Emma ne tarda pas à s'immiscer dans les bras de son compagnon, profitant de ses gestes rassurants. Le silence régnait désormais, épousant l'inquiétude et l'incertitude qui émanaient du salon. Sacha embrassa le crâne de la jeune Renoir lorsqu'ils sursautèrent en entendant la porte d'entrée s'ouvrir brusquement. Visiblement, Candice allait bien et tituba hilare jusqu'au salon main dans la main avec un inconnu. Le couple se leva rapidement, les yeux noirs et les sourcils froncés. Emma alluma la lumière et croisa les bras.

« Ah vous êtes là ? demanda Candice en faisant mine de chuchoter.

- Mais t'étais où ? hurla-t-elle. On était morts de trouille… Et puis, c'est qui ce mec ?

Candice se retourna vers l'homme derrière elle et le dévisagea avant de regarder sa fille.

- C'est… Euh… Guillaume…

- Moi c'est Julien… corrigea-t-il en rigolant.

Candice éclata de rire à son tour, perdant définitivement le contrôle qu'elle avait su garder jusqu'à présent.

- Mais t'es complètement bourrée ! fit-elle remarquer dépitée.

- Naaaaan ça va j'ai vu… j'ai bu… quelques verres…

- Bon ça suffit les conneries ! s'emporta Emma. Vous dehors ! hurla-t-elle au mec qui s'exécuta.

- MAIS ! la contredit Candice en essayant de le rattraper.

- Dehors j'ai dit ! répéta-t-elle avec énervement alors que Sacha venait de le mettre dehors.

- T'es pas sympa quand même…. En plus eh… il est vachement canon…

- C'est ça oui… Allez… lâcha-t-elle en l'entraînant vers sa chambre.

Sans protester, la blonde la suivit et s'affala rapidement sur son lit.

Allez hop ! Extinction des feux ! décréta Emma en éteignant la lumière avant de quitter la pièce.

- T'es pas drôle hein….

- C'est ça ! Bonne nuit. Cria-t-elle avant de grimper à l'étage et retrouver son compagnon hilare.

- Oui bah moi ça me fait pas rire, Sacha !

- Putain mais elle a bu quoi pour être dans cet état ?

- J'en sais rien mais… c'était sûr…

- M'enfin quand même…

- Tu vois ! Je te l'avais dit qu'elle allait partir en vrille… je sais pas quoi faire…

- Ça va passer. Faut le temps qu'elle digère…

- Ouais… »

Lendemain matin, Candice ouvrit les yeux et s'observa dans le miroir. Son mascara avait coulé, ses cheveux étaient en pétard et elle était encore habillée. Elle tenta de se relever doucement, et sentit son crâne tambouriner. Visiblement, la cuite de la veille avait été costaud et la matinée s'annonçait rude. Elle décida de se changer et finit par rejoindre le salon où elle rencontra le regard noir de sa fille.

« Aspirine peut-être ? proposa-t-elle face à son inévitable gueule de bois.

- Ouais… accepta-t-elle en s'installant à table face à elle.

Elle posa violemment la boîte sur la table devant sa mère qui écarquilla les yeux de surprise.

Qu'est-ce qui te prend ?

- Ça va être ça tous les soirs maintenant ?!

- Ça vaaaa… Ça faisait longtemps que j'étais pas sortie… Et j'ai plus quinze ans ! Puis j'suis célibataire maintenant je fais ce que je veux !

- Bah bien sûr ! Tu crois vraiment que c'est comme ça que tu vas le récupérer ?!

- Mais… Qui te dit que j'ai envie de le récupérer ?

- Bah je sais pas… ton état peut-être ?

- De quoi tu parles ?

- Bah c'est simple depuis qu'il est parti, soit tu pleures, soit tu fais n'importe quoi. Ça devient insupportable ! Ça fait un mois que t'es en déroute totale et qu'avec Léo on te regarde sombrer ! Antoine est parti. C'est en partie à cause de toi. Alors je sais pas moi, essaye de résoudre tes problèmes, fais quelque chose ! Parce que c'est pas comme ça que tu vas t'en sortir. »

Bouche bée, Candice fixa sa fille, choquée de son aplomb. Incapable de répondre, elle se contenta de contenir ses larmes en avalant son aspirine alors que sa fille s'éclipsait à l'étage. Emma avait raison. Mais Candice refusait de se remettre en question. Mais pourtant, ce matin-là… De nouvelles questions firent leur apparition dans son esprit. Venant titiller sa culpabilité, ses résignations et ses envies…

. . . . .

En cette heure matinale, Sacha arrivait sur le trottoir du commissariat tête baissée. Bras ballants, il s'arrêta face à la porte cochère et se décida finalement à entrer. Il salua d'un coup de tête les agents d'accueil avant de débarquer au pied des escaliers d'un air faussement assuré.

