Yo les gens ! Voici le 7e chapitre, après le rapprochement nocturne entre Jude et Caleb. J'espère qu'il vous plaira, et bonne lecture !
Coco : Ravie que leur sortie de mutisme t'aie plue ! J'avoue que ça m'a aussi fait du bien à écrire. Et effectivement, tu te doutes que Dark en pas loin, et devrait pas tarder à venir poser problème...
Esperluette : Ah, si ça te donne envie de voir des pièces (ce que je ne fais pas vraiment moi-même, alors si tu as des conseils, je prends !). J'ai adoré écrire la relation entre Axel et Caleb, parce que j'adore Axel et son flegme, et je n'arrivais pas à lui trouver une vraie place dans "Et tout le reste". Et bien sûr, on va voir passer le reste de la bande !
Quelque chose, un bruit, s'immisce dans son rêve, de façon latente. Vague impression de porte claquée… Caleb ouvre les yeux après quelques secondes. Le jour a déjà commencé à pénétrer sa chambre, par le vasistas au-dessus du lit, et il commence à faire un peu chaud. « C'est ce qui arrive quand on ne dort pas seul ». Il n'a pas suffisamment dormi pour avoir la surprise au réveil, et il se dit qu'il aurait bien aimé l'avoir. Au lieu de cela, lorsqu'il ouvre les yeux, il est parfaitement conscient de la respiration près de lui, de ce corps qui respire et qui se meut lentement entre ses bras. La veille, il y a près de trois heures, lorsque Jude a commencé à montrer des signes de fatigue, Caleb a plaqué sa poitrine contre le dos du jeune homme, et l'a sommé de se reposer. Il s'est endormi immédiatement, et Caleb a suivi, ses bras amarrés aux hanches du jeune homme. Il constate que ses mains se sont déplacées jusqu'à sa poitrine, comme pour retenir son cœur.
Une machine s'enclenche, à l'étage du dessous. Il soupire, s'étire, regarde son portable (sérieux, huit heures du matin !) et décide de se lever afin d'éviter une scène de ménage avec son colocataire. Il dégage ses mains, ses bras, mais le jeune homme dans son lit remue. Il a le sommeil léger, et les mouvements de Caleb le font basculer dans la réalité, lentement. Alors Caleb rengage son corps contre celui de Jude et plonge le visage dans son cou. La pression contre ses mains le laisse comprendre qu'il est à demi-conscient, juste assez pour comprendre sans pouvoir recourir à la parole qui reste encore un luxe du songe. Caleb embrasse le cou, l'épaule, et serre le jeune homme contre lui.
- Je me lève, mais il vaut mieux que tu dormes encore un peu. Je dois passer voir mon éditrice tout à l'heure, ne t'inquiète pas si je ne suis pas là.
Jude ne dit rien, enfonce sa tête dans l'oreiller. Le temps que Caleb quitte le lit, il s'est déjà rendormi. Il rejoint la salle de bain pour se passer de l'eau sur le visage, regarder son reflet dans le petit miroir ovale au-dessus du lavabo, et se demander comment tout ça a pu arriver. Il a chaud, il n'a pas dormi contre quelqu'un depuis longtemps, il n'est plus habitué à protéger un corps ainsi. Sans s'habiller, il descend l'escalier et entre dans la cuisine en jogging. Aitor est assis à la petite table d'appoint, un bol de café ultra-sucré posé devant lui, et un pain au chocolat entamé qui surnage.
- Tes cernes me disent que t'as passé une bonne soirée, souligne Caleb. T'en es à combien de cafés ?
- Quatre. Désolé si je t'ai réveillé. J'ai un peu squatté le canapé de Jade, mais ça a pas suffi. Je suis passé à la boulangerie.
- Tu te souviens que tu commences à bosser pour Byron Love ce soir ? demande Caleb en s'asseyant à ses côtés et extrayant un pain aux raisins du sac en papier.
- M'en parle pas…Et toi ? Vous êtes sortis avec Blaze ?
- Au théâtre.
- Et vous avez perdu Sharp en route ? J'ai vu que le canapé était pas défait, quand j'ai voulu ranger un peu le bazar d'hier.
- Non. Aitor, je dois te dire un truc.
Normalement, Aitor est son disciple. C'est comme ça que fonctionne l'Iléveune. Mais enfin, Aitor ne s'est jamais comporté en disciple, parce que Caleb n'a jamais eu l'étoffe d'un mentor. Là où Riccardo ou Arion ne contrediraient jamais leur professeur, Aitor dira toujours à Caleb ce qui lui pose problème. Et Caleb préfère ça. Alors il baisse les yeux, presque honteux, et conserve un ton de réveil, grave, monocorde, pour lui annoncer la nouvelle.
- Jude a passé la nuit (quelques heures de la nuit) dans mon lit.
