. . . . .
Et comme convenu, la semaine suivante, Candice s'installa à nouveau dans ce fauteuil marron. Face à son thérapeute, elle appréhendait. Certes la première séance s'était bien déroulée mais pour celle qui s'annonçait… rien n'était moins sûre. Elle l'observa rouvrir le dossier jaune et lui adresser un sourire sincère.
« Donc la semaine dernière on avait fait un petit peu l'état des lieux de votre parcours… Et donc on s'était arrêtés au moment actuel. C'est-à-dire que vous êtes séparés, c'est bien ça ?
- Oui… confirma-t-elle.
- J'aimerais qu'on revienne un petit peu sur cette séparation.
- Ok… accepta-t-elle gênée.
- Alors je vous écoute. Vous m'avez dit que c'était récent…
- Oui… Enfin, c'est un peu compliqué… Je vous avais expliqué que Louise, son premier amour, était revenue dans sa vie…
- Exactement. Et comment vous l'avez vécu ce retour ?
- Mal… Parce qu'au début il ne me l'a pas dit… Il l'a revu plusieurs fois sans m'en parler et… il avait changé… Je le sentais distant avec moi…
- Comment vous expliquez cette prise de distance ?
- Je sais pas… Je… J'crois qu'il l'a vraiment aimé cette femme. Il allait l'épouser, il lui parlait d'enfants… Et quand elle est partie du jour au lendemain sans rien dire… Il a souffert...
- Vous le comprenez ?
- Oui… Je me mets à sa place et je peux comprendre sa douleur… mais…
- Mais ?
- Mais pas de là à ce qu'il me mette de côté… Il me calculait plus... Il me regardait plus... Fin' c'était plus le même...
- Vous en avez discuté ?
- Oui. Il m'a dit que… qu'il avait beaucoup souffert de son départ et que son retour l'avait bousculé et... il avait un blocage avec moi parce qu'il voulait pas souffrir à nouveau…
- Il avait des raisons d'avoir peur ?
- Oui parce que… On avait pas les mêmes attentes…
- Je vous écoute…
- Disons qu'une fois, on a eu une longue discussion et… j'ai compris que ça allait poser problème… Mais je voulais pas gâcher le moment alors, j'ai esquivé… C'était un soir, pour la saint-Valentin, Antoine m'avait préparé une surprise… »
. . . . .
Main dans la main, le couple longeait les quais en direction de la surprise organisée par le commissaire. Candice s'agaçait, envahie par l'impatience. Faut dire que la commandante n'était pas une fervente de surprises et sa volonté de tout contrôler reprenait inévitablement le dessus…
« Mais on va où ? ronchonna-t-elle en boudant.
- T'arrête oui ?! C'est une surprise Candice…
- Mais j'aime pas les surprises…
- Ça va… On est presque arrivés…
- Ça fait des heures qu'on marche… »
Antoine souffla, exaspérée par l'excès de sa compagne. Pourtant, il savait que la surprise allait lui plaire… Alors il prit sur lui et décida de ne pas répondre pour les prochains mètres restants. Fier de lui, il l'attira par la main et se stoppa devant la bâtisse en souriant.
« Comme une fois tu m'as reproché de ne jamais t'y avoir invitée… lâcha-t-il en souriant devant la vitrine du Quai 17.
- Ohhhhhh… laissa-t-elle sortir envahie par l'émotions. Merci…. chuchota-t-elle contre ses lèvres avant de l'embrasser. »
Antoine rigola doucement, fier de l'effet qu'il venait de produire. Il s'approcha doucement de la porte avant de se stopper net.
« Quoi ? s'étonna-t-elle alors qu'il se cachait derrière le mur d'entrée.
- Attends… Je vérifie qu'il y ait pas les serveurs de la dernière fois… On sait jamais des fois qu'on nous reconnaisse… plaisanta-t-il d'un air sérieux. »
Candice éclata de rire, amusée par son petit rappel de cette fameuse soirée catastrophe quelques mois plus tôt.
- T'es bête…
- RAS commandant ! La voie est libre ! annonça-t-il en faisant semblant de parler dans un talkie.
- Promis cette fois je serai sage comme une image… répliqua-t-elle d'une moue enfantine.
- Pas de poule ?!
- Pas de poule ! confirma-t-elle amusée. Mais tu sais qu'elle s'appelait vraiment Flora hein…
- De qui ?
- Bah la poule de ma grand-mère ! Elle était super gentille en plus… »
Antoine hocha négativement la tête, amusée par l'explication de sa compagne en cette soirée de saint-Valentin. Il l'entraîna à l'intérieur du restaurant et passèrent un agréable moment en tête-à-tête où cette fois, aucun animal de la basse-cour ne fit irruption.
« C'était divin… s'enthousiasma Candice en sortant du restaurant. Merci…
- Ça veut dire que je me suis pas loupé alors… répondit-il satisfait.
