Chapitre un peu plus court mais je voulais terminer sur un petit cliffhanger ! Enjoy !

1942

Chapitre 3 : Du sang dans la soupe

Ce n'était pas son problème. Vraiment pas son problème. Et pourtant, il était difficile d'ignorer ce fichu anglais qui semblait tout faire pour empêcher Lebeau de vivre sa vie de prisonnier de guerre en toute tranquillité.

Il l'avait observé, très rapidement (il ne fallait pas que l'on croie qu'il s'intéresse à l'anglais), lorsqu'il était passé à la cantine pour le petit déjeuner. Il était pâle, plus encore que la veille alors qu'il aurait du être au moins un peu plus reposé, malgré une nuit agitée. Mais là encore ce n'était pas que Lebeau s'inquiétait, c'était juste que l'autre l'avait empêché de dormir en tournant toute la nuit dans son lit.

Le caporal Newkirk avait avalé une ou deux cuillères de bouillie avant de reposer le couvert dans son assiette et de passer du blanc au vert. Il s'était ensuite levé de table assez précipitamment, malgré des difficultés évidentes pour se mouvoir et Lebeau l'avait vu, quelques secondes plus tard, rendre le peu qu'il avait mangé derrière le bâtiment. Il ne l'avait pas suivi, il allait juste dans la même direction.

A force d'essayer de se convaincre qu'il n'éprouvait pas un certain intérêt, voire une certaine empathie, pour le jeune caporal anglais, Lebeau finirait peut-être par y croire et par s'éviter des ennuis.

Une fois la crise passée, Newkirk eut l'air de vouloir retourner à leurs quartiers, pour se reposer sans doute, mais malheureusement, Williams et sa clique d'abrutis choisirent ce moment pour sortir de la cantine en riant grassement. Ils ne virent pas Lebeau, mais leur regard de prédateur se fixa immédiatement sur l'anglais qui s'essuyait le front de la manche. Il transpirait malgré le froid, cela ne pouvait pas être bon signe.

– Alors Newkirk, on ne supporte plus la bouffe allemande ? Tu ne devrais pas être difficile, vu d'où tu viens.

Lebeau avait remarqué que nombre des attaques en direction de Newkirk le ramenaient à ses origines modestes et il ne comprenait pas pourquoi. Peu de prisonniers, ici, étaient nés avec une cuillère d'argent dans la bouche. Même Williams, il en était sûr, n'était pas issu d'une famille particulièrement aisée. Il y avait forcément autre chose.

Newkirk les ignora et décida de passer au travers de ses quatre compatriotes, espérant sans doute qu'ils s'éloignent sur son passage. Ce qu'ils ne firent pas.

– Laisse-moi passer, Williams.

La voix était agressive, mais plus faible que d'habitude et les quatre Anglais qui cherchaient la bagarre ne manquèrent pas de le remarquer. Williams le poussa d'une pression sur son épaule et Newkirk faillit basculer.

– Ce séjour au frais ne t'as pas fait du bien, cockney, hein ? Le chien a perdu de sa hargne.

– Ouais, et ça c'est pour mon nez, connard ! lança Stevenson, encouragé par le comportement de son chef, en frappant Newkirk en plein estomac.

Il ne s'attendait clairement pas au jet de vomi rougi qui lui atterrit sur l'uniforme. Apparemment, il restait encore quelque chose dans l'estomac du pauvre caporal.

– Ah ! Putain, mais c'est dégueulasse.

Stevenson fit un pas avec l'idée de se venger, mais son chef l'arrêta d'une main. Pas pour le bénéfice de Newkirk, non. Mais il venait de remarquer un détail inquiétant.

– C'est du sang, Steve, va te changer, le bâtard est peut-être contagieux.

Cela fit sourire Newkirk qui lança un regard de défi à Williams en découvrant ses dents teintées de rouge.

– Laissons-le là, sergent, dit O'Connel d'un ton peu rassuré. Je veux pas choper une connerie.

Vu le regard de dégoût qu'adressa Williams à Newkirk avant de le laisser à son sort, lui non plus ne voulait pas passer plus de temps avec une proie malade.

Lebeau fut rassuré de ne pas avoir à intervenir, non qu'il l'aurait fait, bien sûr. Ce n'étaient pas ses affaires. Non… Pas ses affaires.

– Raaaa, grogna t-il en posant son assiette sur le rebord d'une fenêtre avant de s'avancer vers Newkirk qui n'avait pas bougé d'un pouce.

– Allez, viens, dit le petit Français en passant le bras de l'anglais autour de ses épaules. Je crois que l'infirmerie serait une bonne idée.

Newkirk se dégagea si vite que Lebeau manqua d'en perdre l'équilibre en plus des mots. Pourquoi est-ce que cet imbécile s'évertuait à refuser toute aide. Il allait lui dire le fond de sa pensée, mais l'expression de l'anglais l'arrêta net. Pâle et transpirant, Newkirk le fixait avec des yeux terrifiés.

