Sur sa chaise bleue, Candice patientait. L'appréhension ne la quittait pas… Elle allait devoir parler d'elle… Et ça, elle n'aimait pas... Surtout avec les inconnus et surtout lorsqu'il s'agissait de son intimité. Pourtant elle le devait.
Pour lui. Pour elle. Pour eux.
Mais en même temps elle le savait, les premières séances étaient les plus difficiles. Une sorte de mise en contact où le patient apprend à connaître son thérapeute. Et parfois, cela ne fonctionnait pas… Mais Candice se surprit à espérer le contraire lorsque la porte s'ouvrit à ses côtés. L'homme la salua, l'invita à le suivre et la fit s'installer dans son fauteuil.
« Je suis à vous dans une minute ! » déclara-t-il en fouillant sur son bureau pour récupérer un dossier.
Candice l'observa. Il était grand, plutôt imposant et ses traits rassurants. Elle souffla de satisfaction. Pour l'instant, tout se passait bien. La blonde le vit désormais s'installer sur son fauteuil, face à elle. Il griffonna quelques mots sur son bloc-notes avant de la fixer.
« Bien ! Donc c'est à nous…
- Oui… chuchota-t-elle angoissée.
Le rouquin lui esquissa un sourire avant de réajuster ses lunettes.
- Je vous sens angoissée…
- Un peu… avoua-t-elle.
- Il faut pas. Je sais que les premières séances sont toujours un peu compliquées mais c'est le temps qu'on apprenne à se connaître, d'accord ?
Candice acquiesça en souriant.
Et puis, c'est vous qui déciderez si ça vous convient et si vous avez envie de continuer avec moi. Vous n'êtes en aucun cas obligée de poursuivre les séances si vous ne le sentez pas.
- D'accord…
- Donc, si je me souviens bien… Au téléphone vous m'aviez dit venir pour des problèmes liés à votre couple, c'est bien ça ?
- Euh oui…
- Donc il va falloir que je visualise un petit peu mieux la situation, d'accord ? Ce que je vous propose c'est que pour débuter, on mette de côté ces problèmes et qu'on aborde le chemin que vous avez parcouru jusqu'à présent. Ça me permettra d'avoir un contexte et de comprendre les différents points sensibles de votre histoire.
- Ok…
- Alors, je vous écoute… lança-t-il souriant.
- Euh… Je sais pas trop par où commencer en fait…
- Vous m'aviez dit avoir été orientée ici par Paul Périer, c'est ça ?
- Oui. On a travaillé ensemble. Pendant dix ans j'étais commandante à la BSU de Sète.
- Et maintenant ?
- J'ai réussi à obtenir la tête du groupe crim' à Montpellier. Ça fait un an maintenant…
- Donc un travail assez prestigieux mais pas toujours facile.
- C'est ça… Et… C'est là-bas que j'ai rencontré Antoine… osa-t-elle avec hésitation.
- Antoine ? l'interrogea-t-il.
- Mon amoureux… Enfin… Mon ex-amoureux…
- Celui pour qui vous êtes ici devant moi ?
- Oui… lâcha-t-elle émue. Mais je dis ex parce que c'est fini…
- Mais on peut avoir un amoureux sans forcément être avec lui… répliqua-t-il en souriant.
- C'est vrai… confirma-t-elle en souriant à son tour.
- Donc vous l'avez rencontré à Montpellier ?
- Non ! À Sète. Je suis arrivée ici y a un peu plus de dix ans, avec mes quatre enfants. J'étais nommée à la tête du groupe crim' et il était mon adjoint.
- Et avant Sète ?
- J'étais à Paris, au 36. Mon ex-mari a eu une opportunité à l'étranger. J'ai décidé de tout quitter pour le suivre. J'ai pris une disponibilité et on a beaucoup voyagé… Puis on s'est séparés. Donc j'ai rapatrié mes quatre enfants ici avec moi.
- Bien… lâcha-t-il impressionné. Vous avez eu du courage.
