Salut les gens !

Ravie de vous retrouver pour ce chapitre un peu long mais bon, je sais pas m'arrêter ! J'en profite pour vous dire merci. Même si j'ai assez peu de retour sur la fiction (et merci infiniment à celles et ceux qui prennent le temps de m'adresser un mot chaque semaine), je constate dans les stats que beaucoup la lisent, et en vrai, c'est quand même pour ça que je poste, alors ravie que ça vous entraîne à ce point.

On se retrouve en bas, bonne lecture !

Esperluette : C'est marrant, je me rends compte que Shakespeare me suit beaucoup, alors que c'est un auteur que j'ai beaucoup lu pendant genre 6 mois, mais pas plus, et il y a longtemps. Mais j'y reviens toujours. En vrai, pour Roméo et Juliette, c'est surtout que je suis obsédée par le West Side Story de Spielberg... Concernant Aitor, j'aime beaucoup l'écrire, et effectivement, je trouve ça cool qu'il ait une relation platonique et méga importante, ça change de mes grands élans de détresse amoureuse !

Coco : Effectivement, c'est pas mal un peu de douceur de temps en temps. Evidemment, c'est toujours pour mieux repartir... Procès, pas procès ? A voir...


Quartiers Bourgeois, nouvelle résidence Sharp,

Le 8

- Le proprio m'a assuré que le quartier était tranquille, mais les voisins sont de vrais requins. Ils épient de leur fenêtre, c'est un enfer. Heureusement, y a un mur. La chambre d'amis.

Il ouvre une porte qui donne sur une chambre assez simple, où un lit double démodé tient le mur, accompagné d'une table de chevet bon marché. Où est passé le bon goût Sharp ? Dans la lampe, piètement en marbre blanc et abat-jour en velours moutarde, sans doute. Après tout, Jude n'habite les lieux que depuis quatre jours, et il doit tout investir. Le petit groupe suit son hôte à travers le couloir de l'étage, où il ouvre une porte pour montrer la salle de bain immaculée, vert d'eau. Puis il ouvre la dernière porte, sans rien annoncer. Le groupe pénètre une grande salle aux murs épurés, blancs et gris clair, où tout le bon goût Sharp s'est réuni. On y trouve une commode Louis XVI en bois peint, un grand miroir à liseré noir près de la fenêtre tendue d'un voile gris perle. La lumière diffuse du soleil révèle, juste en face, un bureau large en bois où repose un ordinateur portable, prêt à l'emploi. Et puis, au centre, il y a un grand lit qui transforme la grande salle en grande chambre, recouvert d'un couvre-lit bleu froid, et deux tables de chevet l'encadrant, où trônent deux lampes de chevet à l'abat-jour en velours violet. Certes, il n'y a eu aucun effort fourni pour le reste de l'étage, mais ici, on ressent bien les origines de Jude, et l'intérêt qu'il porte aux apparences. Caleb est soufflé.

Shawn regarde par la fenêtre, et s'extasie sur la vue tandis que Mark s'intéresse aux livres posés sur la table de chevet. Quant à Axel, il s'observe dans le miroir, et refait sa queue de cheval. Au loin, on entend la voix pressée d'Aitor qui tente de joindre Julia, se disputant le téléphone avec Riccardo. Les autres invités ne sont pas encore arrivés.

- Tu peux laisser tes affaires ici, si tu veux, murmure Jude à l'oreille de Caleb. Ce n'est pas de l'or mais j'imagine qu'un lit en bois massif te suffira.

