Bonjour à tous ! J'espère que le chapitre de la semaine passée vous a plus. J'ai eu quelques vues, donc j'imagine que ça intéresse un peu les curieux, alors pour l'instant, je continue de publier. Encore une fois, si vous lisez, n'hésitez pas à me laisser une review, même si c'est juste pour dire "cool". Je ne crois pas l'avoir signalé, mais cette histoire sera assez longue, plus de 20 chapitres. Que vous soyez préparés. Et tout est déjà écrit. Je vous mets quelques compléments de résumé en dessous. Bonne lecture !

Coco : merci pour ton commentaire, ça m'a fait très plaisir ! Je suis hyper curieuse de savoir comment tu as imaginé la suite de "Et tout le reste" et super touchée que tu te la sois appropriée !


Résumé : Jude est revenue à la Capitale, sans doute parce que son ancien mentor, Ray Dark, va être jugé pour avoir entrenu une relation avec Jude alors qu'il était mineur. Caleb vit à présent avec Aitor, son ancien apprenti. Point sur les apprentis : Arion est l'apprenti de Mark et est acteur, Victor est l'apprenti d'Axel et est écrivain avec quelques excès encouragés par Axel qui fut lui-même très excessif.


Vers quatre heures du matin, il est parvenu à trouver le sommeil, après de nombreuses tentatives, à se tourner, et se retourner, et retrouver sa position initiale. Ce n'était pas prévu du tout. Il a échangé des SMS avec Célia, longtemps, jusqu'à ce que la jeune femme craque et s'endorme sans répondre. Il l'appellera demain. Il a ensuite lu quelques articles sur Ray Dark, et sur l'ouverture d'une enquête sur la véracité de son livre. Après ça, il a somnolé, en pensant qu'à quelques mètres de lui dormait son ancien amant. Evidemment, cette semi-rêverie s'est soldée par un songe érotique relativement osé, à demi-conscient. Il s'est réveillé en nage, bien sûr. Cela faisait longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Là-dessus, il a eu du mal à calmer les battements de son cœur, a tourné les images de la journée en boucle, et retenté de communiquer avec Célia, et ça n'a pas fonctionné. Il s'est finalement résolu à appeler Mark. La conversation a duré deux minutes, montre en main.

- Caleb, il est trois heures du matin !

- Je fais quoi, maintenant ?

- Tu fais quoi, de quoi ? Merde, va te coucher !

- Tu sais que c'est dégueulasse, de m'avoir fait ça ? Je sais que c'est ton ami d'enfance, mais tu aurais pu me prévenir ! Juste un petit SMS…

- Oh bon sang, Caleb… Va dormir, je t'appelle demain. Promis.

Quatre heures du matin, il s'endort enfin, les larmes aux yeux, sans bien comprendre pourquoi. Sans doute qu'il a suffisamment pleuré pour s'épuiser, ou que la nuit a enfin eu pitié de lui. Il est trop fatigué pour rêver bien, et il se dit qu'il peut se permettre de dormir jusqu'à midi, étant donnée l'éprouvante journée qu'il vient de subir.

C'est un bruit qui le réveille. Un grincement, d'abord, puis une voix, quelqu'un qui appelle, qui prononce son prénom. Ensuite, il sent un poids sur le bord de son matelas et se dit que c'est le bon moment pour se réveiller tout à fait, au cas où on chercherait à attenter à sa vie. Il ouvre brutalement les yeux et se redresse en regardant dans la direction de la masse, et se rappelle aussi que son cœur bat toujours trop vite.

- Ca va, ce n'est que moi.

- Aitor ? Mais qu'est-ce que tu fous dans ma chambre ? Qu'est-ce que tu fous là tout court, d'ailleurs ? Quelle heure il est ?

- Bientôt huit heures. Je suis passé récupérer une captation. Dans ma chambre.

- Parfait. Et tu as besoin de me réveiller pour ça ? Tu veux que je te tienne la main ?

- Caleb, il y a quelqu'un dans mon lit.

- Merde.

Trente secondes. Trente petites secondes, Caleb a oublié le passé, la journée de la veille, et l'homme qu'il a accepté de garder pour la nuit. Il soupire, parce qu'il va devoir tout avouer, et qu'Aitor ne va pas apprécier. Il se laisse renverser en arrière, contre le matelas, et passe une main lasse sur ses yeux et son front, pour retrouver ses esprits.

