Et le lendemain, sa journée fut remplie de paysages similaires à la précédente. Sauf que cette fois, au diable le farniente ! Sa curiosité le piqua et l'aventure l'appela. Il rentra de sa journée, éreinté, et finit par s'installer à une table haute du bar extérieur. Antoine sirotait tranquillement son cocktail en consultant son portable lorsqu'on l'interpella.
« Salut ! lâcha timidement une voix féminine devant lui.
Antoine releva la tête à son tour.
- Ah salut ! Désolé je vous avais pas vu !
- Ça va ? Vous avez passé une bonne journée ?
- Ouais… J'ai découvert un coin hyper sympa. Y avait une vue à tomber ! Et vous ?
- Farniente…
- Vous avez bien raison !
- On peut peut-être se tutoyer non ?
- Euh… Bien sûr !
- Ça fera moins… pompeux…
Antoine rigola doucement.
J'vais me chercher un verre. J'peux m'installer ? demanda-t-elle en montrant la place face à lui.
- Avec plaisir !
Antoine l'observa récupérer son verre au bar et revenir en évitant les autres vacanciers qui arrivaient de plus en plus nombreux.
- Cette fois, il a tout compris du premier coup ! plaisanta-t-elle.
- Tant mieux…
- Y avait un dress code nan ? J'ai l'impression que tout le monde est hyper bien sapé.
- J'avoue… répliqua-t-il en observant les alentours.
- Toi ça passe ! Avec ta chemise…
- Toute façon j'ai quasiment que ça… plaisanta-t-il.
Soudain, le téléphone du commissaire vibra sur la table, laissant apparaître une photo de Candice. Il refusa l'appel.
- Je… Fin ! Décroche… Te dérange pas pour moi… lâcha-t-elle gênée.
- Non… Justement… C'est un refus volontaire… répondit-il en esquissant un faux sourire.
- Ah…
Le téléphone refit le même schéma et Antoine refusa à nouveau.
- C'est peut-être important… »
Antoine hocha négativement la tête. Non… Ça n'était pas important… Il la connaissait et savait pertinemment comment elle fonctionnait. L'insistance et la lourdeur la caractérisaient… Alors la seule solution était le refus. Parce que visiblement, Candice n'avait toujours pas compris le message et forçait avec ses textos et ses appels.
À Sète, la blonde boudait. Malgré ses tentatives, Antoine restait de marbre et la laissait sans nouvelles. Cela faisait dix jours qu'il était parti. Dix jours qu'elle n'avait pas été en contact avec lui… si ce n'est plus en additionnant le moment où il avait claqué la porte de sa maison en la quittant. Alors elle vaqua à ses occupations, se contentant d'imaginer ce qu'il pouvait bien faire là où il était… Et… Tout le monde savait que si elle le voyait sur cette plage avec cette femme, elle serait loin d'être satisfaite de la scène…
Dans le canapé, Sacha scrollait mécaniquement son écran de téléphone, lâchant hasardement un éclat de rire lorsqu'il se trouvait devant un contenu rigolo.
« Eh bah ! Il s'emmerde pas hein… lâcha Sacha en montrant son téléphone à Emma.
- C'est sûrement une façon pour lui d'oublier…
- Pour qui ? intervint Candice qui avait entendu la discussion.
- Euh… Pour personne…
- Bah si ! Vous parliez de quelqu'un là… Montre…
- Non mais… c'est… c'est un vieux pote du lycée…
- Heureusement que t'écris les pièces et que tu les joues pas hein… parce que tu sais pas mentir, Sacha… lâcha-t-elle durement. Alors ?
Sacha jeta un œil à Emma qui finit par acquiescer.
- La story d'Antoine… se contenta-t-il de répondre.
- La story ? Quelle story ? J'ai rien moi ! bougonna-t-elle en déverrouillant son téléphone. Il met jamais rien là-dessus en plus…
- Il a peut-être mis ça par erreur…
- Mais vous la voyez encore vous ? J'ai rien moi !
- Ouais… répondit Sacha gêné.
- Ok… Donc il m'a bloqué ! s'agaça-t-elle. Sympa… pesta-t-elle.
- C'est peut-être mieux comme ça… tenta Emma.
- Faites voir ! ordonna Candice avec nervosité.
- Non mais…
- Montre !
Penaud, Sacha tendit son téléphone à Candice qui s'affala sur le canapé avant de cliquer sur la vidéo.
On s'amuse bien à ce que je vois… maugréa-t-elle en regardant la story en boucle. Et c'est qui elle ?
- Qui ?
- Bah la dame à côté !
- Bah c'est sûrement quelqu'un qu'est en vacances aussi… Je sais pas…
- Ok… Donc ça me largue et ça va se taper tout ce qui bouge sous les tropiques…
- Mais arrête ! T'en sais rien… Commence pas à te monter la tête toute seule…
- Me monter la tête ?! s'indigna-t-elle. J'te signale que je lui ai déjà assez donné ma confiance comme ça hein ! Alors, oui désolée, mais je vais me monter la tête, oui. »
. . . . .
