c'était de sa faute… mais le commissaire était tellement perdu… Il souffla et se décida finalement à rejoindre l'équipe à son tour. Il tira ses deux fléchettes et laissa sa place à Mehdi qui s'impatientait de jouer. Il finit par s'approcher de Candice restée en retrait et glissa doucement sa main dans son dos pour la rassurer. Étonnée, elle n'osa pas le regarder mais profita de sa tendresse pour resserrer son étreinte et poser sa tête contre sa poitrine.
L'équipe finit par quitter le domicile du commissaire et laissa le couple tout seul. Tous deux le savaient, une discussion était inévitable… mais évidemment, les deux étaient les rois des faux-fuyants et préféraient esquiver. Antoine s'empara d'un saladier et suivit Candice en cuisine. Il le posa sur le comptoir et s'appuya sur le rebord pendant qu'elle lavait une assiette dans l'évier.
« C'est peut-être le moment là… non ?
- Le moment de quoi ? demanda-t-elle sans le regarder.
- De m'expliquer pourquoi tu pleurais…
- A ton avis ?
- C'est à cause de moi ?
- Évidemment… Tu vois pas que notre couple est en train de battre de l'aile ?!
- Mais Candice on est même pas un vrai couple… ! Regarde-nous, on a aucun projet… Ils sont tous là à parler d'eux et nous… on a rien à dire…
- Mais peut-être que le premier projet qu'on pourrait avoir ce serait que tu arrêtes de mentir…
- De mentir ?
- Tes soirées passées soi-disant à la BSU… Tes « j'peux pas, je bosse »… Tes « pas ce soir j'suis fatigué »… À chaque fois tu me trouves des excuses pour m'éviter…
- Tu vois… on peut pas être un couple si tu me fais pas confiance…
- Mais je te fais confiance Antoine ! C'est juste qu'en ce moment j'ai du mal à te comprendre… on fait plus rien ensemble, on se voit plus…
- Peut-être aussi qu'on se verrait plus souvent si on habitait ensemble… mais c'est vrai… on est pas pressés après tout…
- C'est pas la question !
- Bien sûr… Évidemment…
- Et qu'on vive ensemble ou pas… ça n'empêche pas les mensonges… et tu sais bien que je déteste ça !
- Mais des excuses… c'est pas des mensonges, Candice !
- Et bah t'étais où ce soir-là alors ? s'agaça-t-elle.
- Quand ?
- Bah quand tu m'as prétexté une réunion d'équipe alors qu'ils étaient tous au bar sans toi…
Antoine souffla.
- Au bureau… Mais j'ai préféré te dire qu'on avait une réunion parce que j'avais pas envie qu'on se prenne la tête… T'allais encore me dire que je bossais trop, et j'avais pas envie de ça, voilà…
- T'es sûr ?
- Bah oui je suis sûr… moi aussi ça me saoule qu'on passe notre temps à se disputer…
- C'était pas comme ça avant… C'était à peine si on pouvait se quitter et maintenant… j'ai l'impression que tu supportes plus ma présence…
- Mais pas du tout… chuchota-t-il avec émotion en s'approchant d'elle. Écoute je… ok j'suis pas dans une bonne période et… j'me comporte comme un con… mais j'te promets que je vais essayer de faire des efforts…
- Vraiment ? demanda-t-elle sans conviction.
- Vraiment… confirma-t-il en l'enserrant dans ses bras avant d'embrasser son front. Et ce soir si tu veux on se fait une petite soirée à deux…
- Je suis de babysitting ce soir… Demain ?
- Ok…
- Mais une vraie soirée en amoureux alors… pas de téléphone, pas d'enfants, pas de boulot… juste nous deux.
- Promis… Et… Elle est jolie cette nouvelle robe… chuchota-t-il au creux de son oreille. »
Candice esquissa un sourire et resserra son étreinte, songeant déjà à leur soirée de retrouvailles le lendemain. Antoine avait voulu se montrer rassurant et sa promesse de changement avait bien été reçue par sa compagne qui espérait désormais que leur histoire reparte sur des bases plus saines.