- Avec toi dedans, j'imagine, soupire le jeune homme.
Il a toujours eu quelque chose contre Jude. Même avant de connaître Caleb, avant de devenir apprenti de l'Iléveune, il n'était pas un grand admirateur de la prose de Jude Sharp, ni de ses airs distants. Ensuite, il avait considéré que l'obsession de son « mentor » pour ce jeune professeur était déplacée, pour conclure que son seul charme résidait dans son apprenti : Riccardo. Considération qu'il avait donc confirmée lorsque Jude avait fui la Capitale. Alors évidemment, cette annonce de reprise romantique n'a rien pour lui plaire. Pourtant, il ne s'énerve pas, et il ne pense même pas à faire la leçon à son ami. Il le regarde, sérieux, et reprend :
- Dans le lit, je voulais dire.
- J'avais compris.
- J'imagine qu'on peut ranger le canapé, alors. Et que je peux aller m'acheter des boules Quiès.
- Tu ne m'en veux pas ?
- Non. Je me dis que c'est bien si l'un d'entre nous est heureux dans son couple.
- Désolé. Qu'est-ce que…
- C'est rien. Enfin si. Crise de jalousie. Je passe pas assez de temps avec elle, et je devrais préférer être avec elle un Mercredi soir, pas avec mes amis. Et je crois que je suis un peu jeune pour subir ce genre de crises dans mon couple, non ?
- Tu seras toujours trop jeune pour les crises de jalousie.
- Mark m'a dit un truc comme ça.
- Et il sait de quoi il parle.
- Ecoute, ma rupture est trop récente, j'ai pas encore envie d'en parler. Mais je suis heureux pour toi. Enfin, je suis un peu inquiet, mais je savais que ça arriverait tôt ou tard. Tu vas prévenir Mlle Hills ?
Mlle Hills, c'est vrai… Célia est censée récupérer son frère demain, en rentrant à la Capitale. Caleb a beaucoup insisté pour qu'il ne reste pas plus d'une semaine chez lui. Maintenant, il ne sait plus bien ce qu'il veut. Même si garder Jude lui insufflerait un regain d'énergie, il se dit que cela serait égoïste. Parce que Célia veut aussi avoir son frère pour elle seule, parce que Jude a besoin de serrer sa sœur dans ses bras, longtemps, parce qu'Aitor est chez lui ici, autant que Caleb. Et que quelque part, il serait précipité de proposer à Jude de vivre avec lui. Et puis, Caleb tient aussi à sa liberté.
Il hausse les épaules, mais Aitor et lui savent bien que Jude ira chez Célia. Le jeune homme sourit, finit son bol et déclare qu'il va aller se reposer dans sa chambre. Caleb ne lui fait pas remarqué que le bol de café va le tenir éveillé quelques temps. Il regarde l'heure au cadran de la cuisine. Il a promis à son éditrice de déjeuner avec elle, mais il a encore un peu de temps. Le trajet lui prendra une heure tout au plus. Sans repasser par la chambre, il emprunte un jean et un T-shirt à Aitor. En repassant par la chambre (pas le choix !) il récupère son portable et son portefeuille. Son écran lui affiche un appel en absence, et un SMS d'Axel : « appelle ». Alors il appelle. Il se réfugie sur le balcon sur lequel ne donne aucune chambre, allume une cigarette.
- Bon sang, mais à quelle heure tu te lèves ?
- Tu m'as dit d'appeler…
- Oui, mais je pensais que tu te levais plus tard !
- J'ai interrompu une séance de méditation ? rit Caleb. Réponds pas, je veux pas savoir. Alors, qu'est-ce qu'il y a de si urgent ?
- Julia fait une soirée pyjama, ton fils est invité, j'ai besoin de ta bénédiction.
- Ma bénédiction ? T'as prévu de les marier.
- Aucune idée, je serai pas là, ils sont grands. Plus sérieusement, elle m'a dit que ça n'allait pas fort, elle veut lui remonter le moral.
- Je suppose qu'il sera touché… Et qu'il le sera d'autant plus lorsqu'elle lui aura téléphoné, puisqu'ils sont tous deux munis d'un portable. C'est quoi, la vraie raison de l'appel ?
- A ton avis ? J'ai failli vous raccompagner chez toi après le bar, pour être sûr que tout allait bien. Il s'est passé quoi ?
- Rien, j'ai pas besoin de baby-sitter. On avait un truc à réglé, c'est fait. Tout va bien.
- Cool. Donc si j'arrive chez toi dans dix minutes, je ne retrouve pas le salon en chantier parce que vous vous êtes battus ?
- C'est toi qui te bats, pas moi.
- Seulement par amour. Allez, raconte.
- J'suis dans la merde, Axel. Et je crois que ça me va.