- Je n'ai surtout pas eu le choix… Ça a pas été facile…
- Qu'est-ce qui n'a pas été facile ?
- De faire une croix sur ma vie de famille épanouie et… m'intégrer ici… Je suis du nord alors je connaissais personne lorsque je suis arrivée. Je comptais sur mon travail mais… J'ai pas été reçue avec des éloges… Surtout avec Antoine…
- Votre adjoint donc ?
- Oui… lâcha-t-elle avant de rigoler.
- Qu'est-ce qui vous fait rire ?
- Non je… Fin' j'me rends compte que j'ai dix ans d'histoire à raconter et que c'est pas de tout repos…
- C'est vous qui décidez ce dont vous voulez parler. Ce que je vous propose, si vous l'acceptez, bien sûr. C'est que vous évoquiez ces dix ans d'histoire, rapidement, et puis au fur et à mesure de nos séances, on travaillera point par point dessus.
- D'accord… accepta-t-elle timidement.
- Et vous n'avez pas à être gênée. Je ne vous jugerai pas. Je suis simplement là pour vous aider.
- Oui… chuchota-t-elle en se réinstallant confortablement dans son fauteuil.
- Alors, cette rencontre ?
- Donc j'étais commandante, nommée à la tête du groupe crim' de la BSU. C'est le grade le plus haut avant celui de commissaire. Mais quand je suis arrivée, on avait du mal à me prendre au sérieux. Je revenais de dix ans de disponibilité. Mon équipe me faisait pas confiance… Ils doutaient de mes méthodes et… je me suis vite rendu compte que je venais de récupérer le poste qui avait été promis à Antoine. Donc il me détestait… Mais en même temps sur les enquêtes, le duo fonctionnait bien… Il a fallu un an pour que je me fasse accepter finalement.
- Donc une relation qui change positivement, c'est ça ?
- Oui… Peut-être même un peu trop…
- C'est-à-dire ?
- Après ma séparation avec mon mari, j'ai rencontré quelqu'un. On a eu une petite histoire mais ça n'a pas duré… J'étais pas prête pour m'engager dans quelque chose de sérieux… Puis mon ex-mari est rentré… Fin j'étais complètement perdue… Puis de l'autre côté j'avais Antoine et… j'crois que j'ai préféré faire croire que j'avais rien remarqué…
- À propos de ? l'interrogea-t-il la tête sur son bloc-notes.
- Bah c'était pas qu'un collègue… Enfin si... Mais... Il avait parfois des comportements un peu… ambigus… et même si je le savais… J'ai préféré faire comme si de rien parce que j'avais peur. Fin' on bossait ensemble… On a eu du mal à trouver un équilibre… J'avais pas envie de tout casser comme ça…
- Mais vous ? Vous étiez intéressée par lui ?
- Je sais pas… Au fond je pense que oui mais je voulais pas me l'admettre… Puis il avait une réputation de tombeur… J'voulais pas faire partie de celles qui tombaient dans ses filets…
- Ça s'entend… acquiesça-t-il. Donc vous l'avez repoussé ?
- Oui ! Enfin… Pas vraiment… Enfin… J'ai quand même fini par accepter une invitation à dîner… Et avec du recul… J'crois que si ce dîner avait vraiment eu lieu… Je serais tombé dedans…
- Il n'a pas eu lieu ?
- Non… On était sur une enquête difficile… Et… Ça a mal tourné… il s'est pris une balle… pour moi…
- Et cet acte ? Qu'est-ce que vous en avez pensé ?
- Que c'était une jolie preuve d'amour ? osa-t-elle timidement.
- Hum… Je suis plutôt d'accord avec vous…
- Mais bon… J'ai eu tellement peur de le perdre... Fin' il a failli y passer… Il était plongé dans le coma… En fait... C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que je tenais à lui plus que ce que je pensais…
- Donc vous diriez qu'il y avait une certaine réciprocité dans vos sentiments ?