Il esquisse un sourire et lève les yeux au ciel, rappelant à Jude qu'il n'a jamais rien promis. « Dis pas n'importe quoi, on sait bien que tu vas rester. » lui avait dit Aitor, quelques jours auparavant. Et Caleb sait que c'est vrai (et Aitor a déjà invité Riccardo à une pyjama party), mais il aime rappeler à Jude qu'il n'est pas acquis à sa cause. Mais lorsqu'il est arrivé, une bouteille de champagne à la main et rien d'autre, Jude a souri, comme si l'oubli du cadeau traditionnel de crémaillère était le signe net d'une nuit à deux. Caleb abdique, et se retourne pour embrasser son hôte, dans sa chambre. Et cela arrache un sourire à Mark, mais pas à Axel qui continue de s'inquiéter de cette relation (oui oui, je sais, Jude est égoïste et manipulateur, et je viendrai bientôt pleurer dans tes bras…). Et puis Shawn…

- Sérieux, vous pouvez pas me faire ça alors que mon mec est parti y a trois jours !

- Désolé, Shawn, Jude ne tient pas en place !

- Allez, sourit Jude, je vous propose de descendre au salon pour boire un verre en attendant les autres.

Il entraîne ses amis vers les escaliers tandis que Caleb pose son sac, et jette un coup d'œil au lit où il dormira cette nuit, avant de refermer la porte. Au rez-de-chaussée, Riccardo a déjà laissé entrer la plupart de l'ancienne Iléveune (moins deux : Nelly est toujours injoignable, et Xavier devrait refaire surface dans une bonne semaine, au grand damne d'Axel), et Riccardo a eu le droit d'inviter Victor et Arion, pour ne pas s'ennuyer et faire joujou, loin des adultes. Evidemment, à peine descendu, tout le monde saute sur Jude, pour le complimenter sur sa nouvelle acquisition (location). Et Caleb est vite relégué au mini-bar. Parce que tout ça, toute cette euphorie autour de quatre murs joliment peints, ce n'est pas son monde. Il se bat un peu avec le mini-bar pour trouver autre chose qu'un verre de rouge ou un cocktail au nom imprononçable. Echec. Et finalement, le salut vient par un petit ange des montagnes. Shawn sourit et lui tend une bouteille en verre dont le liquide brun ressemble bien à de la bière décapsulée. Lui-même en tient une dans la main droite, et la fait tinter contre celle de Caleb, maintenant dans sa main. Il porte le goulot à ses lèvres : c'est bien de la bière.

- C'est Axel. Il s'est dit que tu tiendrais pas la soirée sans alcool bon marché. Il t'a aussi ramené des cigarettes.

- C'est mignon. Et toi, tu dois me tenir compagnie ?

- Non, rit Shawn. Mais bon, entre délaissés, on peut bien se serrer les coudes.

- C'est difficile, la solitude, pour toi ?

- Oui et non. A la Capitale, un peu. J'y ai pas été habitué. Mais bon, je vais pas non plus jouer les tortionnaires et le forcer à rester où il se sent mal. Je dis pas ça pour…

- Je sais. Je vais pas vivre avec Jude, tu sais. J'en ai pas envie, lui non plus. On n'est pas du même monde, et nos mondes se comprennent pas bien, alors, je prends ce qu'i prendre, mais je veux pas m'engouffrer dans une faille qui m'éblouirait trop, et je veux pas le retenir loin de sa nitescence.

