Yo ! Je vous présente le 5e chapitre, et cette fois-ci, je vous donne toutes mes références après le chapitre. Et je vous fais un petit résumé de l'histoire de Byron, puisqu'il réapparait dans ce chapitre

Guest : Merci pour la review, ça m'a fait très plaisir. Effectivement, je ne sais pas pourquoi, j'aime bien rendre Mark mystérieux et ambigu, alors qu'il est sans doute le personnage le plus sincère et droit d'Inazuma ! J'espère que l'évolution du personnage continuera de te plaire !

Résumé : Dans "Et tout le reste", Byron était tombé amoureux de Chang Su Che lorsqu'il était venu en France. Etant un écrivain, assez moyen, profondément contre le système de son pays, il fut enfermé, tandis que Byron tentait de lui obtenir l'asile politique. Chang Su a fini par s'enfuir et revenir à la Capitale, et s'est caché chez Byron. Lorsque l'Iléveune l'a appris, Byron a été répudié par la plupart des membres (excepté Caleb) car la présence illégale de son amant sur le territoire n'a pas été autorisé par l'Etat.


Café du pantin qui fume

Toujours étonnamment tôt pour un écrivain

Prendre l'air. Respirer. Il avait juste besoin de ça, pour ne pas penser à la matinée passée, à la journée qui se profile. Aitor est très angoissé, parce qu'il a un entretien d'embauche avec Byron Love. Autant son entretien avec Mark pour le théâtre Tartuffe avait été une formalité, autant avec Love… Love n'est pas un ami proche de Caleb, c'est plutôt même l'inverse. Le stress encourage Aitor à partir dans tous les sens, et cela force son mentor à ne pas trop réfléchir. Il fait même l'effort de ne pas prendre de café, et opte pour un jus de fruit, tandis qu'Aitor s'excite au sucre.

Ils ont choisi, sans se consulter vraiment, de rejoindre la Capitale pour le petit déjeuner. Le café leur a été conseillé, il y a quelques mois, par Sue qui y travaillait en tant que serveuse pendant ses études. Il se trouve donc dans un quartier qui ressemble assez à la romancière : jeune, éclectique, remuant. Caleb et son élève ont privilégié la terrasse, pour se signaler à Byron lorsqu'il les rejoindra (il te fait vraiment passer un entretien d'embauche dans un café ?), pour profiter de la clémence du temps, pour observer la place se remplir et se vider par vagues successives. Aitor craint toujours un peu, lorsqu'il se trouve en ville avec Caleb, de se faire aborder, harceler par des fans. Mais depuis la dissolution de l'Iléveune, le phénomène d'hystérie collective s'est apaisé. Pour Caleb. Axel reçoit toujours trois déclarations d'amour par jour. Les fans de Caleb se font discrets, peut-être par peur, peut-être par respect. Par contre, Aitor retrouve ce phénomène métaphysique lorsqu'il accompagne Riccardo. Heureusement, en ce moment, Riccardo est très occupé par ses examens de musicologie, ses concerts, mais sans doute aussi, bientôt, par le retour de son mentor.

- Ça t'ennuie si j'invite Riccardo à la maison ?

- Bien sûr que non. Depuis quand tu me demandes la permission ?

- Je voulais que tu t'assures de la présence de Sharp. Riccardo n'est pas encore passé, ça m'étonne. Je me dis, tu sais… Sharp est pas beaucoup sorti depuis qu'il est rentré.

- Ca ne fait que quatre jours.

- Moi, en quatre jours, j'aurais déjà rendu visite à mes parents, ma grand-mère, toi, Riccardo, Mark, Anne…

- Il a peut-être besoin de calme.

Aucune chance. Ça avait interpellé Caleb tout de suite, et il lui avait demandé immédiatement : pourquoi lui ? Après six ans d'absence, pourquoi venir d'abord chez Caleb, qui n'est pas son ami le plus proche, ni celui qui en sait le plus sur lui, ni sa plus vieille connaissance, ni un parent ? Est-ce qu'il va devoir téléphoner à David Samford ? L'inviter chez lui ? Caleb ne retient pas sa grimace, et Aitor ne relève pas. Il détourne son regard pour observer la rue, bondée (début des cours). Le vent chasse lentement les nuages et des rayons de soleil percent, et enveloppent la place. La foule semble s'arrêter, et Moïse scinde la mer rouge pour laisser Byron Love, nimbé de soleil, parvenir jusqu'à eux dans un pantalon cigarette crème et une marinière bleue et blanche étudiée, un béret noir placé sur ses cheveux blonds ramassés en queue basse sur son épaule. Comme toujours, Caleb est impressionné. Ce garçon possède un tel charisme, une telle aura, qu'il parvient à arrêter les discussions, à concentrer tous les regards sur lui, et même à commander au soleil, visiblement.

