Sortie dans le centre-ville pour faire ses achats, la commandante pestait face à l'affluence de la rue marchande. En plein été, la ville était en effervescence. Les touristes avaient investi les boutiques et terrasses et les rues grouillaient de monde. Elle parvint tant bien que mal à se faufiler hors de la rue et débarqua sur l'esplanade les bras chargés de provisions. Elle marchait lentement lorsqu'elle entendit son nom. Surprise, Candice s'immobilisa et tourna la tête vers la gauche. Elle ne tarda pas à voir une petite fille souriante accourir vers elle.

« Suzanne ? s'étonna-t-elle alors que la petite venait de se planter devant elle.

- J'suis avec mamie ! expliqua-t-elle alors qu'Isaure arrivait à leurs côtés.

- Bonjour… lâcha-t-elle faiblement.

- Bonjour Candice. Désolée, j'ai pas réussi à la retenir.

- Ah non mais y a pas de mal ! rétorqua-t-elle en souriant.

- T'as vu mon nouveau bracelet ?

- Il est super chouette dis-donc !

- Ouais. Il a coûté super cher en plus… J'ai hâte de le montrer à papa…

- Bah oui, il sera content.

- T'as vu ! Il s'amuse bien ! Il va presque tout le temps à la plage…

- Ah ? demanda-t-elle en fixant son ex-belle-mère. Oui… Il a de la chance.

- Il a dit que tu pouvais pas aller avec lui à cause de ton travail… C'est trop dommage…

- Oui c'est vrai…

- À toi aussi il te manque ? »

À cette remarque, Candice sentit ses yeux s'embuer. Évidemment qu'il lui manquait… Cela faisait plus de quinze jours qu'elle n'avait plus de nouvelles. Plus de quinze jours qu'elle ne l'avait pas vu… Plus de quinze jours que chaque jour qui passait devenait encore plus fade que le précédent. Alors la blonde se contenta d'acquiescer gentiment avant de fixer longuement l'ex-avocate qui restait impassible. Suzanne demanda à sa grand-mère pour s'éclipser aux jeux qui grouillaient d'enfants. Elle accepta et la petite disparut, laissant les deux femmes dans un face à face insoutenable.

« Vous savez où il est ?

Isaure détourna le regard.

Donc vous savez où il est…

- Il m'a demandé de rien dire Candice… Je peux pas le trahir… Et puis honnêtement, aller le voir… Je suis pas certaine que ce soit la bonne solution…

- Je sais… De toute façon il veut plus me parler… lâcha-t-elle tristement.

- Il a besoin de prendre un peu de recul…

- Il rentre quand ?

- Samedi.

Elle acquiesça sans sourire.

- Vous avez le temps pour un café ?

- Un café ? s'étonna-t-elle. Moi qui pensais que vous me détestiez…

- Mais je prends aussi des cafés avec des gens que je n'apprécie pas forcément vous savez… plaisanta-t-elle. »

Elle esquissa un faible sourire avant d'acquiescer en guise d'acceptation. Les deux femmes se rapprochèrent de l'aire de jeux et s'installèrent à une table en terrasse. Le silence s'installa, quelque peu gênant.

« Il n'a rien dit à Suzanne pour nous deux ?

- Non… Pour l'instant il a préféré dire qu'il devait partir pour son boulot…

- Et… Comment il va ? demanda Candice.

Isaure haussa les épaules.

- Aussi bien que vous…

- Pourtant c'est lui qui a voulu partir… lâcha-t-elle pleine de reproches.

- Hum oui mais… à contre-cœur…

Candice leva tristement les yeux au ciel en tournant sa cuillère dans sa tasse.

Vous savez, dès qu'il est venu me dire que Louise était de retour j'ai su…

- Qu'il allait retomber dans ses bras ?

- Non ! Qu'il allait perdre pied… Y a douze ans, quand elle est partie c'était vraiment pas facile. Déjà que notre relation était compliquée, ça n'a pas arrangé les choses… Il s'est enfermé dans une spirale et il a mis du temps à en sortir…

- Je pensais pas que c'était à ce point… répliqua-t-elle émue.

- Si… On peut dire qu'elle l'a fait sombrer…

- D'accord… Mais nous… ?! Ça n'a rien à voir avec toute cette histoire… Je suis pas Louise moi !

- Je sais… Mais…

Soudain le téléphone d'Isaure vibra dans sa poche. Elle le sortit et fixa son écran avec gêne avant de jeter un œil sur Candice.

