"Antoine !? Tu vas où ?!

- T'appelleras un taxi ! entendit-elle depuis la porte.

- Mais…. »

Stoïque, Candice ne quitta pas la pièce. Ses yeux s'embuaient et la commandante prenait enfin conscience de ce qu'elle venait de faire...

Ok, elle était peut-être allée un peu loin en allant combattre Louise sur le ring… Mais c'était de bonne guerre non ? Après tout, Antoine l'admirait tellement… Et puis c'était lui qui lui avait soumis l'idée de s'inscrire à la boxe... Et bien elle s'était exécutée… Et elle s'était saisie de l'occasion pour confronter sa rivale… Sans penser qu'il s'enragerait autant face à la situation…

Et d'une marche quasi militaire, Antoine serra les dents jusqu'à sa voiture. Visiblement, le commissaire ne décolérait pas… Pourtant, il était le responsable de ce dérapage… Et il le savait… Alors s'emparer de son téléphone et tapoter son numéro sur le clavier avait été une solution de dernier recours. Une sorte d'acte quasi cathartique, essentiel pour ne pas déroger à la bienséance. Il colla le boîtier à son oreille et attendit deux sonneries avant d'entendre une voix chanter derrière le combiné.

« Allô ?

- Ouais… C'est moi… Je… j'viens d'apprendre ce qu'il s'est passé… j'suis désolé… balbutia-t-il gêné.

- Ah mais t'excuses pas… t'y es pour rien… répondit-elle amère.

- Quand même un peu…

- J'avoue que j'ai eu un peu de mal à comprendre pourquoi c'te femme voulait s'en prendre à moi puis… j'ai compris qui c'était quand elle a parlé de la glace…

- Elle est parfois un peu brute de pomme…

- Tu crois ?! J'avais pas remarqué…

Antoine tiqua en fermant les yeux.

- Je sais pas ce qu'il lui a pris… vraiment…

- Bah visiblement elle me déteste… mais c'est dommage d'en arriver là quoi…

- Essaye de la comprendre aussi…

- Et elle va bien au moins ? J'me suis défendue comme j'ai pu… mais je maîtrise pas toujours ma force…

- Oui Ça va. Elle s'en sort avec quelques bleus et le poignet foulé…

- Excuse-moi alors… Y a un blanc. Bon vas-y lâche ce que tu dois me lâcher depuis tout à l'heure…

- De quoi tu parles ?

- Arrête je te connais et je sais très bien que tu vas me dire qu'on doit arrêter de se voir…

Antoine ferma les yeux avant de répondre

- En même temps t'as vu où ça nous mène ? Candice est persuadée que je vais retomber dans tes bras… j'ai pas envie de lui faire du mal…

- C'est ce que tu veux ?

- De quoi ?

- Qu'on arrête de se voir ? C'est ce que tu veux ?

- Mais je sais pas Louise… j'suis paumé…d'un côté y a Candice et de l'autre bah… Ça me fait plaisir de te retrouver et de discuter… puis… j'ai l'impression qu'on a encore des choses à se dire tu vois…

- Bah c'est sûr qu'on peut pas fuir éternellement la discussion Antoine…

- C'est pas simple…

- Non évidemment. Mais il va falloir qu'elle accepte que y a plus rien entre nous…

- Si seulement c'était facile…

- J'ai surtout l'impression que tout est compliqué avec elle…

- Arrête…

- J'me trompe ?!

- C'est pas la question…

- Ok… bah écoute pour l'instant on en reste là et si un jour tu veux qu'on se revoie tu me fais signe »

Le silence régnait désormais… Louise venait de lui raccrocher au nez et Antoine souffla, de nouveau perdu dans cette situation qu'il jugeait inextricable. En fait, depuis le jour même où il l'avait croisé sur ce marché, il était perdu. Et à cet instant précis, il sentait que la situation s'envenimait grandement… Candice avait vrillé, blessée de se retrouver entre son passé et son présent. Louise s'était braquée, agacée de subir ses tergiversations et les accusations de Candice. Et Antoine était entre les deux. Il était entre sa volonté d'oublier le passé et de se focaliser sur le présent. Entre sa volonté de renouer avec le passé tout en continuant son présent et celle de toute envoyer valser. Sauf que la situation devenait complexe. Et que les choses devaient être mises au clair avec chacune d'entre-elles. Et vite…

