Chapitre 43 : La rupture

Le Centre Blue Cove Delaware

Quelques jours plus tard. Dans son bureau, Mlle Parker allongée sur le sofa se préparait mentalement à faire le test ADN. Autour d'elle, tout était calme. Elle en profita pour faire le point, se questionnant sur les diverses possibilités qui s'offriraient à elle si toutefois le bébé de Jarod serait également le sien. Rien qu'à cette pensée, elle avait cette impression de trembler de l'intérieur. Elle s'empressa de la chasser de son esprit, se persuadant que son propre père, Monsieur Parker, ne serait jamais allé jusqu'à l'utiliser pour mener à bien leurs expériences aussi malsaines, soient-elles. Elle se redressa avant de se lever et de sortir d'un des tiroirs un nécessaire médical contenant une seringue, une compresse et un tube vide. Elle enroula un élastique autour de son bras afin de faire ressortir ses veines, désinfecta soigneusement le pli du coude et d'une main experte, elle y inséra l'aiguille. Elle ferma les yeux un court instant. Puis une fois terminé, elle retira le tout avec précaution et pressa une compresse sur le point de ponction. Sydney frappa à la porte lorsqu'elle lui fit signe d'entrer, il s'avança et posa un dossier sur son bureau. En croisant le regard du psychiatre, elle comprit.

« Parker, à l'heure où je vous parle, Broots est en train de récupérer un échantillon de sang du bébé.

- Voilà mon matériel génétique, il ne vous manque plus que celui du petit pour les comparer.

- Vous voulez toujours le faire ? Il récupéra le tube qu'elle lui remit.

- Oui. Faîtes cette analyse, je vous en prie ! Je ne peux pas me permettre d'attendre plus longtemps, Sydney. Je veux des réponses et je veux les résultats le plus rapidement possible. C'est important pour moi. Je veux savoir la vérité, quelle qu'elle soit.

- Ce sera fait, Parker, ne vous inquiétez pas. Que comptez-vous faire ?

- Je ne peux rien faire de plus.

- Je parlais au sujet de Jarod. Vous allez le lui dire ?

- Quand j'aurais les résultats. À ce moment-là, il saura. J'espère qu'il ne sera pas trop déçu de l'issue de la situation. Attendons de voir ce qu'il en est. »

Du côté de l'informaticien. Pour accéder au centre de stockage de liquide organique malgré le système de sécurité qui le protégeait, Broots avait réussi à déjouer les codes d'accès tout en contournant les caméras de surveillance. Sa respiration se faisait de plus en plus haletante, conscient qu'il ne disposait que d'un temps limité pour récupérer une petite quantité de sang, son cœur martelait dans sa poitrine alors qu'il tapota sur les chiffres du pavé dédié à l'accès. Le clic sourd de la porte qui s'ouvrait tintait dans le couloir. Broots froussard pénétra à l'intérieur reçu par une obscurité à faire froid dans le dos et une température glaciale qui pourrait réveiller un mort. Il devait faire au plus vite, s'approchant des compartiments où étaient rangées et stockés les échantillons. Ses petites mains gantées se baladaient sur les étagères parmi lesquelles les flacons et les fioles étaient alignés et remplis de substances organiques. Soudain, ses yeux s'écarquillèrent de stupéfaction. Il remarqua un espace vide. Il réalisa l'inévitable. Le flacon avait disparu sans laisser de traces. Broots quitta précipitamment la pièce courant dans les allées du Centre, cherchant à rejoindre le bureau de Mlle Parker. Il s'arrêta devant la porte, le souffle court puis entra sans attendre. « Mlle Parker… Sydney... C'est le sang… Le sang cordonal a disparu ! Le test ne pourra pas être effectué ! »

Une heure plus tard, Mlle Parker, devant la fenêtre, au bord des larmes, se sentait perdue. Tout était confus. Elle qui avait toujours été sûre de tout, aujourd'hui, elle remettait tout en question. Peut-être que c'était le destin, qu'elle ne devait pas savoir si ce bébé était le sien. Sydney posa une main réconfortante sur son épaule, elle inclina la tête sur le côté, pinçant ses lèvres. Pourtant, même les paroles rassurantes du psychiatre étaient impuissantes face à la détresse de la demoiselle. Et puis, il n'y avait pas que ça.

« Cela fait presque deux ans que Thomas m'a été enlevé par le Centre, sa voix se brisa. Deux ans qu'il a disparu et la douleur est toujours aussi présente. Et maintenant, ce bébé, cet échantillon de sang qui a été volé. Ça n'arrêtera donc jamais Sydney ?

- Vous savez, ce que je crois, qu'on est effectivement sur la bonne voie, mais Parker, on ne renoncera pas, je vous le promets.

