Stiles n'avait jamais été contre le fait de recevoir Derek chez lui, au contraire : il en avait toujours rêvé. Mais pour le coup, il aurait bien voulu que cela ne soit pas le cas. Déjà, en accueillant Liam, il avait ouvert les yeux sur le bordel ambiant et notamment sur le monticule de vaisselle dans l'évier. Le salon était présentable, heureusement. C'était ça, de passer le moins de temps possible à son appartement. Il venait, faisait ce qu'il avait à faire – se laver, manger, dormir – et puis il s'en allait, travaillait, sortait. Ainsi, il se retrouvait à faire un brin de ménage en express et la vaisselle était nickel. Pourquoi diable Derek avait-il insisté pour venir le voir ? D'un côté, c'était sympa et il appréciait la chose, mais d'un autre… C'était frustrant parce que ce loup mal luné n'avait rien voulu lui dire au téléphone. Bon, il n'avait jamais été du genre très loquace, mais… D'ordinaire, il lui disait le minimum. Là, rien.

Stiles fut toutefois heureux parce qu'il réussit à faire son ménage assez rapidement et efficacement, si bien que son appartement fut rapidement potable. Sa chambre était dans un état acceptable et de toute manière, il choisit de ne pas y passer pour l'instant, laissant son protégé se reposer. Protégé qu'il devrait d'ailleurs continuer de briefer, parce qu'il n'avait pas encore réellement compris la situation dans laquelle il se trouvait. Il était libre. Stiles savait qu'il mettrait du temps à s'en rendre compte et c'était pour cela qu'il comptait accélérer les choses. Liam était jeune, il avait toute la vie devant lui et déjà que sa reconstruction prendrait du temps, il tenait au moins à lui faciliter la tâche de la première étape en lui faisant comprendre qu'il était tranquille. Les choses prendraient du temps, toutes autant qu'elles étaient, mais Stiles savait être patient et même s'il connaissait à peine le petit blond, hors de question pour lui de l'abandonner. Il avait toujours eu tendance à beaucoup se donner pour les autres, et cette vieille habitude ne partait pas. Il se savait trop gentil, tout comme il était conscient qu'on pouvait le rouler. Souvent, Derek était là pour lui ouvrir les yeux. Lorsqu'il était absent, c'était son amie Lydia qui se chargeait de cela. Le vigile et la serveuse le protégeaient, à leur manière – même s'il ne voyait pas les choses sous cet angle-là. En fait, Stiles avait l'impression d'être parfois… Materné. Il avait le sentiment d'être le débile de service à qui on mâchait le travail parce qu'il n'était pas capable de le faire tout seul. La réalité était toute autre, mais… Stiles avait un défaut, et pas des moindres : il ne communiquait pas assez. Presque jamais, en fait. L'ironie de la vie voulait qu'il pousse les gens à parler de leurs malheurs, mais il n'appliquait pas ce conseil. Forcément, ce qui l'énervait ou l'ennuyait pouvait parfois être difficile à deviner, sauf quand il l'exprimait par inadvertance en faisant tout autre chose. Ses aveux partiels étaient donc la plupart du temps inconscients. Mais il était comme ça et à vrai dire, on ne l'avait jamais poussé à faire autrement ce qui, à ses yeux, voulait dire que c'était la bonne chose à faire. Inutile donc de chercher à changer, n'est-ce pas ?

Stiles eut un sursaut un peu trop fort lorsque la sonnerie retentit, un peu comme s'il était surpris qu'elle soit aussi bruyante, ou comme s'il ne l'avait jamais entendue. A vrai dire, rares étaient les fois où il devait recevoir et plus généralement, où quelqu'un venait sonner. En général, le silence régnait. Le cœur battant un peu vite, l'hyperactif inspira et expira longuement afin de ne pas gêner Derek avec un rythme cardiaque trop élever. Le but n'était pas d'attirer l'attention sur lui, surtout dans cette situation. Derek venait lui parler de quelque chose qui semblait lui tenir à cœur, et ça s'arrêtait là. Il pourrait peut-être s'amuser à le dragouiller comme à son habitude, mais pas la peine de l'embêtait avec des choses dont il se fichait éperdument. Comme son état, ses angoisses, ses incertitudes. Ces choses-là n'intéressaient pas un mec comme Derek.

Lorsqu'il fut prêt – assez rapidement grâce à son incroyable sens de l'adaptation –, Stiles partit ouvrir la porte et esquissa un sourire sincère à l'attention du loup-garou qui lui faisait face. L'air de rien, malgré son indifférence à son égard, Stiles adorait sa présence et le simple fait de le voir lui faisait du bien.