Alors il prit le volant et rentra chez lui où il s'entêta à nouveau sur son dossier. Et en fin de soirée, il s'installa dans son lit et hésita à l'appeler. Sa raison lui disait de résister mais son cœur lui… le poussait à faire le contraire… Peut-être qu'elle n'avait pas totalement eu tort en allant la combattre finalement. Du moins, il ne pouvait pas la blâmer... Alors il l'écouta, son coeur… Et récupéra son téléphone, le joignit à son oreille, attendant qu'elle finisse par décrocher.

« Je pensais pas que tu m'appellerais… entendit-il d'une moue enfantine.

- Moi non plus… s'amusa-t-il sérieusement.

Candice sourit doucement avant d'oser répondre.

- Je suis désolée pour ce qu'il s'est passé … J'ai pas réfléchi…

- J'ai dû appeler Louise pour m'excuser…

- T'as bien fait… Tu… Tu pourras lui dire que je m'excuse aussi ?

- Ouais… accepta-t-il froidement. J'sais vraiment pas ce qu'il t'a pris hein…

- Je sais pas, je… En fait, j'avais tellement l'impression que t'admirais tout ce qu'elle faisait que j'ai voulu faire pareil qu'elle… et quand je l'ai vu toute seule… bah j'ai pas pu m'en empêcher…

Il rigole doucement.

- Quoi ?

- Non… Je suis juste dégoûté que personne n'ait filmé ça… J'crois que j'aurais payé pour assister à cette scène…

- Arrête… Je devais être ridicule… surtout que j'ai fini parterre en plus… bouda-t-elle.

- Tu vas affronter une pro aussi… Et sans entraînement en plus ! Puis t'as même pas pensé à ton cœur !

- Ça va… Le docteur a dit que ça allait…

- Oui mais encore une fois tu réfléchis pas… hein !? Et si t'avais fait un arrêt… !?

- Oui mais tout va bien…

- Hum…

- Tu m'en veux plus alors ? demanda-t-elle d'une moue enfantine.

- Non… Mais j'aimerais juste que t'arrêtes de réagir comme ça… J'ai l'impression que tu me fais pas confiance…

- Mais c'est normal Antoine… T'as pas arrêté de me mentir… Regarde au final tu m'as toujours pas expliqué pourquoi elle était partie… Et on sait même pas pourquoi elle est revenue ? Pour toi peut-être ?

- Mais pas du tout… Elle est revenue ici parce qu'elle s'est séparée de son mec et c'est le seul endroit où elle avait des repères… C'est tout…

- Des repères… répéta-t-elle sarcastique. Et son repère préféré c'est Antoine Dumas oui…

- Tu dis n'importe quoi là… Tu sais Louise est ici, elle a grandi ici. Elle avait sa famille et ses amis...

- Alors pourquoi elle est partie y a douze ans ?

- Je sais pas… Enfin y a peut-être pas vraiment d'explications...

- Tu sais pas ? s'offusqua-t-elle. Et donc vous avez parlé de quoi toutes ces fois où vous vous êtes vus ?

- La première fois ça a duré même pas cinq minutes… Et au café on a parlé de nous… du présent…

- Donc tu me promettais que tu la reverrais pas alors que tu savais très bien que c'était faux ?!

- Mais parce que je vois bien que ça te blesse, Candice… Et j'ai pas envie de te faire souffrir…

- Le mensonge c'est plus douloureux Antoine…

- Ok. Alors je te promets de plus te mentir à son sujet, ok ? Mais toi, en échange je veux que t'arrêtes d'être jalouse…

- Non mais c'est pas de la jalousie…

- Alors c'est quoi ?

- Bah… C'est… C'est…

- De la jalousie, Candice.

- Oui bon... Peut-être un peu… mais elle a l'air tellement parfaite que…

- Parfaite de quoi ? la coupa-t-il. Personne n'est parfait déjà… Et de deux, tu sais très bien comment notre histoire s'est terminée… alors pour un modèle de perfection on repassera…

- Hum… Excuse-moi…

- Ouais…

- En fait j'ai l'impression que... que ce sera plus jamais pareil entre nous... osa-t-elle difficilement.

