1942

Chapitre 5 : Les choses commencent à changer

Les interactions amicales avec ses compatriotes, les premières depuis longtemps, depuis ce soir qu'il aurait voulu oublier, avaient épuisé Newkirk. Il avait fini par poser le paquet de cartes et par s'allonger, oubliant qu'il n'était pas seul. Il sentit une main sur son front et capta un grommellement qui ressemblait fort à du français. Il n'avait pas la force de rouvrir les yeux et laissa le sommeil l'engloutir.

Lebeau retira sa main du front brûlant de l'anglais.

- Bon sang, jura t-il.

Les deux soldats qui étaient venu profiter des talents de magicien de Newkirk regardaient ce dernier d'un air peiné.

- Est-ce qu'on peut faire quelque chose ?

La demande surpris Lebeau. Il n'avait pas fallu longtemps pour que les deux anglais perdent de leur animosité envers Newkirk. Eux qui l'ignoraient complètement la veille voulaient aujourd'hui lui apporter leur aide ?

- Malheureusement, tant qu'on n'arrivera pas à faire rentrer de la vitamine C dans son estomac récalcitrant, on ne peut que regarder son état se dégrader.

- C'est le scorbut ? demanda l'un des garçons, un Irlandais du nom de Walsh.

Lebeau fut à nouveau surpris et cela dut se lire sur son visage.

- Mon père était médecin dans la marine, précisa Walsh. Le scorbut a toujours été un vrai problème en mer.

Le français acquiesça.

- Espérons que Schultz trouve ce qu'il nous faut. Et que Newkirk arrive à l'ingérer…

L'autre soldat, un Anglais du nom de White, se balança un peu sur ses jambes avant d'intervenir dans la discussion.

- Williams avait l'air énervé tout à l'heure. Le scorbut ne va pas être votre seul problème, Lebeau.

Retournant à son poêle pour réchauffer le café, suivit des deux anglais qui allèrent s'installer à table, le français râla.

- Mais c'est quoi son problème à celui-là ?

Les deux anglais se lancèrent un regard entendu avant que Walsh ne prenne la parole, à voix basse, comme s'il allait dire quelque chose qu'il n'était pas censé évoquer.

- Je n'étais pas encore là mais j'ai entendu ce qu'il s'est passé. On l'a tous entendu.

Lebeau grogna dans sa barbe en servant les Anglais avant de s'asseoir avec eux, sa propre tasse de café fumant entre les mains. Lui n'avait rien entendu du tout. Et ça l'agaçait.

- Quand Newkirk est arrivé au camp, il était plutôt apprécié, même si certaines histoires l'ont suivi de son précédent camp et même d'avant. Pourtant il n'a jamais été très enclin à se faire des potes ici. Tout ce qu'il voulait c'était quitter le camp.

Ça, Lebeau l'avait bien compris. Newkirk comptait plusieurs tentatives d'évasion à son actif et pouvait s'estimer chanceux d'être encore en vie.

- Il parait qu'il avait élaboré un plan d'évasion, continua Welsh, un plan qui nécessitait plusieurs personnes…

Oh. Au ton attristé de l'irlandais, Lebeau commençait à voir où les choses allaient mener.

- Les choses… ne se sont pas déroulées comme prévu.

Welsh s'arrêta là et White reprit, la mine sombre.

- Ils sont tous morts, les trois gars qui avaient été entraînés par Newkirk. L'un d'eux était le meilleur ami de Williams.

Merde. Cracha Lebeau.

Les choses devenaient plus claires.

- Mais comment Newkirk s'en est sorti ?

White lança un regard méfiant en direction du malade qui n'avait pas bronché.

- C'est là toute la question, n'est-ce pas ?

Bon sang, songea Lebeau. Alors non seulement Williams mettait la mort de son ami sur le dos du plan d'évasion raté de Newkirk mais en plus les gars du camp soupçonnaient ce dernier d'avoir, soit été pris de lâcheté au dernier moment et envoyé ses camarades à la mort, soit, pire, d'avoir directement traité avec l'ennemi ? Il ne connaissait pas vraiment Newkirk mais il savait que cela n'avait aucun sens.

La porte s'ouvrit brutalement, les faisant sursauter tous les trois comme s'ils avaient été pris en train de faire quelque chose de mal. Lebeau craignit de voir entrer Williams et sa clique, il n'avait pas le courage de se battre encore, mais ce n'était que Schultz.

L'Allemand souriait et Lebeau se leva précipitamment, espérant une bonne nouvelle. Schultz referma la porte derrière lui et posa son fusil contre le mur. Le Français ne se fit même pas la remarque de l'absurdité du geste tellement il était heureux de récupérer le sac en papier tendu. Il n'était pas bien gros mais c'était déjà ça.

- Le citron c'est compliqué d'en trouver mais j'ai réussi à en prendre un dans la réserve du colonel. Le cuistot a bien voulu me donner du brocoli. Il m'a dit que c'était plein de vitamine C. C'est bien ça qu'il lui faut à l'Engländer ?

Lebeau paniqua un peu à la mention du cuistot. Est-ce que Schultz lui avait dit à quoi allaient servir les légumes.

- Le cuisinier est un bon gars. Comprit Schultz en voyant le visage du français se décomposer. Il vient de la ville, ce n'est pas un soldat. Il m'a vu prendre le citron et m'a posé des questions. Quand il a compris, il a eu l'air vraiment peiné pour Newkirk. Il ne posera pas de problème.

Le français l'espérait vraiment mais ce n'était pas demain la veille qu'il ferait confiance aux allemands.

- Merci Schultz. Vous venez surement de lui sauver la vie. Dit-il en tapotant le bras de l'Allemand dans un geste d'appréciation.