- Pour la première fois de ma vie, Sydney, je ne sais plus quoi faire, elle regarda autour d'elle comme pour trouver des réponses à ses questions.

- Vous n'êtes pas seule. Je suis là pour vous soutenir, quoi qu'il arrive. Ne l'oubliez pas.

- Ne le prenez pas mal, mais ce n'est pas de vous dont j'ai besoin. C'est de Jarod. Je veux le voir. J'ai envie de le voir. J'ai besoin de lui.

- Pourquoi ne pas l'appeler ? une sonnerie les interrompit. Décrochez, c'est peut-être lui, qui sait ?

- Merci Sydney. elle décrocha aussitôt alors que Sydney quitta le bureau. Allô ?

- Bonjour, ma belle. Comment vas-tu ?

- C'est un peu le bazar ici, mais on gère. Et toi, pourquoi cet appel ?

- Une petite voix m'a chuchoté à l'oreille que tu te languissais de moi !

- On se voit toujours ce soir ? Enfin, comme c'était prévu.

- Je suis en chemin. En fait, je suis sur la route.

- Tu en es sûr que ça ne te fait rien de venir à la maison ?

- Non, ça ne me dérange pas, au contraire. Et puis j'ai une petite surprise pour toi.

- Merci. Jarod, mais je ne suis pas d'humeur à recevoir des surprises.

- Eh, qu'est-ce qu'il y a, Parker ? Je sens au son de ta voix qu'il y a quelque chose.

- C'est juste que les recherches ne vont pas assez vite. Ça ira mieux quand on se verra. J'ai besoin de toi près de moi, maintenant plus que jamais. »

Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991

Jarod, vêtu d'une tenue discrète, se tenait, là, devant la porte d'entrée de la maison de Mlle Parker. Et comme à son habitude, elle n'était pas encore là. La lueur de la lune tout comme les réverbères éclairait à peine les lieux. Son regard concentré attestait de son sérieux. Avec adresse et expertise, Jarod sortit un petit kit de crochetage de sa poche, comprenant divers outils spécialisés. Ses doigts agiles et précis maniaient les différents crochets avec aisance. Ses gestes étaient calculés et chacun de ses mouvements étudiés avec minutie, fixant son attention exclusivement sur la serrure. Dans la pénombre, on entendait plus que les clics métalliques du crochetage, faisant écho dans l'allée environnante. Après un bref instant et une légère résistance que sous les yeux ébahis de son jeune frère qu'un dernier cliquetis retentit. Et voilà ! La serrure céda sous l'habileté de Jarod. Un fin sourire de satisfaction se dessina sur ses lèvres alors qu'il poussa la porte du bout des doigts, et ce, sans la moindre trace visible d'effraction. Il jeta un coup d'œil à Ethan, son partenaire complice, l'invitant à faire comme chez lui. Ce dernier, impressionné par les talents du caméléon, le félicita, mais aussitôt, se ravisa.

« Je ne suis pas sûr qu'on aurait dû s'y prendre de cette manière.

- Ethan, tout va bien. Je le fais assez souvent, ne t'en fais pas.

- Oui, mais c'est chez Mlle Parker.

- Écoute, elle sait que je suis là. Ne t'inquiète pas, d'accord ? Détends-toi ! Sert toi un café.

- D'accord. Alors c'est comme ça que tu fais ? Tu rentres chez elle par effraction et tu fais comme chez toi ? Et elle ne t'a jamais pris sur le fait ? Elle ne t'a jamais rien dit ? Ça ne l'agace pas que tu fasses ce genre de choses ?

- Si tu veux avoir tes réponses, demande-les à ta sœur ! Elle ne devrait plus tarder, maintenant. Je vais lui préparer un petit dîner, Jarod alluma quelques bougies et mit de la musique douce. Dans la cuisine, il commença à fouiller les placards et le frigo. Il ne trouva que des crudités, et du café ! C'est une blague !

- Qu'est-ce que tu cherches ?

- Hum, mais où sont passés tous les gâteaux, les bonbons, les pizzas et les beignets ?

- Elle au moins elle mange sainement.

- Des crudités ? Tu appelles ça manger ? J'appelle ça se priver ! À mon avis, ta sœur n'a pas eu le temps de faire les courses. Je ne vois pas d'autres explications. »

Un bruit de clé interrompit les deux hommes, la Miss franchissait tranquillement le seuil de l'entrée. Et là, juste devant elle, se tenait le caméléon. Elle se figea instantanément, un large sourire s'étira sur son visage. Les yeux en arrondis et verrouillés sur les siens, elle était incapable de croire ce qu'elle voyait. La surprise la traversa de part en part. Comme il avait fière allure. Beau, grand et si irrésistible.

