Yo ! Ravie de vous retrouver cette semaine avec un chapitre plus léger. J'espère que ça vous plaira !


Rue de la Capitale, assez vide

Milieu de la nuit

Marchant, les poings plongés dans les poches étroites de son jean, arpentant les pavés de la Capitale, il réfléchit activement. Jude est officiellement « rentré » chez sa sœur et n'en sort plus depuis cinq jours. Caleb s'est vu attribuer une mission par son ancien chef : le libérer. Ce à quoi Célia a répondu que tout le monde devait se calmer, qu'elle ne retient pas son frère en otage, que son appartement est ouvert à tout le monde. Et Mark a répondu qu'il fallait sauver Jude de lui-même, en levant le poing de façon théâtrale. Et Axel a souri, et personne d'autre ne l'a fait. Officiellement, Caleb s'est réconcilié avec son compagnon. Il lui a présenté des excuses et Jude les a acceptées. Par SMS. Conversation exclusivement construite sur des SMS. Et le jeune homme commence à sentir la culpabilité peser dans son estomac, il a besoin de s'en débarrasser. Alors, lorsque les dix coups de pas vraiment minuit sonnent, il est en bas du bâtiment partagé par le couple Hills/Lachance, et il a escaladé la clôture privée pour se retrouver sous la fenêtre de Jude. Il l'espère. Normalement, lorsqu'il a aidé Célia à déménager, elle lui a bien indiqué que c'était cette chambre-là qui servirait pour les amis et la famille.

Premier étage. La lumière est éteinte, et sans doute Jude est-il déjà couché. Alors, marqué par les élans dramatiques de Mark, Caleb empoigne quelques cailloux et les jette, un à un, contre la vitre du premier étage. Le premier rate sa destination, le deuxième aussi. Le troisième atteint son but, et le quatrième est manqué. Après ça, le coup de main est pris. Au bout de huit cailloux, une lumière envahit le cadre vitré de la chambre. Le jeune homme sourit, et s'avance vers la façade de l'immeuble. Quand on commence dramatiquement, on pousse l'idée jusqu'au bout. L'architecture archaïque propose de larges prises dans la pierre, et l'escalade ne sera pas difficile. A quelques mètres de lui, le bruit étouffé de la fenêtre qu'on ouvre prudemment provoque un frisson dans son corps, le frisson assez délicieux du danger et la marginalité. Très vite, il parvient à attraper la barrière du ridicule balcon de fenêtre, et prend appui avec ses pieds sur la gouttière et sur un renfoncement de la pierre. Affichant un sourire aguicheur et provocateur, il lève les yeux.

- J'étais pas sûr à cent pour cent que c'était bien ta chambre…

- T'es complètement timbré.

Caleb le remercie pour le compliment, et Jude sourit. Ses cheveux lâchés ploient vers le grimpeur en herbe, comme une invitation à agripper son corps, s'y accrocher et se hisser contre lui. Avant que le jeune homme n'attrape une crampe, il tend son long bras vers lui, et Caleb prend sa main avant de se sentir tracté avec facilité sur le minuscule balcon en cage. Il escalade la tout aussi ridicule barrière, jetant un œil au bas de l'immeuble, pour se rappeler qu'il a encore l'âge de l'impertinence et de l'impulsivité. Jude recule, tenant toujours fermement sa main (au cas où il tombe) et l'invite dans la chambre, repeinte dans les tons chauds, beige et marron, où on ne retrouve rien de Jude : ni la grande étagère branchée, ni le bureau impeccablement rangé, ni le lit trop cher, ni les tableaux expressionnistes… Cela arrache un soupir à Caleb. Il constate que Jude devait être couché, puisqu'il porte un jogging et un T-shirt trop grand où se mêlent beaucoup d'éléments de pop culture pour qu'il lui appartienne. Les draps du lit aussi prouvent le sommeil de Jude, puisqu'ils sont tirés au hasard, rabattus, et l'oreiller enfoncé. Un petit lit une place.

- Je ne te propose pas de rester dormir, ironise Jude en suivant le regard de Caleb sur le lit.

- C'est une stratégie de ta sœur pour m'éloigner de toi ?

- T'as vraiment escaladé le premier étage pour me dire ça ?

- Il fallait bien que je te vois.

- Ça pouvait pas attendre ?

- Non. Je voulais te voir ce soir. J'ai des trucs à te dire.

- Tu sais que j'ai un portable ? Tu pouvais aussi frapper à la porte, je t'aurais ouvert.

