Stiles se sécha les mains. Son visage était crispé d'une drôle de manière, comme s'il s'entêtait à garder une seule expression, complètement indifférente. C'était un effort qu'il s'efforçait de faire. La fatigue qu'il ressentait pesait sur ses épaules, mais il n'en laissait rien paraître. Il pourrait, puisqu'il était seul, dans cette salle de bain. Mais quelque chose, une vieille habitude sans doute, l'empêchait de se relâcher complètement. Etendant la serviette correctement, il observa son reflet dans le petit miroir qui méritait un bon nettoyage… Qu'il ne ferait pas avant un bon moment. Ce n'était pas le temps qui lui manquait, enfin pas toujours.
Ses cernes recommençaient à être visibles et il appliqua avec soin son anticernes habituel. Ses mouvements étaient à la fois doux et rapides et ses doigts témoignaient d'une adresse étonnante, un signe d'habitude. Stiles n'était pas du genre à se plaindre : ses soucis, il les gardait autant que possible pour lui et n'en parlait que lorsqu'il était sur le point d'exploser.
Liam n'était pas réellement un souci… Juste un rappel insidieux de ce qu'il mettait de côté depuis des années. Leur vécu avait beau ne pas être le même et leur histoire, sans doute fort différente, ils avaient un point en commun : leur difficulté à partir. Stiles avait pu s'enfuir, et Liam avait eu besoin d'aide pour cela.
Si Stiles avait été seul, il n'aurait pas cherché à se rendre présentable outre mesure. Enfin, présentable était un bien grand mot. Disons qu'il voulait ne pas avoir l'air d'un zombie alors qu'il avait passé sa nuit à ruminer, à se poser mille et une questions, toutes centrées sur ce jeune homme qu'il avait recueilli comme ça, sans vraiment réfléchir. Lorsqu'il l'avait vu, désemparé, dans ces toilettes, croyant qu'on allait le renvoyer en pâture à ce mec, ce Brett… Il n'avait pas pu se résoudre à l'abandonner. Bien sûr, le renvoyer dans sa famille aurait été préférable, mais Liam n'était plus en contact avec eux ce qui, dans le fond, n'était pas étonnant. Alors, il avait décidé de le prendre en charge, à ses risques et périls. Ignorer sa détresse plus que visible et le renvoyer en enfer n'aurait été rien d'autre que de la non-assistance à personne en danger. Stiles n'était pas du genre à laisser les gens crever dans leur coin. S'il pouvait aider, il aidait. Il avait juste parfois un peu de mal à doser.
Stiles avait passé toute la nuit, en plus de réfléchir, à veiller Liam. Il s'était retrouvé incapable de fermer l'œil, à part pour s'accorder un peu de repos sur le vieux canapé de son petit salon qui, s'il ne payait pas de mine, était au final plutôt cosy. Et le voilà qui s'accordait une courte pause dans sa salle de bain… Où il devrait vraiment songer à faire un brin de nettoyage. Mais il avait si peu de temps ! Telle la petite pile électrique qu'il était, il allait et venait sans arrêt, était partout et nulle part à la fois, toujours occupé à faire quelque chose. En fait, il ne passait pas tant de temps que cela dans son appartement. Il l'évitait, même. La solitude était parfois ce qui lui permettait de se remettre les idées en place, mais à choisir, Stiles préférait se balader seul en ville plutôt que de rester chez lui. Autrefois, il était maniaque : aucun grain de poussière ne survivait plus de quelques heures chez lui, il avait l'œil partout. Puis, son père était mort : Stiles avait alors déraillé à tous les niveaux et s'était mis avec la mauvaise personne. Heureusement, cela n'avait pas duré plus de quelques mois. Et encore, c'était déjà trop.
Là, il avait l'impression de revenir des années en arrière, ce moment où il avait perdu tous ses repères. A cette époque-là, il n'avait pas un sou, tout juste ses papiers et sa rage de survivre. Parce que même si tout allait mal, il n'avait jamais été question pour lui d'abandonner.
Liam ne devait pas abandonner non plus.
Une fois qu'il fut présentable, Stiles retourna rendre visite à son protégé, qui s'était à nouveau assoupi après son petit-déjeuner plus que copieux. Il avait mangé ce qu'il avait pu et si c'était déjà bien, le serveur s'était promis de le pousser à manger davantage. Lorsqu'il parlait de le remplumer, ce n'était pas pour rien.