- Je suppose que ce n'est pas une nouvelle conquête, puisqu'il ne dort pas avec toi…

- Effectivement… C'est plutôt… Une ancienne conquête… Vieille de six ans.

- Six ans ? Attends, six ans ?! Me dis pas que…

- Si. Il s'est pointé dans la matinée, j'ai rien compris. J'ai pas su quoi faire.

- Et tu l'as laissé dormir à la maison ?! Caleb, tu dois le mettre dehors, tout de suite ! Je m'en occupe, si tu veux.

- Non. Laisse-le dormir. Il a fait un long voyage, je crois.

- Mais qu'est-ce qu'il fout là ? Pourquoi il est rentré ?

- Je sais pas trop. Demande à Mark ou à Riccardo, je pense qu'ils en savent plus long que moi sur le sujet. Tu joueras mon espion, comme autrefois…

- Si tu veux. Caleb, faut que tu vires Sharp d'ici. Sinon, tu passeras jamais à autre chose.

- Je sais pas. J'ai envie de comprendre. De terminer cette histoire correctement. Il est venu ici parce qu'il ne sait pas où aller. C'est ce qu'il dit. Mais, je pense qu'il regrette un peu.

- Je crois qu'il est surtout là pour Dark. Il va être jugé, tu sais ? Les autorités ont dû demander à Sharp de témoigner.

- Sans doute.

- Tu savais ?

- Oui. Il m'en a parlé. Mais il aurait pu aller n'importe où. Chez Célia, chez Mark, chez David, chez son père… Pourquoi chez moi ?

- Comment il a su où tu vivais ?

- C'est Riccardo qui lui a dit.

- Quel enfoiré ! Je vais lui dire deux mots… Je dois y aller. Je reviens ce soir, d'accord ? Vire ce petit con d'ici là !

Caleb acquiesce, et Aitor comprend bien que ça ne sert à rien, et que ce soir, peu importe l'heure, lorsqu'il rentrera chez lui, il y aura cet homme. Lorsqu'il récupère sa captation dans son étagère, il prend bien garde de la tirer violemment afin de faire tomber les DVD's qui la jouxtent, et de renverser la boîte de crayons de couleur posée en équilibre dessus dans le plus grand fracas, avant de claquer la porte.

Lorsque Caleb se réveille, il est dix heures passées, et il a deux appels en absence de Mark. Il se dit qu'il peut se permettre de le faire patienter encore quelques minutes. Péniblement, son corps se traîne hors de la chambre, jusqu'à la salle de bain pour prendre une douche et le réveiller tout à fait. En avançant vers la cuisine, il y a le bruit de la bouilloire, comme si quelqu'un faisait du café. Quelqu'un qui n'est pas Aitor, car Aitor a encore le goût d'un enfant et n'aime que les boissons douces et sucrées. Ce qui a toujours impressionné Caleb, puisque son premier petit boulot consistait justement à servir des cafés, par paquets de dix.

- Salut. J'ai fait du café, tu en veux ?

Il secoue la tête dans une parodie fatiguée de « oui », mais Jude n'a pas attendu sa réponse et a déjà servi une tasse avec deux sucres. Il la pose devant Caleb, et s'assied sur le tabouret à ses côtés. Caleb se souvient des recommandations d'Aitor, et il se dit que c'est le moment parfait pour demander à Jude de partir. Et il sait aussi qu'il ne va pas y arriver, et qu'Aitor le sait aussi. Il doit rappeler Mark.

- Tu comptes rester combien de temps ?

- Tu m'acceptes combien de temps ?

- Je sais pas ce que tu fous chez moi… Aitor rentre ce soir, tu ne pourras pas garder sa chambre. Ecoute, je te mettrai pas à la porte. Parce que, malgré tout, je veux comprendre ce qui t'a tenu loin de moi si longtemps. Et que, même si c'est sans doute la chose à faire, je peux pas rayer le passé, je peux pas ignorer que tu as fait partie de ma vie, pleinement. J'ai besoin de savoir pourquoi je ne t'oublie pas, pourquoi je ne tourne pas la page. Et pour ça, j'ai besoin que tu sois sincère avec moi. Ce serait stupide et orgueilleux de prétendre te comprendre, mais je pense pouvoir affirmer que je t'ai suffisamment pratiqué pour savoir que tu ne me livreras pas tout ça en quelques heures.