- Avoue que c'est plus drôle comme ça. Et plus excitant. J'ai toujours rêvé de jouer les tragédiens.

La conjecture actuelle voudrait que l'un (lequel ?) en veuille à l'autre (lequel ?). Pourtant, Jude ne peut s'empêcher de sourire devant l'impétuosité de son compagnon, et cela débarrasse un peu Caleb de sa culpabilité. Shooté à l'adrénaline, il s'avance vers le jeune romancier et passe ses bras autour de ses hanches. Shooté à la catharsis, Jude passe les siens autour des épaules du jeune homme, et le serre contre lui avant de recevoir un baiser amusé. Avant de permettre à Caleb d'explorer de ses lèvres son cou, Jude se plante dans ses yeux grisés par la lumière et l'aventure, et lui dit :

- Célia et Darren dorment juste à côté, et je n'ai pas de quoi t'accueillir pour la nuit. Alors, Roméo, que fait-on ?

Il fait mine de réfléchir, parfaitement conscient de ce qu'il va proposer. Il dépose une emprunte à l'aide de sa langue contre une veine saillante du cou, et remonte au creux de son oreille pour lui murmurer : « Habille-toi, je t'emmène danser ». Jude fronce les sourcils, mais enfin, Caleb s'est trop démené pour lui désobéir. Il attrape un pull gris et un jean, des lunettes fumées et un borsalino sombre (pour ne pas être reconnu, Caleb !). Sans même attendre la demande du jeune homme, Caleb lui tourne le dos pour le laisser se changer. Il enfile des sneakers (et qui, hormis lui, parvient à faire porter des baskets à Jude Sharp ?) et demande à Caleb ce qu'il a prévu, sachant pertinemment qu'il gardera le secret jusqu'au bout.

Toujours gorgé de courage dramatique, Caleb s'avance vers la fenêtre et l'ouvre afin de retrouver le passage qu'il a ouvert quelques minutes plus tôt. Il regarde son compagnon, circonspect, et lui offre son sourire le plus provocant, le plus ravageur, pour l'intimer à le suivre. La poitrine de Jude se soulève, il pince les lèvres et serre dans son poing la clef de l'appartement. Et soupire finalement, en desserrant le poing, laissant la petite clef tomber sagement sur la couverture défaite du lit. Caleb l'observe s'approcher de la table de chevet et éteindre la lumière, puis s'avancer jusqu'au balcon, lentement, pour ne pas faire de bruit. Et cette démarche silencieuse s'accorde nécessairement à un balancement prononcé des hanches et du bassin, amplifié par la coupe serrée du pull qui dévoile au lieu de cacher. Caleb mord sa lèvre, et recule, à l'aveugle sur le balcon, jusqu'à ce que ses reins rencontrent la barre de fer anti-suicide. Il cambre son dos en arrière, pour se délecter au maximum du vent dans ses cheveux, de cette sensation de vide et de liberté absolue, dévorant la démarche sensuelle de son compagnon qui le rejoint, libéré de cette chambre oppressive, empoigne sa nuque pour l'attirer à lui, le rétablir sur terre. Caleb se précipite alors sur sa bouche et la pille avidement, engloutissant sa langue et toutes ses inquiétudes.

- Tu ne m'as pas attiré sur le balcon pour ça ? demande Jude, coupant court au baiser.

- C'était juste un extra.

Capitale, près du fleuve central

Plus tard

Hurley, qui doit par ailleurs traîner dans les parages, a prévenu Caleb la veille qu'un événement autour de la marine et de l'eau était organisé une fois tous les quatre ans à la Capitale, et que cela durait toute la nuit. Des bateaux colorés et illuminés descendent le fleuve comme des chars de la Gay Pride, avec des messages politiques, historiques, ou artistiques. Le jeune homme n'a aucun lien avec l'eau, mais l'occasion faisant le larron, il a décidé d'y sortir Jude.

Dissimulés sous des verres fumés et des chapeaux, les deux écrivains battent le pavé au rythme de la foule qui ne les reconnait pas, s'extasiant comme des enfants devant les embarcations nautiques qui se pavanent tels des rois sur les flots. Ils rencontrent rapidement Hurley en compagnie d'un groupe d'amis musiciens, et il les invite au concert qui commence dans une demi-heure. Puis ils rencontrent Sue, à un stand de vente de crêpes bretonnes tenu par sa mère. Elle promet de ne rien ébruiter de leur sortie en amoureux, et tous deux savent qu'elle ne tiendra pas sa langue. Ils passent quelques minutes à une exposition consacrée aux navires de guerre, mais l'exposant les regarde un peu trop longuement, alors ils préfèrent partir avant d'être reconnus. Ils atterrissent finalement au concert donné par les amis d'Hurley.

