Stiles tournait en rond. Les paroles de Derek ne le préoccupaient pas tant que ça, tout simplement parce qu'il continuait de trouver ça aussi invraisemblable qu'idiot. Il se doutait bien que ce Brett était timbré – il fallait l'être pour frapper sa moitié et chercher à résister à Derek –, mais quand même. Il avait certainement oublié son visage et dit cela sous le coup de la colère. Oui, le principal problème de l'hyperactif, c'était sa conscience aléatoire du danger et son manque d'instinct de survie. Il l'avait pour les autres, mais pas pour lui. Il ne s'était jamais accordé l'importance qu'il accordait à ses pairs et honnêtement, cela ne lui avait jamais causé de problèmes. Il survivait, c'était l'essentiel et n'avait pas l'impression d'avoir besoin de plus. Il n'avait même pas de réel but dans la vie à part payer ses factures et ne voyait pas plus loin que jusqu'à chaque fin de mois. Il le voulait, bien sûr, mais sa routine s'était installée et… Il en avait besoin. La stabilité de cette situation l'aidait à ne pas perdre pied. Car si Stiles s'était sorti de l'enfer, il n'en avait pas pour autant complètement guéri. Il y allait doucement, à son rythme, sans toutefois faire tout ce qu'il fallait pour aller mieux.
Son travail était, à l'heure actuelle, son pilier.
Et forcément, sans lui, son cerveau commençait déjà à penser différemment. Il avait beau se dire que c'était provisoire et ne durerait sans doute pas plus d'un jour ou deux, Stiles était déjà en train de penser à une idée pour le moins mauvaise. Une idée qu'il laissa tomber à contrecœur. Si Derek lui avait expressément demandé de ne pas venir travailler… Ce n'était pas pour rien. Et puis Stiles avait fait la connerie de lui donner sa parole, bien qu'il continue de trouver la précaution inutile. Mais décevoir d'une quelconque manière l'homme pour qui il éprouvait une certaine attirance était une chose inenvisageable. Alors non, il n'irait pas se pointer par surprise au travail, narguant Derek de son habituel air aussi pétillant qu'espiègle.
Maintenant, restait à savoir comment il allait se retrouver à occuper sa soirée, lui qui était habitué à travailler et se coucher tard. Être casanier ne correspondait pas à l'hyperactif et s'il n'avait pas accueilli Liam chez lui, sans doute serait-il sorti une partie de la nuit, juste pour penser à autre chose. S'occuper, sans avoir à se torturer l'esprit. Et puis, une petite lumière s'alluma en lui.
Liam.
- Oh bordel, grommela-t-il avant de passer une main dans ses cheveux.
Avec Derek, il avait complètement oublié son protégé. Le loup-garou qui lui servait de crush avait le chic pour monopoliser toute son attention, et pas seulement à cause de son corps magnifique dont les vêtements toujours bien ajustés ne cachaient rien de ses courbes proprement masculines. Et ses fesses, ses jolies petites fesses qu'il rêverait de mordiller, en tout bien tout honneur évidemment… Stiles secoua la tête et lutta pour diriger ses pensées vers son protégé. Derek était agréable à sa manière, magnifique à regarder et il fallait avouer que sa pseudo inquiétude le perturbait. Mais Stiles devait réorganiser ses priorités. Lui, il allait bien. Pas Liam.
Lorsqu'il entra précipitamment dans la chambre sans avoir toqué, il vit le blondinet sursauter et lui jeter un regard apeuré. Stiles s'accroupit devant le lit bas et s'excusa platement. Il était toujours un peu brusque et maladroit… Et le jeune homme allait devoir s'y faire, sans toutefois confondre ça avec des accès de violence.
- Comment tu vas ? S'empressa-t-il de lui demander ensuite.