- Whaou… Sa nitescence…

L'éclat de rire de Shawn creuse un sourire sur le visage de Caleb, parce qu'il se rend bien compte que le mot qu'il a employé n'a rien à faire dans sa bouche. Puis il croise un autre sourire, celui de Jude, dessiné au-dessus de son menton fier, au-dessus de son port de tête levé. Et il se dit que ce mot désuet et étudié a toute sa place dans sa bouche lorsqu'il le destine à son compagnon. Byron entre en piste, tenant la main de Chang Su. Il se précipite évidemment sur Jude et l'enlace, puis se dirige vers Caleb et l'embrasse. Sue arrive juste après, et la soirée est complète. Caleb est toujours stupéfait par cette incapacité des membres de l'Iléveune à rompre tout à fait les ponts, sauf lorsqu'ils s'exilent. Pour certains, amis d'enfance, tels que Jude et Mark, cela semble logique. Mais qu'est-ce qui pousse Sue à continuer d'accompagner Byron dans les clubs de jazz ? Qu'est-ce qui enjoint Célia à prendre des nouvelles des ventes de David ? (Joseph King apparait soudain, et Caleb se souvient alors de son existence, et de son amitié pour Jude) Caleb a toujours considéré que, si l'Iléveune subsistait dans l'esprit du public, c'était par fidélité, par amour de la part du public. Mais finalement, est-ce que le public ne se contente pas de transcrire oralement ce qui existe toujours en creux ? L'Iléveune a chu, sans rien prévoir sans doute. Elle a été contrainte d'exploser à cause d'un triple scandale : l'accession de Sonny Raimon à la mairie, l'exil politique illégal de l'amant de Byron Love, et la sortie imminente du livre de Ray Dark. Et Caleb, et le monde entier (si tant est que la Capitale soit symptomatique du monde entier), pense qu'un jour, sans prévenir personne, l'Iléveune se reformera. Peut-être pas avec tous ses anciens membres, et sans doute sans lui. Mais Mark porte en lui l'essence-même de l'Iléveune, il n'arrivera pas à l'abandonner si vite, si facilement.

- Toi, tu t'emmerdes, lui dit soudain Byron, qui le regarde depuis de longues secondes sans qu'il le remarque. Pourquoi t'es pas avec Jude ?

- Parce qu'Axel trouve que je devrais le laisser respirer. Pourquoi toi t'es pas avec ton réfugié communiste ?

- Parce qu'il n'est pas communiste, mais révolutionnaire. Il est occupé à parler anarchisme avec Sue. J'ai vu que t'avais posé ton sac dans la chambre de Jude… Alors, tu quittes la banlieue ?

- Jamais de la vie. Non, je reste juste cette nuit, peut-être.

- Vos amours adolescentes me font rêver. Je fais une lecture de mon dernier texte dans une bibliothèque, demain. Il parait que ça va être un peu agité, Célia a fait en sorte qu'il y ait des journalistes pour filmer les débordements, s'il y en a.

- Genre des sympathisants de Dark ?

- On n'avait pas dit qu'on se faisait une soirée off ? demande Shawn. Et puis, vraiment, ce nom, chez Jude…

- Ok, alors, en parlant de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, reprend Byron, on a eu un petit problème.

- Fais la queue, alors, t'es pas le seul à avoir un problème avec ce type.

- Avec Sue, on l'a croisé, continue, imperturbable, le dramaturge. Y a deux jours, on passait la soirée au club de jazz, comme toutes les semaines. Et il était là.

- Il vous a dit un truc ? demande Shawn.

- Rien. Il nous a payé un verre, on l'a refusé, il s'est tiré. Il a dû rester cinq minutes, alors y avait pas de doute, il voulait voir quelqu'un parmi nous.

- T'étais avec Chang Su.

- Oui, mais pourquoi il aurait voulu lui parler ? Et Sue était avec deux trois meufs de son collectif d'écriture. Et avec Victoria Vangard. Mais il a pas cherché à parler avec elle.

Shawn fronce ses sourcils clairs, au-dessus de ses yeux clairs. Lui aurait aimé un off, ne pas parler de cette histoire pour au moins une soirée. Et ç'aurait été une bonne chose, considérer que la vie, malgré ça, continue. Parce que Shawn est un émotif, un hyper-émotif, et que tout va tourner et retourner dans sa tête, et qu'il va s'imaginer ses amis, dans ce night-club bondé, exposés au regard noir et acide d'un monstre prêt à les dévorer. Et que son appartement, en ce moment, est froid, mais pas d'un froid hivernal enneigé. D'un froid chirurgical, celui des hôpitaux inanimés, lorsque personne ne vient rendre visite. Il aimerait changer de discussion. Mais Caleb ne le fera pas.

- Mark m'a dit qu'on devrait se méfier, reprend Byron.

- Il m'a dit la même chose. Apparemment, il a déjà essayé de parler avec Axel. Il cherche quoi, à ton avis ? A nous menacer ?