La salle est ouverte, petite, si bien que Jude et Caleb préfèrent se tenir en retrait. Ils trouvent donc refuge sur une large pierre à l'ombre imaginaire d'un grand chêne, directement à gauche de la scène qu'ils parviennent à observer grâce à une fenêtre sans vitre creusée dans le bois. Ainsi, ils peuvent voir Hurley, reconverti en musicien (avec un seul livre publié, est-il seulement écrivain ?), derrière son synthé. Les deux hommes se laissent immédiatement percuter par le chant corse a capella entonné par le chœur, et Jude se serre contre Caleb. Puis le chœur prend possession des instruments et siffle un hymne de marins irlandais, et Caleb, assis sur la pierre, emprisonnant Jude de ses bras et de ses jambes, se met à murmurer, le visage plongé dans les cheveux du jeune homme : « Pardonne-moi ». Il ne veut pas laisser à Jude la possibilité de refuser, il a besoin de cette rédemption. Jude ne bouge pas, absorbé par la musique du chœur, par la musique du souffle de Caleb. Ce n'est pas une demande, c'est une supplication.

- Je n'ai jamais voulu te juger. Mais tu me fais peur, parfois. Parce que je ne comprends pas tes actions, parce que je ne contrôle pas les miennes. Mais quoi que tu fasses, quoi que tu décides, je serai de ton côté, tu sais ?

Le chœur fait taire Molly Malone, et choisit un répertoire de chansons païennes à boire, et Jude respire entre les bras de Caleb. Il remue, se retourne, et approche de sa bouche le visage de son compagnon, pour l'embrasser. Il n'y a pas l'adrénaline du sauvetage de tantôt, il n'y a pas la bestialité du balcon. Mais il y a le pardon, et la confiance. Et tout ce que souhaitait Caleb.

Avant la fin du concert, Caleb décide qu'il est temps de ramener Jude chez sa sœur, parce qu'il est bientôt minuit et que lui-même va devoir trouver un métro pour rentrer. Le jeune romancier lui propose de rester chez Célia, en catimini. Caleb refuse, parce que cette nuit est la dernière que la jeune Julia Blaze passe à la Capitale avant de retrouver sa province ensoleillée, et Aitor aura besoin de réconfort.

Ils escaladent donc de nouveau la façade de l'immeuble, quelques minutes avant minuit. Jude rejoint le premier le balcon, et tente d'y attirer Caleb. Mais celui-ci reste suspendu à la barre de sécurité. Alors Jude se penche au-dessus de celle-ci, et embrasse longuement le jeune aventurier.

- Bye Roméo.

- Bye Cendrillon.

Et il repart, le cœur léger, à la recherche du dernier métro.

Maison, salle à manger,

Au matin

Jude lui a écrit un SMS : « Merci pour la soirée », et il se sent l'âme adolescente. Terriblement adolescente. Alors il a éteint son portable, un sourire aux lèvres, pour ne pas passer la matinée à relire ce ridicule texto, et décide de s'intéresser à une version illustrée des Contes d'Edgar Poe. Plongé dans sa lecture, il lui semble entendre les corbeaux s'envoler lorsque la porte de l'entrée claque avec force, et réveille ainsi son cerveau engourdi de mots.

- Salut.

Il soupire en voyant Aitor, ses cheveux décoiffés, son sac plein à craquer et ses yeux cernés et bouffés de larmes. Poe et ses damnés peuvent bien attendre, les vivants ont besoin d'aide. Caleb pose le livre sans prendre la peine de corner la page, observant son jeune ami se courber pour poser son sac trop lourd, les yeux irrémédiablement accrochés à celui-ci, comme s'il s'agissait d'un souvenir précieux. Quelques sanglots bloqués dans la gorge, il accepte après quelques minutes de parler.

