Stiles était un être complexe, très partagé. D'un côté, ne pas travailler l'emmerdait sincèrement : non seulement il était du genre très actif mais en plus, il avait tendance à vouloir se surpasser chaque soir, chaque fois que le bar ouvrait ses portes. Nul doute qu'il était l'employé modèle, puisque les seules fois où il s'était permis de prendre des congés avaient été lorsqu'il avait chopé de sales maladies d'hiver. Son anniversaire ? Il n'en parlait jamais. Noël ? Il n'avait personne avec qui le fêter – plus de famille. Et encore pour cela, il fallait qu'il lui manque la force de se lever pour qu'il décide de ne pas travailler. Autrement, l'hyperactif avait tendance à titiller méchamment ses limites, sans réellement s'en rendre compte. Mais d'un autre côté… Rester chez lui l'arrangeait.

Dans un sens, il n'aimerait pas savoir Liam seul. Pas parce qu'il n'avait pas confiance en lui et qu'il avait peur de se retrouver trompé par sa bouille d'ange, même si en soi… Il était vrai qu'il ne le connaissait pas. Cependant, Liam n'étaient pas de ceux qui étaient nés de la fourberie, ceux qui feignaient la douleur pour profiter des gens naïfs. Stiles reconnaissait ses faiblesses et cassures, pour en posséder des semblables. Certaines entachaient moins sa psyché avec le temps, mais elles lui avaient autrefois laissé le cœur et la psyché à vif. De toute manière, le blondinet ne pouvait pas feindre les bleus, les ecchymoses, les marques de violences subies. Rien de tout cela n'était du maquillage, encore moins une quelconque mise en scène : il n'y avait rien de plus vrai que l'étincelle brisée dans son regard céruléen. Ça, c'était quelque chose que l'on ne pourrait jamais recréer artificiellement. Cette étincelle, elle n'apparaissait que dans les yeux d'une personne détruite. Stiles était bien placé pour le savoir.

Ainsi, il fut aux petits soins avec son invité, qu'il gâta. Devenu un excellent cuisinier par la force des choses, il lui prépara un bon repas et l'aida à se déplacer jusqu'au salon une fois qu'il eut fait le ménage de manière convenable dans cette pièce. Sur la table basse, leurs deux plateaux étaient déjà prêts, il ne manquait plus qu'eux pour se régaler.

- Doucement, intima-t-il à son invité.

Liam avait du mal à marcher. Si la veille, il se déplaçait seul et sans aide dans le bar, c'était par nécessité. Maintenant qu'il s'était un peu reposé… C'était comme si son corps épuisé lui faisait payer tous les efforts qu'il avait fournis pour faire illusion. Il était lourd, chaque mouvement lui faisait mal… Liam s'en rendait compte lui-même et Stiles voyait bien que cela le gênait. Néanmoins… Il n'y avait aucun mal à accepter de se reposer sur quiconque pouvait l'aider.

Maintenant, il serait bien qu'il commence par appliquer cet adage le concernant.

Sauf que Stiles était dans le déni, tout simplement parce qu'il avait appris à se débrouiller seul tout en aidant les autres. Un jour, la bonté de son cœur le tuerait…

Lorsqu'il eut aidé Liam à s'installer confortablement sur le canapé, il étala un plaid sur ses jambes et s'assit enfin à son tour. Se doutant fort bien que son invité n'avait pas forcément envie de parler pour l'instant, Stiles décida de le mettre à l'aise en allumant la télévision. Il garda le volume assez bas, histoire qu'il s'agisse plus d'un fond sonore qu'autre chose.