- C'est lui ? demanda la blonde pleine d'espoir.

- Je rappellerai tout à l'heure.

- Vous avez de la chance, parce que moi je suis sur messagerie directe. Il répond même pas aux messages…

- Faut lui laisser du temps…

- Il vous a parlé de moi ?

- Candice…

- Désolée… C'est juste que j'arrive pas bien à comprendre où on en est tous les deux…

- Lui aussi est perdu… Mon fils vous aime mais…

- Mais Louise est revenue dans sa vie… la coupa-t-elle durement.

- Elle est venue me voir…

Surprise, Candice releva la tête.

- Elle vous a dit ?

- Oui…

- Et Antoine ?

- Je lui ai rien dit… C'est pas à moi de le faire… Elle est venue s'excuser et… elle m'a laissé une lettre pour lui. Je lui remettrai quand il rentrera…

- Vous avez raison…

- Vous saviez ?

- Oui… C'est moi qui l'ai forcé à lui dire… Il mérite de savoir…

- Vous êtes quelqu'un de bien Candice…

Gênée, elle baissa la tête et fixa sa tasse de café.

- Pas si bien que ça visiblement…

- Antoine est un peu perdu et le retour de Louise est venu remettre la question de l'engagement sur le tapis… C'est un peu compliqué pour lui de faire face à tout ça… Il a beaucoup souffert y a douze ans et… il a besoin de se protéger… vous comprenez ?

Elle acquiesça avant d'être perturbée par le retour de Suzanne.

- Mamie ! cria la petite en débarquant à table. J'peux avoir à boire ?

- Bien sûr ! Assis-toi ma chérie…

- On pourra aller à la plage cet après-midi ?

- Je sais pas… Tu sais il fait très chaud dehors…

- Mais avec papa, on y va tout le temps ! Même qu'il m'attrape et qu'il me jette super loin dans l'eau et ça éclabousse tout le monde ! expliqua-t-elle en rigolant.

- Tu sais bien que moi je peux pas faire ça…

La petite haussa les épaules.

- Tant pis ! On ira tous les trois quand il reviendra, hein Candice ?

- On verra oui… Bon… éluda-t-elle. Je vais vous laisser toutes les deux, déclara Candice en souriant avant de se lever.

- Déjà ? demanda la petite avec déception.

- Oui… J'ai plein de choses à faire…

- Je pourrais venir chez toi bientôt ? Même sans papa…

- Euh… Je sais pas trop… Tu sais j'ai plein de travail en ce moment…

- Tant pis alors… Tu feras un bisou au bébé de ma part ?

- Bien sûr ! répliqua-t-elle émue. »

Candice remercia Isaure avant de saluer la petite qui s'hydratait d'un verre d'eau au sirop glacé en ces temps caniculaires. Un contraste si représentatif de la commandante qui tentait de faire émaner sa chaleur alors que l'intérieur de son être respirait la fraîcheur depuis qu'il avait claqué la porte de sa maison. Elle récupéra ses provisions et continua son chemin, l'esprit divaguant entre ses souvenirs et ses espoirs.

. . . . .

Accoudé au bar de la plage, Antoine bafouilla quelques mots en espagnol avant de récupérer sa boisson. Il remercia le serveur et s'installa sur le siège haut d'à côté lorsqu'il sentit une présence à sa gauche. Il sirota son cocktail et tourna la tête vers une jeune femme visiblement française qui tentait elle aussi de se faire comprendre.

« Avec glaçons c'est « con cubos de hielo », intervint-il alors qu'elle désespérait.

- Ah… Merci… sourit-elle avant de répéter la phrase au serveur. Vous parlez espagnol ? demanda-t-elle en s'approchant de lui avec son verre.

- Non… C'est google qui me l'a dit… plaisanta-t-il.

Elle éclata de rire.

- Je peux ? demanda-t-elle en montrant le siège d'à côté.

- Euh… oui ! confirma-t-il en souriant gêné.

- Alice ! Enchantée…

- Antoine ! répondit-il sans s'attarder sur le sujet.

- Vous aussi vous êtes venu avec le club célib' ?

- Euh… non… Je suis venu comme ça, sans club…

- Entre nous vous avez bien raison… Je pensais m'amuser mais le groupe qu'on a est super ennuyant… J'ai réussi à me barrer en douce… J'espère qu'ils vont pas me repérer.

Il rigola doucement.