Il leur adresse un signe de la main, et un sourire, et prend une chaise pour les rejoindre. La rue sort alors de sa torpeur, et les étudiants, paniqués, courent pour rejoindre leur salle de classe. Byron pose son sac par terre, et demande à la serveuse (qui s'est précipitée à sa rencontre) un café latte et des scones.

- Désolé, je suis en retard.

- Je vais vous laisser, dit Caleb.

- Tu pars déjà ? Tu as un truc à faire ?

- Non, mais c'est peut-être mieux que je ne sois pas là quand tu l'auditionnes.

- Quand je l'auditionne ? Quand j'auditionne qui ?

- Mais Aitor ! Tu voulais pas le tester pour la projo de ton prochain spectacle ?

- Mais rassure-toi, il l'a passé, le test ! Je suis passé au Tartuffe. Mark m'a dit tout ton professionnalisme, et je t'ai vu à l'œuvre. Y a pas de test plus convaincant.

Aitor fond littéralement et perd tout à coup deux kilos de stress. Caleb commence à se dire qu'avec des débuts au Tartuffe sous la direction de Mark Evans, ce garçon n'aura plus jamais besoin de passer d'entretien d'embauche. Le jeune homme baragouine des excuses, sort de table, et sans doute va-t-il appeler Anne, son inintéressante petite amie, pour lui annoncer la bonne nouvelle (bonne nouvelle qui va aussi avec une mauvaise : il aura moins de temps pour elle, il sera pris six soir par semaine)(avec un peu de chance, elle va le quitter). Il en profitera pour proposer un dîner ou un déjeuner à Riccardo, et Caleb fera l'effort d'aller visiter un musée, ou bien d'aller au cinéma ce jour-là.

Lorsqu'Aitor s'est enfin perdu dans la foule pour téléphoner, Caleb observe son ancien collègue, adossé à sa chaise, en se balançant. Byron est accoudé à la table, il sourit lorsqu'on lui apporte son latte, et efface son sourire le temps qu'il refroidisse. Mal à l'aise, Caleb observe son regard se perdre dans sa tasse, et son annulaire en dessiner les bords. Il a compris une chose, avec Byron : il porte admirablement bien son nom. Son tempérament romantique le fait passer pour un inséparable, cet oiseau qui ne peut vivre sans son partenaire. La seule chose qui puisse déstabiliser, heurter Byron, c'est son partenaire. Lorsque tout va bien dans sa relation, Byron s'anime. Sinon, il dépérit. Toujours dans la demi-mesure.

- Comment va Chang Su ?

- Oh ça va, répond précipitamment Byron. C'est compliqué pour lui, de vivre ici, il a l'impression de ne servir à rien. C'est un militant avant tout. Mais il a obtenu l'asile politique.

- Célia m'a dit que son pays avait encore fait une demande d'extradition.

- C'est vrai. Mais s'ils pensent que je vais les laisser me le prendre encore, ils rêvent. Bon, et toi ? Tout va bien ? Ton protégé a l'air en forme.

- Mark t'a tout dit, n'est-ce pas ?

- Putain…

Byron ouvre grand ses beaux yeux noisette, ébahi. Il boit alors son café en quelques secondes, et lèche ses lèvres pour les débarrasser de la mousse. Caleb se dit qu'il ne savait peut-être rien, et qu'il doit bien être le seul de tout l'Iléveune (avec Shawn, mais enfin, il n'a pas accès à grand-chose au royaume des fous). Ceci dit, il est vrai que Byron a longtemps été mis de côté par plusieurs membres du cercle, puisqu'il était le déclencheur de la chute du mouvement, puisqu'il avait caché la présence d'un déserteur dans son lit. Après la dissolution du mouvement, beaucoup avaient refusé de lui parler, de le voir, pendant plusieurs mois, plusieurs années, en espérant sans doute qu'il reviendrait en rampant (Caleb s'est toujours dit que la vision du bel ange à genoux, tremblant sur le sol, devait être un fantasme au sein de l'Iléveune) demander pardon. Oui mais voilà, contrairement aux autres écrivains de l'Iléveune, la priorité de Byron n'est pas d'écrire, c'est d'aimer (évidemment, Mark n'a jamais réussi à comprendre)(Caleb non plus). Alors depuis, Byron s'est mis en marge, sans jamais en souffrir, naturellement.