- Tu vas me prêter ton lit, alors ? demande Jude, mi-amusé mi-inquiet.

- Je te prête le canapé. Si tu me jures de me répondre.

- Je te jure de toujours essayer, en tout cas. Mais sois patient. Tout n'est pas très clair pour moi non plus.

- Aitor n'acceptera pas que tu restes trop longtemps. Célia m'a dit qu'elle rentrait dans cinq jours. Je préfèrerais que tu ailles chez elle, ou chez Mark, à ce moment-là. Désolé, je dois absolument décrocher.

Il s'esquive aussitôt, persuadé d'avoir plutôt bien agi étant donnée la situation, persuadé aussi qu'Aitor sera vaguement fier de lui, sans adresser un regard à Jude qui, il l'espère, a observé cette confiance qu'affichait Caleb au moment de quitter la table. Il se réfugie dans sa chambre, où il espère un peu d'intimité, et ferme sa porte brutalement, laissant une chemise froissée accrochée à la patère murale tomber à terre. Sur son portable s'affiche une photo de Mark, enfant, à l'époque où il ne le connaissait pas. Cette photo semblait idéale, parce que Caleb se dit que dans ce sourire d'enfant se réfugie tout ce qui doit caractériser Mark, lorsqu'il se débarrasse de son attitude de grand dramaturge rongé par le talent et la souffrance de ceux qui observent le monde.

- Salut Mark.

- Hey. Alors, dis-moi tout. Comment tu vas ?

Dans l'écho du téléphone, on entend du mouvement, des gens qui s'agitent, alors que dans la chambre de Caleb, de l'autre côté de l'écran, tout est vide, silencieux, et Caleb se croit presque seul. Il s'assied sur le bord de son lit qu'il n'a pas pris le temps de faire, parce qu'il sent que la conversation va le fatiguer. Mark, même s'il n'est plus chef de l'Iléveune, a tenu à conserver un ton très paternalisant avec chaque ancien membre de l'Iléveune. Lorsque Caleb l'a interrogé à ce propos, il y a trois ans, Mark a ri, et rétorqué que c'était une habitude qu'il avait dû prendre rapidement en fréquentant Jude (vagues excès conduisant son mentor devant la justice pour abus sur mineur) et Axel (colère, agressivité, jalousie exacerbée, six mois de prison avec sursis pour bagarre). Caleb, rejoint pas Hurley, avait à son tour ri, en lui faisant remarquer sa parfaite gestion de ces deux cas.

- J'ai connu mieux.

- Oui, j'imagine. Aitor avait l'air un peu paniqué aussi. Tu veux que je passe ?

- Non. Je dois passer chez mon éditrice, je vais traîner à la Capitale. Dis, tu n'as pas une chambre d'amis chez toi ?

- Désolé, la sœur d'Axel est à la maison en ce moment.

Caleb marmonne un « ah » de circonstance. Il avait oublié qu'Axel et Mark étaient de nouveau ensemble. Depuis qu'il les connait, ils ont dû se séparer et se réconcilier une bonne douzaine de fois, alors il a arrêté de suivre. Il n'est jamais étonné de retrouver Axel dans la cuisine lorsque Mark l'invite à déjeuner, il ne l'est pas non plus s'il ne l'y croise pas. Puisque la jeune Julia Blaze (études de médecine pour faire comme Papa) passe des vacances chez Mark, il suppose qu'il y a Axel dans la cuisine.

- Ecoute Caleb, Jude a pas à jouer avec toi. Si tu veux pas qu'il reste, vire-le.

- Whaou ! C'était pas ton meilleur ami aux dernières nouvelles ?

- Justement, je le connais bien. Il t'a expliqué pourquoi il était rentré ?

-Oui. Il m'a dit que Dark allait être jugé. Il dit que les journalistes l'attendent au tournant, que personne ne pensera à le chercher chez moi.

- C'est pas faux. Tu penses qu'il ment ?

- Je pense que c'est Jude, et que je dois m'attendre à tout. Tu sais, il a l'air… je sais pas. Je suis tombé sous le coup de son élégance, de son charme froid, de ses allures distancées, de sa confiance. Et, il est toujours lui. Toujours aussi beau, toujours mystérieux, indéchiffrable. Mais j'ai aussi l'impression de le rencontrer avant qu'il ne forge sa confiance. Je sais pas comment t'expliquer. Il a l'air… flippé.