Avant même qu'elle ne puisse prononcer un seul mot, il fut à ses côtés en une fraction de seconde, l'attrapa, la pressant amoureusement dans ses bras. Leurs lèvres se mettaient en quête l'une de l'autre, se touchant avec une ardeur presque électrique, comme si toute la tension accumulée entre eux trouvait enfin son exutoire. Mlle Parker se laissa emporter par la passion de ce baiser. Cependant, alors que celui-ci se prolongeait, quelque chose attira son attention. Lorsqu'ils se séparèrent enfin, son regard se posa sur une forme bien distincte à l'arrière du caméléon. Oui, c'était lui ! C'était Ethan, debout, le dos droit et plaqué contre le mur, il s'avança vers elle. « Ethan... Je ne m'attendais pas à te voir ici ce soir…. Je suis contente, tu as l'air d'aller bien. » Il lui rendit son sourire, la serrant aussi fort qu'il le pouvait. Après les émouvantes retrouvailles entre Jarod, Mlle Parker et Ethan, la soirée se déroula sans accroc et dans la bonne humeur. Tous les trois installaient autour d'une table discutaient. Les premières minutes étaient frivoles alors que les sujets de conversation naviguaient entre taquineries, potins et anecdotes amusantes. On entendait plus que les rires dans la pièce. Puis petit à petit, la discussion prenait un tournant plus sérieux. Ethan commença :

« Nous devons parler de cet enfant, Jarod. Concrètement, de quelles informations disposons-nous ?

- Merci Ethan. Effectivement, nous avons des informations. On sait qu'il est issu d'un projet qui porte le nom de Genius. Qu'il a été conçu par manipulation génétique. Et qu'il est mon fils. Et aujourd'hui, personne ne sait où il est !

- Il y a aussi le projet Évolution, s'exclama la Miss. qui est une tentative de créer une version améliorée de caméléon ou d'autres espèces. Des individus avec des capacités encore plus poussées, plus extraordinaires.

- C'est-à-dire ?

- Comment t'expliquer Ethan… Le Centre crée des embryons humains pour modifier les gènes à leur guise. Ce qu'ils veulent, c'est une nouvelle race d'êtres humains évoluée, plus avancée, plus puissante, plus maniable, les paroles de Mlle Parker interloquèrent les deux frères.

- Pourquoi ? demanda Ethan.

- C'est simple, elle croisa les bras. Raines et le Centre ne rêvent que d'une seule chose. Révolutionner l'espèce humaine, avait déclaré Mlle Parker. Ils pensent que l'humanité est imparfaite, faible. Ils veulent des surhommes, des êtres supérieurs, pour servir leurs propres ambitions et assouvir leurs soifs de pouvoir.

- Révolutionner l'espèce humaine... Jarod se leva et arpenta la pièce, les mains dans les poches, ses pensées en ébullition. Ils ont toujours été obsédés par le contrôle et par la manipulation. Mais ça, ça va bien au-delà de ce que je pensais. Qu'est-ce que tu sais d'autres, Parker ?

- Jarod. Il y a des conséquences graves. Ces enfants ne s'en sont pas sorti indemnes de cette histoire. Je te parle de bébé. Ceux-là, n'ont pas survécu aux essais, ils sont morts.

- C'est... C'est inimaginable. Manipuler la vie de cette manière, de façonner des êtres humains à volonté, de jouer avec les gènes, les destins des gens…

- Bienvenue dans le monde du Centre, Ethan. C'est un endroit où la détermination à atteindre leurs objectifs n'a aucune limite. Ils sont prêts à tout, à sacrifier tout ce qui est humain pour arriver à leurs fins.

- Et toi, Parker ? Comment tu te situes dans tout ça ?

- Moi, je suis leur produit, leur chose, tout comme Jarod, toi et bien d'autres. Ils ont joué avec nous depuis le début, ils nous ont modelés dans l'unique but de servir leurs desseins malhonnêtes.

- Que va-t-il arriver à ce petit garçon ?

- Il va devenir le sujet d'expérimentation préféré du Centre ou pire encore. On ne peut pas laisser faire ça ! avait dit le caméléon.

- Non, mon amour. Regarde-moi, elle lui saisit le visage. On ne les laissera pas faire. Et c'est pour ça que nous allons le retrouver, tous les trois, Jarod. Je te le promets. » elle lui donna un baiser, avant de se blottir contre lui.