Stiles s'assit au bord du lit et observa son occupant. L'ange endormi lui faisait de la peine. Beaucoup plus qu'il ne l'avait imaginé de prime abord. Avec une douceur presque irréelle, le serveur hyperactif caressa sa joue là où elle paraissait le moins blessée. Il effleurait toutefois la moindre des blessures qui constellaient son visage et ne pouvait s'empêcher d'imaginer l'autre blond se défouler sur lui. S'il pouvait avouer ne pas avoir vécu la même chose que Liam, Stiles avait subi, lui aussi, une forme de violence. Il savait ce que c'était. Il avait mis du temps, beaucoup de temps à s'en sortir et cela avait été très difficile, même si la rage de survivre l'avait mené à sa vie actuelle. On pouvait dire, en soi, que l'hyperactif s'en était sorti. Pour autant, il garderait des séquelles à vie. Une fois la psyché marquée, c'en était fini de son innocence.
Dans ce cas, que dire de Liam ? Ce n'était pas seulement son mental qui avait été atteint, mais aussi son corps. Pour l'avoir soigné et changé, Stiles savait que certaines de ses blessures laisseraient des cicatrices. La tristesse assombrit son regard déjà peu joyeux. Liam avait eu de la chance, beaucoup de chances. Et du cran, aussi. Il en fallait pour monter ce qui avait l'air d'être un plan bien ficelé. Son petit-ami et lui n'étaient pas venus ici par hasard : d'une manière ou d'une autre, le plus petit avait dû le convaincre d'aller dans ce bar et pas un autre. De plus, il connaissait le code : White Torii. Il avait donc, par conséquent, cherché une solution pour s'en sortir, et c'était chose faite. Liam avait dû affronter sa terreur pour mettre toutes les chances de son côté. Et il avait réussi. Désormais, il était hors de danger. Entre de bonnes mains.
Les meilleures qui soient.
xxx
Liam était réveillé depuis un moment et ce n'était pas la faim qui l'avait sorti de sa torpeur.
Il avait mal.
Son corps semblait s'être complètement éveillé, au point de lui rappeler tout ce qu'il avait subi récemment. Il ne dit rien, souffrit en silence, parce que… Il ne se rendait pas encore bien compte des choses qu'il avait brièvement réalisées un peu plus tôt. Il avait beau se trouver dans un lit, un vrai lit, dans un endroit où la température était agréable, il n'arrivait pas à se détacher de l'idée que Brett pouvait arriver d'un instant à l'autre, accourir au moindre gémissement de douleur de sa part, juste pour lui faire regretter d'avoir brisé le silence. Liam se crispa. Ne devait-il pas sortir de ce lit ? Un frisson presque douloureux le parcourut. Il se souvenait fort bien de ce qu'il s'était passé, savait que ce Stiles l'avait recueilli, tout en lui promettant qu'il ne le renverrait pas vers celui qui l'avait brisé. Mais… Et si Brett le cherchait ? Et s'il réclamait sa présence ? Il avait besoin de lui pour la maison, la cuisine, le ménage, le… Lui. Il avait besoin de Liam pour s'occuper de lui. Liam hoqueta. Il ne voulait pas. Il ne pouvait pas. Sa vision se fit floue alors qu'il se rendit compte qu'il avait fait du bruit, et son côté paranoïaque lui fit se dire que peut-être, Stiles… Avait menti. Qu'il avait profité de son sommeil pour trouver un moyen de contacter Brett et le faire venir avant de le délester de ce fardeau que Liam était conscient d'être.
Malgré la douleur, Liam se ratatina comme il le put sous les draps, qu'il remonta jusqu'à son nez. Dans la manœuvre, il ne put retenir un petit cri de souffrance. L'air de rien, il avait besoin de ce confort qui lui avait si longtemps fait défaut, ce confort qui lui serait sans doute bien vite arraché. A cette idée dont il n'arrivait pas à se défaire, Liam retint un sanglot. Finalement, il n'arrivait pas à se sentir mieux, restait ancré dans le cauchemar qu'était devenu sa vie.
- Hey ! Hey…
La voix de Stiles lui parvint à peine, mais il sentit l'une de ses mains atterrir sur le drap, au niveau de son épaule et l'autre venir se loger dans ses cheveux en bataille. Seule la douceur ressortit de ces petits gestes simples. Toujours la douceur. Liam releva son regard larmoyant en direction de son hôte, qui lui caressa doucement la tête.