- Après tout vous êtes pas obligée de rester avec eux…

- C'est vrai… mais vous êtes tout seul ici vous ?

Il acquiesça.

C'est drôle…

- De quoi ?

- Bah qu'un mec comme vous parte en vacances tout seul dans ce genre d'endroits… C'est hyper romantique…

- Un mec comme moi ? demanda-t-il perplexe.

- Bah… vous êtes beau gosse quoi. Donc vous devez pas avoir de mal à trouver chaussure à votre pied.

Antoine haussa les épaules avant de baisser la tête, gêné.

Pardon… Je voulais pas paraître intrusive… J'suis un peu trop curieuse parfois…

- Y a pas de mal !

- Bon… J'ai l'air de vous embêter… J'vais vous laisser.

- Non pas du tout… Excusez-moi c'est juste que… je traverse un moment un peu difficile. Et… commença-t-il avant d'exploser de rire. J'crois que je donne l'impression d'être un vieux con aigri…

- C'est un peu ça… répliqua-t-elle pour plaisanter. Mais en tout cas si vous avez besoin de parler j'suis là… en plus j'suis psy donc ça tombe bien…

Antoine sentit sa gorge se nouer et ravala sa salive.

- Vous êtes psy ?

- Oui je sais… ça fait toujours cet effet là au début… mais pas de panique je vais pas vous demander de vous allonger sur un transat pour une consultation…

- J'espère bien ! Puis là-dessus j'ai rien à dire parce que de mon côté… j'suis flic…

- Flic ? répéta-t-elle en manquant de s'étouffer.

- Eh oui…

- J'vais faire attention à ce que je dis alors…

- Pas la peine j'suis pas en service là… lâcha-t-il en rigolant.

- Et vous bossez dans quel service ?

- Euh… bah en fait… j'suis commissaire…

- Ah oui quand même… Et donc vous aviez besoin de vacances…

- Ouais… Puis ça faisait longtemps que j'étais pas parti dans ce genre d'endroit…

- La dernière fois c'était où ?

- Euh… c'était en Corse… y a un an…

- Ah donc chaque année vous expérimentez une nouvelle destination en solo ?

Il baissa la tête avant d'oser répondre.

- Non… enfin j'étais parti avec ma… avec ma compagne on va dire et… voilà !

- Ah pardon je…

- Nan mais vous pouviez pas savoir ! On marche un peu ?

- Ah… s'étonna-t-elle. Euh bah volontiers… »

Les vacanciers délaissèrent le bar pour fouler le sable. La fin de journée approchait et le soleil baissait à l'horizon, permettant au ciel de revêtir une jolie teinte rosée. Admiratif, Antoine s'empara de son téléphone et captura l'instant en photo.

« J'vais l'envoyer à ma fille. Elle va être contente elle adore les couchers de soleil.

- Elle a quel âge ?

- 8 ans…

- C'est mon rêve d'avoir des enfants ! confessa-t-elle. Mais pour ça… faut trouver le bon.

- Et visiblement il se trouve pas au club célib' !

- Ouh là non… c'est toujours pareil… y a que des machos, ringards et mon dieu qu'ils sont louuuuurds… se plaignit-elle.

- Vous le trouverez sûrement ailleurs alors… répliqua-t-il les yeux rivés sur son téléphone.

- Ouais… confirma-t-elle en le fixant d'un grand sourire. »

. . . . .

De retour dans sa chambre d'hôtel, le commissaire venait d'enfin s'installer sur sa terrasse. La journée avait été longue et sa balade de deux kilomètres avec cette nouvelle connaissance n'avait en rien arrangé sa fatigue. Il s'empara de son téléphone et tapota sur son clavier avant de fixer l'écran en souriant. Il ne tarda pas à voir apparaître le visage de sa fille qui souriait.

« Bonsoir ma chérie…

- Papaaaaa ! Tu me manques… Tu rentres bientôt ?

- On est à plus de la moitié… dans 4 dodos je suis là !

- Ok… T'es plus à la mer là ?

- Non ! Je suis rentré dans ma chambre. T'as vu le ciel était super beau…

- Oui il était tout rose…

- Ouais…

- Un jour tu m'emmèneras là-bas ? demanda-t-elle d'une petite voix.

- Bien sûr ! Je te promets qu'un jour on partira tous les deux !

Elle acquiesça en souriant.

Qu'est-ce que t'as fait aujourd'hui avec mamie ?