- En quelque sorte… Même si, j'avais du mal à comprendre qu'il puisse s'intéresser à moi… Mais tout est devenu concret quand un autre collègue est venu me parler. C'était un très bon ami à lui et… juste avant qu'il se réveille, il m'a avoué qu'Antoine m'aimait.
- Comment avez-vous réagi ?
Elle rigola doucement en baissant la tête avant d'hausser les épaules.
- Il venait de confirmer tous les doutes que j'avais depuis quelques semaines… J'ai flippé et j'ai couru dans les bras d'un autre homme…
- Comment expliquez-vous cette réaction ?
- La peur...
- De ?
- Je sais pas… De perdre la relation qu'on avait réussi à construire… De perdre cet équilibre… D'essayer avec lui et de finalement souffrir si ça marchait pas...
- Je vois... répliqua-t-il en griffonnant sur le bloc-notes avec sérieux.
- Mais après je pouvais plus faire comme si de rien… Alors j'me suis éloignée avec David. Mais c'était toujours dans un coin de ma tête.
- David ?
- On bossait ensemble aussi mais il était dans un autre service à Montpellier.
- Mais donc, le fait de travailler avec lui ça ne vous a pas effrayé ? Alors que c'est une des raisons qui vous a empêché de vous tourner vers votre adjoint ?
- Euh... Non... réalisa-t-elle penaude. Parce que... Parce que c'était pas pareil... Y avait moins de sentiments... Avec lui ça a été une jolie histoire… Surprenante aussi… J'avoue qu'au début j'arrivais pas à l'assumer parce que c'était pas vraiment mon type d'homme… Mais j'ai été heureuse avec lui...
- Vous l'avez aimé ?
- Oui. Je crois. Mais ça n'a jamais été comme avec Antoine… avoua-t-elle en baissant la tête. C'est pour ça que tout a dérapé…
- Avec lui ?
- Avec Antoine aussi… Il avait rencontré une femme. Donc on était pas disponibles tous les deux et… ça m'arrangeait bien parce que je me suis dit que j'allais oublier ses sentiments… sauf qu'on a fini par craquer. J'ai…
Candice baissa la tête à nouveau, honteuse de son aveu.
J'ai trompé David… avec Antoine… Et… J'ai même pas regretté au début… C'était une prise de conscience de tous ces sentiments que je refoulais depuis toutes ces années en fait…
- Qu'avez-vous décidé de faire ?
- On a essayé d'arrêter mais on en avait pas envie… On a décidé de rompre chacun de notre côté pour essayer tous les deux mais… Jennifer, la compagne d'Antoine est tombée enceinte. Lui, il avait pas d'enfants. Il en voulait… Et… commença-t-elle les yeux pleins de larmes. Et moi je… j'en avais déjà 4. J'étais plus vieille que lui… Je pouvais pas lui offrir ce qu'il voulait… avoua-t-elle en laissant une larme couler.
- Vous avez des mouchoirs sur votre droite, si besoin. Pleurer permet d'évacuer donc ne vous sentez pas honteuse. Au contraire, c'est un acte libérateur.
- Merci… C'est juste que… c'était un des moments les plus douloureux de… de ma vie.
- Je comprends. Et du côté d'Antoine, les choses ne devaient pas être faciles non plus… Il devait faire un choix en sachant que les conséquences seraient douloureuses. C'était pour lui une sorte de sacrifice à faire...
- Oui… Il a fini par me dire qu'il voulait avoir cet enfant et on a arrêté. Alors que je venais presque de quitter David…
- Vous l'aviez quitté pour vivre votre histoire avec Antoine ?
- Oui… Enfin j'ai failli le quitter… Mais David a fini par comprendre que je l'avais trompé et il est parti de lui-même.
- Comment avez-vous vécu ce choix de la part de votre adjoint ?
Elle haussa les épaules fataliste.
- Je l'ai super mal vécu parce que... je l'aimais... mais en même temps, c'est de ma faute... si j'avais pu lui offrir ce qu'il voulait, les choses auraient peut-être été différentes...