« J'peux vous aider jeune homme !? s'écria l'un d'eux. C'est pas un moulin ici…

- Euh… J'voulais voir le commissaire… Expliqua-t-il en se retournant vers l'accueil.

- Vous avez rendez-vous ?

- Non… Mais… bafouilla-t-il.

- Alors non ! Vous prenez rendez-vous et vous revenez plus tard ! s'énerva le plus vieux.

- Mais je suis son beau-fils ! s'emporta-t-il à son tour.

- Ah… balbutia-t-il. Fallait le dire plus tôt…

- Je peux alors ? Ou me faut un avocat ? les provoqua-t-il avec agacement.

- Il est prévenu ?

- Non….

- Je vais voir. Attendez ici. »

Sacha acquiesça avant de patienter sur une chaise dans l'entrée. L'officier grimpa les escaliers quatre à quatre et toqua au bureau d'Antoine avant d'ouvrir la porte.

« Commissaire ?

- Hum ? marmonna-t-il en relevant la tête de son dossier.

- Euh… Y a votre beau-fils pour vous en bas.

- Mon beau-fils ? s'étonna-t-il les yeux plissés.

- Il dit que c'est personnel…

- Euh… Bah, faites-le monter ! »

Son subordonné acquiesça avant de déserter la pièce, laissant Antoine en plein dans ses réflexions. Impatient de connaître l'identité de son beau-fils, il se réinstalla dans son fauteuil lorsque la porte s'ouvrit doucement.

« Sacha ?!

- Salut… Je vous dérange ?

- Bah non mais qu'est-ce qu'il se passe ? paniqua-t-il. Candice va bien ? demanda-t-il rapidement, visiblement inquiet.

- Oui oui… Enfin comme d'habitude quoi…

- Ah…

- En fait je… j'voulais vous voir… J'ai pas réussi à vous parler quand vous êtes passé à la maison la dernière fois…

- Je t'écoute ! Assieds-toi ! lâcha-t-il en souriant.

Sacha s'exécuta et baissa la tête.

- En fait c'est un peu délicat mais y a qu'à vous que je peux en parler… Mon père on se parle à peine depuis qu'il m'a foutu à la porte…

- Je vous ai toujours dit que quoiqu'il se passait… Je serai là…

Il acquiesça en baissant la tête à nouveau.

- Ça fait des semaines que j'y pense et… j'ai envie de… de demander Emma en mariage…

Antoine haussa les sourcils, surpris de son aveu.

Mais je flippe et je sais pas comment m'y prendre… Fin' j'veux faire les choses bien et pas encore paraître pour le boulet de service …

- Tu sais… Je suis pas certain d'être le mieux placé pour te donner des conseils… Enfin tu vois ce que je veux dire…

- Oui mais en même temps Candice c'est un cas particulier aussi…

Il rigola doucement en acquiesçant.

- La seule chose que je peux te dire Sacha c'est… d'écouter ton cœur. Si tu penses que c'est le bon moment alors… faut que tu fonces…

- Mais si elle refuse ?

- C'est des choses qu'on ne peut pas maîtriser ça…

- Bah si elle tient de sa mère… J'suis pas dans la merde….

- Tu peux pas comparer Sacha… Candice elle a un passé… Avec Emma vous commencez à peine votre vie d'adultes. Vous venez de fonder une famille… Fin' c'est la suite logique des choses…

- Ouais… Vous direz rien hein ?

- Bah non… sourit-il. Évidemment…

- Merci…

- Vous en avez déjà parlé tous les deux ?

- Vaguement… Fin Emma avait flashé sur une robe une fois… mais j'avais pas trop osé en parler…

- Tant qu'elle t'a pas dit qu'elle voulait pas de mariage… C'est plutôt positif en même temps…

- Hum…. Ça veut dire qu'il faut que j'aille chez le bijoutier maintenant… ?

- Si t'en as envie, oui … Puis après tu laisses faire les choses. Quand tu sens que c'est le bon moment alors… tu te lances…

- Et la bague ? Je fais comment pour la choisir ? Fin si ça lui plaît pas ?

- Te prends pas la tête… C'est toi qui la connaît le mieux… Et puis quand tu verras la bague, tu sauras…

- Comme celle que vous aviez offert à Candice ?

- Oui… confirma-t-il tout sourire. Bon en même temps elle a mal fini mais bon…

- Mais l'intention était la même…

- C'était pas vraiment une bague de fiançailles…

- Ça y ressemblait quand même…

Antoine haussa les épaules, gêné de devoir exposer son intimité.

- Non mais… Fais un tour chez le bijoutier… Regarde ce qu'il te propose et si rien ne te saute aux yeux alors… C'est que c'est pas le bon endroit…

Sacha acquiesça avant de se lever.

- Merci Antoine….

