Éreinté par une longue journée de travail, Antoine marchait fièrement jusqu'à sa maison. Des rires d'enfants résonnèrent jusqu'à l'extérieur et vinrent lui décrocher un sourire. Il débarqua dans son salon et salua sa fille qui rigolait aux éclats en jouant avec ses poupées.

« Chérie ? cria-t-il pour interpeller sa compagne.

- J'suis en haut…

Antoine accrocha sa veste et grimpa à l'étage où il retrouva la blonde devant un tas de vêtements.

- Ouh là… s'étonna-t-il. Y a eu un tsunami ici ou quoi ? plaisanta-t-il en l'attrapant à la taille.

- Ça faisait des plombes que je devais faire du tri… répondit-elle en souriant. Dis… Et si on se faisait un restau plage tous les trois… J'attendais ton avis pour réserver…

- Carrément… Ça pourrait être sympa…

- Super ! lança-t-elle avec engouement en l'embrassant. J'vais réserver.

- Ok… répliqua-t-il en souriant en l'observant descendre les escaliers. »

Le commissaire se changea et redescendit cinq minutes plus tard. Sa fille était toujours en train de jouer calmement et lui montra son dessin du jour. Mais soudain, Antoine se mit à froncer les sourcils. Il n'y avait pas un bruit dans la maison… pas l'ombre d'une troisième personne… Or il en était persuadé, il l'avait vu quelques minutes plus tôt. Il se leva du canapé et sortit à l'extérieur.

« Chérie ? T'es là ? Le silence répondit. Tu l'as pas vu ? demanda-t-il à sa fille qui hocha négativement la tête. »

Pris de panique, Antoine accourut dans sa salle de bain, déserte, elle aussi. Il fit volte-face et sentit son cœur s'accélérer.

« Louise ? hurla-t-il en retournant au salon. Louise ? cria-t-il à nouveau en bas des escaliers.

- Je crois qu'elle est partie… lança sa fille.

- C'est pas possible… Non… »

Candice l'observait s'agiter dans son sommeil. Il avait prononcé son prénom. Les six lettres fatidiques, détestées et refusées par la commandante. Louise leur gâchait la vie le jour et voilà que madame venait s'immiscer dans l'esprit du commissaire la nuit. La blonde souffla, supportant un nouveau coup. Oui elle était solide mais l'accumulation commençait à la fragiliser. Et l'entendre l'appeler la nuit était un supplice qu'elle n'arrivait pas à supporter. Résignée, elle finit par sortir des couvertures et quitta la chambre, préférant se réfugier dans son salon, là où quelques heures plus tôt il lui jurait que leur avenir était encore plein de promesses.

6h30. Le commissaire ouvrit les yeux et émergea quelques secondes. Les images de cette nuit se bousculaient dans sa tête, le questionnaient, le tourmentaient et le culpabilisaient. Et même si l'onirisme restait un mystère, il se rappelait Candice qui lui répétait sans cesse que tout rêve possédait sa symbolique, son imaginaire et sa signification. Donc quoi ? Les images de cette nuit étaient là pour lui prouver que son bonheur se trouvait aux côtés de Louise ? Non… à la fin elle disparaissait, encore et toujours… Alors peut-être simplement que c'était pour lui montrer qu'une vie de famille épanouie manquait à son bonheur. Mais il l'avait presque cette vie de famille avec Candice. Il avait sa fille. Il voyait les enfants de Candice… Oui… tout était finalement dans le « presque ». Et si Louise n'était pas partie ? Et si elle n'était pas revenue ? Et si… Et si… Antoine subissait une infâme torture de l'esprit. Une vaste remise en question de tous ses acquis, de toutes ses certitudes, de tous ses repères. Quelques semaines plus tôt il était encore heureux avec Candice et là, à son réveil, il n'était plus sûr de rien. Enfin, la seule chose dont il était certain, c'était qu'il était 6h30 et qu'il était tout seul dans ce lit bien froid.

Il se redressa et passa un bas de survêtement avant de coulisser la porte de la chambre. Personne dans la cuisine, ni même à table. Il avança jusqu'à la grande baie vitrée et finit par se retourner. Il l'aperçut, allongée dans le canapé avec un plaid qui couvrait à peine son corps. Il pencha la tête vers la droite en souriant et s'approcha doucement pour la recouvrir. Elle finit par ouvrir un œil et l'observa d'un regard triste.

« T'es déjà levé ? demanda-t-elle. Il est quelle heure ?