- Y avait des rumeurs, avec le procès de Dark qui va bientôt être dévoilé. Whaou… L'enfant prodigue revient au pays…

- T'as pas voulu engager Aitor pour qu'il te donne des infos sur le retour de Jude, si ?

- Bien sûr que non. J'aurais téléphoné à David, ç'aurait été plus rapide, et moins pernicieux. Tu penses que je peux passer le voir ? Sans déranger ?

- Vois avec lui. Ma maison est ouverte.

- Ah, mais il est chez toi ?

- Ben oui. C'est pour ça que je pensais que tu voulais Aitor !

- Il bosse pour Mark, je pensais que c'était ce que tu voulais dire. Qu'est-ce que Jude fout chez toi ?

- Je suis en train de percer le mystère, avec le lieutenant Cazador. Si tu veux te joindre à l'enquête, n'hésite pas !

- Mais vous êtes de nouveau ensemble, ou vous couchez juste ensemble ?

Réminiscence douloureuse du matin, Caleb rougit et s'enflamme un peu trop rapidement, ce qui semble conforter Byron dans sa réflexion, et l'invite aussi à retrouver le sourire.

- Mais que dalle, tu me prends pour qui ?

- Ca va, Caleb, t'as plus quinze ans.

- Toi, grandis ! Pourquoi tu penses tout de suite au sexe ?

- Pourquoi pas ? Le désir et l'amour sont les moteurs de la vie, je te les souhaite juste !

Il soupire et fronce les sourcils, comme chaque fois qu'il a une contrariété, comme chaque fois qu'on s'immisce dans sa vie privée et secrète. Et pourtant, Byron ne pense pas à mal, il est même très sincère. Au loin, on perçoit, dans la rue éventrée, quelques clameurs au bout d'un téléphone. Est-ce que l'ange assis à côté de lui a accédé à sa prière ? Aitor revient à table, visiblement contrarié par sa conversation, et ne manifeste aucune envie d'en parler. Ses grands yeux bruns se plantent dans les miettes de son muffin, et la serveuse, par gentillesse envers ce jeune homme en proie au chagrin ou sensible au charme de Byron ou au billet tendu par Caleb, lui en apporte un autre qu'il s'empresse de dévorer. Caleb fait signe à son collègue de se taire, il l'interrogera plus tard. Alors l'ange décide de s'esquiver, il doit passer chez lui (vérifier que Chang Su n'a pas déclaré la guerre à son pays natal) et donne rendez-vous à son nouvel employé le lendemain.

- Tiens.

En embrassant Caleb, il lui fourre trois places pour sa pièce de théâtre, placement libre. En général, Mark propose à Caleb deux places pour chaque nouveau spectacle (si tu ne veux pas te retrouver seul) et il s'accompagne toujours d'Aitor. Sans vraiment y réfléchir, il se doute qu'il y a une place pour Aitor (qui travaillera sur une autre pièce, centrée sur le personnage mythologique de Méduse) et une autre pour Jude. Le soleil s'éclipse, accompagnant les mouvements lascifs de Byron, et le ciel se teinte de nuages, sans doute par égard au chagrin d'Aitor qui vient de vivre sa première dispute amoureuse.

- Tu déjeunes à la maison ?

- Je sais pas trop…

- Propose à Riccardo de passer. Ça te remontera le moral.

- C'est pas à toi de me remonter le moral ?

- Je suis pas calé en amour.

- Mais en dispute de couple, oui !

- Très drôle. Allez, faites-vous un truc, entre apprentis. Victor et Arion ont dû revenir de la Mostra ce matin. Fais venir Riccardo plus tôt, qu'il voit Jude, et ensuite, faites-vous un déjeuner tranquille, sans vos pseudo-mentors.

- Et Sharp, j'en fais quoi ?

- Je vais lui envoyer Mark, ou Byron.

- Et toi ?

- Y a le dernier Araki qui est sorti en salle hier. J'appelle Mark.

- Non, l'arrête Aitor. Non. Appelle Byron.