- Vous savez, je ne connais pas l'histoire de cet homme mais... s'il n'avait pas d'enfants et qu'il en voulait absolument... cela s'entend. Alors oui, vous allez me dire qu'il aurait pu quitter sa compagne et avoir cet enfant tout en restant avec vous... Mais certains hommes ont intériorisé un modèle canonique de la famille, surtout lorsqu'ils viennent de familles traditionnelles. Pour eux, l'enfant ne pourra grandir d'une façon épanouie, qu'en présence d'un père et d'une mère à ses côtés... Vous comprenez ?
- Oui... Mais il l'aimait pas Jennifer...
- Hum... C'était un simulacre. Il s'est persuadé que la naissance de son enfant renforcerait son couple et au fond il avait espoir de former une famille unie, comme les autres.
- Tout ça pour ça... marmonna-t-elle songeuse.
- Je vous écoute...
- La suite est... un peu compliqué... En même temps, on travaillait sur une enquête difficile. J'étais visée par une folle qui voulait s'en prendre à moi… Elle a déposé un colis piégé dans ma boîte aux lettres… C'est David qui l'a ouvert. Il est décédé à cause de l'explosion… Et... J'ai toujours eu cette culpabilité en moi…
- Laquelle ?
- De l'avoir trompé… Et qu'il soit mort à ma place… Le colis était pour moi. Pas pour lui… Et si je l'avais pas trompé il l'aurait pas ouvert… expliqua-t-elle en pleurant. En quelques temps j'ai perdu Antoine et David… J'ai sombré… David était plus là… Je voyais Antoine hyper heureux avec sa nouvelle famille… Mon ex-mari se remariait… Et moi j'étais toute seule…
- On peut faire une petite pause, si vous avez besoin.
- Ça va… avoua-t-elle. C'est juste que c'est douloureux de remettre ça sur le tapis…
- C'est normal. Mais si quelque chose vous fait trop souffrir, vous n'êtes pas obligée d'en parler. C'est votre séance. C'est vous qui me guidez. Mais pour l'instant, je trouve que vous arrivez à plutôt bien parler… C'est très encourageant…
- C'est vrai ?
- C'est un bon début oui ! Vous avez l'air en confiance… Et tout ce que vous racontez nous servira de base pour travailler…
- D'accord… répondit-elle en souriant avant d'essuyer ses yeux. Je peux continuer alors ?
- Bien sûr ! Je vous écoute.
- Après tous ces évènements, j'ai eu du mal à remonter la pente. Antoine a fini par se séparer de sa compagne mais j'avais tellement souffert que je voulais pas me tourner vers lui à nouveau. Il a quitté Sète pendant un an sans donner de nouvelles. Puis il a fini par revenir. Moi j'ai cru qu'il revenait pour moi… mais en fait il venait de passer le concours de commissaire qu'il avait réussi… Et il venait d'être nommé à la BSU. Et il m'avait rien dit… s'offusqua-t-elle. Ça allait changer tous nos rapports… Il allait être mon chef… J'ai super mal réagit et je lui en ai fait baver…
- C'est-à-dire ?
- Oh c'était super puéril... On se jetait à la gueule comme un vieux couple... C'était ma rancoeur qui parlait...
- Qu'est-ce qui vous a le plus blessé dans cette histoire ?
- De pas avoir été tenue au courant pour son concours... Et quand il est revenu, il m'a invité à dîner... Moi j'étais loin de penser que c'était pour me parler de ça... Je pensais qu'il m'avait proposé ça parce que... parce qu'il m'aimait toujours et... j'avais fait mon deuil... J'étais prête... J'me suis sentie tellement trahie et humiliée... songea-t-elle en baissant la tête.
- Donc vous vous êtes vengée...
- Oui... J'ai... J'ai même été jusqu'à me marier avec un autre homme…
- Alors que vous aimiez Antoine ?
- Oui...
- Et Antoine ?
Elle haussa les épaules.