- Six heures et demie… T'as dormi là ? s'étonna-t-il en caressant sa joue.

- Un peu… J'arrivais pas à dormir, t'arrêtais pas de bouger…

- Mais t'aurais dû me réveiller…

- T'étais en plein rêve… J'ai pas voulu te bousculer…

- Ah bon ? J'm'en souviens même pas… mentit-il en s'installant dans le canapé à ses côtés. »

La commandante ne répliqua pas et laissa le silence s'installer alors qu'elle se glissait dans ses bras. Antoine embrassa le sommet de son crâne et se contenta de ce silence, lui permettant d'éviter tout affrontement matinal.

« Tu l'as appelé… osa-t-elle finalement.

Antoine ferma les yeux et baissa la tête.

- Qui ? demanda-t-il innocemment.

- Louise… Tu l'as appelé… cette nuit…

- C'est pour ça que t'es partie ?

Elle hocha positivement la tête.

- Mais les rêves tu sais bien que ça veut rien dire…

- T'as rêvé de quoi ?

- Je sais plus… C'est flou… mentit-il à nouveau.

- En tout cas… si même ton subconscient te montre qu'elle est là… c'est que c'est pas clair pour toi…

- Mais si… Bien sûr que c'est clair !

- Si c'était clair, elle nous pourrirait pas nos journées et te laisserait tranquille la nuit…

- Mais c'est parce qu'on l'a revu hier soir… Mon cerveau a dû travailler c'est tout…

Agacée, Candice se résigna à se lever du canapé et à le fixer.

- Tu sais quoi Antoine ? Et crois-moi je déteste déjà ce que je vais te dire mais… Appelle-là…

- Pardon ? répliqua-t-il perplexe en se levant à son tour.

- Louise… Appelle-là… Tant que vous aurez pas discuté tous les deux, ça pourra pas aller…

- Candice s'il-te-plaît… Laisse-moi gérer.

- Mais gérer quoi ? Tu gères rien du tout là !

- Mais je fais ce que je peux et… je sais que c'est compliqué… Et malgré tout j'ai besoin de toi… Comment tu veux qu'on s'en sorte si tu crois pas en nous ?

- Mais on pourra pas y arriver tant que ce sera pas clair dans ta tête, Antoine… lâcha-t-elle durement avant de s'éclipser à l'étage. »

Antoine souffla et l'observa disparaître à l'étage. Il la comprenait en même temps… Et chaque jour la situation s'empirait et leur relation se dégradait. Il hocha négativement la tête et se dirigea en cuisine où il s'y affaira pour se faire pardonner. La commandante le rejoignit une vingtaine de minutes plus tard, le visage toujours fermé.

« J'y vais… lâcha-t-elle en attrapant son sac à main.

- Déjà ? Mais je t'avais préparé un petit-déj…

- J'ai pas le temps… Je bosse pas à Sète moi. Et j'ai les bouchons sur la route…

- Ok. Tant pis… lâcha-t-il avec déception. À ce soir ?

- Non pas ce soir. C'est l'anniversaire de Nathan.

- Nathan ? l'interrogea-t-il en fronçant les sourcils. C'est qui Nathan ?

- Un collègue.

- Tu m'en as jamais parlé… s'étonna-t-il.

- Si mais… ces derniers temps t'as d'autres préoccupations…

- Et… il a quel âge ce collègue ?

- Ah non Antoine… commence ça pas sur ce terrain-là hein… t'as pas le droit de me faire une crise de jalousie vu ce qu'il se passe dans ta vie en ce moment.

- Mais c'était pas mon intention… mentit-il prit sur le fait. Tu fais ce que tu veux… Avec qui tu veux…

- Voilà ! Donc bonne journée… déclara-t-elle en quittant le salon.

- Ah ouais donc pas de bisous rien… marmonna-t-il en se retournant vers le plateau de petit-dej. Eh bonne journée surtout… souffla-t-il avant de récupérer ses affaires et quitter la maison à son tour. »

. . . . .

Arrivé devant sa brasserie fétiche, Antoine attendit quelques instants pour entrer. Il sortit son téléphone qui affichait 20h et tenta d'appeler Candice qu'il savait en soirée anniversaire. Évidemment, elle le laissa sur messagerie et le commissaire se résigna à lui laisser un simple texto : « Profite bien de ta soirée et fais attention en rentrant. Tu me dis quand t'es rentrée ? ». Il cliqua sur envoyer et pénétra enfin dans le bâtiment.