Le lendemain matin, Antoine plissa les yeux en sortant hors de l'hôtel. Le soleil cognait déjà et raviva son violent mal de crâne qu'il venait tout juste de réussir à temporiser après une bonne douche fraîche. Il fixa ses lunettes de soleil sur son nez et marcha droit jusqu'au restaurant de plage étonnamment vide de monde. À peine avait-il frôlé le sable qu'il reconnut sa camarade de la veille et se dirigea vers elle.
« Alors… Bonne nuit ? plaisanta-t-elle en éclatant de rire.
- Oh putain… J'ai un mal de crâne…
- Tu m'étonnes ! continua-t-elle hilare.
- Plus jamais on refait confiance aux Anglais comme ça… Un vrai traquenard !
- C'était festif c'est sûr ! Mais bon heureusement ils sont partis tôt…
-Ouais… Enfin en arriver à me coucher sur un transat de la plage avec 3 grammes dans le sang… J'aurais préféré éviter !
- Heureusement que j'étais là d'ailleurs… Sinon t'aurais jamais réussi à retrouver ta chambre… Mais bon… C'est un mal pour un bien…
- Pourquoi tu dis ça ? s'étonna-t-il en s'installant face à elle.
- Bah… Si je t'avais pas raccompagné… J'aurais sûrement pas croisé un p'tit anglais sympa…
- Mais non ?!
- Ça va…
- Et il est où ?
- Jason est reparti aujourd'hui figure toi…
- Merde… répondit-il en rigolant.
- Ce fut bref mais sympathique !
- Pas de sérieux… Pas de prise de tête en même temps… lâcha-t-il pensif.
Alice l'observa le sourire en coin. Visiblement sa dernière réplique faisait écho à son histoire et elle ne put s'empêcher de mettre les pieds dans le plat.
- Entre nous… Si je peux me permettre… t'as pris la bonne décision…
- De ? demanda-t-il perplexe.
- Partir un peu… Loin d'elle…
- Oh nan… balbutia-t-il en baissant la tête. Je t'ai parlé de Candice ?
- Quasiment toute la soirée oui… La pauvre… Elle a dû avoir les oreilles qui sifflent…
- J'suis désolé… rétorqua-t-il dans un rire gêné.
-Non faut pas… T'avais besoin de te libérer… Puis ça fait du bien de parler aussi… de pas tout garder pour soi…
- Hum… commença-t-il avant de laisser le silence s'installer.
- En tout cas je comprends mieux pourquoi t'es ici tout seul…
Il haussa les épaules avant de baisser la tête.
- Et… je t'ai dit quoi ?
- Oh... Tu m'as juste raconté toute votre histoire… heureusement qu'on n'était pas en date d'ailleurs parce que je l'aurais mal pris… plaisanta-t-elle.
Antoine éclata de rire avant de se frotter la nuque, gêné.
- Désolé… c'est une histoire un peu compliquée…
- J'ai cru comprendre…
- Puis c'est surtout une histoire terminée pour l'instant…
- Pour l'instant ! releva-t-elle en levant le doigt. Tu vois… C'est toujours pas clair dans ta tête…
- Bah c'est compliqué quoi…
- Je t'écoute…
- Ah non ! On avait dit pas de consultation…
- Ça va… C'est pas dans un cadre formel… C'est juste une discussion comme ça… Puis qui sait ?! J'suis une femme… Je pourrais peut-être te donner quelques conseils… tenta-t-elle en minaudant.
- Oui alors… Y a les femmes ET Candice Renoir… C'est encore une catégorie à part là…
- À ce point ?
- Ah oui ! J'ai jamais vu quelqu'un comme ça… L'incarnation du paradoxe et de l'inconstance…
- Tu rentres quand ?
- Dans trois jours…
- Et qu'est-ce que tu vas faire ?
- Je sais pas… J'ai l'impression qu'elle a pas vraiment compris encore… Puis elle arrête pas d'essayer de me joindre…
- Mais au moins ça prouve qu'elle tient à toi…
- Mais je sais qu'elle tient à moi. Mais tant qu'elle aura pas résolu son problème avec l'engagement… On pourra pas avancer.
-Et si elle le résout pas ? lança-t-elle hasardement. »
Antoine haussa les épaules, incapable de répondre à sa question. Pour lui, tout était clair et organisé : la quitter avait été le seul moyen de lui signaler le problème… Et c'était désormais à elle de travailler dessus.