- Il a fini par avoir une liaison avec ma sœur… Ça j'ai pas supporté… avoua-t-elle en baissant la tête. Surtout que j'ai des rapports très compliqués avec elle… Alors voir l'homme que j'aimais avec elle et l'imaginer dans ses bras je… j'pouvais pas.
- Pourtant vous étiez mariée ?
- Oui… Je pouvais rien dire… Mais avec Max ça se passait mal…
- Pourquoi ?
- La vie de famille recomposée… J'avais du mal à la supporter… Puis on était beaucoup trop différents…
- Vous l'aimiez ?
- Malgré tout, oui...
- Je vous parlais de votre mari...
- Ah... Euh... oui mais différemment...
- Bien... Et comment avez-vous géré ces problèmes alors ?
- J'ai rien géré du tout… lâcha-t-elle en esquissant un bref sourire. J'ai reçu une proposition de poste à Paris. J'avais envie d'accepter mais… je crois que c'était surtout une façon pour moi de m'éloigner de ce mariage… Donc on a fini par divorcer…
- Et vous n'êtes pas allée à Paris ?
- Non… Je venais d'apprendre qu'Antoine était malade. C'était grave… Il devait se faire opérer… J'ai eu peur de le perdre à nouveau et j'étais même prête à recommencer à zéro à Paris, avec lui… Mais… Antoine s'est réveillé de son opération et… il a fait une amnésie partielle.
- Il ne se souvenait plus de vous ?
- Non… chuchota-t-elle en baissant la tête. Ça a duré quelques mois… J'ai renoncé à Paris. Et je me suis déterminée à lui faire retrouver la mémoire. Mais c'était difficile. J'étais là à côté de lui comme une vulgaire inconnue. Et lui, il vivait sa vie… Sa maladie l'a rendu complètement ingérable. Il se comportait comme un gamin. Il traînait avec des gens louches et ses conneries ont fini par le rattraper. Au bout de quelques mois il a fini par se souvenir de moi… On s'est mis ensemble mais en restant cachés... et c'était bien… se rappela-t-elle en souriant. Jusqu'à ce que je doive couvrir ses conneries… L'IGPN m'est tombé dessus et on m'a demandé de le quitter sinon j'étais mutée.
- Qu'avez-vous choisi ?
- Le quitter… lâcha-t-elle honteuse. Je voulais pas abandonner mon travail pour lui… J'avais déjà fait ça avec le père de mes enfants et ça s'était mal terminé… Je voulais pas recommencer… C'était dur parce qu'à côté il était tellement attentionné… Et je le repoussais comme je pouvais mais… au fond j'en avais pas envie.
- Pourquoi ne pas avoir choisi de discuter de ce dilemme ?
- C'est ce qu'il m'a reproché… Mais j'avais peur de cette discussion… Je savais qu'il allait me demander de quitter mon travail et je voulais pas le blesser en refusant… Enfin, c'est un peu con ce que je raconte parce que je l'ai blessé quand même au final… J'ai été lâche…
- Mais vous en avez parlé ?
- Oui… Enfin on a pas vraiment eu le temps… On a un officier qu'a perdu le contrôle au travail. Il est devenu fou… Il a fini par me tirer dessus… Et cette fois, c'est moi qui ai failli y passer. Et à ce moment-là… J'me suis pris une claque. J'ai vu toutes ces années défiler devant moi et je me suis dit que je voulais plus perdre mon temps. Que j'avais assez fait n'importe quoi… Et qu'il fallait arrêter de vivre à moitié…
- C'était y a combien de temps ?
- Deux ans… À mon réveil, on s'est remis ensemble… en se promettant de ne plus faire n'importe quoi… On se cachait pas cette fois… C'était très libre et ça faisait longtemps que j'avais pas été aussi bien… puis à cause de ma blessure j'ai reçu la médaille de l'ordre national du mérite… j'ai été mutée à un poste plus prestigieux donc ça posait plus de problèmes au travail… Enfin, on était heureux quoi…
- Donc si je comprends bien, vous êtes officiellement ensemble depuis 2 ans mais vous rencontrez de nouvelles difficultés ?