– Hey, ça va. Je veux juste aider, expliqua Lebeau en se rapprochant à nouveau de l'anglais, plus doucement cette fois.

Le caporal anglais recula à nouveau d'un pas.

– Pas l'infirmerie.

Oh. Ce n'était donc pas de lui qu'avait peur Newkirk. Lebeau serra les dents. Il n'avait pas pensé être en danger dans ce camp de prisonniers de guerre, mais apparemment cette sécurité était toute relative. Il faudrait qu'il essaie d'en apprendre plus à ce sujet. Soit Newkirk avait une peur innée des médecins, soit il lui était déjà arrivé de passer du temps à l'infirmerie du Stalag et l'expérience avait été assez bouleversante pour qu'il ne veuille plus y mettre les pieds.

– Ok, pas l'infirmerie, se surprit-il à dire.

Après tout, si l'anglais ne voulait pas être soigné, ce n'était pas son problème.

Lebeau soupira en passant à nouveau le bras de l'anglais autour de ses épaules. Qui espérait-il duper ? Bien sûr que c'était son problème. Ça l'était devenu à partir du moment où il avait préparé cette foutue soupe.

Sur le chemin du baraquement 2, les deux caporaux s'attirèrent plus d'attention que Lebeau ne l'aurait souhaité. Et voilà, maintenant ils allaient tous croire qu'il était ami avec le mouton noir.

– Oh, qu'ils pensent ce qu'ils veulent, grommela-t-il.

– Quoi ?

Lebeau échangea un regard avec l'anglais qu'il traînait plus qu'il ne supportait et qui le regardait d'un ait interloqué.

– Non, rien.

Arrivé à la porte de la baraque, il fut surpris de voir un jeune anglais venir spontanément lui ouvrir la porte. Alors comme ça, Newkirk ne s'était pas fait des ennemis de tous les prisonniers ?

Le gamin, trop fin pour son uniforme de caporal eut l'air de vouloir ajouter ou demander quelque chose, mais il fini par leur tourner le dos en serrant les lèvres, retournant à sa partie de football.

C'est donc seul que Lebeau étendit, tant bien que mal, l'anglais sur son propre matelas. Il aurait difficilement pu l'aider à monter sur sa couchette qui se trouvait être celle du haut. Il était donc plus sage d'échanger jusqu'à ce que l'anglais se sente mieux. En observant Newkirk, Lebeau eut une pensée morbide : Est-ce qu'il allait s'en remettre ou avait-il déjà un pied dans la tombe ?

– Hey, apostropha-t-il un anglais dont il avait oublié le nom et qui sirotait une tasse de café à la table. Un type un peu brut et large d'épaules d'une trentaine d'années.

L'interpelé leva son regard vers lui.

– Est-ce qu'il y a un infirmier parmi les prisonniers ?

– Pas à ma connaissance.

– Quelqu'un qui s'y connaisse un peu en médecine ?

– Non.

La nonchalance avec laquelle répondait le soldat anglais irrita très sérieusement Lebeau.

– Surtout, ne montre pas d'empathie pour un de tes compagnons d'armes.

La remarque ne sembla pas déphaser l'anglais qui continua de profiter de son café. Lebeau s'en retourna à sa nouvelle charge – qu'il le veuille ou non, il était maintenant responsable de Newkirk – lui retirant ses bottes et sa veste sans qu'il ne se réveille. Le caporal anglais s'était endormi dès que sa tête avait touché l'oreiller et il ne broncha pas. Lebeau vérifia qu'il respirait encore, au cas où.

– Hey.

Le soldat anglais leva à nouveau la tête.

– Et l'infirmerie du Stalag, il y a quelque chose qui ne va pas avec ?

Le soldat haussa les épaules et ne répondit pas. Apparemment, celui-là n'était pas un grand fan du caporal Peter Newkirk.

Pour passer ses nerfs et le temps, Lebeau décida de faire cuire ce qu'il lui restait de légumes de la veille pour en faire un bouillon léger.

– Tu ne devrais pas t'acoquiner avec ce bougre-là, le français. Entendit-il au bout d'un moment.

Apparemment, le soldat anglais avait fini son café.

– Ça n'apporte rien de bon de traîner avec Newkirk. Certains sont morts pour avoir voulu le suivre.

La dernière phrase fit lever les yeux du français.

– Morts ?

L'anglais haussa à nouveau les épaules et se leva pour sortir de la baraque, sans un mot de plus.

Eh bah voilà, il n'était pas plus avancé !

Lebeau retourna à la contemplation de sa soupe. Si seulement il avait plus de légumes différents. Il fallait manger varié pour avoir toutes les vitamines dont …

Lebeau lâcha la cuillère dans la casserole et se retourna brusquement vers l'anglais endormi.

- Nom de …