Et bien sûr, Stiles avait commencé à l'analyser pour s'occuper de lui au mieux. C'était encore un peu difficile tant il le connaissait peu et tant il avait passé peu de temps avec lui, mais une chose se révélait certaine : Liam était timide. Définir son degré de timidité n'était pas aisé. Il verrait, en apprenant à le connaître. La seule chose que Stiles savait, c'était que la violence créait le mutisme, la peur, un renfermement sur soi-même. Ses conséquences étaient multiples et une timidité maladive pouvait en être. Pour l'instant, il ne lui semblait pas que Liam en était à ce stade-là et dans un sens, ça le rassurait. Bien sûr, il faudrait au blond du temps pour remonter la pente, mais Stiles était persuadé qu'il y arriverait sans problème. De toute manière, il était toujours empli d'espoirs pour tout, le boute-en-train de l'équipe du bar, sans arrêt en train d'encourager les autres, les pousser à donner le meilleur d'eux-mêmes…

De son côté, Liam avait du mal à toucher à son assiette. Pas que ce que lui avait préparé Stiles le dégoûtait, ça avait même l'air très bon, mais… Il était toujours dans une espèce d'état transitoire. Quelque chose de flou. Son avenir ? Malgré le fait qu'il se trouve ici, dans cet appartement… Malgré le fait que son hôte n'ait pas encore levé une fois la main sur lui… Liam n'arrivait pas à se dire que la vie pouvait continuer ainsi. Passer à autre chose ? Il en était encore loin. S'il avait brièvement réalisé qu'il était libre… Il n'en avait pas réellement pris conscience. Ce soulagement qu'il avait ressenti était si éphémère ! Et là, c'était comme s'il avait disparu.

Comme si, d'un coup, tout pouvait basculer.

Parce qu'il n'avait pas encore compris. Parce que l'ombre menaçante de Brett continuait de planer au-dessus de lui. Parce que ce Stiles… Il avait beau avoir l'air gentil… Liam ne le connaissait pas ! Alors, il stagnait dans sa réflexion.

- Mange, je te jure que c'est pas empoisonné.

Liam sursauta sans pouvoir s'en empêcher et tourna brutalement la tête vers son hôte qui le regardait avec de grands yeux. Aussitôt, le blond voulut se confondre en excuses que le serveur ait pu croire qu'il pensait cela, mais le châtain ne lui en laissa pas le temps :

- Parce que si c'était empoisonné, je crois que je serais déjà en train d'agoniser sur le parquet et autant te dire que mourir, j'en ai pas trop envie. Si ça peut te rassurer, la mort c'est pas trop mon délire. Et je te jure aussi que c'est bon et tu sais quoi ? Si tu n'aimes pas, je te ferai autre chose. Comme tu ne m'as pas dit ce que tu aimais, eh ben… Ouais, j'ai fait un truc au feeling mais tu sais que tu peux me le dire, si tu préfères un autre truc.

Liam cligna des yeux plusieurs fois. Oui, Stiles était du genre hyperactif et il parlait beaucoup, mais… Il fallait croire qu'il n'avait encore digéré ces petites informations. De manière générale, il avait réellement du mal à avancer, à retenir tout ce qu'il apprenait petit à petit depuis qu'il était dans cet appartement. Cela faisait trop peu de temps qu'il était libre, hors de la maison de Brett, de cette prison joliment décorée. En fait, le jeune homme se sentait en quelque sorte… Bloqué dans une temporalité qui n'était pourtant plus la sienne.

- Non, je… C'est bon, juste…

Liam s'arrêta. Il ne savait pas réellement quoi dire, ni quoi penser. Comment formuler clairement ses pensées pour qu'elles soient compréhensibles ? Comment transmettre son ressenti au jeune homme qui l'hébergeait ? Parce que même s'il ne le connaissait pas, il avait envie de lui confier des choses tant il avait besoin de lui faire confiance. Besoin de se reposer sur quelqu'un. Et en même temps… Il s'agissait d'un étranger.

Oui, mais un étranger qui l'avait secouru.

- Juste ? L'encouragea Stiles avec patience.

- J'ai juste… Pas l'habitude, tenta-t-il de dire.

Ces mots, c'était bien peu. Il s'agissait d'une pensée qui avait réussi à s'extirper d'un torrent de réflexions malheureuses, une vérité indéniable parmi toutes celles qu'il peinait à prononcer. Si Liam avait envie de parler de beaucoup de choses, il était loin d'en être capable. Disons qu'il se sentait… Sur une pente glissante, sans savoir comment se raccrocher aux branches.