Cinéma AliceGuy, sortie de salle 001

14H35

La Capitale ne sait pas assez bien apprécier Joseph Gordon Levitt et ses yeux inexpressifs maquillés de lentilles bleues, et ça le désespère, et le rassure sur sa marginalité. Et puis, c'est toujours plus agréable de partager une salle de cinéma avec cinq personnes que cinq-cents. Comme il ne sait pas vraiment comment poursuivre son après-midi, il se dit qu'il va longer le fleuve. Le temps a tourné au soleil, alors Caleb se dit qu'Aitor s'est remis de sa dispute, ou que Byron est dans les parages. Son écran portable lui signale que personne n'a cherché à le contacter pendant son escapade, alors il suppose qu'il n'a pas besoin de rentrer précipitamment chez lui, qu'Aitor n'a pas encore tué Jude. Aitor qui se révèle, soudain, en protecteur du grand Jude Sharp, qu'il n'a pourtant jamais admiré, encore moins aimé. La séance d'engueulade entre lui et Mark l'a visiblement marqué. Il achète le journal à un kiosquier, constate que la nouvelle du retour de Jude n'a pas encore fuité, pas plus que l'annonce du nouveau procès de Dark. La veille, au téléphone, Célia lui a expliqué qu'en accord avec le principal concerné (Jude, pas Dark), elle publiera dans son journal ces deux informations, et Darren Lachance s'occupera de faire un sujet dans son émission télé, lors de leur retour. Caleb est invité à une émission radio littéraire le lendemain, on lui posera des questions à ce sujet, et il a bien répété ce qu'il pouvait dire, ce qu'il devait taire. Réglé comme du papier à musique, donc. L'idée étant de court-circuiter les autres médias tant que cela se peut encore, et de monopoliser toutes les premières prises de parole. Evidemment, aussi, d'empêcher Dark de contacter Jude, ce qu'il fera malgré tout. A partir de ce jour, Jude n'aura plus la liberté de sortir de chez lui (donc de chez Célia) sans être harcelé par des journalistes (Tu ne veux pas le garder chez toi, il sera plus en sécurité)(Célia, n'insiste pas).

Après trois heures à flâner, à dépenser plus que de raison en vieux livres usés chez les bouquinistes, Caleb décide d'aller constater les dégâts commis par l'ex-groupe des apprentis. Premier constat : ils sont encore tous là, et c'est à se demander ce qu'ils font de leurs journées. Deuxième constat : la maison n'a aucun dégât, et Aitor l'engueule pour son manque de confiance. C'est vrai, Aitor n'est plus un enfant. A vrai dire, Caleb ne l'a jamais connu enfant. Les apprentis ont sorti le gaufrier, et le propriétaire se sert.

Le jeune mostrisé Arion Sherwind somnole sur l'épaule de son compagnon, Victor, dans le canapé, occupé à raconter à Riccardo sa rencontre avec l'illustrateur Lorenzo Mattotti, venu présenter son premier film. Aitor semble en plein concours gustatif (qui fera la gaufre la plus épaisse) avec Jade Green, une jolie rouquine très caractérielle qui fut quelques années l'apprentie de Nelly Raimon avant que celle-ci ne s'exile. Il y a aussi une jeune fille, munie d'un appareil photo (Caleb a oublié son nom, mais il sait que c'est une journaliste employée par Célia) qui tente une discussion laborieuse avec Njord Snio, apprenti délaissé de Shawn. Et puis Julia Blaze, dans un coin de la pièce, à servir des jus de fruits (jus de fruits, hein !?), qui n'a jamais été l'apprentie de personne. Caleb soupire et se dit que ça fait beaucoup d'enfants dans son salon, mais qu'Aitor a retrouvé le sourire.

- Tu as réussi à faire sortir Jude ? demande Caleb entre deux bouchées à Riccardo.

- Non. Il a dit qu'il avait du travail, Aitor lui a dit qu'il pouvait prendre votre bureau pour l'après-midi.

- Il a eu l'air heureux de te voir ?

- Je pense, pourquoi ?

- Je sais pas. Tu trouves ça normal qu'il soit pas passé te voir ?

- Jude est pas très démonstratif. Il sait que je vais bien, c'est tout ce qui compte pour lui. J'en profite pour vous présenter mes excuses, de lui avoir donné votre adresse.

- Oui. A ce propos, tu sais pourquoi ? Pourquoi il voulait la mienne, je veux dire.