Jarod et elle prenaient place, côte à côte sur le canapé. Ethan, les rejoignit d'un pas lent et se cala sur un fauteuil. Progressivement, Jarod manifesta une proximité beaucoup plus prononcée envers elle, cherchant à établir une connexion beaucoup plus intime. Lentement, leurs corps se rapprochaient instinctivement. Jarod enfonça ses doigts dans sa crinière soulevant quelques-uns de ses cheveux dégageant ainsi sa nuque tandis que sa bouche venait se loger dans le creux de son cou. Mlle Parker, elle, lui maintenait l'arrière de la tête, se retenant avec une volonté remarquable pour ne pas gémir. Non ! Pas devant son frère ! Ethan, gêné, ne savait plus où se mettre, il se sentait de trop. Ses yeux allaient d'un endroit à l'autre. Soudain, Jarod mit un terme au silence et d'une voix ferme ordonna. « Ethan, pourrais-tu aller nous faire quelques courses ? Nous sommes à court de provisions. Il n'y a plus rien à manger ici. Pense aux beignets et aux Pez ! » Le message sous-jacent était clair et Ethan en avait compris immédiatement la signification de cette allusion. Mlle Parker ajouta « Prends tout le temps qu'il te faut, Ethan. Oui, prends tout ton temps. » Voilà que maintenant, on le chassait d'ici. Toutefois, la situation l'amusait. Il répondit en se dirigeant vers la sortie. « Pas de soucis, je vais m'absenter pour quelques heures alors passez une bonne soirée. » Le cadet se retira gentiment, laissant les amoureux seuls. Une fois la porte refermée, le désir contenu éclata entre eux. Leurs regards brûlant en disaient long, leurs envies trouvèrent enfin sa libération. Jarod, d'une main assurée, effleura doucement la joue de Mlle Parker, son contact aussi fin que le souffle du vent. Leurs lèvres se touchèrent, fusionnant dans un baiser langoureux, les doigts de Jarod filaient subtilement sur le long du bras de la demoiselle, laissant une traînée de frissons sur son passage. La chaleur de leur étreinte se mêlait à la douceur du canapé, les soupirs et les gémissements entrecoupés rythmaient leur échange fiévreux. Les baisers devinrent plus intenses et les caresses plus audacieuses, et ce, avec une tendresse infinie. Les éclats de passion et de désir se reflétaient dans leurs yeux…

Jarod et Mlle Parker s'habillaient en prévision du retour imminent d'Ethan. Ils optaient pour une promenade le long de la maison. Jarod passa sa main derrière la nuque, il éprouvait de petits picotements. La Miss s'inquiéta. Il la rassura, puis intrigué, il lui demanda pourquoi elle avait préféré le salon à la chambre pour leurs ébats. Il n'obtint aucune réponse de sa part. Ses lèvres restaient scellées. Puis, il sonda avec une prévenance : « Parker, ma présence, te réjouit-elle ? » Le sourire en coin elle lui confirma sa contention par un long baiser.

« Tu sais, comme tous les couples normaux, il y aurait la possibilité d'avoir une clé.

- Quoi ?

Je veux dire, ce serait bien qu'un jour, tu me donnes la clé de chez toi. Avoue qu'il y aurait là un côté bien plus pragmatique que de crocheter la serrure.

- Non, Jarod, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, ses yeux tombaient nez à nez avec le bout de ses escarpins rouges.

- Et pourquoi pas, Parker ? Hein ? Ça pourrait faciliter les choses, non ? le front de Jarod se plissa.

- C'est compliqué, Jarod. elle esquissa un sourire triste. Une clé représente plus que l'accès physique à un endroit. Cela symbolise l'engagement. C'est une chose à laquelle je ne peux pas me permettre de penser, surtout pas maintenant.

- Parker, à un moment donné, il faudra qu'on pense toi et moi à notre vie ensemble.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Pourquoi tout à coup, tu parles de clé et d'avenir ?

- Eh eh. La clé de notre avenir ! Ça sonne plutôt bien. En fait, l'autre soir, en ville, j'ai croisé un couple avec un bébé. Ils étaient si heureux. Alors je me demandais si un jour, toi et moi, on aurait aussi la possibilité d'avoir cette vie-là. Ça ne te tente pas ?

- Je ne sais pas, Jarod. Je comprends que tu veuilles fonder une famille, mais… Je ne crois pas que cette vie-là soit faite pour nous. On n'a jamais mené une existence tout à fait normale. Avoir une maison, des enfants, un chien… Je ne crois pas que ce soit fait pour nous. Il vaut mieux oublier cette idée !

- Je croyais que c'était ton rêve de mener une existence normale ?