- Dis… Ça t'ennuie si…

Un petit mouvement de la tête dans sa direction permet à Caleb de comprendre la demande du garçon. Il écarte alors les bras, toujours assis sur le canapé, et chuchote « viens ». Alors son colocataire fond sur lui, il fond en larme dans ses bras et contre son torse plus adulte, avec la vague impression d'avoir dix ans de moins. Et Caleb (qui commence à avoir l'habitude de jouer les tuteurs) l'entoure de ses bras, et caresse ses cheveux longs, en se promettant de ne pas lui dire quelque chose de stupide, comme « ça va aller ». Pendant de longues, d'assourdissantes minutes, le salon se remplit de la rage et de la détresse du jeune homme qui ne sait plus comment s'exprimer autrement. Et Caleb voudrait l'imiter. A-t-on jamais entendu pire son que celui d'un enfant qui souffre ? Mais comme Aitor n'est plus exactement un enfant, bien que Caleb se plaise à l'oublier, il retrouve ses esprits, après plusieurs minutes, et se redresse, pour ensuite s'affaisser contre l'épaule de son ami.

- Tu me trouves ridicule ? demande Aitor, la voix grave.

- Avec mes déboires sentimentaux, je suis mal placé pour te juger.

- C'est vrai. J'avais pas prévu que ça ferait si mal, tu sais. Que je serais triste, touché, ouais. Mais pas autant. Je la connais que depuis deux semaines, et c'est mon amie. C'est pas super bizarre, que je pleure pour le départ de Julia, mais pas pour ma rupture amoureuse ?

- Non.

Le portable de Caleb vibre contre le simili cuir du canapé, lui signalant l'arrivée impromptue d'un message. Acte manqué : il n'avait pas vraiment éteint l'appareil. Il déverrouille ce dernier pour laisser apparaître sur l'écran un message d'Axel : « Comment va le petit ? La mienne est en larmes ». Bon ben au moins, le coup de foudre amical a été réciproque. Dire qu'il leur faudra attendre six semaines pour se revoir…

- Désolé, je t'ai même pas demandé comment s'était passée ta soirée. T'as pu voir Sharp ?

- Ouais. On est allés voir un concert près du fleuve.

- Donc vous êtes réconciliés. Ça veut dire qu'il va revenir vivre ici ?

- Je te l'ai déjà dit, ici c'est chez toi aussi, je t'imposerai pas Jude tous les jours. En même temps, on peut pas aller chez sa sœur… Ce serait bien qu'il se bouge un peu pour se trouver un appart'.

- Tu vas râler quand ce sera le cas, parce qu'il vivra dans un quartier bourgeois…

Il hausse les sourcils d'un air entendu. Ceci dit, vivre dans les quartiers bourgeois, ce

sera toujours mieux que vivre chez Célia, où il devra s'aventurer en cachette, la nuit tombée. Aitor, qui a besoin de repos et de réconfort, décide de rester près de son ami, et allume la télévision. Caleb abandonne son livre, et reprend possession du portable délaissé. Il répond à Axel, répond à Jude (pur plaisir, Jude n'a pas posé de question). La télé crache des informations, des mots à toute berzingue, incapable de se décider pour une chaîne de news, de la télé-réalité ou un film en cours. Aitor cherche juste à occuper son esprit, à le concentrer sur quelque chose d'éphémère qui n'engagera pas son raisonnement. Et de fait, cela brouille les pensées de Caleb. Il débute alors une conversation épistolaire peu intéressante avec Axel, qui lui explique combien il a été difficile d'accompagner sa sœur à la gare, etc… Il lui apprend aussi qu'il a réussi à contacter Xavier (que Mark a réussi à contacter Xavier, donc) et qu'il va rentrer dans les prochaines semaines, le temps de boucler ce qu'il doit boucler. Au même moment, coïncidence amusante, la télé se fige sur la tête de l'écrivain exilé en Amérique, avec ses cheveux ébouriffés rouges de parfait petit étranger légèrement borderline, mais d'une marginalitude maîtrisée pour plaire aux américains. Il a la démarche assurée sur les dalles d'un prestigieux campus, une mallette en cuir dans la main, plissant ses yeux vert délavé. Il tient par l'épaule un jeune homme ou une jeune femme (Caleb n'a pas encore bien saisi) aux cheveux longs, visiblement étudiante. Xavier a toujours eu un faible pour les étudiants, notamment pour ceux dont Jude ne voulait pas (donc tous. Déontologie). Sans doute un goût revanchard pour la perversion de l'étudiant en lettres classiques qui plonge dans les méandres de l'obscène science-fiction, le fantasme obsédant du jeune adulte qui dérive vers l'obscurité des sous-genres littéraires. Aitor laisse la chaîne terminer son annonce et signaler que le cycle américain du grand Xavier Foster prend fin dans quelques semaines, et qu'il sera sans doute de retour à la Capitale pour soutenir l'Iléveune (l'Iléveune. Pas Jude Sharp) face à Ray Dark. Est-ce qu'Axel a vraiment contacté Xavier ?