Pourtant, il n'avait pas pensé à cette alternative là… Et si Candice Renoir ne se décidait pas à le résoudre ? Et si finalement, ils n'avaient plus aucun avenir tous les deux ? Et si… Et si… Antoine tenta de chasser ces interrogations et pensées négatives qui venaient à nouveau le hanter. Cette stratégie d'éloignement avait pourtant pour objectif d'évader son esprit et de casser le quotidien. Et ces 10 jours passés loin de Sète lui avaient déjà permis de faire le deuil de sa relation avec Louise et d'accepter son départ. Elle était jeune, perdue, insouciante et aventurière et la jeune femme n'était simplement pas prête à s'enfermer dans une histoire routinière. Alors certes, elle avait fait preuve de lâcheté, mais au moins ça l'avait forgé. Et à cette époque, le commissaire était loin de se douter que douze ans plus tard la thématique de l'engagement reviendrait faire surface dans sa petite vie bien rangée.
Pourtant, il pensait avoir oublié. Il pensait avoir retrouvé le bonheur et la sérénité. Mais, la croiser sur ce marché quelques semaines plus tôt avaient fait tout envoyer valser. Tant dans son esprit que dans sa vie. Et la conscience l'avait finalement rattrapé… Lui faisant comprendre que le sacrifice avait assez duré et qu'il fallait désormais penser à soi. Alors oui, Antoine Dumas aimait Candice Renoir, mais… « l'amour ne suffit pas à faire un couple » … avait-il entendu un jour sortir de sa bouche. Et, il l'avait assimilé comme l'annonce d'un changement. Qui n'avait finalement pas eu lieu… Des projets ? Il y en avait eu, oui… Des week-ends à droite à gauche, des soirées au restaurant ou en « famille ». Famille entre guillemets évidemment, puisque Candice s'entêtait à les mimer à chaque fois… En fait, Candice s'engageait mais pas trop non plus… Pas de mariage, pas de pacs, pas d'emménagement, pas de vie de couple tout simplement… Pas de couple en fait… Ils avaient attendu des années pour se trouver et maintenant qu'ils avaient réussi, elle refusait de vivre pleinement leur histoire… Et Antoine avait passé l'âge pour la clandestinité et la liberté. Mais désormais, elle payait les frais de cette décision et leur sort était entre ses mains…
« Va falloir prendre une décision, Antoine… La quitter et risquer de la perdre… ou continuer et faire des concessions.
- Des concessions ? répéta-t-il. Mais y a que moi qui fais des concessions… Je vais toujours dans son sens… et ça fait dix ans que ça dure… J'ai passé toutes ces années à l'attendre comme un con. Je l'ai même vu se marier avec un autre. Et c'est à moi de faire des concessions ? s'agaça-t-il.
- Sauf que vous allez droit dans le mur. Vous n'avez vraisemblablement pas la même vision de la vie… Ça peut pas marcher comme ça…
- J'ai l'impression de revivre ce que j'ai vécu y a douze ans… déplora-t-il attristé.
- Alors à toi de faire en sorte que cette fois ça se termine différemment.
- Ouais… Toute façon je la connais et y a que la manière forte qui fonctionne avec elle…
- C'est à toi de voir… »
. . . . .
Assise sur une chaise du salon de jardin depuis des heures, Candice patientait... Salut ! Ça fait plaisir de te voir… réfléchit-elle tout haut avant de bougonner. Salut… T'en as mis du temps… Non… elle n'était toujours pas convaincue. Candice finit par souffler, rongée par l'angoisse et l'indécision. Des heures quelle poireautait sur cette chaise de jardin, en plein soleil. Des heures qu'elle tentait de réfléchir à ce qu'elle allait lui dire. Pourtant, elle n'avait toujours aucune certitude. Et le temps commençait à se faire long… Elle n'avait aucune indication de l'heure de son retour mais sa détermination la poussait à rester... Elle appréhendait sa réaction et se surprenait parfois à imaginer une issue plus heureuse. Et si ces quinze jours, enfin presque trois semaines en réalité, avaient été salvateurs ? Et si cette distance permettait de meilleures retrouvailles ? Tous les scénarios possibles et inimaginables fusaient dans son esprit. Et en cette fin de journée estivale, la réalité s'apprêtait à la rattraper… Elle s'empara de son téléphone et zyeuta l'horloge. 18h45. Il était tard… Peut-être ne mangeait-il pas chez lui ce soir ? Pire encore… Peut-être n'allait-il pas rentrer seul… Candice désespérait… Sentait ses yeux s'embuer... Elle souffla à nouveau et se décida finalement à partir. D'un pas décidé, elle quitta la chaise blanche et fit volte-face avant d'entendre les graviers gronder. Il arrivait… Et désormais, elle ne pouvait plus reculer. Elle l'observa et se refusa à sourire. Il avait la tête baissée et fixait son téléphone en souriant. À cette vue Candice ravala sa salive. Avec qui était-il en train de discuter ? Qui pouvait bien lui faire décrocher ce sourire ? Stoïque, elle chassa ses pensées obscures et ravala sa salive pour se donner bonne contenance. Et sa solidité s'effondra lorsqu'il releva la tête. Candice accrocha ses yeux verts et son sourire chuta en concomitance avec sa valise. Visiblement, il ne s'attendait pas à ce qu'une jolie blonde ait investie son jardin en son absence…
« Salut… balbutia-t-elle gênée. »