- Ça l'était, aujourd'hui, ça ne l'est plus, je suis revenue à la réalité. »

Consterné, Jarod dévisagea Mlle Parker, ses yeux examina chacune des micro-expressions qui apparaissaient sur son visage. Lorsqu'il entendit les mots sortir de sa bouche, son cœur s'était alourdi de déception, d'amertume. Les battements réguliers de sa poitrine, qui avaient autrefois accompagné ses espoirs et ses rêves les plus fous, s'étaient désormais envolés en un seul claquement de doigts. Un soupir las et presque imperceptible s'échappa de ses lèvres, trompant son désarroi face à cette décision qu'il avait secrètement espéré différente. À ce moment précis, ses illusions furent brisées. Il se détourna d'elle, se perdant dans la contemplation du paysage. Il n'allait certainement pas en rester là ! Il était hors de question de capituler ! Ce qu'il souhaitait, c'était de faire naître en elle le même désir que lui. De lui montrer toute la beauté des horizons qu'ils pourraient explorer ensemble. De ce que la vie pourrait leur offrir, les opportunités tout comme les joies qui les attendaient, s'ils décidaient, dans un futur proche, de s'aventurer sur la même route. Et même si ses propos semblaient faux, son engagement envers elle était une vérité qu'il savait être la clé de leur avenir.

« Parker. Je peux sentir qu'il y a quelque chose qui te tracasse.

- Ce n'est rien de bien important.

- Ne me mens pas, face à elle, il lui releva le menton. Je ne te connais que trop bien pour ne pas voir quand quelque chose te préoccupe.

- Je pense beaucoup à Thomas ces temps-ci. Mais ça ne concerne que moi, Jarod.

- Ça concerne aussi nous deux, Parker.

- Il a été une partie importante de ma vie.

- Je le sais. Mais il est mort, Parker. Et moi, je suis toujours là, à tes côtés, il l'embrassa.

- Ce n'est pas simple. Mes sentiments ne vont pas disparaître comme par enchantement du jour au lendemain.

- Alors, tu as toujours des sentiments pour lui. Même malgré sa disparition, il est encore là, entre nous. Je peux savoir où je me situe dans tout ça. Qu'est-ce que je suis ?

- Tu es Jarod, mon petit génie.

- Dis-moi, est-ce que tu penses à Thomas quand on fait l'amour ? il se sépara d'elle.

- Que vas-tu imaginer ? Jarod, quand on fait l'amour, je ne pense qu'à toi, et seulement toi.

- J'ai été là pour toi, Parker. Je t'ai soutenue, je t'ai tout donné. Ça ne suffit jamais. Tu me parles de lui constamment. J'ai l'impression d'être en compétition avec un fantôme.

- Ce n'est pas une compétition, Jarod., elle se rapprocha de lui alors qu'il s'éloigna d'elle.

- Qu'est-ce que je suis pour toi, si tu n'envisages pas une suite avec moi ? Une distraction ? Tu ne m'as jamais dit, une seule fois que tu m'aimais. Est-ce qu'au moins tu m'aimes, Parker ?

- Jarod.

- Non. C'est inutile de me répondre, j'ai compris. Tout compte fait, c'est toi qui avais raison depuis le début, notre histoire est vouée à l'échec. On est vraiment maudit !

- Non ! Écoute-moi, ça n'a rien à voir avec nous ou la malédiction. Crois-moi, Jarod, quand je te dis qu'il ne s'agit pas de nous.

- Comment peux-tu dire ça ? Bien sûr que ça à tout à voir.

- Je t'en prie, arrête !

- Parker, tu es tombé amoureuse de lui, tu as failli quitter le Centre pour lui, tu étais décidé à vivre avec lui. Ça ne s'oublie pas comme ça.

- Mais ça ne veut pas dire que je ne ressens rien pour toi.

- Non, ça veut juste dire que tu n'es pas guérie de lui. Tu vois, Parker, on n'avancera jamais tous les deux parce que finalement, tu es toujours tiraillée entre ton passé et ton présent, entre tes peurs et tes désirs. Et moi, je suis coincé là dans cette situation, à me demander si je dois continuer à me battre pour quelque chose qui nous est hors de portée.

- Alors quoi ? C'est terminé ? Tu me quittes ?

- Je crois en effet qu'il vaut mieux en rester-là. Peut-être que c'est ça, le problème. Peut-être que je t'aime trop pour accepter de ne pas être le seul dans ton cœur. »