- Comme d'habitude… »
Candice avait raison… Antoine se trompait rarement… Faut dire qu'au bout de dix ans, les deux se connaissaient par cœur… Et le commissaire se souvenait de ce fameux dîner professionnel qui avait tourné au vinaigre quelques temps plus tôt. Une soirée où l'excès candicien s'était laissé exprimer dans toute sa splendeur. Heureusement ce soir, le moment s'était teinté d'une toute autre tonalité. Et ils étaient sortis de ce restaurant encore plongés dans leur bulle. Candice arpentait un large sourire et enserrait son compagnon par la taille pour rentrer. Le silence régnait, les laissant profiter des murmures citadins d'un soir de février. Le commissaire fixait devant lui laissant parfois ses yeux se balader sur quelques vitrines illuminées sur sa gauche. De l'autre côté, sa compagne observait le doux mouvement de l'eau des canaux lorsqu'elle sentit Antoine s'arrêter dans sa marche. Elle tourna la tête vers lui et l'interrogea du regard.
« T'as vu ? Elles sont belles non ? Osa-t-il timidement en l'attirant par la main.
- Euh… Oui… s'étonna-t-elle gênée. Mais… C'est des bagues de fiançailles ça Antoine…
- Hum… confirma-t-il en acquiesçant. Et celle avec les petites pierres roses t'irait super bien…
- Mouais… laissa-t-elle sortir peu enjouée.
- C'est la bague ou… le message derrière qui te plaît pas ?
- Non je sais pas …
- C'était juste pour remplacer celle qu'avait fini dans le canal… se justifia-t-il durement avant de reprendre son chemin.
- Mais j'ai rien dit ! se défendit-elle surprise.
- Ouais… »
Intérieurement, Candice paniquait, jurant contre elle-même et son inconstance. Quelques mois plus tôt, elle lui avait presque reproché de ne pas l'avoir demandé en mariage dans ce restaurant, et là, alors qu'il lui soumettait cette idée, elle le refoulait. En même temps, la blonde pensait avoir été claire avec ce non-mariage… Mais visiblement, cela ne le contentait pas…
« Tu fais la gueule ? osa-t-elle demander alors qu'elle le voyait les mâchoires serrées.
Non non… Pourquoi ?
Je sais pas… répliqua-t-elle d'une petite voix en attrapant sa main dans la sienne. J'veux pas que ça gâche la soirée…
Mais non ! la rassura-t-il en souriant faussement. »
La blonde se contenta de son sourire et garda le silence jusqu'à sa maison où elle se retrouva rapidement dans ses bras. Enlacés sur le canapé, aucun n'osait parler. Chacun profitait de l'autre en silence, jusqu'à ce que le commissaire brise la glace.
« Candice ? » entendit la blonde qui avait fermé les yeux pour profiter du moment.
Le ton était dur, solennel et n'annonçait rien de bon. D'autant plus qu'Antoine venait d'utiliser son prénom pendant un câlin, signalant la gravité de l'annonce qu'il s'apprêtait à faire…
« Hum ? se contenta-t-elle de répliquer sans bouger.
- T'attends quoi de nous ? osa-t-il sérieusement.
- Comment ça ?
- Bah je sais pas… On est ensemble d'accord… mais concrètement… T'attends quoi de cette relation ?
- Bah… Qu'on soit heureux…
- Hum… et tu l'es là ?
- Bah bien sûr… avoua-t-elle étonnée en relevant la tête vers lui. Pas toi ? demanda-t-elle anxieuse.
- Si si… confirma-t-il sans entrain.
- Pourquoi tu me demandes ça chéri ? l'interrogea-t-elle, mielleuse. »
Antoine haussa les épaules, hésitant à confier les doutes qu'il traînait depuis quelques temps déjà... Il sentait l'oppression des yeux bleus de Candice sur les siens. Et inévitablement, le commissaire était déstabilisé. Sa compagne le ressentit et caressa son torse pour le rassurer. Il esquissa un bref sourire et baissa la tête.
« Je sais pas… fin je me dis que dans une relation classique… pour être heureux il faut franchir des étapes…
- Des étapes ?
- Ouais… fin on s'aime… on partage des choses ensemble…
- Bah oui ! répliqua-t-elle souriante. Et j'adore nos petits rendez-vous… Nos week-ends loin d'ici… nos soirées au resto… nos câlins…
- Moi aussi… mais… j'ai envie que… que tu sois ma femme… que… le matin je doive sortir de tes bras pour aller bosser… que je te retrouve tous les soirs après une longue journée… que nos enfants nous rendent visite le week-end… j'veux vivre avec toi… tout le temps… »
Émue, Candice sentait ses yeux s'embuer. Antoine osait très peu se livrer et ce soir-là, il venait de lui faire une jolie déclaration. Pourtant l'émotion voyait la crainte et l'envie se mêler. L'envie d'être heureuse certes, mais la crainte de le décevoir en montrant sa réticence face à ses envies qu'elle ne partageait pas.