Parce que la liberté soudaine avait cela de perturbant qu'elle était difficile à croire. Pourtant, il était là, dans cet appartement, au chaud… Il s'était reposé dans un lit, mangeait avec l'hyperactif qui avait pris soin de lui et… Et il attendait la chute. Stiles l'avait pourtant déjà rassuré, lui avait dit que son enfer était fini mais… Il avait beau l'accepter de tout son être, une partie de lui continuait d'avoir du mal à y croire.

De son côté, Stiles avait énormément de cartes à jouer. Et il y en a une qui pourrait l'aider à détendre Liam… Une peut-être plus que les autres. Néanmoins, il ne pensa pas une seule seconde à l'utiliser tant il la trouvait stupide.

Pour lui, faire part de sa propre expérience et la montrer était complètement nul. Stiles pensait que parler de sa propre histoire ne l'aiderait pas, bien au contraire. L'hyperactif aurait juste l'impression de parler de lui-même pour rien… Et il ne voulait absolument pas se donner l'image d'un égocentrique à ses yeux. Liam avait besoin de se sentir soutenu, pas d'être le public de son égoïsme. Bien évidemment, l'hyperactif ne réfléchissait pas de la bonne manière, mais… Personne ne savait ce qui lui était arrivé, ni la manière dont il en était venu à penser ainsi. Qui pourrait donc essayer de le détromper ? Stiles était de ces gens qui ne laissaient rien entrevoir de leur passé, que la vie avait usé au point de leur faire prendre des décisions arbitraires sur leur façon d'agir.

- Cette habitude, dit-il après un silence, tu vas apprendre à l'avoir.

Liam baissa les yeux, le temps de réfléchir à ces paroles qui, pour lui, étaient un peu difficiles à comprendre. La liberté, il l'avait rêvée jusqu'à perdre tout espoir de la gagner. En fond, la télévision continuait de crachoter un débit de conneries impressionnant, mais il n'y faisait pas attention. L'attitude de son hôte le déroutait tout autant que ses paroles.

- Ta vie va changer. En fait, reprit Stiles, elle a déjà changé. Tu dois juste te laisser le temps et l'occasion de le voir.

- S'il me retrouve, je sais pas si cette occasion se présentera…

Liam n'avait pu retenir ces paroles nées de cette peur des plus profondes que Brett avait creusée au fond de lui. L'homme l'avait marqué au fer rouge. Sur sa peau. A l'intérieur de lui. Dans son âme.

Il avait réussi à le souiller à tous les niveaux.

Liam frissonna et sut que s'il laissait ses émotions prendre le dessus sur lui, il se mettrait à trembler. Alors, il se contint autant que possible. Il ne savait pas jusqu'à quel point ce Stiles pouvait le supporter et pour dire la vérité, il n'avait aucune envie de le découvrir.

- Il ne t'approchera plus. Et même si c'était le cas, je le laisserais pas te faire le moindre mal, rétorqua Stiles sans aucune hésitation. Il ne sait pas où tu es et il ne pourra pas te trouver. Crois-moi, il ne te cherchera pas longtemps. Ça a pas l'air d'être le genre de mecs qui se casse la tête quand on lui échappe.

Liam n'allait pas le contredire : l'analyse de Stiles était plutôt bonne même si elle était d'une simplicité enfantine. Il hocha alors la tête et se força à considérer son argument pour l'accepter. La vie continuait malgré tout et le fait était qu'il était en sécurité chez le serveur puisque Brett n'avait aucune idée de là où Liam pouvait se trouver, encore moins où Stiles pouvait loger. En somme… Il était sauf. Libre.

Encore lui faudrait-il du temps pour enfin prendre la mesure de cette liberté.

Stiles, de son côté, se sentait plutôt tranquille, à raison selon lui : il avait rarement tort et la vie le lui avait prouvé à plusieurs reprises.

Mais son jugement serait toutefois différent s'il avait tous les éléments de cette histoire en sa possession. S'il prenait les avertissements de Derek au sérieux, ce qui n'était pas le cas. Alors il avait raison, oui… Partiellement seulement.

Un jour, il se rendrait compte que la menace n'était pas hypothétique.