- Tu sais, Jude a toujours parfaitement maîtrisé l'art du « faire semblant ». Et de l'égoïsme. Il a toujours considéré que ses décisions n'affectaient que lui, et il ne s'est jamais retourné pour constater le mal qu'il faisait. Mais là, il doit assumer les conséquences de ses actions. Assumer d'avoir envoyé son mentor en taule sur dénonciation, assumer d'avoir quitté le pays, de n'avoir pas donné de nouvelles, assumer sa relation malsaine avec un adulte. Et il doit rendre des comptes à beaucoup de monde, beaucoup trop. Tout ça, c'est complètement neuf pour lui. Jude est pas flippé, Caleb. Il est mort de peur.

- Et moi, je fais quoi ?

- Il est venu chez toi parce qu'il pense à sa sécurité. Peut-être aussi parce qu'il a déjà partagé ta vie. Mais pour une fois, montre-toi aussi égoïste que lui. Si tu veux le garder auprès de toi, fais-le. Sinon, fous-le dehors et ne t'en veux pas. Crois-moi, il trouvera où dormir. Demande-toi ce que tu veux.

- Je ne sais pas. Je l'ai détesté de partir, et il m'a manqué, follement. Et je me sens incapable de lui demander de partir alors qu'il vit un truc que je ne veux pas imaginer, et je me sens incapable de vivre de nouveau avec lui. Je pensais pas qu'après six ans, je pourrais être si perturbé.

- Six mois, six ans, six siècles, c'est pareil, crois-moi. Quand on a été accro une fois, on l'est à vie. Passe à la maison demain midi, je ferai un osso buco. Ramène Aitor, tu arriveras peut-être à le maquer avec Julia.

- Comme ça tu t'en débarrasses ?

- Oui, y a de ça ! C'est une fille brillante, et qui mériterait à passer du temps loin, très loin, de son frère. Allez, viens. J'en profiterai pour remettre un peu les pendules à l'heure de Jude.

- Tu me laisserais seul dans une pièce remplie de couteaux avec Axel ?!

- Je prends le risque !

- Tu n'as pas de représentation demain soir ?

- Eh non. Il y a la Mostra de Venise, Arion est nommé en « second rôle », alors on s'est laissé un break.

- Tu ne l'accompagnes pas ?

- Il s'est dit que Victor serait de meilleure compagnie… Il est majeur, il fait ce qu'il veut, même s'il fait n'importe quoi. Je suivrai ça de loin.

- Tu es très bien placé pour lui faire la morale. Victor a le charme anarchique de son mentor.

- C'est ça, rigole. Au moins, t'as réussi à éviter à ton poulain de faire les mêmes conneries que toi !

- C'est vrai. Au lieu de se taper un prince déchu de son trône, il a droit à une petite étudiante fade et quelconque. J'aurais au moins réussi ça.

- Oui oui, tu es un merveilleux mentor ! Pense à prendre une bonne bouteille pour le repas de demain ! Embrasse Jude pour moi !

Mark raccroche dans un grand fracas, et Caleb sourit, en se promettant de ne surtout pas embrasser Jude. Et puis, il commence à comprendre qu'il va bien devoir prévenir son hôte indésiré de ce dîner surprise, tout aussi indésiré, qu'il va devoir réfléchir à quoi porter, qu'il va devoir aller à la cave du coin trouver un bon cru (entre Axel-gosse-de-chirurgien-renommé-Blaze, Mark-leader-des-ventes-depuis-sept-ans-Evans et Jude-héritier-de-l'empire-Sharp, que peut-il proposer d'autre ?) et convaincre Aitor… Mais au moins, il prendra l'air, il pensera à autre chose, et il ne sera plus seul à se battre contre le mystère Jude Sharp. Il doit rappeler Célia.

Il entend Jude dans la chambre d'Aitor qui rassemble ses affaires, pour les déplacer au salon. Aitor n'avait pas l'intention de dormir ici cette nuit, Caleb en est persuadé… Mais il comprend aussi que sa présence est nécessaire à l'équilibre mental de Caleb. Cet enfant (adulte !) est un bon observateur du monde (déformation professionnelle : serveur muet et à l'écoute), meilleur, bien meilleur que Caleb.

- Tu veux de l'aide ? demande Caleb, adossé au mur de la chambre.

- Ca va, répond Jude, en bouclant son sac. Je suis pas très chargé.

- Où est le reste ? En Italie ?