« Je suis déjà ta femme… depuis que t'as accepté ma non-demande… Et on vit déjà à moitié ensemble…
- Mais c'est pas pareil… la contredit-il.
- Écoute Antoine, j'ai pas envie de gâcher la soirée qu'on a passée ok ?
- On discute c'est tout…
- Oui mais… commença-t-elle, prête à éluder à nouveau.
Antoine détourna le regard.
Ok… capitula-t-elle en se détachant de lui. Tu vois… On a mis 10 ans à se trouver… alors oui je sais qu'on a fait n'importe quoi… mais ce qu'on vit maintenant tous les deux… J'y croyais plus… alors comme tu dis, on s'aime… et j'ai pas envie de précipiter les choses. J'veux qu'on profite du moment présent sans se soucier de ce qu'il se passera demain… J'veux qu'on profite de la vie, tous les deux… Sans prise de tête… tu comprends ?
- Ouais… acquiesça-t-il déçu.
Émue, elle attrapa son menton et le força à la regarder.
- Donne-moi tes lèvres ! »
Antoine esquissa un sourire et tendit ses lèvres vers les siennes. Satisfaite, la commandante l'embrassa avant de se blottir contre lui. Il encaissa, conscient que le passé de Candice était compliqué et qu'il devait être conciliant. Alors il accepta, stratégie évidente pour ne pas perdre celle qu'il aimait.
. . . . .
« À ce moment-là, je savais qu'il était déçu mais en même temps, j'pouvais pas lui en vouloir parce qu'il acceptait… lâcha-t-elle émue.
- Donc je vais vous reposer la même question… Qu'est-ce que vous attendiez de cette relation ?
- J'ai toujours été catégorique sur la vie de couple. On était ensemble mais on restait libres…
- C'est-à-dire ?
- Je voulais pas qu'on emménage tous les deux… Je voulais pas de mariage, avec lui… je… J'en ai déjà 2 qui ont raté… Et vous connaissez le dicton « jamais deux sans trois »…
- Alors peut-être qu'on pourrait changer de focal… Vous imaginez deux mariages ratés… Mais si c'était simplement des relations durables… ?
Candice plissa les yeux, perdue dans ses explications.
Ce que je veux vous dire, c'est que le mariage c'est l'aboutissement d'une relation, d'un engagement. Parfois, ça marche… Parfois non… Vous, vous comptez les échecs. Mais peut-être qu'il faudrait simplement compter les relations. Ce ne seraient pas deux mariages ratés qui annoncent un troisième mariage raté… Mais deux relations engagées qui annoncent une troisième…
- J'avais jamais vu les choses comme ça… balbutia-t-elle. Vous voulez dire que… la troisième relation serait la bonne ?
- Et pourquoi pas ?
- Hum…
- Vous voyez… Ce sera l'objet de nos séances… Essayer de déplacer les points de vue… Prendre du recul… Relativiser les choses aussi… Pour tenter de vous donner d'autres clés de lecture sur votre situation…
- D'accord…
- J'aimerais donc qu'on se mette d'accord sur vos attendus. Qu'est-ce que vous attendez de cette thérapie ?
- Un changement ? lança-t-elle sans développer.
- Qu'est-ce que vous entendez par « changement » ?
- Je sais pas je… Je me dis que ça peut m'aider à passer au-dessus de mes peurs… de mes angoisses… Et que ça peut m'aider à accepter l'engagement pour lui…
- Pour lui ? Et vous ?
- Pour nous je veux dire… Pour aller de l'avant…
- Bien… répliqua-t-il en acquiesçant. Et cette décision de suivre une thérapie, comment est-elle née ?
- Mes proches… On m'a fait comprendre que c'était peut-être nécessaire… Puis je faisais n'importe quoi…
- Mais ce n'est pas quelque chose de récent, cette problématique ?
- Hum… réfléchit-elle. Non… Mais c'est la première fois où ça a pris de telles proportions.
- Vous voulez dire qu'il y aurait un moment précis où l'engagement s'est posé comme un véritable problème ?
Candice baissa la tête en acquiesçant.
- C'était… Au moment de noël, l'année dernière… On s'est fortement disputés... Enfin, on s'engueule souvent mais là, c'était pas comme d'habitude... En fait... c'était le premier noël où Antoine et moi étions vraiment ensemble… Sauf que moi… J'ai du mal avec les ambiances familles et à ce moment-là… J'avais encore du mal à dire « nous » …
- C'était avant cette soirée de Saint-Valentin que vous venez d'évoquer donc ?
- Oui… »
Candice ferma les yeux, replongeant dans ses souvenirs. C'était l'une des premières grosses altercations avec son compagnon et la blonde en avait été très affectée. Elle soupira et se lança dans son récit.