- Si j'peux aider…

Il fit quelques pas vers la porte avant de se retourner vers le commissaire.

- Vous savez… Vous manquez un peu…. Fin… vous rameniez un peu de rationnel dans cette famille de fous…

Il rigola doucement à nouveau, presque gêné de cet aveu.

- J'espère qu'elle se rendra compte de ce qu'elle perd.

Il acquiesça sans oser répondre, ému.

- Merci Sacha… »

Antoine fixa la porte de son bureau se refermer doucement, quelque peu secoué par la discussion qu'il venait d'avoir avec Sacha. Visiblement le jeune homme le considérait plus qu'il ne se l'était imaginé et son absence marquait les esprits... Ils allaient se marier... Belle marque d'engagement en même temps... songeait-il surpris. Le commissaire hochait la tête, songeant à sa situation personnelle qu'il jugeait chaotique... Lui qui n'avait jamais été marié alors qu'il avait tant rêvé de pouvoir le faire... C'était les autres qui le faisaient à sa place finalement. Lui restait interminablement au statut de spectateur voire de conseiller dans certains cas... Et vu sa situation actuelle, la case mariage était encore bien loin de ses préoccupations...

. . . . .

Invitée chez son amie sur ordre d'Emma, Candice avait finalement accepté malgré sa gueule de bois. D'un côté la blonde avait envie d'évacuer et parler à Nathalie était toujours bienvenue… Mais de l'autre, elle restait la collègue d'Antoine et même si elle lui faisait confiance, la situation était quelque peu gênante… Elle débarqua un faux sourire scotché sur le visage et s'installa dans le salon des Delpech-Marquez. Face à elle, Nathalie la scruta, sans aucun sourire.

« Oui bah ça va me regarde pas comme ça… lâcha Candice en baissant la tête.

- Allez se bourrer la gueule dans un bar avant de ramener un inconnu à la maison… Top !

- Oui bon… Toi aussi tu trouves que je fais n'importe quoi ? demanda-t-elle faiblement.

-À ton avis ?

Candice haussa les épaules, honteuse.

- Je fais ce que je peux Nath… Mais la vérité c'est que… C'est que… ça va pas du tout… finit-elle par lâcher en pleurant.

- Mais c'est pas en faisant n'importe quoi que ça ira mieux… Au contraire…

- Quand je bosse pas… Je ressasse… Et quand je suis chez moi c'est pire… En fait… J'ai l'impression d'avoir perdu une partie de moi-même… J'y arriverai pas…

- Mais si tu vas y arriver ! C'est dur. Ça d'accord… Mais tu vas y arriver.

- À l'oublier ? Jamais.

- Alors bats-toi ! C'est pas en restant comme ça que ça va changer les choses…

- Mais s'il a pas envie que ça change ? Je vais pas me plier en 4 pour rien…

- Mais bien sûr qu'il a envie que ça change ! Tu crois quoi ? Lui aussi il est pas bien hein…

- Ah bon ? Il te l'a dit ?

- Non… mentit-elle.

- Arrête Nath ! Je vois bien quand tu mens… il t'a parlé c'est ça ?

- Non… Enfin… vite fait quoi…

- Et il t'a dit quoi ?

- Bahhhh….

- Bah allez accouche !

- Il m'a dit qu'il détestait ce qu'il était en train de faire mais qu'il avait pas le choix…

- Mais pas le choix de quoi ?! Je comprends pas… Il me quitte et après il va se plaindre qu'il est pas bien ?

- Tu comprends pas ? Vraiment ?

- Nan mais c'est à cause de l'autre là… Louise… elle est revenue et ça a foutu la merde… Avant, tout allait très bien… mentit-elle pour se rassurer.

- Arrête…. Tu sais bien que y a pas que ça… et désolée de te dire ça mais tant que t'auras pas changé… ça pourra pas débloquer la situation…

- De quoi tu parles ?

- À ton avis ?

La commandante baissa la tête, confuse d'aborder le sujet si frontalement.

- Tu sais très bien pourquoi je suis comme ça… finit-elle par avouer faiblement.

- Mais lui… Il l'accepte plus…

- Donc quoi ? Il préfère me quitter plutôt que continuer comme ça ?

- Mais Candice ! Ouvre les yeux, bon sang ! La liberté ça va bien un temps… Je te comprends pas ! Ça fait des années que t'attends de pouvoir enfin être avec lui et quand pour une fois, ça fonctionne, tu refuses de t'engager…

Candice dévia le regard, consciente de son problème interne.

- Mais c'est parce que je veux pas le perdre…

- Ah bah parfait ! Non, ta stratégie a marché du feu de dieu chérie…

- Oui bon…

- Puis le problème vient pas d'Antoine… Si ça avait été un autre ça aurait été pareil… Une relation libre à nos âges… Franchement…

- Qu'est-ce que je fais alors ? demanda-t-elle les yeux humides.