- C'est ça... En fait le problème c'est que même si on s'aime on est très différents et on a pas le même passé... Donc on a des attentes très différentes de la vie... Lui attend des choses que j'ai déjà vécue et que j'ai pas forcément envie de revivre... Et le retour de son ex a fait tout envoyer en l'air...
- Son ex ?
- Oui... Y a quelques mois, son ex est revenue dans sa vie. Il a complètement perdu pied… C'était une histoire douloureuse parce qu'elle était partie sans le prévenir y a douze ans alors qu'ils devaient se marier et qu'ils venaient d'emménager tous les deux… Donc Antoine était pas bien… Et il a fini par me quitter.
- Pour se remettre avec cette femme ?
- Non… Il m'a reproché de ne pas vouloir m'engager avec lui…
- Et vous le comprenez ?
- Oui… acquiesça-t-elle. C'est vrai en même temps… Même si on est ensemble… J'ai refusé le mariage, le pacs… Et l'emménagement me fait peur… Pourtant, j'avais promis de faire des efforts mais... j'ai un blocage...
- Donc c'est sur ça qu'il va falloir qu'on travaille…
- Oui… Parce que je m'étais promis de ne plus jamais faire n'importe quoi avec lui… On s'était promis de ne plus jamais se séparer et… finalement…
- Bien… Donc la prochaine fois, on essaiera de questionner vos attentes. De voir sur quels sujets précis vous voulez qu'on travaille…
- Ça me va…
- Mais c'est un très bon début. Maintenant que j'ai un contexte… On va pouvoir réfléchir à tous ces éléments puisqu'ils ont un impact sur vos choix actuels…
- D'accord… »
Le psychologue termina la consultation en expliquant les formalités administratives et en développant ses méthodes d'introspection. La blonde l'écoutait avec attention, captivée par ses paroles. Le feeling était présent et Candice se sentait rassurée. Toutes les conditions étaient donc réunies pour commencer cette thérapie sous les meilleurs auspices. Le chemin s'annonçait douloureux mais la détermination était présente. Alors elle finit par accepter un autre rendez-vous, la semaine suivante, et quitta le cabinet non sans une once d'amertume.
La commandante se sentait bousculée par une multitude de sentiments qu'elle ne parvenait à expliquer. C'était la première fois qu'elle racontait leur histoire… Et au fil du récit, les enchaînements lui montraient ô combien ils avaient souffert. Et à cet instant précis, Candice s'en voulait… Elle avait fait cette non-demande en mariage en lui promettant de l'aimer, de ne plus le quitter et de profiter… Pourtant, elle n'avait pas tenu ses promesses… Du moins, son comportement l'avait fait fuir…
Elle claqua la porte de l'immeuble et inspira profondément. Elle ne voulait pas rentrer. Pas maintenant alors que toutes les plaies qu'elle avait difficilement réussi à cicatriser venaient de se rouvrir. Alors elle décida de marcher et ses pas la menèrent jusqu'à la plage. Elle s'installa sur le muret et observa le tableau devant ses yeux. Une mer agitée. Des passants rafraîchis par le vent et le silence…
Une heure plus tard, Candice claqua la porte de sa maison. Elle s'immobilisa dans l'entrée et intériorisa son agacement. À l'écoute des cris dans le salon, Emma et Sacha étaient en train de se disputer et sa petite-fille pleurait à l'étage. Le murmure envoutant des clapotis de l'eau était déjà bien loin… La blonde finit par débarquer dans la pièce, se laissant presque bousculer par Sacha qui s'apprêtait à quitter la maison en furie.
« Qu'est-ce qui se passe ici ? demanda-t-elle à sa fille.
- C'est Sacha ! Il me saoule ! Il fait jamais rien ! pesta-t-elle en s'emparant de la bassine de linge.
- Oui bah ça c'est pas nouveau ma chérie… souffla-t-elle en récupérant la bouteille de vin dans le frigo alors que sa fille disparaissait à l'étage. »
Candice versa le liquide rougeâtre dans son verre. Elle passa une petite veste sur ses épaules et s'installa sur le fauteuil de sa terrasse. Là au moins, elle s'isolait des pleurs de sa petite-fille.
