. . . . .

Le lendemain matin, Antoine ouvrit difficilement les yeux. Le commissaire écopait d'une nuit d'insomnie à ruminer encore et toujours leur dernière discussion.

Tout lui était revenu en tête.

Ses mots à lui.

Ses cris à elle.

Il l'avait laissé en pleurs et avait feint la solidité pour ne pas déroger à sa promesse de ne jamais rien montrer, surtout quand ça allait mal... Pourtant, à peine avait-il refermé la porte qu'il avait senti ses yeux s'embuer. Oui Antoine Dumas était fort mais en amour, tous les coups étaient permis et celui-là l'avait mis K.O. Alors il était rentré chez lui. Il avait filé sous la douche brûlante, priant pour qu'elle efface ses souillures. Et il en était ressorti presque aussi mal qu'à l'initial. Alors il s'était tourné vers l'autre solution. Celle qu'il ne s'autorisait qu'en cas de grande détresse. Il avait bu un verre, puis deux. Peut-être trois en fait... Et empreint d'un mal de crâne monumental, il s'était résigné à aller s'allonger dans son lit sans prendre la peine de dîner.

Pourtant, le commissaire devait faire bonne figure. Il récupérait sa fille aujourd'hui et comptait bien simuler le bonheur. La petite ne devait pas savoir. Pas pour l'instant. Et puis il fallait garder cette figure d'autorité au bureau. Personne ne devait savoir. Même pas ses plus proches collègues. Alors il finit par se décider à sortir de son lit, s'emparer d'une aspirine et avaler sa tasse de café avant d'oser rejoindre l'hôtel de police sétois.

Heureusement, ils ne travaillaient plus ensemble…

. . . . .

Dans le salon des Renoir, le silence régnait. La jeune brune était plongée dans un bouquin et sirotait de temps à autre son thé. Il était neuf heures du matin et toute la famille avait vaqué à ses occupations. Pourtant, elle sursauta lorsqu'elle entendit la porte vitrée de la chambre parentale coulisser.

« Maman ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? T'es pas au boulot ?

- Nan… T'as vu la tête que j'ai ?

- Ça te ferait du bien… Ça te changerait les idées…

Elle haussa les épaules, visiblement peu convaincue. Candice s'empara d'une tartine et déversa du nutella dessus.

- J'ai dit que j'étais malade… expliqua-t-elle en croquant dans sa tartine.

- Ah non ça va pas recommencer ! se plaignit sa fille en posant violemment sa tasse sur la table.

- De quoi ? s'étonna-t-elle.

- Le chocolat… Tu nous fais la même à chaque fois !

- Oui bon…

- Donc c'est ça le plan ? Tu démissionnes, tu prends 10 kilos et puis quoi ? Tu restes enfermée ?

- Et pourquoi pas ?!

- Oh la la… Et puis dans deux jours tu seras retombée dans ses bras… C'est bon… On connaît la musique.

- Non. Cette fois c'est pas pareil. Lâcha-t-elle durement.

- Et bah qu'est-ce qu'il s'est passé alors ?

- Rien… éluda-t-elle.

- Bah si… On fout pas deux ans d'histoire en l'air pour rien… s'agaça-t-elle.

- Toute façon j'avais bien remarqué que depuis son retour c'était plus le même…

- De qui tu parles ?

- Son ex…

- Jennifer ?

- Mais non… Louise.

- Louise ? C'est qui Louise ? Elle sort d'où ?

- C'est… son premier amour. Ils ont eu une histoire y a 12 ans.

- Attends mais… C'est celle avec qui tu t'es battue ?

- Oui… Elle était partie et elle est revenue. Ils se sont vus plusieurs fois pour discuter et… il m'a dit qu'ils s'étaient embrassés. Expliqua-t-elle tristement.

- Aïe…

- Il m'a dit que c'était une erreur… Mais erreur ou pas… le geste est là quand même…

- Il a quand même été honnête de te le dire…

- Ouais enfin en attendant je passe pour la conne de service moi ! s'indigna-t-elle.

- Donc il t'a quitté pour elle ?

- Non…

- Bah...?

- Il m'a quitté parce que... parce qu'il a peur pour nous.

Emma fronça les sourcils et fixa sa mère en attente d'autres explications.

En gros il me reproche de pas m'investir dans notre relation voilà…

- Ah bah ça…

- Mais ça serait jamais arrivé si elle était pas revenue…

- Bah dans tous les cas… J'pense qu'il aurait mis ça sur le tapis le jour ou l'autre… Mais je le comprends un peu…

- Quoi ?! T'es de son côté en plus ?!

- Bah non mais avoue que t'as pas très envie de t'engager… Avec ton « union libre », ton « non-mariage » et ton « chacun chez soi »… lâcha-t-elle en mimant les guillemets.

- Mais je sais pas vivre en couple… à chaque fois ça s'est mal terminé… je veux pas que ça refasse pareil…

- Pourtant il va bien falloir trouver une solution…

- Bah il l'a trouvé tout seul visiblement !

- Mais tu réfléchis ou quoi ?! s'emporta-t-elle en se levant avec sa tasse. Bien sûr qu'il t'a quitté ! C'est pour te faire réagir…

- Hein ?

- Maintenant c'est à toi de voir… Soit tu fais rien et tu le perds définitivement. Sois-tu travailles sur toi et tu essayes de le récupérer…

Candice marmonna face au dilemme de sa fille.

- Oui fin de toute façon j'oublie pas non plus son dérapage avec son ex ! On va embrasser quelqu'un d'autre quand on aime déjà quelqu'un ? J'crois pas moi ! »

Emma hocha négativement la tête face à l'entêtement de sa mère. Et chaque fois n'étant pas coutume, Candice refusait de se remettre en question et préférait remettre la faute sur les autres. Dépitée, la brune quitta le salon, laissant sa mère dans sa solitude.