- C'est assez son genre. J'ai un peu bossé avec lui à mes débuts, il joue de sa posture, de son charisme, et il est assez peu regardant sur les moyens utilisés. Et puis bon, on n'est pas difficiles à trouver.

- Pourquoi il est parti s'il essayait de vous menacer ?

- Mark pense qu'il veut juste nous signaler qu'il est là, qu'il sait où on est. Au cas où on continuerait à nous liguer contre lui.

- Ca a pas de sens, signale Caleb. Il sait bien qu'on va soutenir Jude. Tout roi de la Capitale qu'il est, on reste l'Iléveune. Ex-Iléveune.

- Regarde, explique Shawn. Il vient voir Axel sur son lieu de travail parmi son public, il se pointe dans un lieu de loisir de Byron et Sue au milieu de leurs proches. Il veut juste nous dire qu'il n'a peur de rien. Si je le retrouvais face à Kevin, lorsqu'on va au cinéma, juste là et qu'il m'observait, je me sentirais clairement atteint dans mon intimité. Et dans ce cas-là, tu te dis, juste quelques secondes, que ça vaut pas le coup.

Il tend à Caleb une autre bière, visiblement sortie du chapeau. Le jeune homme l'accepte, en lançant un regard à Jude, occupé à discuter avec ses amis, et c'est Mark qui accroche ses yeux, et lui adresse un signe de tête, que Caleb suppose encourageant. Sans doute sait-il autour de quel sujet tourne la conversation, et il tiendra Jude à l'écart. Shawn a raison, on ne devrait parler de ça ce soir, ici.

- On devrait prévenir Ju…

- Non !

Et Caleb renverse sa bière sur le parquet. Il lève les yeux au ciel et s'empresse d'aller chercher une éponge humide, sous les yeux interrogateurs de son compagnon. Il bredouille une excuse à propos de Willy Glass qui serait en lice pour le prochain prix journalistique. Lorsqu'il a réparé sa bêtise, il revient vers Shawn et Byron, qui n'ont pas bougé, mais ont été rejoints par Axel.

- Ecoutez, on la ferme, je veux pas que Jude sache quoi que ce soit. Il a vraiment pas besoin de ça.

- Notre petit rebelle est amoureux.

- La ferme Axel, ça n'a rien à voir.

Trop tard, Byron et Shawn affichent le même sourire, à mi-chemin entre la niaiserie et le rire ironique. Bon sang, quand se termine-t-elle, cette affreuse soirée ?

- Soyons très clairs, à partir du moment où c'est moi qui vais me taper ses crises d'angoisse et son manque de confiance, c'est moi qui décide comment on procède, ok ?

- T'excite pas, soupire Axel, je plaisantais. Et puis, je pense que t'as raison. Jude a pas besoin de savoir. On encaisse chacun de notre côté. De toute façon, Dark est trop intelligent pour une bagarre. Au pire, il essaiera d'entamer une discussion, donc pas de quoi s'affoler.

- Facile à dire quand on est aussi baraqué que toi ! signale Shawn. Ou qu'on a un mec baraqué à ses côtés !

Décidément, il va vite falloir trouver un moyen d'achever ce procès, parce que le jeune poète ne va pas tenir longtemps loin de sa montagne de muscles.

- Blague à part, reprend Byron, fais gaffe Caleb. Dark sait forcément pour Jude et toi, t'es dans ses cibles principales. Célia a eu raison de trouver un lotissement discret et moins bourge que son ancien appart'.

- C'est qu'une question de temps. Y a bien un voisin qui va balancer. Mais l'avocat de la défense devrait bientôt obtenir une interdiction d'approcher les cités à comparaître, le temps du procès. Ce serait plus facile s'il portait plainte, on aurait l'interdiction tout de suite.

- Bon, allez, on a passé une demi-heure là-dessus, ça fait une demi-heure de trop !