- Salut mon loup, roucoula-t-il en l'invitant à entrer d'un geste.

Derek leva les yeux au ciel en guise de salutations et s'exécuta, laissant son hôte refermer la porte rapidement. Stiles l'emmena dans le petit salon et avant même qu'il ait le temps de dire quoi que ce soit, le loup ouvrit le bal des sermons.

- Tu n'as pas regardé à travers l'œillère de la porte avant de m'ouvrir, lâcha-t-il en jetant un œil sur la décoration presque inexistante.

- Je savais que c'était toi, répondit tout naturellement Stiles sans se départir de son air jovial.

- Et si ça ne l'était pas ? Lui demanda Derek en se retournant vers lui.

Son visage, fermé comme à son habitude, exprimait quelque chose d'assez inédit, si inédit que l'hyperactif était incapable de le nommer. En tout cas, il arborait un air extrêmement sérieux, comme si quelque chose le chiffonnait. Stiles n'en fit pas cas et haussa les épaules. A vrai dire, il s'en fichait. Il aurait dit bonjour à la personne et cela se serait arrêté là. En voyant une telle désinvolture, ou plutôt une telle insouciance, Derek lâcha un soupir bruyant.

- Assieds-toi, l'invita Stiles, sans se départir de cet air jovial. Tu veux boire quelque chose ?

- Non.

Une réponse simple, laconique, à la Derek Hale, qui s'était installé sur le fauteuil du salon. L'hyperactif, face à son refus de boire quoi que ce soit, prit place sur le petit canapé miteux non loin de lui. Il fit une espèce de grimace face au silence et à l'attitude toujours si austère du loup, avant d'hausser les épaules. C'était aussi pour ça qu'il l'aimait, non ?

- Et ben du coup… Je t'écoute. Dis-moi ce qui nécessitait… De se voir en face à face.

Pas que ça le dérangeait, simplement… Stiles avait toujours été quelqu'un cherchant à être efficace. Pour lui, on pouvait tout dire par téléphone, ce qui évitait de perdre du temps à se déplacer. Se voir était toujours sympa, mais ce n'était pas le but de Derek. Lui, il avait simplement quelque chose à lui dire. Rien de plus.

Derek fit un signe de tête vers le court couloir menant à sa chambre.

- Il est toujours chez toi ?

Devinant que son collègue parlait de Liam, Stiles hocha simplement la tête.

- Comment il va ? S'enquit le vigile sans que son expression faciale ne change d'un iota.

- Aussi bien que possible, répondit prudemment l'hyperactif.

Parce qu'en soi, il ne pouvait pas trop s'avancer. Ainsi, cette réponse lui paraissait juste. Liam se reposait dans sa chambre. Il lui faudrait du temps, avant de comprendre qu'il était sorti d'affaires, plus encore pour se reconstruire. Et encore, rien n'était gagné. Certaines victimes de violences, même séparées de leur agresseur, ne se remettaient parfois jamais de ce qu'elles avaient vécu. Néanmoins, Stiles croyait en lui, alors même qu'il ne le connaissait pas vraiment. Il faudrait qu'il assure et fasse de son mieux pour l'aider, c'était certain. Toutefois, il fronça les sourcils.

- Après, tu pouvais me dire ça par téléphone sans aucun problème, souleva-t-il. Si tu voulais prendre de ses nouvelles, un message aurait suffi.

Oui, parce que Derek n'était pas friand d'appels, ni de grandes discussions en général. Parler et entretenir des contacts constants avec les autres n'avait jamais été quelque chose qu'il aimait faire. Cet homme était un solitaire qui… Faisait partie d'une meute. Il était particulier à tous les niveaux, et cela faisait sans doute partie de son charme, auquel Stiles avait toujours été trop sensible.

- Si je t'avais dit au téléphone ce pourquoi j'avais besoin de te parler, tu n'aurais même pas cherché à m'écouter, soupira Derek.

- C'est mal me connaître, s'étonna Stiles.

Le loup le regarda d'un air bien peu convaincu.

- Si je t'avais appelé en te demandant de ne pas venir travailler ce soir, tu m'aurais écouté ?

Stiles écarquilla les yeux.

- La réponse est non, enchaîna Derek, parce que tu aurais tout de suite raccroché sans chercher à savoir pourquoi je t'aurais demandé ça. Par message, c'est pareil. Tu m'aurais ignoré.