- Oh, Liam… Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu as mal quelque part ? Tu as faim ? Soif ? Envie de pisser ? Oh merde… Désolé, je m'emballe et je suis idiot… Bien sûr que tu dois avoir mal. Attends, je reviens !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Il fallut très peu de temps à l'hyperactif pour revenir, un verre d'eau dans la main gauche, un cachet dans la droite. Il aida Liam à se redresser et lui fit prendre le médicament qui, il le prévient, mettrait un peu de temps à faire effet. Le blondinet hocha fébrilement la tête, tout en se demandant pourquoi il avait accepté de prendre cela aussi facilement. Peut-être le serveur l'avait-il drogué et lui… Il avait avalé le comprimé sans discuter, sans chercher à savoir ce qu'il en était réellement. Il n'en pouvait plus, était trop fatigué pour ces conneries. S'il devait finir par être « rendu » à Brett… Que pourrait-il y faire ? Pourquoi lutter ? Et en même temps… Il aimerait avoir son mot à dire. Mais dans le fond, l'avait-il déjà eu ? Il se mordit la lèvre inférieure, retenant comme il pouvait le nouveau sanglot qui montait en puissance.
Stiles posa le verre sur la table de nuit et s'empressa ensuite de savoir s'il avait besoin d'autre chose, avant de comprendre ce qui le tiraillait ainsi. Et même s'il était bien conscient que Liam aurait du mal à le croire, il prit sur lui et lui expliqua en long, en large et en travers les raisons pour lesquelles il resterait ici, dans cet appartement, avec lui. Bien sûr, ce serait le temps de trouver quelque chose de mieux. Même si le serveur n'était nullement dérangé par sa présence, Liam se devait d'avoir son propre chez lui, son refuge. Il en avait le droit. Enfin, cette question-là n'était pas à l'ordre du jour, loin de là. Ainsi, il se concentra sur le point sensible du blondinet : Brett. Pour être honnête, il n'avait aucune nouvelle de lui et n'avait pas cherché à en avoir. Sa priorité, c'était le petit Liam au regard d'agneau qui lui brisait le cœur.
Après avoir provisoirement rassuré le blondinet, Stiles lui mit plusieurs choses à disposition : de quoi boire, de la nourriture et de quoi s'occuper. De son côté, il avait du ménage à faire et surtout… La vaisselle. Son évier était rempli du fruit de sa procrastination. Faire manger son invité, c'était bien sympa, mais il était désormais à court de vaisselle décente.
A peine commença-t-il à s'y mettre que son téléphone se mit à sonner dans sa poche. Stiles leva les yeux au ciel. Bien sûr. Le meilleur timing. Il fallait qu'on l'appelle le seul moment où ses mains étaient recouvertes d'eau, de mousse, et un peu de restes gras de nourriture. Se les rinçant à la vitesse de la lumière, le serveur attrapa un torchon et le balança sur la première chaise venue lorsqu'il jugea ses doigts assez secs. Il se saisit alors de son cellulaire et décrocha juste avant de rater l'appel.
- Ouais, Stilinski à l'appareil, lâcha-t-il mécaniquement.
- Stiles, c'est moi.
Un sourire sincère se peignit sur le visage de l'hyperactif.
- Mon loup préféré ! S'exclama-t-il.
- Arrête de m'appeler comme ça, soupira son interlocuteur, c'est ridicule.
- C'est pourtant ce que tu es, Derek, rétorqua le serveur. Enfin, loup, pas ridicule. Sinon, quel bon vent t'amène ? Je te signale que tu m'as dérangé en pleine vaisselle.
Enfin oui, mais pas vraiment. Parce que dans le fond, son collègue un peu trop beau pour son bien ne le dérangeait jamais. Il était l'un des seuls à pouvoir l'appeler à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, et pas juste parce qu'il lui plaisait. En fait, Derek n'imaginait pas le moins du monde l'importance qu'il avait pour Stiles. Ce dernier s'amusait des petits surnoms qu'il lui donnait très régulièrement et de ce jeu de séduction un peu nul auquel il s'adonnait. Sachant très bien que l'agent de sécurité, qui n'était autre qu'un loup-garou, n'était pas le moins du monde intéressé par lui ni par qui que ce soit, il jouait sans se faire d'illusions, en son âme et conscience. S'il souffrait de cela ? Peut-être un peu. Mais cela ne l'empêchait pas de vivre.
- Il faut qu'on parle.