- Tu réfléchis à ta situation et tu te demandes si c'est vraiment ce mec que tu veux… Et si c'est le cas… Va falloir que tu règles tes problèmes…

- Tu veux dire que je devrais en parler à quelqu'un ?

- Tu peux toujours essayer… puis si ça change rien… t'arrêtes…

- J'sais pas si j'suis prête à sauter le pas… Ça va me remuer et j'ai pas envie de ça en ce moment…

- C'est toi qui vois…

- Non, puis de toute façon… Je connais personne…

- Alors pour ça je pense que tu connais quelqu'un qui pourrait t'aider…

- Qui ça ? Perier ?

- Bah… il doit sûrement avoir des contacts…

- Ouais mais bon… pas envie qu'il sache que ça va plus entre nous… c'est un peu gênant…

- Ça va… Toute la BSU est au courant de toute façon !

- Ah bon ? s'étonna-t-elle.

- Bah le commissaire Dumas qui part quinze jours en vacances tout seul et qui sourit plus depuis presque un mois… On est pas dupes hein… Puis on te voit plus non plus…

- Ouais…

- Tu peux toujours l'appeler tu verras bien…

- Qui ?! Antoine ?! demanda-t-elle perdue.

- Mais non ! Le psy !

- Ahhhhh ! Oui bah je verrais bien… »

Le lendemain matin, Candice se réveilla mal-en-point. La nuit avait été rude et avait laissé place aux tergiversions. Mais le constat était pourtant simple… Si elle ne réglait pas ses problèmes, alors elle ne récupérait pas Antoine… Mais avouer qu'elle devait suivre une thérapie pour s'en sortir la rendait honteuse. Là était l'objet de son hésitation… Pourtant elle avait tout de même posé le post-it avec le numéro du spécialiste sur sa table de nuit... Il ne restait plus qu'à oser appeler… Hésitante, elle fixa le petit papier jaune et finit par s'en emparer avant de récupérer son portable. Elle tapota dessus et le joignit à son oreille, angoissée.

« Allô ?

- Paul ? C'est le commandant Renoir…

- Oh ! Commandant… Quel plaisir !

- Vous allez bien ?

- Parfaitement. Et vous ? Que me vaut cet appel ?

- Euh… En fait je… j'aurais besoin de vous…

- Pour ?

- Euh… Bah… Le commissaire vous a pas parlé ?

- Non… mentit-il. De quoi ?

- Ah… Euh… En fait on est séparés… lâcha-t-elle presque inaudible. Et c'est un peu de ma faute…

- Je vous arrête tout de suite ! Si vous essayez de savoir ce qu'il m'a dit… C'est non.

- Ah non pas du tout… Pourquoi ?! réalisa-t-elle. Il vous a parlé ?

- Candice…

- Oui bon… J'aurais besoin de vous pour me mettre en relation avec un de vos confrères…

- Bien sûr… Vous pouvez m'en dire plus ?

- Euh… hésita-t-elle gênée. Disons que… j'ai quelques soucis avec… l'engagement et… j'aimerais bien y remédier.

- Pourquoi vous voulez faire ça ? demanda-t-il pour la tester.

- Parce que je me suis rendu compte que… ces problèmes avaient des répercussions pas très positives sur moi et sur ceux qui m'entouraient et… les conséquences étaient tellement grosses que… le pâtissier en a souffert et… il a fini par me mettre au régime…

Paul Périer lâcha un petit sourire, amusé par la métaphore qu'elle employait pour éviter de se livrer totalement.

- Bien… Vous n'êtes pas sans savoir que ce genre de thérapie peut être long et assez douloureux…

- Je sais… Mais j'ai pas le choix…

- On a toujours le choix, Candice.

- Vous lui direz rien hein ? Je veux pas qu'il sache…

- Évidemment…

- Alors ? Vous avez des noms à me donner… ?

- Je vous recommande Bertrand Froissart. C'est un vieil ami. Il a son cabinet en centre-ville.

- Merci… C'est noté… Et y a pas trop d'attente ?

- Appelez-le en mon nom… Vous aurez sûrement le droit à un passe-droit…

- Merci Paul… »

Candice raccrocha, partagée entre soulagement et inquiétude. Au moins la première étape avait été entreprise. Il fallait maintenant que la commandante se décide à prendre rendez-vous chez le patricien. L'hésitation demeura quelques jours, mais poussée par sa fille, la blonde se décida finalement à passer ce coup de fil. Et grâce à Perier, Froissart fit un effort et parvint à la glisser entre deux rendez-vous… dans quatre jours. Candice raccrocha, ne s'attendant pas à un rendez-vous si rapide. Elle sentit l'angoisse s'immiscer en elle et l'accompagner jusqu'à la salle d'attente du praticien.

. . . . .