- J'ai pas emporté grand'chose en partant.

- Je comprends pas. Célia m'a dit qu'elle avait vendu ton pavillon. T'as foutu où tous tes vêtements, tous tes bouquins, toutes tes toiles de maître, ton lit en or massif ?

- Tu te souviens avoir dormi dans un lit en or, toi ? sourit Jude.

- C'était une façon de parler…

- J'ai déménagé ce qui me tenait à cœur chez Mark ou Célia. Le reste a été vendu, donné à des asso.

- Ah… J'ai même pas eu une part du butin ? Une place sur le testament ?

- Tu aurais voulu un souvenir ?

- A l'époque, ça m'aurait plu. Que tu me donnes quelque chose de très intime, ou un vêtement qui aurait été imprégné de ton parfum trop cher. Ou alors, quelque chose qui compte. Une photo, un bijou offert par Célia, un DVD inédit de Bong Joon-Ho dédicacé. Un objet que tu aurais été forcé de revenir chercher. Mais ça n'a pas été le cas.

- T'avais besoin d'un objet pour te souvenir de moi ?

- Non, bien sûr. Mais j'aurais sans doute moins eu cette impression de vide, que tu cherchais à t'effacer de ma vie. Comme si tu devenais un fantôme.

- Je crois que c'était un peu ce que je cherchais. Je me suis dit que, si je n'apparaissais plus, on m'oublierait complètement. On m'effacerait des mémoires, et ce serait plus facile. Parce que toutes mes erreurs n'auraient pas existé.

- Et ta beauté non plus. Tu t'es vraiment, sévèrement planté, Jude, sur beaucoup de points. Ta vie est bourrée de conneries. Mais tu as aussi fait profiter les gens de choses merveilleuses. Tu as pensé à la gamine de treize ans qui lit ton bouquin pour la première fois, alors qu'elle déteste lire, et qui découvre la puissance de tes mots ? T'as pensé à elle, qui attend avec impatience Septembre, pour acheter ta nouvelle œuvre, alors qu'elle déteste la rentrée ? T'as pensé à son désespoir, lorsqu'elle a découvert que tu avais fui ?

- Et toi, tu as pensé à son désespoir lorsqu'elle a appris ce qu'avait fait son idole, à son âge ? demande Jude, la gorge serrée.

- Jude, répond Caleb, la voix basculée dans les graves, je t'ai pas jugé à l'époque, et je vais pas le faire maintenant. Mais je continue à penser que tu n'as jamais été seul responsable de cette histoire.

- C'est vraiment pas la question, Caleb.

- Je crois que si, c'est toute la question, puisque tu es revenu pour ça. Enfin, peu importe maintenant. Ce qui est fait est fait, ni toi ni moi on ne peut plus rien y faire. Avant que j'oublie : tu t'y connais bien en vin, non ?

- Evidemment.

Caleb ne saisit pas bien si la pointe d'agacement dans la voix de Jude vient du fait que Caleb doute de l'éducation bourgeoise qui passe nécessairement par un apprentissage du vin, ou si cela vient du fait que Caleb a oublié leurs nombreuses discussions autour d'un bon verre de blanc. Il ne relève pas.

- Parfait. Tu peux aller en acheter une bouteille ? J'ai rendez-vous dans deux heures, je dois partir.

- J'achète quoi ?

- Euh, j'en sais rien. Un truc qui se boit avec un osso buco, j'imagine.

- Tu vas cuisiner italien ?

- Oh Jude, si je devais tenter de te tuer, je m'y prendrais autrement. On est invités chez Mark et Axel demain soir. Tu connais Julia Blaze ?

- Oui, un peu.

- C'est un bon parti ?

- C'est la fille de l'un des plus grands chirurgiens du pays…

- Oui, mais elle est comment ? Mark veut s'en débarrasser, et je veux me débarrasser de la copine d'Aitor pour lui trouver quelqu'un d'un peu plus rock'n'roll, mais quand même raisonnable. Mais si elle a le caractère de son frère, non merci.

- Vous organisez des dates chez Mark, à l'insu des concernés ?

- Comment crois-tu qu'Aitor a réussi à sortir avec une fille ? Alors ?

- Euh… J'en sais rien. Je la connais pas vraiment.

- Ah oui ? Je pensais… Tu as été tellement proche d'Axel, je pensais qu'il t'avais présenté sa famille…

- Tu vas pas être en retard ?