À l'extérieur, elle tenta désespérément de s'expliquer avec lui, cherchant à dissiper le malentendu entre eux. Cependant, ses mots tombèrent dans l'oreille d'un sourd. À ce moment-là, le caméléon ressentit la vibration de son téléphone portable, un message de leur frère s'afficha à l'écran. Celui-ci l'informa de sa décision de passer la nuit en compagnie d'une charmante inconnue. Ce nouvel élément accentua la tension dans l'air. Les phrases de la jeune femme devenaient plus insistantes, elle essaya une fois de plus de lui faire entendre raison, de lui faire comprendre la véritable essence de ses sentiments. Il secoua la tête, ses yeux essuyèrent un refus catégorique d'écouter ses arguments. Sans rien ajouter de plus, le caméléon se retourna brusquement et entra dans la maison suivi de Mlle Parker. Il s'effondra sur le canapé, elle se faufila à ses côtés sans aucune hésitation. Elle s'allongea près de lui. Elle lui adressa un regard rempli d'excuses, lui offrant son plus beau sourire, sa main dans la sienne, ses doigts entrelacés aux siens. Elle posa sa tête sur son épaule et murmura, « Je suis désolée, mon amour. Vraiment désolée. Tu me pardonnes ? » Elle commença à défaire les boutons de sa chemise, Jarod l'arrêta dans son geste.

« Je vais m'en aller, c'est préférable. Il vaut mieux que j'aille à l'hôtel.

- Non, je t'en prie, reste près de moi.

- Non, ne pleure pas, je déteste cette tristesse dans tes yeux, il effaça ses larmes.

- Viens, fais-moi l'amour, Jarod.

- Non pas cette fois, Parker. Le sexe ne peut pas régler tous les maux.

- Je t'en prie, reste avec moi. Tu ne vas pas me laisser seule cette nuit, elle le retenait pour pas qu'il ne parte. Reste. Fais-moi l'amour. »

Il tourna la tête pour la regarder, ses yeux exprimaient une certaine fragilité. Il avait des palpitations au moindre petit frôlement de la jeune femme. En fin de compte, il céda à la tentation, l'attirant contre lui. Il l'embrassa avec presque acharnement. Elle avait gagné. Leur histoire se poursuivit cette nuit-là, une nuit où le passé et l'avenir se fonder dans un présent parfaitement partagé.

La lumière du petit matin passait à travers les rideaux entrouverts du salon. La Miss s'étira avec le sourire. Sa nuit merveilleuse avec le caméléon l'avait ravie. Cependant, sa joie fut de courte durée. Son sourire disparaissait en un éclair en découvrant que Jarod n'était plus dans la maison. Elle déchanta aussitôt. Ses iris tombèrent directement sur une carte laissée délibérément sur la table basse. Elle se saisit du message, les mots écrits sonnaient comme la mort. « C'est fini. » Des sanglots avaient retenu ses yeux en otage, brouillant les lettres sur le papier. Elle le savait, tôt ou tard, il la rejetterait. La porte s'ouvrit. Ethan entra dans la pièce, les bras chargés de course. « Alors grande sœur, la soirée a été bonne ? » Elle leva la tête vers lui.

« Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Jarod. Il a mis un terme à notre relation.

- Ah ? Pourquoi ça ?

- Ta sœur n'est qu'une idiote ! J'ai bêtement tout gâché et maintenant, il a mis les voiles.

- Parker, il est fou amoureux de toi. Il va revenir.

- Pas cette fois, Ethan. Cette fois-ci, je le sens. Il ne reviendra pas.

- Il y a encore ses affaires ici. Il va revenir. Hey. Tu vois qui vient d'arriver. Je savais bien qu'il allait revenir ! »

La silhouette du caméléon était là, telle un fantôme dans l'embrasure de la porte. Il s'approcha d'elle à petit pas. Son regard croisa celui de la Miss, et pour un instant, leur petite querelle d'amoureux n'avait plus lieu d'être. Là, devant elle, il ne disait rien, il ne faisait rien. Il était distant, et pourtant, comme il mourait d'envie de la tenir serrée contre lui.

« Jarod, s'il te plaît, écoute-moi, insista-t-elle. Hier soir, tu étais sérieux ?

- Toi et moi, on va nulle part, Parker. Il vaut mieux que nous prenions nos distances. Prendre du recul et réfléchir à ce que l'on veut vraiment. Tu n'es pas prête à aimer un autre homme que Thomas, tu ne l'as jamais été et tu ne le seras jamais si tu ne fais pas ton deuil correctement.

- J'ai déjà fait mon deuil, Jarod.

- Ah oui ? Parce que ce que je vois moi, c'est que tu attends toujours qu'il te revienne.

- C'est faux. Tu te trompes, Jarod.

- Nous avons une priorité plus urgente. Pour l'instant, nous allons mettre nos sentiments et nos émotions de côté, jusqu'à ce que nous ayons retrouvé mon fils.