« Qu'est-ce qu'elle a ? demanda Candice en entendant Emma débarquer avec le bébé.
- Elle avait faim. Avec le biberon ça va tout de suite mieux… sourit-elle en embrassant son crâne.
- Elle boit aussi vite que toi quand t'étais petite… répondit sa mère émue.
- Tu veux la prendre ? J'ai encore du linge à trier… »
La petite changea de bras rapidement, venant se caler dans ceux de sa grand-mère. Elle l'observa, émue, et se mit à mimer des gazouillements pour la distraire. L'enfant termina son lait d'une traite et reçut les félicitations de son aînée qui l'entraîna en cuisine. Dans ses bras, la petite ouvrait grand les yeux, scrutant avec attention les moindres détails de la pièce. La blonde l'observa en souriant avant de déposer le biberon dans l'évier. Elle finit par se retourner et s'approcha du frigo en voyant les yeux bleus de la petite s'y arrêter avec curiosité.
« Qu'est-ce que tu regardes ? chuchota-t-elle d'une voix enfantine. C'est les photos ? demanda-t-elle en collant son doigt sur les clichés collés sur la porte du réfrigérateur. »
La blonde s'amusa à détailler chaque photo, s'amusant à lui approcher devant les yeux. Drôle de coïncidence… songea-t-elle. Candice ressortait tout juste d'un rendez-vous où son passé douloureux avait été déballé et quelques heures après, sa petite-fille la poussait à observer les moments de joie qui avaient été immortalisés pendant ces dix ans. La blonde se mit à sourire en fixant le dessin qui trônait au milieu. La famille Renoir-Dumas sur son bateau, imaginée par Suzanne. Finalement la petite avait eu un peu raison de le dessiner ce requin menaçant… Candice avait longtemps cru qu'il incarnait Louise mais finalement… c'était peut-être son comportement à elle qui avait conduit le bateau à couler… L'émotion la submergea alors. Lui faisant prendre conscience que la situation actuelle était totalement sa faute. Ils étaient pourtant si heureux avant… Enfin, c'est ce que laissait penser la petite photo accrochée en haut. Celle sur laquelle Candice enlaçait son compagnon en le regardant amoureusement. Celle qui était posée au-dessus de son lit avant qu'elle ne se décide à l'enfouir au fond d'un carton. Celle qu'il avait finalement reposé sur le bureau de sa chambre avant qu'elle ne la retourne.
La blonde fronça les sourcils et récupéra la photo dans ses mains, évitant que sa petite-fille ne lui dérobe. Elle s'approcha de sa fille qui redescendait les escaliers.
« C'est toi qui l'as accroché sur le frigo ? s'étonna-t-elle en montrant l'image.
- Eh bah… Je me demandais quand t'allais le remarquer… ironisa-t-elle. C'est mieux que de la laisser dans son carton non ?
Candice haussa les épaules.
- Elle voulait me la voler… plaisanta-t-elle en accusant le bébé qui mordait son pouce.
- En même temps… Tu sais bien qu'elle est fan d'Antoine…
- C'est vrai… répondit-elle en la réajustant sur la porte du réfrigérateur. Puis elle est belle cette photo... C'est un joli souvenir...
- Mais d'ailleurs… T'avais pas rendez-vous aujourd'hui ?
- Si… Tout à l'heure…
- Et alors ?
- Ça a été…
- Tant mieux… Et tu vas y retourner ?
- Ouais… confirma-t-elle. Je me suis sentie en confiance et… même si ça fait mal… J'suis obligée de passer par là… J'ai rendez-vous la semaine prochaine…
- Tant mieux ! Et tu lui as dit ?
- À qui ?
- Bah à Antoine… Ce serait bien qu'il sache non ?
- Non… J'veux pas qu'il sache ! C'est à moi de régler ça toute seule… Ok ? »
. . . . .