C'est sans doute l'heure matinale, ou bien le soleil qui point, mais c'est surtout la situation qui lui échappe. Axel n'est pas quelqu'un en qui il a confiance, d'ordinaire, et ce n'est pas non plus un confident. En fait, de façon générale, il a rarement besoin de se confier, ou alors Aitor lui suffit. Mais Aitor va avoir besoin de temps pour lui, pour se remettre de sa peine de cœur, et ses histoires avec son ex sont vraiment le cadet de ses soucis. Axel est un homme intelligent, sensible, et qui vit avec un homme compliqué. Contre toute attente, il est parfaitement indiqué pour subir l'épanchement de Caleb. Il lui raconte alors sa soirée, sa nuit entamée, puis la peau de Jude, et le baiser, et les baisers, et la nuit presque blanche, et le naturel de ces retrouvailles, et le sentiment de plénitude…
Sa cigarette se consomme et se consume sans son aide, sa voix emplit le silence assourdissant de la ville qui se réveille, et Axel, à quelques kilomètres, se contente de respirer régulièrement, à l'écouter, attentivement, patiemment. Il allume lui aussi, de son côté du téléphone, une cigarette qu'il inspire lentement, en réfléchissant chaque mot de son collègue. Lorsque celui-ci termine son récit, à court de souffle, il attend encore. Caleb prononce son nom, au cas où il se serait envolé, et Axel le rassure, lui dit que tout va bien. Sans doute a-t-il autre chose à lui dire, mais il se retient. Ils restent là, chacun collé à son téléphone plat, à attendre que l'autre se décide à prendre la parole. Et rien ne vient. Et sans doute Caleb préfère-t-il ça, parce qu'il n'a pas droit à un procès, ou un jugement qui le placerait en victime naïve de la manipulation sharpienne. Il entend la respiration lente, soufflée, d'Axel. Après quelques minutes, à patienter, accrochés au téléphone, le jeune romancier écrase sa cigarette et reprend la conversation :
- Tu n'as pas besoin de conseil.
- Non. Je crois que je veux vivre ça, simplement, à mon rythme. Sans prise de tête.
- Et s'il part après le procès ?
- J'aurai vécu.
- C'est le moment de poétiser ?
- Je n'y peux rien, c'est moi.
- J'imagine qu'on garde ça entre nous ?
- Ben, Célia sera forcément au courant. A part ça, je préfère. Je ne sais même pas ce que Jude en dit, de cette situation.
- Tu fais quoi, pour notre jeune journaliste ?
- C'est sa sœur, tu veux que je fasse quoi ? Je le lui rends, c'est mieux comme ça. Je pensais organiser un truc, à la maison, genre une fête. Avec l'Iléveune, les apprentis… Demain soir.
- Tu vas fêter son départ ? Il va bien le prendre…
- Justement, je veux pas un truc à la con, qui dirait « cool, on a baisé, à la prochaine ». C'était une expression, hein !? J'veux dire, on n'a pas…
- Tu t'emmêles, Caleb.
- Un truc cool, pour lui rappeler qu'on est là.
- Ça marche. Je m'occupe des invitations, si tu veux.
- Non, je gère. Toi et tes fêtes à 300…
- Très bien. T'occupe pas du buffet, on trouvera. Et habille-toi, pour une fois ! Rappelle-toi, je prends ton fils ce soir, si t'as envie de te trouver une occupation illicite !
Caleb raccroche, en souriant, persuadé que sinon, son ami va aussi lui soumettre une ou deux idées. Ensuite, il se dit qu'il ferait bien de vite prévenir ses futurs invités immédiatement, puisque sa « fête » aura lieu dans moins de 48 heures. Quelque part, prévenir si tard aura ses avantages : beaucoup ne parviendront pas à s'organiser. Ainsi, il peut inviter par obligation des personnes qu'il n'apprécie pas et apprécier leur refus. Avec un peu de chance, Samford et King auront des soirées trop remplies pour voir leur ami. Lorsqu'Aitor passe dans le salon pour récupérer un livre, Caleb le prévient, lui propose d'inviter les apprentis (oui, Julia aussi, si tu veux) avant d'envoyer un SMS groupé à beaucoup trop de personnes, et beaucoup trop de gens qu'il espère ne pas voir chez lui. Puis il balance son portable dans son sac, parce qu'il est encore en retard chez son éditrice.