- Pour plus de discrétion, je suppose.

Riccardo est le pire espion du monde. Il n'a aucune curiosité pour ce qui est des autres. Il s'intéresse furieusement à l'art, spécifiquement à la musique et la littérature, il a une culture générale hallucinante, et une passion pour Pascal Quignard qui dépasse l'entendement, mais vraiment, il se contente des informations qu'on lui donne, et ne cherche jamais au-delà. Caleb avait très vite compris que Riccardo était resté lié à son illustre et recherché professeur, et il avait été désespéré d'apprendre que le garçon ne cherchait pas à savoir où il se planquait. Là-dessus, il avait finalement félicité Aitor pour son talent d'espion, pourtant bien médiocre.

Caleb attrape son portable au fond de sa poche. Byron ne l'a pas rappelé malgré son message, et il commence à se dire que son jeune colocataire a raison : il faut laisser Mark en dehors de tout cela. En même temps, il faut bien virer Jude de la maison pour la journée s'il souhaite récupérer sa chambre… Il pourrait prendre son ordinateur portable et travailler sur son lit, avec un casque pour éteindre la musique du salon. Mais l'idée de travailler dans une pièce alors que Jude occupera le bureau à l'autre bout de celle-ci le met terriblement mal à l'aise, et le projette quelques années en arrière. Alors il cherche dans son répertoire le numéro d'Axel, et pianote sur son écran : « Viens récupérer Jude, il y a trop de monde à la maison pour moi ». Quelques secondes plus tard, Axel lui répond que Jude n'a qu'à le rejoindre chez lui (donc chez Mark, suppose Caleb). « Impossible, il décollera pas si on lui fout pas un coup de pied au cul ». Axel de répondre que Caleb devrait pouvoir s'en charger. « Ta sœur est à la maison, l'alcool a l'air de bien la rapprocher d'Aitor ». « J'arrive ». Il en a pour un quart d'heure, Caleb peut se permettre d'accorder ce temps en tête-à-tête à Jude Sharp.

Palier de sa chambre

Quelques minutes plus tard (le temps qu'il se décide)

Jude est plongé dans une page noircie par son écriture, un casque (celui de Caleb, donc) vissé sur les oreilles qui doit déverser du Léonard Cohen en continu. La musique et sa concentration l'ont empêché de remarquer l'irruption de Caleb dans sa propre chambre. En équilibre contre le cadre de la porte, plongé dans une demi-obscurité, il observe le dos droit du jeune écrivain, son bassin avancé, ses pieds croisés sous la chaise où il est assis. Un petit sourire échappe à Caleb, parce qu'il se rappelle qu'encore une fois, son ex-compagnon est son merveilleux opposé, jusque dans leur façon d'aborder le métier. Jude replace une mèche de cheveux derrière son oreille, et l'observateur embusqué remarque qu'il a abandonné ses lunettes, sagement posées sur le côté du bureau. Parce qu'il a besoin de plonger toute sa fragilité, ton son être sans écran dans son écriture. Et cela bouleverse Caleb. Et cela l'intimide, et le gêne tout à coup. Il se sent voyeur, à épier ainsi le jeune homme dans l'un des actes les plus intimes qu'un écrivain puisse proposer. Il quitte alors d'un petit coup d'épaule l'embrasure de la porte, fait quelques pas lents et silencieux en direction de son bureau et se place dans le dos de Jude. Ainsi placé, il parvient à distinguer les lignes couchées par l'écrivain, et se dit quelques secondes qu'il aimerait les lire. Mais tout aussitôt, il se l'interdit. Il pose délicatement ses doigts sur les deux coques sphériques et les tire vers l'arrière, doucement.

Jude sursaute immédiatement, et se retourne vers Caleb, debout, droit. Là, il effectue le geste le plus suspicieux et le plus logique qu'attende Caleb : il retourne ses feuilles gribouillées pour les soustraire aux yeux de son ancien compagnon. Et celui-ci se dit que ça doit être bien personnel, bien loin de ce qu'il propose habituellement aussi. Ou bien qu'il n'a plus pour Caleb la déférence qu'il avait auparavant. Et il le comprend assez bien.

- T'es là depuis combien de temps ?

- Flippe pas, je viens d'arriver. Tu écris quoi ?

- Ca ne te regarde pas !