. . . . .

Une heure plus tard, Antoine délaissa son dossier spécial prise de tête et se dirigea vers la salle de repos. Visiblement sa tasse de café n'avait pas suffi et une deuxième était indiscutablement bienvenue. Il enclencha le bouton de la machine et s'accouda au comptoir. Il posa sa tête sur ses mains et ferma les yeux quelques secondes lorsqu'un bruit sourd retentit sur la table.

« Bouh ! entendit-il crier.

- Putain Marquez mais t'es pas bien…

- Ah bah désolé de te dire ça mais c'est plutôt toi qu'a l'air mal… Ça va ou quoi ? T'es blanc comme un mort !

- Ouais c'est juste que j'ai pas dormi de la nuit…

- Ah bah ça se voit ! Nuit agitée… lâcha-t-il le sourire en coin.

- Insomnie plutôt…

- Merde… Candice ronflait de trop ? plaisanta-t-il.

- Nan…

- Oh toi tu t'es engueulé avec Candice… plaisanta-t-il à nouveau.

- Mais tu veux pas me lâcher avec Candice ?! Merde ! s'emporta-t-il en quittant la salle de repos. »

Le commissaire laissa son capitaine bouche bée. Son chef était d'une humeur massacrante et la journée s'annonçait donc pénible. Bredouille, il tourna les talons à son tour et rejoignit le reste de l'équipe.

« Putain… Vous avez vu Antoine ce matin ?

- Euh nan j'crois pas… répondit Val. Pourquoi ?

- J'viens de le croiser en salle de repos… Il est d'une humeur…

- Eh bah ça s'annonce sympa… continua-t-elle dans un faux sourire.

- Ouais… »

. . . . .

Affalé dans son canapé, le commissaire ruminait les derniers mots qu'il lui avait adressé. Oui, Antoine Dumas avait été dur. Oui, il avait été catégorique. Et oui, il était inexorablement attristé par leur situation. Finalement, la rupture s'était posée comme la solution de dernier recours. L'acte salvateur d'un chemin sans issue. Ou du moins, une issue qui n'était pas celle qu'il espérait.

D'un geste mécanique, il joignit son verre de whisky à ses lèvres et en avala une gorgée. C'était âpre. Presque brûlant. Mais finalement si soulageant... Il réitéra son geste. Plusieurs fois. Jusqu'à ce que le liquide ne disparaisse. Et à nouveau il s'en resservit. Persuadé que ce pansement apaiserait sa douleur.

Il finit par claquer le verre sur sa table basse. Un bruit qui résonna en concomitance avec des vibrations qui firent trembler son meuble. Il jeta un œil sur son écran et hésita à décrocher.

« Allô ?

- Antoine ? Qu'est-ce que tu fous ? Tu devais venir me récupérer Suzanne tout à l'heure ! se plaignit sa mère en l'agressant.

- Oh ça va… J'ai pas vu l'heure.

- Non parce que déjà que je te dépanne à la dernière minute. Bon…

- Désolé.

- Et tu comptes venir quand sinon ? s'impatienta-t-elle.

- Euh… balbutia-t-il en réalisant son état. Pas tout de suite… Je… J'ai encore du travail.

Elle souffla derrière le combiné.

- Et Candice ? Elle peut pas s'en occuper ? Nan parce que j'ai un rendez-vous moi !

Il ferma les yeux pour intérioriser sa douleur.

- Non elle peut pas, non. Elle travaille elle aussi.

- Et sa fille ? Suzanne l'adore.

- Non c'est pas possible.

- T'as demandé au moins ?

- Bon maman…

- Bah quoi !?

- C'est fini avec Candice. Lâcha-t-il froidement pour se libérer.

- Pardon ?

- Je l'ai quitté. Enfin...

- Toi ? le coupa-t-elle en rigolant. Tu l'as quitté ? Vraiment ?

- Bon écoute, j'ai vraiment pas envie de rigoler de ça ni même parler de ça d'ailleurs. Tu peux me garder Suzanne oui ou non ?

- Oui c'est bon je vais m'arranger… concilia-t-elle face à sa détresse.

- Ok. Merci.

- Antoine ?

- Quoi ?

- Tu fais pas de bêtise hein ? lança-t-elle inquiète.

- Mais non… Pourquoi tu veux que je fasse une bêtise ?

- Bah… parce que je connais mon fils. Et que je sais à quel point ce genre de situation peut le rendre mal…

Antoine sentit ses yeux s'embuer. Il ravala sa salive et marqua un temps.

- Non mais ça va… J'te jure ça va…

- Me refais pas le même coup qu'il y a 12 ans, c'est tout ce que je te demande.

- Ouais… mais là c'est différent…

- Je sais… Mais c'est Candice... Et on sait tous les deux que c'est pas n'importe qui...

- Mais ça pouvait plus durer... On avançait à rien tous les deux...

- Donc tu préfères avancer seul ?

- Non... chuchota-t-il. Mais peut-être que ça la fera réagir...

- Si tu le dis...

- En fait je… J'crois que je vais partir… Quelques jours. Tout seul. Loin d'ici…

- Si tu penses que prendre des vacances c'est la solution alors… fais-le…

- La solution je sais pas mais… J'ai besoin de prendre l'air… De m'éloigner...

- Je comprends…

- Hum… Bon… J'te laisse. J'ai encore du boulot... mentit-il. T'embrasses Suzanne pour moi ?

- Évidemment. Bonne soirée quand même…

- Merci. »