L'hyperactif ne savait pas ce qui l'étonnait le plus : la demande que Derek semblait lui faire, ou bien le fait qu'il enchaînait non pas les mots, mais les phrases. C'était un record !

- Oui, bon peut-être, mais… C'est vraiment ça que tu voulais me dire ? Enfin… Me demander ? Genre t'es venu… Pour ça ? Ne te méprends pas, je suis très content de te voir, là n'est pas le souci, mais c'est… Con, reprit Stiles en clignant des yeux à plusieurs reprises.

- L'avantage, c'est que je vais pouvoir t'expliquer pourquoi sans que tu puisses fuir, rétorqua tout naturellement Derek.

- Ah non attends, attends, attends. Tais-toi un peu. J'ai pas l'habitude de t'entendre parler autant, fit Stiles en faisant la gestuelle signifiant « calmos » avec ses mains.

N'importe qui aurait ri, ou au moins soufflé du nez, mais l'expression de Derek ne changea pas. Si la remarque l'avait amusé, cela ne se voyait pas. Il était comme ça, préférait garder la plupart de ses émotions et ressentis pour lui. Il s'agissait d'une habitude que Stiles considérait comme pourrie, mais il faisait la même chose – autant que possible. Mais c'était bien moins efficace face à un loup-garou, alors il redoublait d'efforts.

- Je ne veux pas que tu viennes travailler ce soir. Tu vas rester chez toi, Stiles.

Là, c'était clair. Le loup lui exprimait sa demande sans tourner autour du pot et la lui répétait, histoire que Stiles comprenne bien l'information avant qu'il lui explique.

- Bah non, dit simplement l'hyperactif, qui ne voyait absolument pas où diable il était allé chercher cette idée.

- C'est dangereux.

- Tu pourrais être plus clair, Sourwolf ? Demanda le serveur, les sourcils froncés.

- Le type d'hier, le mec du gamin.

Derek se contenta de ces mots pour l'instant. Stiles avait un défaut : celui de toujours vouloir aller trop vite. En lui donnant les informations au compte-goutte, il était assuré de le laisser gamberger assez longtemps – quelques secondes – pour qu'il capte certaines choses.

De son côté, Stiles était perplexe et tiqua au mot « gamin ». Il était vrai que Liam semblait très jeune, mais il devait avoir à peine deux ou trois ans de moins que lui.

Derek reprit :

- Il t'en veut. Il fait une fixette sur toi.

- Et alors ?

- Stiles, tu ne comprends vraiment pas où je veux en venir ?

Si, il comprenait, mais c'était absurde.

- Il se débattait comme un diable et ne faisait que parler de toi. Il est persuadé que tu as emmené le gamin.

C'était vrai et même s'il s'était passé le contraire, Brett aurait tout de même été persuadé de ce fait. Il lui fallait un coupable, et il l'avait trouvé… En la personne de Stiles.

- Il va revenir, ce soir.

- Oui, peut-être, mais…

- Stiles, ne rends pas les choses difficiles, s'il te plaît.

- Mais je crains rien, Sourwolf.

Stiles ne croyait pas devoir prononcer ce genre de paroles face à Derek un jour, mais c'était le cas. Il était obligé de le… Rassurer et ça, c'était inédit. Derek n'avait pas besoin d'être rassuré, parce qu'à ses yeux, il ne s'inquièterait jamais d'aucune manière à son sujet. Et pourtant, il lui demandait de rester cloîtré chez lui, parce qu'il y serait en sécurité. Son cœur rata un battement et un frisson étrange le parcourut. Oui, dans un sens, Derek se faisait du souci pour lui, et… Bizarrement, ça ne lui paraissait pas normal. C'était comme s'il n'avait pas la bonne attitude. Alors oui, c'était agréable, mais Stiles avait réellement l'impression que Derek devrait se foutre de ce qui pourrait lui arriver.

Face à lui, le loup prit un air particulier : un mélange entre sidération et lassitude. Il attendit, digérant les mots de Stiles, puis lâcha :

- Je crois que tu ne te rends pas compte.

- Si, objecta l'hyperactif. Je comprends ce que tu me dis, mais… Si je fais ça, c'est con. Et puis, il ne va peut-être pas revenir. Je pense que tu t'enflammes un peu trop pour… Pas grand-chose.

Une lueur étrange naquit dans le regard bleu-vert de Derek et celui-ci rétorqua d'une voix profonde :

- Stiles, s'il te plaît, reste chez toi. Fais ça pour moi.

L'hyperactif sentit un frisson le parcourir, différent du précédent et soupira. Jamais Derek ne lui avait dit quelque chose de ce genre.