Le quatuor décide de se séparer, mais Caleb retrouve bientôt Shawn dans le jardin, triste et les yeux tournés vers le ciel, et ils ne se séparent plus de la soirée, et se mettent à parler d'Aragon et de Louise Labé, en buvant toute la bière amenée par Axel. Vers deux heures du matin, Arion vient voir Caleb, parce que lui et Riccardo vont rentrer en voiture, est-ce qu'ils le déposent ? Caleb répond non, avec un air mystérieux qui veut dire qu'il rentrera peut-être plus tard, et personne n'y croit, pas même lui. Byron et Chang Su sont déjà partis, et Hurley et Sue ont décidé de poursuivre la soirée en boîte. Rapidement, la nouveau bien embourgeoisé s'éventre, et laisse fuir les hôtes, enivrés et euphoriques comme des enfants. Et puis finalement, comme toujours, il reste le couple mythique Blaze/Evans, et il reste Shawn qui ne dort pas la nuit, et puis Caleb, qui ne dormira pas seul cette nuit.

- J'en déduis que ton sac reste dans ma chambre ? demande Jude en l'enlaçant par les hanches.

- Sauf si t'as changé d'avis.

- Bon, on va peut-être y aller, nous. Merci pour la soirée, Jude !

- Tu veux rester, Shawn ? Tu vas trouver un train à cette heure-ci ?

- Ca va, Axel et Mark me ramènent. A plus !

Le couple et le jeune poète embrassent l'autre couple, et prennent la porte pour rejoindre le centre de la Capitale. L'euphorie de la soirée les suit, et s'engouffre dans les fenêtres ouvertes, par la porte qui clôture la soirée. Il fait chaud, très chaud, c'est étouffant. Caleb bascule son dos en arrière, où son corps rencontre celui de Jude qui le retient. Son compagnon embrasse son épaule dénudée par l'ouverture de la chemise, et Caleb serre sa main. Parce que ce baiser ressemble à ceux de Jude lorsqu'il implore un pardon. Il s'en veut pour la soirée, peut-être. Ou pour une autre chose. Ou pour mille autres choses. Et Caleb est trop fatigué, trop embrumé, pour réfléchir à ce qu'il se reproche.

Très vite, Jude propose au jeune homme de rejoindre la chambre, et l'entraîne au lit en le tirant par la main. Caleb retire, sans pudeur, la quasi-totalité de ses vêtements, sa chemise et son pantalon, et s'écroule sur le lit, attendant que son compagnon, retranché dans la salle de bain attenante, ne le rejoigne. Il ferme les yeux, écoute la porte se refermer, constate l'enfoncement du matelas sous le poids de Jude, et retrouve très vite la main du jeune homme posée sur sa poitrine. Il se rapproche de cette main, et du bras, et du corps auxquels elle s'attache pour se poser n'importe où. Sur ce corps, il rencontre la peau lisse et chaude du jeune homme, et il ouvre les yeux. Contre lui, il découvre Jude, découvert, dénudé. Pas de T-shirt à message débile, pas de chemise coûteuse, pas de pull trop large… Il remarque son sourire, tendre, mais aussi mal à l'aise, ses épaules tendues, il rencontre ses yeux qui ne savent pas à quoi s'agripper. Caleb ouvre la bouche, mais ne dit rien. Il oscille entre les mots, et ne sort rien. Il l'observe juste, réduit à ce quart de lit, prostré sur le matelas, caché à demi par les draps, les cheveux désentravés, les yeux débarrassés de glace. Caleb déglutit fébrilement. Le dos de sa main caresse l'avant-bras du jeune homme, puis remonte à sa joue, tremble contre ses lèvres. Il soupire, et il couvre de la pulpe de ses doigts le creux de la côté crée par la position adoptée par Jude, couché sur le côté. Caleb s'aventure sous les draps, juste pour vérifier. Poursuivant la ligne du corps découpé dans la lumière, il remonte légèrement où se construisent les hanches. Là, son majeur quitte l'élasticité de la peau et rencontre un morceau de tissu léger. Caleb soupire encore, et Jude comprend. Mal. Jude comprend toujours mal dans ces moments. Il prend la main de Caleb et la guide, et l'enjoint à passer sous le tissu pour le retirer.