Seul le regard perdu et un tantinet apeuré de son protégé lui répondit. Même s'il savait pertinemment que Liam ne serait pas à l'aise avec lui en si peu de temps, une partie de lui l'espérait. Disons que cela rendrait les choses plus faciles. Mais rien dans cette situation ne l'était. Stiles adorait aider, là n'était pas le problème, d'autant plus qu'il avait pris les choses en main – et sorti Liam de son enfer – de son propre chef, avec les responsabilités qui allaient avec. Son problème, c'était son incapacité à gérer correctement sa propre vie. Il ne s'en sortait pas si mal, cependant pas assez pour aider sereinement un jeune homme à plein temps. Et puis Derek le privait de son pilier, son défouloir, son point de stabilité : son travail ! Stiles était du genre actif et rester rassis dans son canapé ou bien vagabonder dans son appartement ne lui plaisait pas le moins du monde. Inutile. Il se sentait inutile. Mais le blondinet à côté de lui était là, lui aussi. Il avait besoin d'aide et Stiles ne pouvait décemment pas faire comme si tout allait bien se goupiller en quelques heures seulement, d'autant plus que dans un sens, il se reconnaissait en lui.
Parce qu'il s'était lui aussi retrouvé complètement désemparé, à fuir un petit-ami toxique – et encore, le mot était faible. Cette porte, par laquelle il était sorti, était à l'origine de son nouveau mode de vie. Toujours à bouger, toujours à faire quelque chose d'utile, toujours à vouloir faire plus. Jamais rester statique. Car l'immobilité était pour lui le gage d'un plongeon certain.
Concentre-toi. Tu n'es pas le centre du monde. Reconcentre-toi sur lui. Il a besoin de toi pour l'instant. Stiles se força alors à sourire et à s'ancrer dans la réalité. Hyperactif, il divaguait souvent, pour la simple et bonne raison qu'il ne prenait pas son traitement de la manière la plus régulière possible. A vrai dire, il l'avait zappé ce matin. Et peut-être hier soir aussi. Alors il passait du coq à l'âne et l'ordre de ses priorités s'en retrouvait bouleversé sans qu'il ne le veuille véritablement.
- Je… Je sais pas, finit par lâcher Liam d'un air gêné.
Stiles se maudit. Bien sûr, il était trop… Trop lui. Maladroit, un peu brutal dans sa manière de parler, et sans doute avait-il un regard un tantinet fou, de par cette énergie en lui qu'il s'efforçait de contenir. Décidément, ne pas pouvoir se dépenser comme il l'entendait avait des conséquences déplorables. Lui qui se devait de rassurer son protégé et lui faire sentir qu'il était en sécurité démarrait bien mal là-dessus. Et si sa réponse était belle et bien parlante sur plusieurs plans, cela ne rassura pas vraiment l'hyperactif qui se promit de prendre son traitement tout de suite après leur entrevue.
- Ecoute, je sais que je suis un peu maladroit et que j'arrive souvent… Comme ça, mais je te jure que je vais faire un effort. Je suis hyperactif, tu vois, et… J'ai pas pris mon traitement aujourd'hui alors je suis un peu speed. Mais pas méchant. J'ai jamais été méchant. Je suis pas violent. Un peu bourru dans mes gestes mais jamais je te ferai du mal alors, euh… Je peux comprendre que tu aies des réserves par rapport à moi, mais… Faut pas, hein. Je sais, c'est plus facile à dire qu'à faire d'autant plus qu'en soit, tu me connais ni d'Eve ni d'Adam, mais…
Et il continua, continua, continua. Sa tirade, sortant sans aucune limite de son esprit fusant à mille à l'heure, eut le don de faire oublier un temps à Liam le semblant de peur qu'il avait éprouvée à l'entrée de Stiles. Parce que, eh bien… Stiles avait toujours eu l'étrange talent de perdre ses interlocuteurs tant son débit de parole pouvait dépasser l'entendement. Qu'il ait pu discuter avec Derek et laisser celui-ci exposer ses arguments tenait du miracle ! Ou pas. En réalité, le loup avait toujours eu l'occasion de parler à sa convenance en sa présence parce qu'inconsciemment, l'inclination secrète de Stiles envers sa personne lui laissait une certaine place. Derek n'était en aucun cas au courant : il pouvait sentir les phéromones d'excitation, pas les sentiments. Et puisque Stiles s'interdisait, la plupart du temps, de laisser son charme l'atteindre, il n'avait aucun souci à se faire à ce niveau-là. Les sentiments qui restaient ancrés en lui étaient assez profonds pour que l'hyperactif ne s'arrête pas à son corps d'Apollon. Un semblant d'envie revenait parfois, mais il savait la faire taire. A force, c'était devenu facile.