- Me prends pas par les sentiments, maugréa-t-il.

Parce que ça marchait beaucoup trop bien sur lui. Et puis c'était Derek. Il ne pouvait rien lui refuser. Pourtant il en mourrait d'envie parce qu'il continuait de trouver ça complètement stupide. Pour lui, ça ne tenait pas debout. La seule chose qui lui paraissait tristement « logique », c'était le comportement de Brett. Bien sûr qu'il était furieux de ne pas avoir son punching-ball sous la main, qu'on le lui ait retiré. Forcément, il fallait qu'il en veuille à quelqu'un, mais de là à revenir au bar et à chercher à lui faire du mal, à lui… Complètement idiot, pensa-t-il. Stiles était de ces gens insignifiants qui passaient rapidement inaperçus et il en avait l'habitude. Alors, ce taré l'oublierait rapidement. Concernant Liam, c'était une toute autre histoire, mais il allait falloir qu'il s'y fasse. Jamais il ne poserait à nouveau ses mains sur lui.

- Juste ce soir, hein ? Fit Stiles en soupirant.

Non, réellement, il ne pouvait rien refuser au loup qui lui faisait face. Mais son regard ne le convint pas, comme si la demande qu'il lui avait faite… Était incomplète. Et alors, il comprit.

- Un jour de taff manqué, je veux bien, mais plus ? Je ne peux pas. Je gagne pas des masses, tu sais…

C'était drôle comme il changeait d'attitude face à Derek. Si c'était quelqu'un d'autre, il ne l'aurait pas écouté et aurait enchaîné sarcasmes et moqueries gentillettes, sans faire aucune concession. Mais le loup avait sur lui un pouvoir que lui seul détenait.

- Tu préfères perdre un peu de ton salaire, ou la vie ?

- Oh, t'exagères pas un peu ? Râla Stiles, qui ne comprenait réellement pas pourquoi Derek insistait autant à ce sujet.

- Stiles, tuer, c'est ce que finit toujours par faire ce genre de personnes, rétorqua le loup d'un ton on ne peut plus sérieux.

Parce que Stiles n'était pas là, la veille, lorsque Derek s'était retrouvé à devoir le maîtriser avant de le sortir du bar. Il n'imaginait pas les mots qui avaient été prononcés, la violence dont avait fait preuve Brett. Derek, lui avait bien pris conscience de tout cela et était du genre à ne pas prendre les choses à la légère. Dans un avenir proche, Brett aurait fini par tuer Liam. Et hier, il avait eu le regard fou lorsqu'il parlait du serveur qui, selon ses dires, lui avait volé ce qui était à lui. Il avait hurlé, proféré des menaces on ne peut plus claires, décrivant tout ce qu'il lui ferait et pas seulement sa manière de le tuer.

Alors oui, Derek préférait prendre ses précautions. Il le fallait. Malheureusement, il ne pouvait pas faire grand-chose de plus. Prévenir la police ne servait à rien : son oncle travaillant dans ce système lui avait expliqué la plus grosse incohérence et l'idiotie des commissariats. De simples menaces ne menaient à aucune procédure, à moins qu'elles soient répétées. Le plus souvent, elles étaient exécutées avant d'être réitérées. Le système laissait les victimes mourir et les assassins s'en sortir.

- Ouais mais moi je suis pas…

Stiles ne termina sa phrase que par un vaste geste de la main. Il avait perdu sa jovialité de façade, ainsi que cette incrédulité surprenante. L'hyperactif avait cette fâcheuse tendance à ne pas prendre sa sécurité au sérieux, alors Derek le faisait pour lui, malgré lui.

- Peu importe, préviens Argent et je te tiendrai au courant pour le reste, lui dit-il.

Stiles le regard, l'expression indéchiffrable, quoi qu'un peu frêle. Mais son odeur parlait pour lui et le loup en Derek y réagissait. L'humain gardait quant à lui un air impassible. C'était plus facile et plus civilisé que ce qu'il avait en tête.

- Pourquoi ? Finit par demander l'hyperactif d'une voix dans laquelle son assurance passée avait déserté.

Pourquoi cette conversation ? Pourquoi cette demande ? Pourquoi insister autant ? Pourquoi s'inquiéter ?

- Parce que tu n'as aucun instinct de survie, répondit lentement Derek en se levant.

La discussion était close sur ces mots à double-sens où de nombreux aveux flottaient. Stiles resta pantois et se rendit à peine compte que le loup s'en allait. La porte claqua doucement, le laissant seul avec ses pensées et questionnements.