Respire.

Il retire sa main, lentement, et Jude n'oppose pas de résistance.

- C'est pas pour ça que je suis resté.

- Je sais.

- T'as l'air mort de trouille.

- Je le suis pas… Mais ça fait longtemps. Et je sais pas encore exactement ce que je veux, et ce que mon corps supporte.

- Je veux pas te faire peur, ou te faire du mal.

- Caleb. Tu n'y es pour rien. Mon corps a une mémoire assez intense, et elle va se réactiver, alors il anticipe la douleur. Mais il va bien devoir passer par là s'il veut avancer. Et moi, j'ai envie d'avancer. Et je me dis que, quitte à réactiver cette douleur, j'aime mieux que ce soit avec toi. Vois ça comme une thérapie.

Il avance son corps endolori d'anticipation, et embrasse Caleb, qui accepte le rôle. Très vite, il prend le contrôle de la nuit, avec patience et douceur (découvrant par-là même les deux substantifs). Il n'a de cesse de parler à Jude, de lui demander comment il va, de s'arrêter lorsqu'il n'obtient pas de réponse. Il lui garde les sens en éveil, pour que Jude ait toujours conscience de l'homme qui s'emploie à l'aimer, qui s'anime contre lui, qui échauffe sa peau et se meut au creux de sa chair. Qu'il s'accroche toujours à sa voix, à ses gestes, à sa peau, à ses mains, à sa langue, à ses râles. Qu'il ne puisse jamais confondre. Malgré l'infinie précaution, Caleb sent bien que ses sens ne sont pas complètement alertes. Ou bien trop. Tout va très vite, il n'arrive pas à contrôler son corps et celui de Jude. Lorsqu'il vient, après de langoureuses mais courtes minutes, il abandonne son compagnon, quelques secondes. Il pense vaguement à ce préservatif qu'il va devoir retirer et jeter, vaguement au cœur qui bat sous lui. Mais il pense surtout à lui, à lui, à son désir assouvi et dont il n'a pas pleinement profité. Lorsqu'il quitte le corps de Jude, il surprend un spasme, et ne sait pas s'il vient de lui, de son corps fébrile. Et il ne vient pas de lui.

- Putain.

Il se débarrasse du plastique, et retrouve son compagnon, dont le corps est secoué de spasmes, et il ignore depuis combien de temps. Le visage du jeune homme est crispé, et Caleb en est persuadé : c'était trop tôt, il l'a blessé. Il reste là, incapable de bouger, incapable de savoir ce qu'il doit faire. Et puis, après trois secondes, trois heures, le corps de Jude se détend et cesse de secouer le lit. Il lui semble entendre un bruit, un sanglot étouffé. A présent, c'est le corps de Caleb qui se crispe, comme jamais dans cette situation post-coïtale. Il s'allonge, à une distance raisonnable, pour ne pas gêner. Et très vite, il réceptionne entre ses bras l'âme matérialisée de Jude, et il ne la serre pas. Et pourtant, il reçoit un baiser, peu mérité.

- On était loin de nos compétences habituelles…

- Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

- La mémoire dans la peau, tu sais. Je t'ai fait peur.

- Tu trembles…

- Je sais. Ne fuis pas. Tu verras, ça ira de mieux en mieux.

- Et si c'est pas le cas ?

- Alors je suis foutu. Et je refuse d'être foutu à cause de… Reste demain. Tu peux bosser ici. Je veux pas me réveiller et trouver un post-it qui me dit que tu es rentré chez toi.

- T'es sûr ? Tu veux pas un peu d'espace ?

- Bonne nuit, Caleb, dit Jude en l'embrassant, avant d'éteindre la lumière.