« Ah… Mon p'tit Antoine… lâcha Fernand en l'accueillant au comptoir.

- Salut Fernand ! répondit-il en s'installant sur une chaise haute.

- Ouh là… Vu ta tête… On part sur du costaud… whisky ?

- Volontiers… accepta-t-il en frottant ses yeux avec ses mains.

- Quand tu viens là… C'est que ça va pas…

Il haussa les épaules en réceptionnant son verre.

Pourtant… Avec deux femmes à tes pieds… Ça devrait aller… plaisanta-t-il.

- Eh bah justement… C'est trop… lâcha-t-il en rigolant. Candice me fait la gueule à cause de Louise…

- Compréhensible non ?

- Ouais… Toute façon depuis qu'elle est revenue c'est la merde… J'fais n'importe quoi alors que j'ai pas envie de la faire souffrir tu vois… Mais en même temps… J'suis tellement paumé…

- T'es paumé à quel niveau ?

- J'comprends pas ta question…

- Bah est-ce que t'es paumé parce que tu sais pas laquelle choisir ou… t'es paumé parce que le retour de Louise te rappelle des souvenirs… ?

- J'sais pas…

- Bah c'est simple… Là tout de suite, tu dois choisir l'une des deux. Tu fais quoi ?

- Bah… Candice… mais… c'est compliqué… fin ça a toujours été compliqué… Et en même temps, j'ai l'impression que y a quelque chose en Louise qui a changé…

- Forcément… En douze ans les gens changent… Puis elle a pris de la maturité. Toi aussi…

- Je sais… Mais ça fait bizarre de remettre ce qu'on a vécu sur le tapis… C'était simple, léger…

- Mais en même temps, elle t'a laissé du jour au lendemain et ça t'a fait un mal de chien…

- Bien sûr… Ça c'est les mauvais souvenirs…

- C'est comme avec Candice… Y a aussi eu des mauvais souvenirs…

- Hum… acquiesça-t-il. Mais ce qui compte c'est le présent, non ?

- Bah oui… Mais c'est à toi de savoir ce que tu veux faire… avec les deux…

- C'est ça le problème… Et depuis qu'elle est revenue, j'suis plus sûr de rien… Puis en même temps j'suis là comme un con tout seul avec mon whisky, parce que madame est à l'anniversaire d'un collègue et… bah ça me fait chier ! se plaignit-il.

- C'est rassurant au moins...

- Pourquoi ?

- Bah si ça t'emmerde... C'est que tu l'aimes encore, ta Candice.

- Mais oui... Bien sûr mais...

- Puis si c'est qu'un collègue, ça va…

- J'ai aussi été son collègue je te rappelle… Et bon… L'un n'empêche pas l'autre hein…

- Sauf que maintenant t'es son mec et qu'accessoirement… t'es en train de tout gâcher… Alors ok t'es perdu parce que gérer le retour de Louise c'est pas simple… Mais faut que tu prennes une décision maintenant…

- Si c'était facile aussi… marmonna-t-il en avalant une gorgée de son whisky.

- Est-ce que t'étais heureux avec Candice avant qu'elle revienne ?

Il haussa les épaules.

- Bah oui mais… il me manque un truc qu'elle veut pas…

- C'est-à-dire ?

- Son principe de relation libre, sans engagement, sans se poser de questions, chacun de son côté… au début je l'ai accepté tu vois…mais ça fait deux ans maintenant et j'ai l'impression qu'on est juste deux personnes qui se voient pour passer du bon temps et ça s'arrête là ! On construit rien ensemble ! Nos seuls projets c'est les rendez-vous au restaurant et les week-ends organisés…

- Tu lui en as parlé ?

- Bah oui mais elle se braque…

- Donc si je résume… d'un côté y a le retour de ton ex, très canon, avec qui t'as été heureux mais aussi malheureux… et de l'autre t'as ta relation libre avec Candice qui te convient plus…

- Ouais… donc tu m'aides pas là…

- Bah peut-être que si tu peux pas choisir… C'est parce que ton choix ne se porte pas sur l'une des deux…

- C'est-à-dire ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.

- Bah recommencer avec Louise ce serait sûrement une connerie… et continuer avec Candice… peut-être que c'en serait une aussi… L'amour parfois... Ça suffit pas...

- Mais comment j'peux savoir ce que je dois faire ? souffla-t-il.

- Invite Louise à boire un café… Et à l'issue de votre conversation t'auras déjà une idée…

- De toute façon… Va bien falloir qu'on rentre dans le vif du sujet un jour…

- Tu sais pourquoi elle est partie ?