Surpris, Antoine écarquilla les yeux.

- C'est sûr qu'en agissant comme tu l'as fait... Ça n'arrangera pas les choses...

- Hum...

- Et moi je crois en nous. On a déjà surmonté des tonnes de choses et... on est toujours là, ensemble.

- Et à deux on est plus fort... rajouta-t-elle en souriant.

- Voilà... Donc ça aussi, on va le surmonter...

- Oui...

- Et ça va? T'as pas trop mal ?

- Ça va... Enfin j'ai pris des antidouleurs... D'ailleurs, je vais pas tarder à raccrocher parce qu'ils m'ont assommé…

- Ok… Repose-toi… Bonne nuit.

- On se voit demain soir ?

- Oui ! À demain…

- À demain… Bisous. »

Et comme promis, le lendemain, le couple se rejoignit en fin de soirée pour une balade le long de la mer. Les rancoeurs de la veille semblaient s'être enfin dissipées et face à ses doutes, Antoine était bien décidé à lui prouver qu'eux deux avaient un avenir. Alors ils s'étaient baladés puis s'étaient installés en terrasse pour prendre un verre, comme avant. Puis main dans la main ils avaient rebroussés chemin jusqu'au domicile de la commandante où le jeune couple se trouvait dans le canapé, les yeux rivés sur leur tablette.

« Bonsoir les enfants… lâcha Candice en s'approchant d'eux.

- Salut ! répondirent-ils en souriant en voyant Antoine débarquer à son tour.

- Ça y est vous êtes rabibochés ? plaisanta Emma.

- Bah disons que j'ai préféré temporiser… J'avais peur qu'elle me mette un coup…

- Eh ! protesta Candice en boudant gentiment sous les éclats de rire des enfants.

- On s'est retenus de rire tout le trajet hier soir… On l'a retrouvé amoché devant l'hôpital et quand elle nous a raconté… continua Emma à moitié hilare.

- Oui bon, Emma…

- Ça va… On plaisante…

- Minou ! Regarde celui-là ! intervint sérieusement Sacha.

- Pas mal… T'as noté la référence ?

- Vous faites quoi ? demanda Candice en s'installant à côté l'air perplexe.

- Euh… on regarde les annonces immobilières.

- Quoi ? s'étonna-t-elle en s'affaissant sur le fauteuil. Mais pourquoi ?

- Parce qu'ils en ont marre de toi… plaisanta Antoine en s'installant à côté d'elle.

Le couple rigola doucement en fixant Candice qui ne riait pas.

- Mais on va pas rester éternellement chez toi maman…

- Mais vous êtes pas bien ici ? demanda-t-elle inquiète.

- Mais si mais… on a besoin d'avoir notre chez nous aussi… surtout depuis qu'on est trois…

- Donc vous voulez me laisser toute seule ici ?

- Sympa… lâcha Antoine en riant jaune.

- Bah oui t'es pas vraiment toute seule… En plus Léo revient souvent…

- Puis ce serait peut-être l'occasion pour nous d'y réfléchir… lança hasardement Antoine.

- A quoi ?

- Bah… vivre ensemble… à deux… comme un couple normal quoi…

- Ah oui ! Bah ça on verra… de toute façon ils vont pas partir toute suite hein…

- Parce que t'as besoin qu'ils partent pour vivre avec moi ?

- Bah non j'ai pas dit ça…

- Un peu quand même… rajouta Emma.

- Mais c'est pas la question… Vous avez trouvé un truc ou pas ? »

Et encore une fois elle avait réussi à esquiver… Contourner la question indéfiniment pour ne pas affronter le problème. En fait, elle n'avait jamais vraiment dit non… Et chaque fois elle se contentait de fuir, trouver une excuse ou dire qu'ils n'étaient pas pressés. Et à chaque fois, Antoine était agacé. Et peut-être qu'à ce moment précis c'était encore pire. La veille au soir, il avait raccroché son téléphone, convaincu que l'engagement était la solution pour éviter la rupture. Et il avait pensé que Candice était du même avis. Mais visiblement, ce n'était pas le cas...