Il s'endort immédiatement, et Caleb se dit que lui ne dormira pas de sitôt. Et il s'endort cinq minutes après, profondément. Lorsqu'il se réveille, Jude est logé entre ses bras, et remue. Il quitte le lit, en se plaignant du chauffage, attrape un pull et descend vérifier un radiateur, puis vient se recoucher. Ça ressemble à s'y méprendre à une scène de couple classique, le jour de l'emménagement. Il se serre contre Jude, embrasse sa nuque et provoque un frisson dans son échine. Et ce simple contact matinal l'électrise.

- Déjà ?

- Excuse-moi, putain de corps à la con. Laisse-moi deux minutes.

- Pourquoi ? On a du temps à rattraper.

Après dix minutes de préliminaires et deux minutes de sexe, toujours pas glorieuses, Caleb se rendort, et Jude lui dit qu'il va devoir s'absenter pour la journée, qu'il a un déjeuner avec son éditeur (ton éditeur ? Celui qui a remplacé Tu-sais-qui quand il a fini en taule ?)(oui, mon éditeur)(je t'accompagne)(non, j'y vais avec David, reste là et bosse, je le laisse le double des clefs sur la table). La porte claque. Oui, impression de scène matinale classique. Caleb replonge dans les draps.

Quelques heures plus tard, il investit les lieux, presque comme s'il s'agissait de sa maison, une maison dont il ne connait pas encore bien les murs et où il ne se retrouve pas complètement. Mais enfin, c'est mieux que rien. Il emprunte l'ordinateur de Jude, découvre la cuisine, s'installe, répond aux mails. Et, comme il n'a pas son propre tapuscrit avec lui, il démarre une nouvelle réflexion à proposer à son éditrice.

Le maître des lieux rentre vers dix-huit heures, et Caleb se rend compte que la journée a filé, qu'il n'a pas envoyé un seul SMS à son compagnon, et que tout va bien. Alors qu'il termine de corriger son texte, Jude raconte que son éditeur accepte de le publier, malgré sa présence clairsemée ces derniers temps, et ça tombe bien parce qu'il a justement un premier jet de roman. Et Caleb se demande comment le public va prendre ça : un éditeur qui publie la victime et le bourreau, l'accusation et la défense. Mais Jude a l'air heureux, alors il se tait.

Ils dînent en suivant deux matches de football en même temps.

- Tu crois que Neymar va réussir son coup franc ?

- Je sais pas, mais Megan Rapinoe va bouffer l'équipe entière. C'est mon pull que tu portes ?

- Merde, hors-jeu. C'est mon jean que tu portes ?

Jude est épuisé, et il va se coucher juste après le match, et Caleb termine sa correction devant les interviews des coaches pour se coucher quelques heures plus tard, en essayant de ne pas réveiller Jude. Il le réveille quand même, et il en profite pour lui dire qu'il devra partir demain matin. Jude est dans les vapes, il acquiesce et ferme les yeux.

Au matin, il se met à trembler contre l'épaule de Caleb. Le chauffage ne s'est toujours pas déclenché, il doit encore aller l'allumer. Il est huit heures, Caleb se réveille, il va devoir partir bientôt. Lorsque Jude revient dans le lit, il est habillé, et gelé. Son compagnon sourit, et se couche au-dessus de lui. Ses mains attrapent délicatement le pull gris chiné et le remontent sur le ventre, sur la poitrine, et sa langue court pour rattraper la montée, sur son ventre, sur ses côtes, sur sa poitrine. Jude cambre son dos, son bassin, et Caleb les déshabille tous les deux. Ils sont plus calmes, plus détendus. En le regardant, en l'embrassant, en l'agrippant, Caleb s'immisce de nouveau dans le corps de Jude, et remue en lui et contre lui, avec rage, passion, détachant de longs et profonds soupirs, de solides et sensuels gémissements de sa gorge. Pour la première fois en deux jours, Jude ne propose pas une prestation passive. Lui aussi bouge en cadence, son corps se presse contre celui de Caleb, pour venir à sa rencontre, et Caleb ressent chaque muscle planté dans la chair de Jude se tendre et hurler. Une voix grave lui souffle à l'oreille de ralentir, et il s'exécute, et il continue à danser sur du rock des années 80 aux accents stridents et féminins. Lorsqu'il se sent à bout, il se couche contre Jude, et se retient de planter ses dents dans son épaule, où elles laisseraient une trace. Il est en nage, mais descend en rappelle le corps de Jude de sa bouche, pour atteindre le sexe érigé de son compagnon, auquel il adjoint un énième préservatif, et qu'il honore en se délectant de la surprise et de l'épuisement de Jude, tête renversée contre l'oreiller, qui ne tarde pas à jouir.