Malgré les airs furieux, angoissés aussi, de son invité, Caleb hausse les épaules. C'est quand même sa chambre, à la base. Jude ne semble pas vouloir se lever pour se mettre à sa hauteur, visiblement très bien installé sur sa chaise en fer, alors Caleb rejoint son lit et s'assied sur le rebord en bois, pour se surélever. Le lit est placé à l'opposé exact du bureau, Jude est donc contraint de se contorsionner vers la gauche pour garder Caleb dans son champ de vision. Evidemment, la chaise n'est pas clouée au sol, mais Jude semble chercher à lui dire que ça ne devrait pas être à lui de se mouvoir. Caleb écarte le recueil de nouvelles qu'il n'a pas pris le temps de ranger le matin et s'allonge sur le matelas avant de se redresser sur ses avant-bras, comme pour montrer au jeune homme qu'il n'a pas l'intention de bouger. Jude accepte alors de changer de position et pivote son bassin sur le côté, de sorte à se trouver à mi-chemin entre le bureau et le lit. L'exercice semble également apaiser sa colère et sa surprise.

- Axel arrive dans quelques minutes.

- Pourquoi ?

- Pour tes beaux yeux, soupire Caleb. T'es resté enfermé dans ma chambre toute la journée ?

- Plus ou moins. J'ai un peu discuté avec Riccardo dans le salon, et j'ai aussi passé en revue ta collection de classiques érotiques planqués au fond de tes placards.

- Pourquoi ? tu commences à t'ennuyer et t'as besoin d'un remontant ?

- Je te remercie, j'ai ce qu'il faut. Pourquoi tu as invité Axel ?

- Pour te faire sortir.

- Pourquoi Axel ?

- Pourquoi pas Axel ?

- Tu ne l'as jamais beaucoup apprécié.

- C'était pas pour moi, mais pour toi.

- Alors, pourquoi pas Mark ?

- Il est occupé.

- Tu mens. Pourquoi ?

- Et toi, pourquoi tu as planqué tes écrits quand je suis arrivé ?

- C'est puéril, Caleb.

- Tu n'as plus le droit d'utiliser cet argument contre moi depuis que tu m'as laissé sur le bord de la route après m'avoir largué et baisé dans ta bagnole pour ne plus jamais donner de nouvelle !

- Tu mélanges tout, Caleb ! C'était pas contre toi.

- Oui oui, je sais. C'était toi, c'était Dark, et c'est moi qui ai trinqué.

- T'es en boucle, passe à autre chose.

- Jude, j'ai vraiment envie de te mettre une droite.

- Alors fais-le !

Il se redresse sur son lit, comme frappé au visage. Vraiment ? Vraiment ? Tu perds ton calme lorsque je te menace ? Encore une fois, Jude Sharp, celui qu'il a connu, s'extrait de lui-même. Encore une fois, il fait ressurgir l'enfant du plus profond de ses entrailles et le recrache, cruellement, violemment, comme s'il voulait définitivement l'expulser de son corps. Et cet enfant est trop immature pour comprendre comment se faire pardonner de ce qu'il a fait. La seule résiliation qu'il ait apprise, c'est la violence. Jude Sharp, trente ans révolus, romancier acclamé et primé, fils d'un grand patron d'entreprise immobilière, professeur émérite de l'université, ne sait pas comment se faire pardonner, sinon en s'abandonnant à la brutalité extrême de ceux qu'il a blessés.

Et cela terrifie Caleb.


Poney fringant et le pantin qui fume : le premier vient de l'auberge du Seigneur des anneaux, le deuxième est une inspiration de l'auberge fréquentée par Fantine dans les Misérables.

Mysterious Skin : Film de Greg Araki sur deux adolescents qui ont vécu des traumatismes dans l'enfance et se reconstruisent, l'un par l'amnésie, l'autre par l'excès. Et dans le film, Joseph Gordon Levitt porte des lentilles qui empêchent toute expression.

Alice Guy : On commence à la réhabiliter, mais c'était l'occasion. Première réalisatrice de film de fiction, précurseure du cinéma, donc, franchement spoliée par l'Histoire, au profit des frères Lumières et de Georges Méliès.

Pascal Quignard : Auteur français, qui a notamment écrit Tous les Matins du Monde (que j'aime beaucoup), et qui a beaucoup écrit sur la musique, en tout cas qui y porte grande attention dans ses oeuvres. Donc ça me semblait logique de rendre Riccardo, le pianiste-écrivain, amoureux de cet auteur.