- Mamie veut pas qu'on aille à la plage parce qu'il fait trop chaud… bouda-t-elle. Du coup on a été faire les magasins et j'ai acheté un bracelet. Regarde…

- Wouah ! Il est super beau.

- Et ce matin, je me suis fait une nouvelle copine aux jeux. Pendant que mamie elle buvait un café avec Candice.

- Avec Candice ? s'étonna-t-il.

- Oui elle faisait les magasins elle aussi… je crois qu'elle est un peu triste que tu sois parti sans elle…

- Bah oui mais j'avais pas le choix… tu sais bien… tu me la passes ?

- Mais Candice elle est pas là…

- Non ! Je parle de mamie.

- Ah ! D'accord. Bisous papa.

- Bisous chérie….

La petite disparut de l'écran, très vite remplacée par sa grand-mère.

Pourquoi tu m'as pas dit que t'as vu Candice ce matin ! s'agaça-t-il directement.

- Oui alors bonjour à toi aussi mon fils…

- Oui bon !

- On l'a croisé par hasard et on a discuté. C'est tout. Pourquoi j'ai pas le droit ?

- Bah je sais pas… La situation est déjà assez compliquée comme ça tu trouves pas… ?

- Ça va je l'ai pas invité à dîner non plus ! Ça a duré à peine quinze minutes !

- Et… vous vous êtes dit quoi ?

- Ah… c'est ça qui te tracasse en fait !

- Maman… s'te plaît !

- Mais rien… Elle a essayé de savoir où t'étais et j'ai rien dit voilà… et… elle comprend pas bien comment vous en êtes arrivés là tous les deux…

- Donc elle a toujours rien compris en fait ?

- Je crois surtout qu'elle est dans le déni…

- Super… et elle va comment ?

- Aussi bien que toi…

- Hum…

- T'es sûr que tu fais le bon choix ?

- Écoute… pour l'instant, j'ai besoin de cette distance pour réfléchir… et si je rentre… elle va encore prendre les choses pour acquises et j'ai pas envie de ça…

- Mais tu sais que c'est risqué…

- Je sais… Mais il faut qu'elle comprenne que les efforts doivent se faire dans les deux sens... Et vu ce que tu me racontes, elle l'a toujours pas compris…

- Bon… de toute façon c'est toi qui décides !

- Voilà !

- Et ça va… C'est pas trop long tout seul là-bas ?

- Ça va… je me repose ça fait du bien. Et j'ai rencontré une marseillaise tout à l'heure. On s'est promenés un peu et elle est sympa.

- Antoine…

- Quoi ?! s'agaça-t-il.

- Va pas faire n'importe quoi !

- Mais non ! Puis crois-moi j'ai pas envie d'encore plus me compliquer la vie… et toute façon j'ai beaucoup trop Candice en tête… si elle arrêtait avec ses messages aussi… ça irait peut-être mieux !

- Elle continue encore ? s'étonna Isaure.

- Ouais… et tu vois… j'suis même étonné qu'elle ait pas encore tenté une géolocalisation de mon portable… la connaissant…

- Toute façon qu'est-ce que tu veux qu'elle fasse ?

- Bah elle serait capable de débarquer !

- T'es dur là…

- Non, réaliste !

- Oui bon… dans tous les cas va bien falloir que tu prennes une décision d'ici ton retour. Et que tu parles à ta fille aussi…

- Je sais…

- Bon… on va te laisser alors.

- Elle est où ?

- Partie jouer dans sa chambre.

- Tu lui feras un bisou.

- Ouais. Allez repose-toi bien ! »

Antoine raccrocha, dubitatif quant au discours de sa mère. Certes sa rencontre avec Candice était hasardeuse mais la savoir toujours dans le déni le rongeait. Il était parti en espérant qu'elle réalise ses torts et finalement… le changement espéré n'y était toujours pas. Il souffla, soucieux de ne pas parvenir à trouver une autre solution que celle de la séparation… Et comme par hasard ce fut le moment où de l'autre côté du globe la blonde pensait à lui.

« Tu veux toujours pas qu'on discute ? » lut-il avant de se frotter la nuque.

Définitivement, Candice n'avait rien compris… Six messages laissés en « vu ». Des appels non répondus et des messages non écoutés. Et elle ne comprenait pas… À nouveau, le commissaire choisit la voie du mutisme et éteignit son téléphone qu'il posa sur sa table de nuit. Là était une échappatoire pour éviter de songer à toute cette histoire.