- Va falloir racheter très vite des capotes à ce rythme-là, signale Caleb en rangeant la boîte en carton dans le tiroir de la commode.

- Ou aller se faire dépister. Y a un centre au Nord de la Capitale où tu peux prendre rendez-vous, pour éviter de te faire reconnaître. T'as pas fait gaffe, avec tes amants ?

- Si, répond Caleb en haussant les épaules, une cigarette aux lèvres. Mais, je sais pas, parfois tu oublies, quand ça fait plusieurs fois. Et toi, c'était sesso libero ?

- Je sais pas trop, en fait.

Il murmure ces mots, et Caleb décide de faire semblant de n'entendre rien, détourne la tête, à la recherche de ses vêtements et de ses affaires. Jude lui demande quand même s'il ne veut pas rester encore un peu.

- Désolé, mais Aitor a le moral en berne ces temps-ci.

- Laisse Riccardo s'occuper de lui.

- Oh Jude, Aitor est en pleine crise sentimentale, il a besoin de quelqu'un d'aussi imparfait que lui, pas d'un demi-dieu vivant qui nage au milieu des mortels ! Dis, t'as pas vu mon…

« pull »… Jude sourit, et se cambre pour passer le pull qu'il a revêtu le matin, et la veille, au-dessus de sa tête et le lance à son propriétaire qui se hâte de l'enfiler avant de prendre son sac et d'embrasser son compagnon. Il descend l'escalier, rallume son portable, et ferme la porte derrière lui. Deux messages : « Appelle », « Vraiment, appelle vite ! », deux appels en absence : Aitor. Bon sang, qu'est-ce qu'il a encore fait ? En marchant vers l'arrêt de métro, il demande à son téléphone de bien vouloir rappeler son apprenti, et colle l'écran à son oreille, en priant pour qu'Aitor n'ait pas provoqué une bagarre, ou pire. Dès la première sonnerie, il entend le « crack » de celui qui décroche, et la voix étouffée de son colocataire.

- Putain, mais tu décroches jamais ?!

- Téléphone éteint, je faisais la grasse mat'. Qu'est-ce qu'y se passe ?

- Ramène-toi. Vite. Y a Dark à la maison.


Ouais ouais, je sais, c'est nul cette fin, et je crains. C'est pour vous donner le temps de digérer...


Avengers, Assemble : Bon vous l'avez en vrai. Mais au cas où, c'est la phrase qui cèle la réunion de l'équipe des Avengers dans le premier film éponyme, et c'est un peu ce que cherche à faire l'Iléveune ici. Et j'ai aussi retravaillé une phrase de ce film prononcée par Hawkeye ("Fais la queue, alors, t'es pas le seul à avoir un problème avec ce type"). Il dit un truc approchant vers la fin, en parlant de Loki (Loki est beaucoup plus classe que Dark, on sait !). Et j'ai aussi emprunté un morceau d'une réplique de Natasha ("Ca n'a rien à voir [avec l'amour. J'ai une dette au fer rouge.]" J'adore ce film.

Nitescence : Réf un peu glauque, parce que c'est un mot que je ne connaissais pas, que je trouve très beau, et que le narrateur utilise pour parler de Lolita dans le livre éponyme, et qui signifie Lumière diffuse.

"Toi, tu t'emmerdes" : Paraphrase du film "Minuit à Paris" prononcé par Zelda et reprise par John Fitzerald (incarné par Tom Hiddelston, comme quoi mes références sont liées !), et j'adore le ton de la VF !