Aitor zappe, et tombe sur un vieux clip de hip-hop.

- Tu sais, même si j'ai vraiment envie que Monsieur Sharp gagne face à Dark, j'ai pas franchement hâte que ça commence.

- Que ça commence ?

- Ouais. Le procès. Ça va lancer une guerre à la Capitale, tout le monde aura son avis sur tout. Et tu vois, j'aimais bien qu'il y ait plus de scandale. Plus de Blaze qui dilapide son argent, plus de Foster qui couche avec une étudiante, plus de crise de larmes et de crises tout court. C'était tranquille, tu vois.

- Tu crois que c'est Jude qui a tout fait voler en éclat ?

- Non. On va pas faire semblant, vous attendiez tous ça pour repartir. Sharp a été une étincelle qui enflamme le brasier.

De quel brasier tu parles ?

- Vous avez tous sauté sur l'occasion parce que ces conflits, ça vous nourrit. J'veux dire, Mark est un tribun, mais sans foule à haranguer. Et toi, t'es obnubilé par la violence et la lutte. Alors forcément, tout le climat, là, il va vous alimenter. Mais moi, ce procès, il me terrifie.

- Pourquoi ? Il te concerne pas.

- Mais toi, oui.

- Jude est pas en procès. Il est juste cité à comparaître. Alors non, ça me regarde pas non plus.

- Et s'il porte plainte ? Tu te vois partir en croisade pendant des mois, des années ?

- Il portera pas plainte.

- T'es sûr ? Mark pense que c'est le seul moyen pour faire plonger Dark. Le faire vraiment plonger.

- C'est lui qui t'a dit ça ?!

- Ben non. Je l'ai entendu en parler à Axel dans sa loge, un soir. Je crois qu'il va essayer de le convaincre.

- Oh ça va, Jude est un grand garçon, il sait ce qu'il a à faire !

Faux.

- Donc pas de procès ?

- Je sais pas. Si Jude porte plainte, je le soutiendrai. Mais il le fera pas. Toi et moi, on sait ce que Dark a contre lui.

- Ben tu sais, j'y ai réfléchi. Et, j'veux dire, tu crois pas que ça peut aussi être considéré comme un acte non-consenti ? Ce qu'a dit Froste l'autre soir. Quand t'es pas sûr de consentir, sans doute que tu consens pas. Tu vois, y a plein de gens qui ont été abusés par un parent quand ils étaient gosses, et qui même adultes arrivent pas à te dire pourquoi ils sont pas partis, pourquoi ils continuent à voir ce parent. Ben je me dis que c'est tellement pas admis qu'un adulte t'élève en te faisant du mal (j'veux dire, c'est juste pas logique !) que t'es peut-être même pas conscient que c'est pas normal, ce que tu subis.

- Donc, selon toi, ce serait aussi un viol ?

- J'imagine qu'un bon avocat pourrait prouver que oui. Mais j'imagine aussi que le plus à même de le découvrir, et ça va pas te plaire, c'est toi. C'est toi qui sais ce qu'il se passe dans son intimité, c'est toi qui connais son âme et son corps, tu vois.

- Et comment je fais si lui ne sait rien ?

- T'es écrivain, Caleb. Sonde son âme. Comprends-le.

- Parfois, je déteste mon boulot.

- C'est parce que c'est pas un boulot, rit Aitor. C'est une voie, et un appel, un peu tordus. Mais bon, vous êtes un peu tordus, vous, les artistes.

Même endroit

Six jours plus tard

Musique urbaine qui retentit dans le salon. Caleb regarde son écran. SMS de Jude : « Une crémaillère, le 8, ça te dit ? Tu vas pas aimer, mais Célia m'a trouvé un truc sympa, dans les quartiers huppés. Ramène un truc à boire, pas de cadeau, mais n'oublie pas ta brosse à dents. » Il soupire.

- Tu vois, lance Aitor, par-dessus son épaule, je savais que t'allais râler.


Tonight : Tout le début du chapitre est lourdement référencé à Roméo et Juliette, et au théâtre en général. Et c'est ma deuxième grosse référence à cette pièce, que j'aime même pas spécialement... Par contre, le titre vient de la merveilleuse chanson entre Tony et Maria de West Side Story, version Spielberg, qui correspond mieux au ton léger que j'ai donné à ce passage.

Concert de marins : A l'époque, j'écoutais beaucoup les chansons de marins, notamment Molly Malone de Sinead O'Connor et une version A Capella d'un choeur corse de Misere de la mer