Enfin, il finit par se taire et contempla, perplexe, la figure adorablement mignonne et perdue de son protégé. Au départ, il se demanda ce qui aurait pu provoquer cette réaction pour le moins singulière. Et puis, se rappelant de sa nature et de sa tendance à parler à tort et à travers, il grimaça.
- Désolé… J'ai peut-être oublié de te prévenir que mon hyperactivité est parfois difficilement contrôlable et que je peux entretenir un tas de conversations à moi tout seul et… Ouais, je vais me taire, c'est mieux.
Liam hocha timidement la tête. Pour répondre à quoi ? Stiles n'en avait aucune idée. A tout, peut-être. Essayant de se limiter au maximum pour éviter de l'effrayer à nouveau, l'hyperactif lui dit ceci :
- Cette fois, promis, je vais faire court. En résumé… Tu peux me faire confiance. Tu es libre, je suis – jusqu'à preuve du contraire – sympa et je veux juste que tu sois bien alors… Attends-toi simplement à ce que je cumule les maladresses mais n'y vois jamais quelque chose de violent ou, plus généralement, quelque chose contre toi. Je suis juste nul.
Il se gratta l'arrière de la tête d'un air nerveux avant de reprendre :
- Tu aimes les macaronis au fromage ?
Le brusque changement de sujet, qui n'avait strictement aucun rapport avec le précédent, perdit Liam plus qu'autre chose. Mais il hocha la tête, sans avoir réellement écouté la question. Stiles parlait tant que c'en était désarmant. Et s'il avait saisi le principal de ses élucubrations, le reste lui paraissait flou. Il lui parut d'autant plus brumeux que l'hyperactif – Liam ne pouvait définitivement pas douter de ce fait – continua de déblatérer par rapport à la cuisson et l'accompagnement des pâtes, ainsi que du côté gras de ce plat, arguant qu'il était d'ordinaire contre ça parce qu'il valait mieux manger sainement – hein ? – mais que pour lui, il allait faire une exception car il lui fallait reprendre des forces, du peps et que…
Non, définitivement, Liam fut incapable d'écouter et de retenir la suite. Mais ce n'était pas grave, parce qu'il commençait doucement à se détendre et à accepter l'idée qu'il pouvait réellement arrêter de se méfier outre mesure de ce drôle de personnage qui parlait avec passion et semblait ne pas pouvoir s'arrêter. Doucement, l'image de Brett s'effilocha dans son esprit. Pour l'instant, il pouvait l'oublier. Il y arrivait. Sans doute pas pour longtemps mais pour la première fois, il cessa d'avoir peur et sentit ses muscles se détendre. Stiles ne lui avait-il pas dit que c'était terminé ? Liam avait réellement envie d'y croire et surtout, il en avait diablement besoin. Avec une douceur contrastant avec sa maladresse et le débit effarant de ses paroles, l'hyperactif prit soin de lui, changea les pansements de certaines de ses blessures tout en continuant de mener la conversation. Liam le laissa faire sans se crisper, sans chercher à le retenir. Il finit même par rire doucement à l'une de ses blagues. Stiles le mettait réellement en confiance, sans qu'il comprenne réellement comment il s'y prenait, mais peu importait. Ça allait. Et ça, c'était tout nouveau.