Il l'observa se rapprocher de sa fille et se surprit à accueillir de nouvelles tergiversations. Et si ce manque d'engagement de sa part courait finalement à leur perte ? Il en avait déjà souffert y a douze ans… et recommencer le même schéma l'effrayait au plus haut point. Donc comme à chaque fois, Antoine se refermait sur lui-même. Et cette fois, il décida de s'éclipser en cuisine où il s'affaira aux fourneaux pour le repas du soir. Le dîner se déroula sans encombre mais Antoine parlait peu. Heureusement, les préoccupations d'Emma vis-à-vis de son bébé meublaient la discussion et évitaient de rendre le malaise trop flagrant.

Après le repas, le jeune couple les délaissa rapidement, les laissant ranger la salle à manger. L'atmosphère était toujours silencieuse et Candice n'osait pas mettre les pieds dans le plat. Finalement, elle se contenta de rapides sourires à chaque fois qu'elle le croisait dans leurs allers-retours cuisine-salle-à-manger… Antoine finit par refermer le lave-vaisselle, venant clore leur activité ''ménage''.

« Bon… J'vais y aller… lâcha-t-il en se retournant vers le salon.

- Déjà ? Mais tu restes pas dormir ? demanda-t-elle surprise.

- Euh pas ce soir… C'est mieux si je rentre…

- Y a un problème ? T'as pas beaucoup parlé ce soir… remarqua-t-elle en s'approchant de lui.

- Non ça va… Je réfléchis juste à ce que tu disais tout à l'heure…

- Concernant quoi ?

- Qu'on vive ensemble…

Candice détourna le regard.

- Mais écoute… C'est pas vraiment le moment… T'es complètement perturbé avec Louise… Enfin c'est pas facile… On va pas rajouter ça non plus…

- Sauf que c'est jamais le moment…

- Peut-être mais en tout cas, là ça l'est encore moins…

- En fait ça le sera jamais ? osa-t-il avec détermination.

- De quoi ?

- Y aura toujours quelque chose pour te dire que c'est pas le bon moment… reprocha-t-il gentiment. Alors que… c'est peut-être ça qui nous manque finalement…

- Mais je suis très heureuse comme ça moi… Je t'ai toi… on se voit quand on a envie… On passe des bons moments…

Antoine hocha la tête, visiblement déçu.

- Alors tout va bien… lâcha-t-il dans un rire jaune.

- Quoi ?

- Rien… Fin ça fait plus d'un an que je t'en parle et… t'as toujours le même discours…

- Mais quoi ? On va pas précipiter les choses et s'embarquer là-dedans… Et si ça marche pas ?

- Et si ça marche ?

Candice le fixa avant de le prendre dans ses bras.

- Mais ça on peut pas le savoir… Et puis faut déjà qu'on réussisse à surmonter ça tous les deux…

- Ok… répondit-il en la serrant à son tour par résignation.

Antoine l'embrassa tendrement sur son crâne avant de se détacher de ses bras pour annoncer son départ.

- J'y vais…

- Ok… bouda-t-elle. On se voit demain ?

- On se tient au courant oui… Bonne nuit ! la salua-t-il en l'embrassant tendrement avant de quitter la maison. »

Antoine dormit peu cette nuit-là. Son cerveau était dans l'incapacité de stopper ses ruminations. Tout repassait dans sa tête… Ses multiples discussions avec Candice sur l'engagement… Ses dernières entrevues avec Louise… Oui, Antoine aimait Candice mais… il y avait un mais… quatre petites lettres annonciatrices d'un problème… Et encore une fois, ce soir-là, il lui avait tendu la perche… Et encore une fois elle ne l'avait pas saisi. Pas d'enfants… Ça il l'avait déjà accepté quelques années plus tôt… Pas de mariage… D'accord, il s'était résolu à accepter cette non-demande, sans être certain de bien saisir les clauses du contrat… Pas de vie à deux… Ça, il l'acceptait difficilement, surtout après presque deux ans de relation. Mais au moins, Candice avait le mérite d'une chose; avoir honnêtement refusé quand d'autres avaient préféré la fuite et la lâcheté quelques années plus tôt.