- Et après Jarod ? Une fois que tout sera fini, qu'adviendra-t-il de nous ? »

Entrepôt de Blue Cove, Delaware

Malgré la mésentente qui subsistait entre les jeunes amants, Mlle Parker, Jarod et Ethan décidèrent tous les trois de s'allier dans leur action commune, celle de retrouver le petit caméléon enlevé. Leurs avancées les guidaient vers un dédale d'informations laissé dans la boîte mail sécurisée de Jarod par un anonyme. « Angelo ! » Dans cette maison de fous, il était le seul à pouvoir être encore en mesure de lui transmettre des renseignements. Des photos, des enregistrements, des notes, des coordonnées et des messages formèrent une piste peu significative quoique plutôt vitale. Les indices les avaient menés à un entrepôt désaffecté à l'orée de la ville, son allure lugubre cachait une sombre vérité. De vieux murs de briques détériorés portaient les brèches du temps, l'ampoule accrochée au plafond, ne tenant plus qu'à un fil, déclinée de plus en plus et à travers les fenêtres brisées, on entrevoyait à peine la lumière du jour. Le trio pénétra avec vigilance à l'intérieur du bâtiment. Le crissement de leurs pas lourds et angoissants se faisait ressentir. Mlle Parker, elle, tenait fermement d'une main son Smith Wesson et de l'autre une lampe de poche, éclairant leur chemin à travers l'obscurité. Toujours avec prudence, ils avancèrent quand soudain, une petite lueur attira leur attention. Jarod s'approcha malgré l'intervention de la jeune femme. Elle posa sa main sur son bras qu'il retira sèchement. « Je t'en prie, non, Jarod, n'y va pas, c'est peut-être un piège. » Il n'avait pas le choix. Dans un coin, Jarod y découvrit un écran d'ordinateur rudimentaire, clignotant lentement. Sur celui-ci, une série de divers messages défilait en un fil tordu de conversations entre ceux qui retenaient son petit garçon. Mlle Parker plissa les yeux pour en saisir le contenu, tandis que Jarod tenta de repérer un détail qui lui aurait échappé. « Eh, tous les deux, venez voir ça », cria Ethan, pointant du doigt sur toute une série de coordonnées géographiques marquées sur une vieille carte accrochée au mur. Tout en continuant leur inspection, ils aboutissaient dans une section isolée de l'entrepôt. Là, ils trouvèrent une porte en verre, presque dissimulée par des piles de caisses vides. Ethan mit son épaule contre la vitre et avec son coude frappa d'un coup sec, le verre vola en éclats. Désormais, le passage était ouvert tout comme leurs yeux. Et là, tout un ensemble d'équipements pour des expériences les attendaient. Des étagères en métal abritaient de nombreux tubes à essai, des seringues et des cahiers. Au milieu de la pièce se trouvait une table recouverte de fils électriques, d'écrans de surveillance et divers dispositifs de sécurité. « Mais qu'est-ce que tout cela signifie ? Dans quoi est-ce qu'on vient de s'embarquer ? » s'interrogea Mlle Parker, son regard passait d'un objet à l'autre. Jarod parcourra rapidement les notes, ses sourcils se fronçaient à mesure qu'il prenait connaissance des expérimentations médicales douteuses, toutes pratiquées sur de très jeunes nourrissons. « Nous sommes sur quelque chose de bien plus grave que ce que nous avions pu imaginer jusqu'ici. »

Tandis que le trio se préparait à évacuer les lieux, l'atmosphère devenait de plus en plus tendue. Mlle Parker qui avait essayé d'ouvrir le dialogue avec le caméléon, attrapa sa main le retenant d'un geste brusque avant qu'il ne franchisse le seuil. Tout à coup, il se retrouva aussitôt face à elle. Des flammes brûlantes dans les yeux. Oui, elle l'incendiait du regard. Elle souhaitait lui parler en privé, loin des oreilles indiscrètes de leur frère. Ses émotions étaient à vif, comme les cordes d'un violon sur le point de se rompre. Son ton était aussi froid qu'accusateur quand elle lui lança :

« Attends, nous devons parler.

- Je n'ai pas le temps pour ça.

- Non, tu vas m'écouter, Jarod. Pourquoi es-tu parti, au petit matin, après avoir partagé la nuit avec moi ? Comment as-tu pu me faire ça ? Comment as-tu pu ?

- Parker, je pensais que c'était la meilleure chose à faire. Pour nous deux.

- La meilleure chose pour qui ? Pour toi, hein ? répliqua-t-elle, d'une voix sarcastique. Et la lâcheté de partir sans même me regarder en face ? Après tout ce qui s'est passé entre nous. Tu me fais l'amour et tu me laisses juste un putain de mot ? Je mérite mieux que ça, Jarod.

- C'est vrai, j'ai été lâche, je n'aurai pas dû agir de cette manière. Mais il fallait que je réfléchisse. Que je prenne une décision.

- Laquelle ? Laisse-moi deviner. C'est fini ?!