Retour à la maison
Fin d'aprèm', quand le soleil se couche
Edith a été assez claire : elle ne pense pas qu'il obtiendra le prix Médicis cette année, mais il l'aurait mérité. Et finalement, cela convient assez à Caleb, parce qu'il n'a pas envie d'arpenter les plateaux-télé pour parler de la joie que lui procure ce prix… En fait, il se rend compte qu'une fois que son livre est livré, il lui échappe, et que cela lui plait. Ainsi, il peut s'inquiéter d'autre chose, tourner la page, littéralement. Et même s'il continue de retrouver Darren Lachance sur son émission quotidienne lorsque l'un de ses livres parait, il n'apprécie pas la télé. Chez Darren, il se sent bien, il retrouve des visages familiers, il garde le lien. Darren lui a offert sa première télévision, il lui semble normal de lui rester fidèle. Et puis, se déplacer sur ce plateau est toujours une occasion de déjeuner avec Célia dont les locaux se trouvent dans le même quartier. Bien sûr, on le taxe de ne pas vouloir se brûler à des avis moins amicaux sur son livre, mais Caleb fait toujours remarquer que les journalistes présents dans les autres émissions ne sont pas plus critiques littéraires que Darren. Et puis, l'émission de son ami fait suffisamment d'audience pour rassurer son éditrice.
Il pousse sa porte, et une odeur vibrante de crème et légumes et un vieux tube dansant des années 80 s'emparent immédiatement de ses sens. En général, c'est Aitor qui fait la cuisine, parce que Caleb déteste ça. Mais à cette heure-ci, il est déjà à la Capitale, pour sa première aux côtés du dramaturge angélique contrôleur de météo. Et Caleb se dit que c'est quand même chouette d'avoir un homme à la maison quand il rentre. Sans passer par la cuisine, il pose son sac dans le salon et consulte son portable. Il a reçu de nombreuses réponses pour le dîner du lendemain, la plupart positives. Comme son adresse n'était pas indiquée dans le message initial, il doit répondre manuellement à chacun pour la leur noter. Ce stratagème a pour but d'éliminer certains noms (Samford) et certains retardataires qui répondraient présents à une heure du lancement des festivités. Ceux qui ne donnent pas de réponse sont donc, d'office, éliminés. Il constate avec plaisir que Samford n'a pas répondu, que Sue, Byron et Hurley sont disponibles, et avec surprise que Shawn se rendra également libre. Il y a deux ans que Caleb n'a pas vu Shawn, qui s'était officiellement retiré de la Capitale pour rejoindre les Montagnes.
- T'as vraiment organisé une fête ?
- Putain !
Là encore, Caleb n'est pas habitué à avoir quelqu'un chez lui, le soir, alors il sursaute lorsqu'on lui parle sans prévenir, et rattrape son portable avant qu'il ne rejoigne avec panache le sol. Il se retourne en écartant les bras, pour signaler à son hôte que ce ne sont pas des manières, et son hôte semble peu réceptif à ses représailles.
- Merde, Jude, tu m'as fait flipper !
- Pourquoi tu m'as rien dit ?
- Je voulais te faire une surprise !
- J'aime pas beaucoup les surprises. Et tu le sais.
- J'ai eu l'idée ce matin, cette nuit, je sais plus.
- T'as eu le temps de réfléchir, cette nuit ? sourit Jude.
- Entre deux rêves érotiques… Bref, je voulais un petit truc, j'en ai parlé à Axel. Et puis, Aitor a pas le moral… Comme ça, ta sœur débarque de l'avion et se préoccupe pas de ce qu'il y a dans le frigo, elle vient direct ici !
- C'est une tentative pour me garder chez toi, ça ?
- Pas vraiment, dit Caleb en baissant les yeux. Je pense toujours qu'il vaut mieux que tu ne restes pas ici.
- Tu regrettes ?
- Pas du tout, au contraire. Mais je pense que tu as besoin de temps avec ta famille, et que ce serait toxique pour toi de rester ici. Et puis, Aitor est en pleine crise sentimentale.
Le jeune homme face à lui sourit, comme pour approuver la décision, et cela le soulage de ne pas avoir à se justifier.
- Je pense pareil.
- Ca ne veut pas dire que tu ne peux pas revenir passer la nuit ici, de temps en temps.
- C'est une jolie proposition. Et pour cette nuit, tu m'accueilles encore ?
- Seulement si tu restes dans mes bras.
- Ca me va, rit le jeune homme. Tu as invité qui, demain ?
- Un peu tout le monde. C'est Axel qui t'en a parlé ?
- Non. David m'a envoyé un message en précisant que tu n'avais pas noté l'adresse, et que s'il passait par toi, il ne l'aurait jamais. Je la lui ai donc donnée, pour t'éviter d'user un SMS !
Putain. Parfait.
La tirade de Perdican : L'un des extraits les plus célèbres de la pièce On ne badine pas avec l'amour, de Musset, est la tirade de Perdican, dans laquelle il s'insurge que Camille, qu'il aime, préfère se réfugier au couvent pour ne pas vivre les violences de l'amour. Lui, explique que c'est très dur d'aimer, mais que c'est aussi ça, vivre.