- Non… Enfin… J'crois que y a pas de vraie raison en fait… Elle a fui l'engagement, tout simplement… Et tu vois ça… Bah ça me fait penser à quelqu'un d'autre.

- Mais Candice a au moins l'honnêteté de te le dire…

- Hum… Elle m'a dit de l'appeler en plus…

- Eh bah voilà ! Donc tu le fais.

- Mais je sais qu'elle a dit ça comme ça… Et si je lui dis que je prends un café avec, elle va me tuer ! s'indigna-t-il.

- Elle est pas obligée de le savoir…

- Eh bah il est beau le conseil ! Pousser son plus fidèle client au mensonge… Nan vraiment top, merci Fernand !

- Bah tu le dis toi-même… Si tu lui en parles vous allez vous engueuler…

- Je lui ai promis de plus lui mentir à ce sujet…

- Ça va… C'est qu'un demi-mensonge… Tu as juste omis de la prévenir.

- Ouais… »

Et finalement le commissaire ressortait de cette brasserie encore plus tourmenté qu'à l'arrivée. Mais Fernand avait au moins eu le cran de faire ressortir des choses très vraies… Lui seul pouvait désormais trancher sur son avenir. Le cerveau en ébullition, Antoine marcha jusqu'à sa voiture et grimpa dans l'habitacle lorsqu'il sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Il le déverrouilla et lut le message qui apparaissait à l'écran avant de froncer les sourcils : « Je suis rentrée… ». Déjà ?! s'étonna-t-il en constatant qu'il n'était que 22h. Il ne répondit pas et attendit de rentrer chez lui pour se décider à l'appeler. Les longues secondes d'espoir qu'elle décroche s'écoulèrent, et Antoine finit par sourire lorsque la sonnerie s'arrêta.

« Allô ?

- J'ai cru que tu répondrais pas… lâcha-t-il quelque peu gêné.

- Comme quoi… répondit-elle en haussant les épaules.

- T'es rentrée tôt… Ça s'est pas bien passé ?

- Si… mais j'étais crevée avec la nuit dernière…

- Je suis désolé… s'excusa-t-il sincèrement en s'asseyant dans son canapé.

- C'est moi qui suis désolée d'être partie comme ça ce matin… Je sais que c'est pas de ta faute… tu fais ce que tu peux.

- Dès fois j'aimerais revenir en arrière et tout effacer…

- Notre histoire ? demanda-t-elle inquiète.

- Non… Son retour…

- Sauf que ça c'est pas possible Antoine et que tu dois faire avec…

- Je sais… Le silence s'installa. Dis…

- Hum ?

- T'étais sérieuse ce matin quand tu me disais de l'appeler ?

Elle ferma les yeux pour contenir sa haine et souffla intérieurement avant de répondre.

- T'en as envie ?

- Je sais pas… Je me dis juste que t'as peut-être raison et si j'ai ton accord… Je me sentirais moins mal de le faire…

- Mon accord ?! répéta-t-elle surprise.

- Non… Ton consentement… Écoute, je t'ai promis que je te mentirais plus… Et je pense que ce serait une bonne chose qu'on se voit…

- T'es un grand garçon Antoine… Si t'as envie de le faire, alors je t'empêcherai pas…

- Le prends pas comme ça… C'est juste que je veux pas te faire de mal…

- Au point où on en est… grommela-t-elle presque inaudible.

- Ça veut dire quoi ça ?

- Rien… se contenta-t-elle de répondre avant de laisser le silence s'installer à nouveau. Bon… Je vais te laisser… J'suis épuisée…

- D'accord… répondit-il simplement. Bonne nuit…

- Bonne nuit. On s'appelle demain ?

- Oui… accepta-t-il. À demain. »

Candice raccrocha. Elle sentit ses yeux s'embuer… Faut dire que la fatigue n'arrangeait en rien son état et que chaque conversation sur Louise la rendait irascible. Oui, elle avait poussé Antoine à la contacter, mais ce n'était peut-être finalement pas pour les bonnes raisons… Alors elle déposa son téléphone sur la table de nuit avant de le sentir vibrer et se pencha à nouveau sur l'écran. « Je t'aime. » lut-elle simplement. Un sourire se dressa sur son visage. Mais… Candice fit le choix de ne pas répondre. Elle éteignit la lumière et s'emmitoufla dans les couvertures, espérant enfin pouvoir rattraper ses heures de sommeil manquées la nuit passée.