- À toi de me le dire, Parker. À toi de me convaincre que notre histoire n'est pas une illusion. Et qu'elle en vaut la peine.

- Je suis désolée, Jarod. Si tu espères que je vais te sauter au cou et te dire ce que tu veux entendre, je ne le ferai pas. Il me semble t'avoir prouvé plus d'une fois que je tenais à toi, a notre histoire. Tu n'es jamais content ! Tu en veux toujours plus et j'en ai plus qu'assez de devoir me justifier ou te rassurer. C'est lassant.

- Ça n'a rien avoir avec le fait de me dire ce que je veux entendre. Je voudrais que tu comprennes que, oui, j'en veux plus. On se voit tous les week-ends. Et que fait-on ? On discute, on fait l'amour, on se balade et on fait encore l'amour, mais toi et moi, on ne parle jamais de notre avenir ensemble. Pourquoi ? »

Leur dispute tempétueuse, mais néanmoins enflammée montait en puissance, les paroles acerbes, volaient dans l'air telles des flèches empoisonnées. Chacun d'eux lançait des accusations cinglantes à l'autre. Leurs visages étaient si proches qu'ils pouvaient sentir le souffle chaud l'un de l'autre. Absorbés par leur échange animé, ni elle ni lui n'entendirent le grincement au-dessus d'eux ou encore les craquements sourds du bâtiment négligé. Le caméléon, littéralement fou furieux, tourna les talons et s'éloigna d'elle lorsqu'il entendit la voix de Mlle Parker crier au loin, il s'arrêta. « Jarod, regarde-moi bien parce que ce sera probablement la dernière fois que tu me verras. Si tu me quittes, je ne te reviendrai pas. » Il se retourna. « Vraiment ? » Quant à elle, elle leva instinctivement la tête vers le plafond. Une poutre massive fragilisée par les années se détachait lentement de son support, se balançant de droite à gauche. Jarod reprit son sérieux, ses yeux s'étaient élargis alors qu'il réalisa le danger, mais avant même que le caméléon ne puisse intervenir, il était déjà bien trop tard. Un bruit assourdissant éclata, suivi d'un éclair aveuglant alors que la charpente céda à la gravité pour s'effondrer avec une férocité fracassante mettant ainsi fin à toute conversation houleuse. « Parker ! Non ! Attention ! » Elle n'avait pas eu le temps de réagir, l'impact brutal la frappa de plein fouet percutant violemment sa tête. « AHHHH ! NOOOON ! » Un cri strident s'était échappé de sa bouche alors qu'elle vacillait avant de s'écrouler sur le sol rugueux, inerte. Le silence retomba, la poussière, elle, se dissipait peu à peu. Jarod et Ethan figés reprenaient aussitôt leur esprit. La saleté les étouffait. Le caméléon, les yeux écarquillés, le cœur en accéléré, pétrifié par l'horreur du moment, se précipita au chevet de la jeune femme, s'agenouillant à ses côtés. Il sentit sa gorge se nouer, les larmes embuer ses iris tandis qu'il se penchait en avant sur elle, cherchant désespérément un signe de vie. Ses doigts essayèrent d'atteindre un pouls. Ethan, lui, chuchota des prières. « Je ne sens rien, il n'y a pas de pouls ! Il n'y a rien ! Il n'y a pas de pouls ! » répéta Jarod en hurlant. Ses bras solides, mais bien qu'impuissant avaient tout à coup enveloppé son corps immobile. Il plaqua la tête de la Miss contre sa poitrine Tendrement, il la caressa. Le contact avec sa peau était si froid et si poisseux que cela le fit frémir. Jarod releva sa main couverte d'une épaisse couche de sang s'écoulant lentement de derrière son crâne, dessinant une flaque écarlate sur le sol. Les gouttes vermeilles se mélangeaient habilement à ses cheveux noirs éparpillés sur son visage. Il toucha sa joue si pâle, l'implorant par de nombreux baisers de revenir à elle. « Parker, mon amour, s'il te plaît. Ne me laisse pas, je t'en prie, Parker, j'ai besoin de toi ! » s'écria le caméléon. Il n'y eut aucune réponse, aucune réaction. Le cœur de Jarod se brisa en mille morceaux. Ethan, lui, tenta de joindre les secours. « Non, mais ce n'est pas possible, je rêve, il n'y a pas de réseau ici ! Foutu téléphone ! » s'exclama le petit frère. Le regard de Jarod observait le corps endolori et inconscient de celle qu'il aimait, la douleur insoutenable était en train de se propager à travers chaque particule de son être. Il approcha son nez de sa chevelure, laissant échapper un sanglot. Pourquoi l'avait-il laissée partir ? « Mon amour, ne m'abandonne pas ! Ne m'abandonne pas ! »